B. LA NÉCESSITÉ D'UN NOUVEAU « LIFTING » RÉGLEMENTAIRE

Si la loi n° 2007-309 du 5 mars 2007 relative à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur a fait définitivement entrer l'audiovisuel hertzien français dans l'ère numérique, votre rapporteur estime néanmoins que de nouveaux ajustement législatifs et réglementaires sont nécessaires pour lui permettre de garantir sa pérennité et d'assurer son développement.

Deux sujets méritent de retenir particulièrement l'attention :

- les relations entre producteurs et diffuseurs ;

- la réglementation publicitaire.

La question de la réforme du statut de France Télévisions, tout aussi essentielle aux yeux de votre rapporteur, sera traitée dans la partie consacrée aux organismes de l'audiovisuel public.

1. Repenser les relations entre producteurs et éditeurs

Profondément modifiée par cinq décrets publiés le 31 décembre 2002 et le 4 février 2002 afin d'appliquer la loi n° 2000-719 du 1 er août 2000 modifiant celle n° 86-1067 du 30 septembre 1986 10 ( * ) , la réglementation relative à la séparation des métiers de diffuseur et de producteur est aujourd'hui unanimement dénoncée par des diffuseurs.

Comparée à la situation de leurs homologues anglo-saxons, celle des diffuseurs français est en effet peu enviable : contraints pour les plus importants d'entre eux de commander deux tiers de leurs oeuvres audiovisuelles auprès de producteurs indépendants, ils sont dans l'incapacité juridique d'assurer comme bon leur semble l'exploitation d'oeuvres qu'ils contribuent pourtant largement à financer.

Alors que la ministre de la culture a chargé MM. Dominique Richard et David Kessler d'une mission de concertation avec les professionnels du secteur de l'audiovisuel tendant à proposer des modifications des décrets de 2001 et 2002 qui organisent les relations entre producteurs et diffuseurs, votre rapporteur tient à faire part de ses observations sur le sujet.

a) Une réglementation trop favorable à l'industrie des programmes ?

La réglementation encadrant les relations entre producteurs est principalement marquée par la volonté d'infléchir au profit du secteur de la production de programmes un équilibre économique que la structure oligopolistique et la puissance financière du secteur de la diffusion inclinent en faveur de ce dernier.

• La réglementation historique (1986-2000)

La réglementation relative à la séparation des métiers de producteur et de diffuseur a été initiée dans les années 1980. Elle correspondait à une mutation de l'économie du secteur passant d'une situation de monopole des télévisions de service public à un régime de concurrence lié à l'apparition de télévisions privées (Canal + en 1984, TF1 en 1986) régies par une logique de marché.

Cette mutation a permis de souligner que l'existence de structures de production au sein des télévisions de service public desservait l'émergence d'une industrie indépendante des programmes. Dès lors, les chaînes privées mettaient en exergue une pénurie d'offre de programmes français ou européens indépendants pour investir à un prix moindre dans des oeuvres américaines déjà rentabilisées sur leur marché national.

Dans ces conditions, notre pays a décidé de mettre en place une politique économique et culturelle visant à développer et à protéger la constitution d'un marché de programmes de stock audiovisuels ainsi qu'à satisfaire les professionnels du cinéma qui considéraient que la diffusion des films à la télévision constituait une atteinte concurrentielle à leur exploitation en salles. Les pouvoirs publics ont alors consacré le principe selon lequel l'indépendance du secteur de la production ne pouvait passer que par une contribution des chaînes de télévision au financement de ces oeuvres, génératrices pour elles de recettes.

• Le régime actuel : les décrets « Tasca »

Ce dispositif initial a profondément été modifié par cinq décrets d'application prévus aux articles 20 et 24 de la loi n° 2000-719 du 1 er août 2000. Les nouvelles obligations imposées aux diffuseurs visaient à améliorer :

- le financement de la production en fixant séparément la part de contribution des diffuseurs ou le montant affecté à l'acquisition de droits de diffusion ;

- l'indépendance économique des entreprises de production en interdisant aux chaînes hertziennes de produire en interne plus d'un tiers des oeuvres d'expression originale française qu'elles diffusent ;

- la circulation des oeuvres cinématographiques et audiovisuelles en restreignant l'achat et la cession de droits de diffusion pour plusieurs supports et en limitant la durée des droits acquis à titre exclusif.

b) Un premier bilan concernant le cadre réglementaire actuel

En janvier 2005, à la demande du ministre de la culture et de la communication, un groupe de travail a été constitué au sein de l'Observatoire de la production audiovisuelle afin de réaliser un diagnostic commun à l'ensemble des acteurs sur les conséquences de la mise en oeuvre des « décrets Tasca ». Publié en juillet 2006 et portant sur la période 2000-2004, ce diagnostic fait ressortir deux axes majeurs.

