B. UNE INDISPENSABLE PRUDENCE DANS L'AFFECTATION DE CE DIVIDENDE

Il apparaît à votre commission pour avis essentiel de conserver une souplesse suffisante pour ne pas compromettre la possibilité future d'un dividende numérique effectivement exploitable, quel que soit le scénario ultérieurement retenu.

1. Ne pas projeter sur le futur dividende numérique l'organisation et les usages actuels des fréquences

En effet, il ne manque pas d'usages possibles pour ces fréquences libérées par l'extinction de la diffusion des services de télévision par voie hertzienne terrestre en mode analogique : télévisions (numérique terrestre, haute définition, mobile, télévisions locales) mais aussi radio, analogique et numérique, aussi bien que communications électroniques, dont les usages ne cessent de se diversifier... A cet égard, vos rapporteurs pour avis insistent sur la nécessité de reconnaître aux télévisions publiques locales une place légitime sur le numérique : la planification des fréquences ne doit pas négliger ces vecteurs diversifiés et originaux qui contribuent à la cohésion sociale et à la respiration locale.

Or l'efficacité et donc la valeur intrinsèque des ondes radio varient beaucoup suivant leur fréquence : plus la fréquence est élevée, plus elle s'atténue rapidement avec la distance, et moins elle pénètre facilement dans les bâtiments. Les fréquences qui offrent les meilleures conditions technico-économiques de déploiement de grands réseaux tendant vers des couvertures nationales sont dites fréquences « en or ». Elles sont situées au voisinage de la bande UHF (300 MHz-3 GHz) de la télévision, du GSM et de l'UMTS. Mais des différences notables existent à l'intérieur de cette bande. Ainsi, l'atténuation du signal GSM est plus importante à 1800 MHz qu'à 900 MHz. Pour couvrir une zone donnée, il faut donc plus d'équipements d'émission avec la technologie 1800 qu'avec la 900, ce qui rend le coût de déploiement significativement différent.

Les attributions de fréquences radioélectriques ne portent pas sur des fréquences pures mais sur des canaux constitués de portions de spectre dont la largeur dépend du service concerné. Pour un service donné, cette largeur est déterminée par la « richesse » de l'information véhiculée : plus elle est riche, plus le canal doit être large. Pour les transmissions numériques utilisant un canal d'une largeur donnée, un compromis doit toujours être recherché entre robustesse du signal et débit utile disponible. Ainsi, par exemple, dans le cas de la TNT, chaque canal de 8 MHz des bandes de télévision VHF et UHF peut être exploité pour diffuser jusqu'à six programmes simultanés en réception fixe, mais seulement un ou deux en réception mobile du fait de la plus grande robustesse requise par la mobilité.

L'estimation du besoin en fréquences d'un utilisateur est complexe car elle dépend d'un nombre important de paramètres. Les besoins sont d'abord fonction du type de service offert (voix, vidéo, données), du degré de mobilité (fixe, nomade, mobile). Ils sont également déterminés par des paramètres techniques (technologie privilégiée et largeur de canal, capacité de la technologie déterminée par les caractéristiques d'interface radio comme l'accès multiple, le codage de source...). Enfin, les besoins sont fonction de paramètres géographiques (niveaux de couverture, zones rurales/zones urbaines).

Il ne fait en tout cas pas de doute que l'essor des radiocommunications mobiles et les besoins croissants de débit, de trafic et de couverture se traduisent par des besoins proportionnels de fréquences. Quatre Français sur cinq utilisent un téléphone mobile aujourd'hui, générant un volume de trafic deux fois plus important qu'en 2000. Un nouveau doublement est attendu d'ici cinq ans. Ainsi Orange, auditionné par vos rapporteurs pour avis, a fait état d'un accroissement de 20 % du trafic sur son réseau chaque année. Cette forte croissance de l'usage du mobile ne pourra se confirmer que si les utilisateurs sont assurés de pouvoir accéder à ces services à l'intérieur des bâtiments, que ce soit à leur domicile, dans les lieux qu'ils fréquentent ou dans les moyens de transport qu'ils utilisent. Elle le sera également si le service n'est pas indisponible lors de leurs déplacements en zones rurales.

