EXAMEN DE L'ARTICLE RATTACHE

Article additionnel après l'article 51
(art. L. 57-1 nouveau du code des pensions civiles et militaires de retraite)
Fermeture du régime de « l'indemnité temporaire »
majorant la retraite des fonctionnaires de l'État
dans certains territoires d'outre-mer

Objet : Cet article additionnel propose de fermer à compter du 1 er janvier 2007 l'accès au bénéfice de la majoration de pension dénommée « indemnité temporaire ».

Les retraités, titulaires d'une pension civile ou militaire de l'Etat, résidant à la Réunion, à Saint-Pierre-et-Miquelon, à Mayotte, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et à Wallis-et-Futuna bénéficient, depuis les décrets n° 52-1050 du 10 septembre 1952 et n° 54-1293 du 24 décembre 1954, d'une majoration de pension variant entre 35 % et 75 %. Cet avantage, appelé « indemnité temporaire de retraite » (ITR) est connu généralement sous le terme de « surpension ».

Réunion

35 %

Saint-Pierre-et-Miquelon

40 %

Mayotte

35 %

Nouvelle-Calédonie

75 %

Polynésie française

75 %

Wallis et Futuna

75 %

Les bénéficiaires de cette mesure sont les fonctionnaires de l'Etat en poste dans l'une des collectivités concernées avant la liquidation de leur retraite et qui choisissent d'y demeurer. Mais elle s'applique aussi aux fonctionnaires métropolitains qui s'y installent ou s'y font domicilier pour leur retraite.

Les revenus provenant de cette indemnité bénéficient en outre des régimes fiscaux particuliers applicables outre-mer. Ainsi, à l'exception de la Réunion, collectivité départementale où elle relève du droit commun, la majoration n'est soumise ni à la CSG, ni à la CRDS et elle n'est pas imposable sur le revenu, en fonction de dispositions spécifiques qui varient selon le territoire concerné. La seule exigence posée par le décret n° 52-1050 du 10 septembre 1952 porte sur les conditions de résidence , qui doivent être « au moins équivalentes à celles imposées aux fonctionnaires en activité de service » .

Dans son rapport particulier sur les pensions des fonctionnaires civils de l'Etat d'avril 2003, la Cour des comptes souligne le caractère « quasi impossible » du contrôle de ce dispositif et procède à une analyse générale très critique de celui-ci. Elle en conclut qu' « il importe de mettre fin à l'attribution de cette indemnité injustifiée, d'un montant exorbitant et sans le moindre équivalent dans les autres régimes de retraite » .

Les indemnités versées à ces pensionnés outre-mer représentent, pour l'État, un coût élevé et croissant. Cette croissance s'explique, selon la Cour des comptes, « par la meilleure information diffusée sur le sujet par les services de retraites des administrations, la publicité donnée à la mesure par certaines émissions télévisées et par la baisse générale des tarifs aériens » .

Impact et coût de l'indemnité temporaire

(en millions d'euros)

Année

Nombre de pensions abondées de l'indemnité temporaire

Coût de l'indemnité temporaire

1995

17.329

120,0

1999

21.019

141,3

2000

21.539

147,6

2001

22.529

158,8

2003

26.523

202,9

2004

30.244

223,2

2005

32.434

249,2

Entre 1995 et 2005, le nombre des bénéficiaires s'est accru de 87 %. Le montant de l'indemnité dont ils bénéficient, en plus de leur pension liquidée dans des conditions normales, atteignait en 2005 en moyenne 7.545 euros par an. Il s'agit de niveaux très élevés, voire, comme le souligne la Cour des comptes, « totalement exorbitants pour certains territoires » puisqu'ils sont en moyenne largement supérieurs à 10.000 euros par an.

Montant moyen de l'indemnité temporaire servi en 2005

Pension civile

Pension militaire

Nouvelle-Calédonie

13.824 €

10.663 €

Polynésie française

13.379 €

10.540 €

Mayotte

6.162 €

4.322 €

Saint-Pierre-et-Miquelon

6.310 €

5.335 €

Réunion

6.523 €

4.466 €

Source : Cour des comptes et mission d'audit de modernisation

Votre commission estime que l'existence même du régime de l'indemnité temporaire est triplement inéquitable :

- vis-à-vis de tous les assurés sociaux qui se voient appliquer la réforme des retraites de 2003 ;

- vis-à-vis des assurés sociaux du secteur privé qui n'y ont pas accès par définition ;

- vis-à-vis des fonctionnaires de Guadeloupe, de Martinique et de Guyane qui, eux non plus, n'en bénéficient pas.