• Le financement des oeuvres

Ces décrets ont incontestablement participé à la progression des investissements des chaînes historiques dans la production audiovisuelle.

En 5 ans, le niveau global des investissements réalisés par les chaînes historiques dans les oeuvres audiovisuelles a progressé de 33 %, passant de 574 millions d'euros en 2000 à 763 millions d'euros en 2005, alors que dans le même temps, leur chiffre d'affaires ne connaissait qu'une progression moyenne de 8 %. L'ensemble des genres d'oeuvres audiovisuelles (fiction, documentaire, animation et magazine) a bénéficié de cette hausse des investissements.

• Le développement de la production indépendante

Ce cadre réglementaire a eu en revanche des effets ambigus concernant le recours aux productions indépendantes.

Les chaînes historiques, qui avaient peu recours au financement d'oeuvres produites en interne (moins de 20 % de l'investissement total en 2000), ont accru le niveau de leurs dépenses consacrées à ces oeuvres. En effet, celui-ci avoisine désormais le taux de 33 % qui est le taux maximal autorisé par les décrets.

c) Les principales critiques à l'encontre du cadre réglementaire actuel

Votre rapporteur constate que les positions de chacun des acteurs de la filière concernant les effets du cadre réglementaire en vigueur paraissent en l'état actuel des choses inconciliables.

Ainsi, les diffuseurs « primaires », qui initient les oeuvres pour les diffuser prioritairement, souhaiteraient pouvoir amortir celles-ci au-delà du cycle et du nombre de diffusions actuellement réduits. L'impossibilité d'acquérir dans un même contrat, pour les deux tiers des oeuvres produites, des droits d'exploitation pour d'autres supports ou pour d'autres exploitations (VOD, DVD...) limite par ailleurs le développement des activités de diversification des chaînes.

Les diffuseurs « secondaires », qui achètent des programmes ayant déjà connu une première exploitation sur d'autres chaînes, dénoncent quant à eux une volonté des diffuseurs primaires de conserver la mainmise sur l'exploitation des oeuvres pour leur en interdire l'accès.

Les distributeurs indépendants des chaînes de télévision considèrent que les chaînes empêchent la circulation des oeuvres en monopolisant les droits.

Les auteurs, et les scénaristes notamment, critiquent l'influence exercée par les chaînes dans le développement des travaux d'écriture.

Les producteurs audiovisuels finalement, sont les seuls à se satisfaire du cadre juridique mis en place par les décrets « Tasca ». Ils souhaitent bien évidemment conserver un niveau de commandes et un financement élevés de la part des diffuseurs, tout en gardant la maîtrise de la gestion des droits sur l'oeuvre.

d) Des pistes d'amélioration de la réglementation en vigueur

Compte tenu des revendications antagonistes en présence, le sujet requiert une extrême prudence. La réforme des décrets « Tasca » devra tenter de mettre fin aux abus pesant sur l'ensemble de la filière tout en préservant l'économie générale du système. Votre rapporteur souhaite néanmoins faire certaines propositions destinées à améliorer la réglementation actuelle en :

- permettant aux diffuseurs de disposer de mandats au plan international afin de développer l'exportation des programmes ;

- assouplissant les règles relatives à l'indépendance pour les chaînes thématiques par la suppression de la limitation du nombre de diffusions ;

- encourageant les rediffusions des oeuvres sur les chaînes hertziennes, en dehors des périodes de prime-time, grâce à la maitrise du coût des suppléments de cachet versés aux comédiens.

2. Assouplir la réglementation publicitaire

S'agissant des éventuelles modifications relatives à la réglementation publicitaire, votre rapporteur tient à distinguer très nettement le cas des chaînes privées de celui des chaînes publiques.

Bien qu'évoluant sur un même marché, ces deux catégories de services doivent en effet continuer à se différencier au niveau de leurs missions, au niveau de leurs obligations mais aussi au niveau de leurs modalités de financement.

a) Assouplir le cadre réglementaire des chaînes privées

Les chaînes de télévision privées françaises doivent faire face à une double difficulté en matière publicitaire :

- elles évoluent sur un marché publicitaire de taille réduite puisque, comme l'indique le tableau ci-après, les dépenses nettes des annonceurs dans les médias français ne représentent que 0,65 % du produit intérieur brut ;

