b) Un objectif : limiter la croissance des bénéficiaires de l'allocation aux adultes handicapés

Contrairement au sentiment largement répandu dans le monde associatif, l'augmentation continue des dépenses d'AAH ne saurait être un motif de satisfaction : elle signifie en effet qu'un nombre toujours croissant de personnes handicapées se trouve dans l'incapacité, temporaire ou définitive, de subvenir à ses besoins par son travail.

C'est la raison pour laquelle le Gouvernement s'attache désormais à enrayer la progression du nombre de bénéficiaires de cette allocation. A cet effet, il met en place deux séries de mesures : d'une part, des mesures visant à améliorer le retour à l'emploi des allocataires, d'autre part, des mesures visant à maîtriser les décisions d'attribution de l'AAH.

Première priorité : lever les obstacles au retour à l'emploi des titulaires de l'AAH

Minimum social versé aux personnes handicapées sans ressources qui n'ont pas ou très peu travaillé et qui n'ont de ce fait pas droit à une pension d'invalidité, l'AAH constitue la seule perspective pour un grand nombre d'allocataires.

Ses bénéficiaires rencontrent de nombreuses difficultés d'accès à l'emploi : comme l'ensemble du public handicapé, ils ont besoin d'outils de compensation de leur handicap pour s'insérer dans l'entreprise ; mais plus que le reste de la population handicapée, ils se caractérisent par un faible niveau d'étude et de formation, une expérience professionnelle souvent limitée, des besoins d'accompagnement vers et dans l'emploi importants. Ils sont également plus âgés que la moyenne des demandeurs d'emploi handicapés.

C'est la raison pour laquelle, en plus des mesures générales prises pour favoriser l'emploi des personnes handicapées - réforme de l'obligation d'emploi, renouvellement des missions de l'Agefiph et des Cap Emploi, création du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées dans la fonction publique, renforcement des aides aux entreprises adaptées, réforme du statut des CAT - la loi du 11 février 2005 a prévu des dispositions spécifiques en faveur du retour à l'emploi des bénéficiaires de l'AAH :

- ils sont d'abord devenus un public cible de la politique générale de l'emploi : comme les autres bénéficiaires de minima sociaux, ils ont ainsi désormais accès aux contrats insertion - RMA et au contrat d'avenir. Comme les allocataires RMI, de l'API et de l'ASS, ils bénéficient également d'une prime de retour à l'emploi d'un montant de 1.000 euros. Celle-ci reste toutefois temporaire (le dispositif arrive à expiration le 31 décembre 2006), alors qu'elle a été rendue permanente par la loi pour les autres minima sociaux ;

- ils bénéficient ensuite d'outils spécifiques en faveur du retour à l'emploi : ils sont désormais inscrits parmi les bénéficiaires de l'obligation d'emploi, ce qui leur ouvre droit aux aides de l'Agefiph et du fonds « fonction publique », ainsi qu'à l'accompagnement professionnel réalisé par les Cap Emploi. Ces outils devraient être renforcés en 2007 : tirant les leçons de la mission d'audit de l'AAH menée au premier semestre 2006 14 ( * ) , le Gouvernement a annoncé la mise en place - sous une forme expérimentale dans un premier temps - d'une évaluation systématique des capacités professionnelles de tous les bénéficiaires de l'AAH, en lien avec l'ANPE et les Cap Emploi ;

- les règles relatives à l'AAH elle-même ont enfin été modifiées, afin de les rendre plus incitatives à une reprise d'activité : ainsi, la loi du 11 février 2005 a accru les possibilités de cumuler AAH et revenu d'activité, à travers un dispositif d'abattement sur ces derniers.

Grâce à cette mesure, une personne handicapée isolée rémunérée au Smic peut conserver le bénéfice d'une AAH à taux plein jusqu'à un tiers temps et d'une AAH à taux partiel jusqu'à un plein temps.

Pour une personne handicapée vivant en couple, le nouveau dispositif d'abattement permet le retour à l'emploi des personnes jusqu'ici condamnées à l'inactivité du fait que leur conjoint valide travaille à plein temps : il autorise en effet de cumuler une AAH à taux partiel avec des ressources d'activité jusqu'à deux Smic pour l'ensemble du foyer.

Part des revenus d'activité et de l'AAH dans les ressources
d'une personne handicapée isolée qui reprend un emploi

Part des revenus d'activité et de l'AAH dans les ressources
d'un couple, dont l'un des conjoints est handicapé

Le nouveau mécanisme d'abattement joue ainsi un double rôle :

- un rôle d'incitation au retour à l'emploi : le bénéfice de l'AAH n'est plus perdu lors de la reprise d'activité et toute reprise d'activité se traduit désormais par un gain de ressources net ;

- un rôle d'incitation à l'augmentation de la quotité travaillée : un accroissement du temps de travail se traduit, dans la très grande majorité des cas, par un gain de ressources.

L'abattement pourrait encore être perfectionné, afin d'éviter les quelques « trous d'air » qui subsistent dans le profil de revenus des bénéficiaires : aujourd'hui, les titulaires de l'AAH qui passent d'un tiers temps à un temps de travail de 40 %, ou encore de 80 % à temps complet voient leurs revenus globaux baisser légèrement.

Votre commission a largement contribué à la mise en place de ce dispositif : comme pour les bénéficiaires des autres minima sociaux, elle estime en effet que l'intéressement à la reprise d'activité doit être mobilisé au profit des personnes handicapées. Elle ne peut donc que se féliciter que le Gouvernement en fasse désormais un outil à part entière de la politique de retour à l'emploi des bénéficiaires de l'AAH.