Le rapport de la mission d'audit de modernisation réalisé conjointement par l'Inspection générale des finances, par l'Inspection générale de l'administration et le Contrôle général des armées, qui a été publié le 10 novembre 2006 sur le site Internet du ministère de l'économie et des finances, confirme les critiques formulées par la Cour des comptes. Ce document apporte aussi des éléments nouveaux :

- sur les justifications économiques généralement avancées pour le maintien de ce dispositif (écart de prix avec la métropole, effet sur le PIB des territoires) qui « ne sont pas [jugées] probantes » ;

- sur « les abus, sinon les fraudes » que peut entraîner le régime actuel qui a « a perduré jusqu'à ce jour (...) alors qu'il a perdu tout fondement monétaire ».


Extrait du rapport de la mission d'audit de modernisation de novembre 2006
sur l'indemnité temporaire de retraite des fonctionnaires de l'Etat outre-mer

« Les justifications d'ordre économique ne sont pas probantes. »

« Les collectivités d'outre-mer, où cette indemnité peut être servie, considèrent que son apport est un des éléments de leur équilibre économique et financier, directement ou indirectement, par l'effet d'entraînement qu'elle peut avoir sur le commerce, l'emploi et la construction. La pertinence des surpensions, qui constituent l'un des transferts de la métropole vers les collectivités ultramarines, peut s'apprécier au regard de deux éléments, la compensation d'écarts de prix et l'effet sur le PIB.

S'agissant des écarts de prix avec la métropole, les données actualisées de l'Insee indiquent, pour les Dom et la Réunion, que le différentiel des prix de consommation courante est de l'ordre de dix à vingt points. Cet écart est inférieur à la majoration de 35 %. Dans les collectivités d'outre-mer, les données sont plus difficiles à établir dès lors que la compétence en matière de statistiques et de prix a été transférée aux autorités territoriales. Les données disponibles mettent en évidence un écart de l'ordre de dix points. Elles permettent également de souligner que ces collectivités ont, de façon générale, une maîtrise de l'inflation, qui se traduit par une hausse de l'indice des prix plus faible qu'en métropole. (...)

Ainsi, ces enquêtes, même non exhaustives, permettent de souligner que les écarts de prix sont sans commune mesure avec les taux des surpensions. S'agissant de leur effet sur le PIB, les surpensions - comme les surrémunérations d'activité - permettent de distribuer des revenus qui ont un impact sur la consommation et donc sur la croissance et l'emploi. La mesure de leur effet sur le PIB est cependant délicate. On peut bien évidemment rapprocher le montant d'un transfert de celui du PIB. Ainsi, par exemple :

- à la Réunion, les suppléments de retraite ont représenté environ deux points de PIB. Même si cette étude remonte à dix ans, rien ne permet de penser que ce pourcentage soit aujourd'hui significativement modifié ;

- en Nouvelle-Calédonie, l'ensemble des pensions et surpensions représenterait environ un peu moins de 3 % du PIB.

Pour autant, ces données ne peuvent être prises telles quelles car elles ne tiennent pas compte du taux d'épargne des ménages qui perçoivent les surpensions. Les travaux disponibles permettent de penser que le taux d'épargne engendré par les surpensions est élevé : des travaux réalisés sur la Réunion montrent que les taux d'épargne diffèrent de façon significative entre les « expatriés » (taux de 25 %) et les salariés qualifiés ou non qualifiés locaux (taux de 12 %) ; (...)

« Au total, on retiendra que les suppléments de revenu qui sont versés aux retraités au travers de l'ITR sont distribués aux catégories qui épargnent le plus. Ils ne sont donc pas dépensés (ou pas en totalité) pour maintenir des habitudes de consommation que le coût de la vie aurait rendues plus onéreuses. Dès lors, cette observation - fondée sur les résultats d'enquêtes pouvant dater de plusieurs années mais dont rien ne permet de penser qu'ils puissent être infirmés aujourd'hui - conduit à s'interroger sur l'efficacité du transfert considéré.