Or la couverture à l'intérieur des bâtiments est d'autant plus facile à assurer qu'on utilise des fréquences basses, en dessous de 1 GHz, historiquement utilisées d'abord la radio puis par la télévision. Les communications mobiles grand public utilisent pour leur part des fréquences élevées : le GSM utilise la bande 900 MHz puis 1,8 GHz, l'UMTS la bande 2 GHz avec des possibilités à 2,5 GHz. Cette montée en fréquences, au fur et à mesure du développement du marché et de l'augmentation du débit offert au client, atteint aujourd'hui ses limites.

Pour assurer une bonne couverture du territoire, il est nécessaire de mettre en place de plus en plus de stations d'émission. Chaque opérateur GSM exploite un réseau constitué de plus de 15000 stations de base. Ce chiffre sera nettement plus élevé pour l'UMTS. Il en résulte des coûts économiques croissants et des difficultés grandissantes pour couvrir les zones blanches. D'autant que les points hauts se font de plus en plus rares et que l'acceptation par le public de sites d'émission diminue.

Alors que la demande et l'offre de services de communications mobiles exige des débits toujours plus élevés, notamment pour la télévision diffusée à destination des mobiles, les services mobiles de troisième génération et au-delà ont donc besoin d'accéder à des bandes de fréquences plus basses, et particulièrement aux bandes basses UHF consacrées aujourd'hui à la diffusion télévisuelle (470-862 MHz), pour améliorer les couvertures radio à l'intérieur -« indoor »- et pour assurer la couverture de zones peu denses dans des conditions technico-économiques favorables.

Plus généralement, l'innovation est un moteur dans ce secteur et vise à faire émerger les solutions mobiles alternatives qui permettront d'offrir des services complémentaires ou d'adresser de nouveaux marchés. La gestion du spectre doit permettre de soutenir cette effervescence créatrice.

Un exemple de services innovants : les systèmes d'identification par radiofréquences

Les technologies d'identification par radiofréquences (RFID) offrent de multiples opportunités, notamment pour le suivi logistique de produits, la traçabilité alimentaire, ou encore le contrôle d'accès. Plusieurs expérimentations menées en France ces dernières années ont mis en évidence l'impact de ces applications sur l'optimisation des fonctions logistiques des entreprises et, plus généralement, sur leur compétitivité.

Physiquement, ces équipements se présentent d'une part sous la forme de puces ou « étiquettes électroniques » contenant des informations liées au produit dans lequel elles sont insérées et d'autre part, de lecteurs qui permettent d'interroger ces étiquettes à distance (avec une portée de l'ordre de quelques mètres).

L'ARCEP, par décision 06-0841 du 25 juillet 2006, a autorisé l'utilisation des applications d'identification par radiofréquences (Radio-Frequency IDentification, RFID) dans la bande 865-868 MHz, dont le Ministère de la Défense était jusque là affectataire exclusif. Les dispositifs de radio-identification sont déjà présents en France à d'autres fréquences, mais l'ouverture de cette bande est susceptible de donner un nouvel élan au développement des RFID.

Source : ARCEP

Il apparaît donc clairement à votre commission pour avis, comme l'a fait valoir l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) dans son avis sur le projet de loi, que l'affectation de ressources spectrales à de nouveaux services de communications électroniques représente « un enjeu sociétal, économique et industriel majeur qui s'inscrit dans le cadre des actions visant l'accès de tous à la société de l'information ». Le Japon l'a bien compris, lui qui a inscrit le dividende numérique dans une stratégie politique volontariste de vaste ampleur pour l'accès aux fréquences radioélectriques par les systèmes mobiles sans fil à haut et très haut débit.

C'est dire l'importance qu'accorde votre commission pour avis à conserver au texte de loi le caractère le plus ouvert possible, tant en ce qui concerne les choix de réaffectation des fréquences libérées à différents usages que les besoins éventuels de réaménagement du spectre rendus nécessaires.

A cet égard, votre commission pour avis n'a finalement pas souhaité se saisir de l'article 104 de la loi de 86 (rédigé par l'article 5 du projet de loi) qui prévoit l'octroi d'un canal supplémentaire aux chaînes « historiques » (TF1, M6 et Canal+), en raison du caractère très spécifique du dispositif et en dépit des interrogations que celui-ci a pu susciter, notamment de la part de l'ARCEP, quant à la préemption du dividende numérique.

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