Le projet annuel de performance de la mission « Solidarité et intégration » fixe ainsi comme objectif une progression de 0,4 point de la proportion des bénéficiaires de l'AAH ayant également des revenus d'activité. Évaluée à 20,1 % en 2006, celle-ci devrait donc passer à 20,5 % l'an prochain. Mais en l'absence d'objectif cible à plus long terme, votre commission peut difficilement mesurer le caractère ambitieux ou non d'une telle progression.

Il convient enfin de souligner que cette réforme de l'intéressement devrait avoir un effet contrasté sur les dépenses d'AAH : en maintenant dans le champ des allocataires des personnes qui en seraient auparavant sorties du fait de leur reprise d'activité, elle risque d'alourdir ces dépenses ; mais en améliorant l'insertion professionnelle des personnes handicapées et en réduisant les montants moyens versés aux allocataires, elle pourrait contribuer à leur réduction. Ces deux effets contradictoires ne sont malheureusement pas chiffrés à ce jour mais il est probable que, dans les premières années de mise en oeuvre, ce soit l'effet d'accroissement des dépenses qui l'emporte.

Seconde priorité : mieux maîtriser les décisions d'attribution de l'allocation

Depuis de nombreuses années, on constate une progression particulièrement vive des AAH attribuées au titre de l'article L. 821-2 du code de la sécurité sociale, c'est-à-dire des allocations versées à des personnes handicapées dont le taux d'invalidité est compris entre 50 % et 80 % et dont la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) reconnaît qu'elles sont « dans l'impossibilité (...) de se procurer un emploi du fait de leur handicap » .

Cette notion donne en effet lieu à des interprétations très variables d'un département à l'autre : d'après le rapport de la mission d'audit publié en avril 2006, le nombre d'AAH attribuées au titre de l'article L. 821-2 varie de 0,7 %o (en Seine-et-Marne) à 21,1 %o (dans le Lot). D'une façon générale, ce nombre est sensiblement plus élevé dans le grand Sud-Ouest, ce qui atteste, pour la mission d'audit de la « constitution de doctrines régionales en matière d'attribution de l'allocation » .

Plusieurs raisons expliquent cette situation :

- le plus souvent, et bien que la décision d'attribution de l'AAH soit normalement collégiale, c'est un médecin qui, seul, examine les différents éléments de la demande d'AAH. Or, s'il est compétent pour apprécier les informations de nature médicale et fixer un taux d'incapacité, il l'est beaucoup moins pour évaluer la manière dont le handicap de la personne affecte ses chances de trouver un emploi ;

- la notion d'impossibilité de se procurer un emploi elle-même est complexe à appréhender : elle doit en effet être distinguée à la fois de l'inaptitude, terme employé par la médecine du travail au regard de la capacité à occuper un poste particulier, et de l'invalidité, notion utilisée par l'assurance maladie quand elle constate une perte de la capacité de travail ou de gain due au handicap.

D'après une circulaire du 23 septembre 2005, le critère d'impossibilité de se procurer un emploi du fait du handicap doit être interprété comme une « perte de chance par rapport au marché du travail dont l'origine tient exclusivement au handicap » , à l'exclusion donc de tous les autres facteurs extérieurs - âge, situation de famille, situation du marché du travail... - susceptibles d'expliquer la difficulté d'accès à l'emploi. Il s'agit d'éviter l'attribution de l'AAH au motif d'un « handicap social », ce qui mettrait cette allocation en concurrence avec le RMI.

De plus, si la notion d'impossibilité de se procurer un emploi du fait du handicap ne signifie normalement pas incapacité totale à travailler, ni interdiction d'occuper un emploi sous peine de suppression de l'allocation, sa formulation est suffisamment ambiguë pour être source de confusion, tant pour les allocataires que pour les autorités chargées d'instruire les demandes.

Or, la condition supplémentaire introduite par la loi du 11 février 2005, aux termes de laquelle l'attribution de l'AAH au titre de l'article L. 821-2 n'est désormais possible que si le demandeur n'a pas occupé d'emploi rémunéré depuis plus d'un an, ajoute à cette confusion. Elle risque même de se substituer à toute autre appréciation de l'employabilité de la personne handicapée, pour aboutir à ce que l'AAH soit finalement automatiquement attribuée dès lors que le demandeur a connu une période d'inactivité d'un an.

C'est la raison pour laquelle le présent projet de loi de finances s'attache à clarifier les conditions d'attribution de l'AAH entre 50 % et 80 % de taux d'invalidité, en substituant à la notion d'impossibilité de se procurer un emploi du fait du handicap celle de « restriction substantielle et durable pour l'accès à l'emploi » .

Certains voient dans cette évolution une volonté déguisée de restreindre l'accès à l'AAH : il n'en est rien, car la nouvelle rédaction ne modifie pas les conditions d'attribution de l'allocation. Elle rend simplement sa formulation plus conforme au motif qui fonde l'octroi de l'AAH.

Votre commission ne peut que se féliciter de cette évolution, qui permet de mieux cerner le fait générateur de l'attribution de l'AAH. Elle regrette toutefois le maintien de la condition d'inactivité préalable d'un an car elle laisse perdurer une certaine ambiguïté et risque d'empêcher le recours à l'intéressement pour cette catégorie de bénéficiaires. Elle vous proposera donc un amendement visant à supprimer cette condition.

Elle observe enfin que l'efficacité de cette réforme de « terminologie » est suspendue à l'élaboration d'une véritable grille de lecture nationale de l'employabilité des demandeurs d'AAH et à la mise à disposition des commissions des droits, les compétences nécessaires à l'évaluation de cette employabilité.

* 14 Mission d'audit de modernisation conjointe de l'inspection générale des finances (IGF) et de l'inspection générale des affaires sociales (Igas) sur l'AAH, avril 2006.

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