Si des études devaient être conduites sur l'impact des surpensions sur le PIB ainsi que sur les écarts de prix, il apparaît indispensable de s'intéresser dans le même temps à la mesure du taux d'épargne des ménages qui les perçoivent. »

« Déjà contesté, le régime actuel peut en outre entraîner des abus, sinon des fraudes. »

« L'attribution de l'ITR est soumise à une première condition de séjour ininterrompu d'au moins sept mois avant de pouvoir y prétendre, puis à une interdiction de s'absenter du territoire de résidence plus de quarante jours par an (ou 80 jours tous les deux ans) pour en conserver le bénéfice. Si la condition de durée de séjour initiale, qualifiée de « période probatoire », est vérifiée avec soin par les trésoreries générales (TG), le contrôle de la durée de présence annuelle sur le territoire de la collectivité l'est plus difficilement.

Les instructions en vigueur prévoient que tous les pensionnés sont invités à souscrire, chaque année, une déclaration de résidence. En pratique, une déclaration sur l'honneur est déposée annuellement par le bénéficiaire de l'ITR. C'est ce dépôt qui fonde la reconduction annuelle de cette indemnité. Même si la loi du 5 juillet 1996 portant diverses dispositions relatives à l'outre-mer a habilité les services du Trésor à procéder au contrôle de l'obligation de résidence effective, ce contrôle est peu productif, faute de moyens pour l'exercer, en particulier d'une procédure adaptée d'information ou de contrôle.

On peut constater notamment que :

- les justificatifs de loyer, de téléphone, d'eau ou d'électricité constituent une présomption, sans qu'on puisse en déduire facilement la durée effective de résidence du pensionné ;

- dans un certain nombre de cas, à la Réunion notamment, les pensionnés ne sont pas toujours informés de la réglementation concernant la durée d'absence de la collectivité.

Une campagne nationale de contrôle, conduite en 2005 par les trésoreries générales, n'a pas donné les résultats attendus. Si on prend l'exemple de deux collectivités, le montant des reversements demandés, par rapport au total des surpensions, a été dérisoire, moins de 1/10.000 dans un cas, 1 % dans l'autre. Ces résultats représentent vraisemblablement peu de chose au regard du nombre de comportements qui ignorent, plus ou moins délibérément, le délai impératif de résidence et qui sont difficilement décelables dans les conditions actuelles. »

En définitive, ce rapport d'audit préconise « l'arrêt immédiat de l'entrée de nouveaux bénéficiaires » , ainsi que le lancement d'un processus étalé dans le temps « de résorption du stock » pour les personnes qui disposent de cet avantage. Dans cette perspective, trois options sont proposées :

- la « cessation du droit avec attribution éventuelle d'une « allocation de fin d'indemnité temporaire » ;

- la « résorption naturelle du stock par décès ou départ des bénéficiaires actuels » ;

- l'« extinction du dispositif dans un délai de trois à cinq ans ».

« Pour la période transitoire de l'extinction du stock (....) il est proposé l'application de deux mesures d'équité pouvant se cumuler :

- unifier le taux à 35 % pour tous les bénéficiaires ;

- plafonner le montant annuel de l'indemnité ».

Face aux coûts croissants supportés par les finances publiques, dans un contexte où la préservation des régimes de retraite impose d'importants efforts à tous les assurés sociaux, le présent article additionnel propose une remise à plat de cette disposition. Sans aller aussi loin que les préconisations du rapport d'audit, il vise à figer la situation actuelle au 1 er janvier 2007, en fermant l'accès à l'indemnité temporaire à partir de cette date.

Votre commission considère au surplus que l'existence de fraudes pratiquées par des métropolitains se faisant domicilier fictivement dans ces territoires, s'oppose non seulement en tout point à la réforme des retraites, mais apparaît aussi et surtout attentatoire à l'image même de l'outre-mer.

Elle souhaite vivement que les économies réalisées grâce à cette mesure puissent dégager des moyens nouveaux pour satisfaire les besoins sociaux de l'outre-mer qui sont réels.

Votre commission vous propose d'insérer par voie d'amendement cet article additionnel dans la rédaction qu'elle vous soumet.

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