LES INVESTISSEMENTS DES ANNONCEURS EN FRANCE
ET DANS LE MONDE EN 2006

Allemagne

Espagne

France

Italie

Royaume
Uni

Etats-Unis

Japon

Investissements médias/PIB

0,72 %

0,75 %

0,65 %

0,66 %

0,91 %

1,09 %

0,86 %

Presse

51,7 %

30,6 %

35,2 %

28,7 %

35,3 %

28,7 %

28,3 %

Radio

4,9 %

8,9 %

8,2 %

5,9 %

4,6 %

12,1 %

3,8 %

Télévision

31,9 %

49,7 %

37,6 %

54,8 %

37,8 %

43,0 %

45,7 %

Internet

4,7 %

2,8 %

6,3 %

2,5 %

11,6 %

12,4 %

10,5 %

Publicité extérieure

5,9 %

7,4 %

11,6 %

7,4 %

9,2 %

3,8 %

11,7 %

Source : Ad Barometer

- elles doivent composer avec une réglementation publicitaire plus contraignante que celle appliquée par nos principaux voisins européens. En effet, notre réglementation est restée fidèle au principe dit de l'heure « glissante » qui empêche de concentrer les messages commerciaux aux heures où les audiences sont les plus importantes.

Définition de la publicité

« Constitue une publicité toute forme de message télévisé diffusé contre rémunération ou autre contrepartie en vue soit de promouvoir la fourniture de biens ou services, y compris ceux qui sont présentés sous leur appellation générique, dans le cadre d'une activité commerciale, industrielle, artisanale ou de profession libérale, soit d'assurer la promotion commerciale d'une entreprise publique ou privée. » (article 2 du décret n° 92-280 du 27 mars 1992).

Écrans publicitaires, publicité clandestine, messages hors écran

Les messages publicitaires doivent être nettement séparés avant et après leur diffusion par des génériques de publicité. Cette séparation entre le programme et la publicité est un principe essentiel de la réglementation sur la publicité télévisée. Son corollaire est l'interdiction de la publicité clandestine définie comme « la présentation verbale ou visuelle de marchandises, de services, du nom, de la marque ou des activités d'un producteur de marchandises ou d'un prestataire de services dans des programmes, lorsque cette présentation est faite dans un but publicitaire ».

Durée de la publicité

Les chaînes privées hertziennes sont limitées à 6 minutes de publicité par heure en moyenne quotidienne, soit 144 minutes par 24 heures et à 12 min/heure glissante (sauf chaînes payantes). Pour Canal +, la limite est fixée à 10 % des programmes en clair).

Les chaînes publiques (France 2, France 3 et France 5) sont limitées à 6 minutes par heure en moyenne quotidienne, soit 144 minutes par 24 heures et à 10 minutes par heure glissante en 2000 puis 8 minutes par heure glissante depuis le 1er janvier 2001.

Les télévisions distribuées par câble ou diffusées par satellite sont limitées à 9 minutes par heure d'antenne en moyenne quotidienne, soit 216 minutes par 24 heures et à 12 minutes par heure donnée.

Les télévisions hertziennes locales (zone géographique dont la population est inférieure à 10 millions d'habitants) peuvent, par convention du CSA, diffuser 12 minutes de publicité par heure d'antenne, soit théoriquement 288 minutes par 24 heures, et 15 minutes par heure donnée.

Régime des coupures publicitaires

« Les messages publicitaires sont insérés entre les émissions. Toutefois, ils peuvent être insérés dans les émissions à condition de ne pas porter atteinte à l'intégrité et à la valeur de ces émissions, de tenir compte des interruptions naturelles du programme ainsi que de sa durée et de sa nature, et de ne pas porter atteinte aux droits des ayants droit. » (article 15.I du décret n° 92-280 du 27 mars 1992).

Les oeuvres audiovisuelles et cinématographiques ne peuvent être coupées qu'une seule fois. L'interruption publicitaire ne peut contenir que des messages publicitaires, à l'exclusion de tout autre message de toute nature, notamment une bande-annonce. Par dérogation accordée au cas par cas par le CSA à la demande du diffuseur, une seconde coupure peut être insérée dans les oeuvres d'une durée supérieure à 2h30.

A l'intérieur d'une émission, une période d'au moins 20 minutes doit séparer deux interruptions publicitaires successives. Lorsque les émissions se composent de parties autonomes ou dans les émissions sportives et les retransmissions d'événements ou de spectacles comprenant des intervalles, les interruptions publicitaires doivent intervenir entre ces parties autonomes ou dans ces intervalles.

A l'heure où la réglementation européenne en matière publicitaire devrait être simplifiée et assouplie à l'occasion de l'adoption de la directive pour les services de médias audiovisuels (COM(2005) 646) 11 ( * ) et compte tenu de la part croissante des recettes publicitaires captées par internet et par le hors média, votre rapporteur estime qu'un assouplissement du cadre réglementaire actuel doit être envisagé dans les meilleurs délais par le Gouvernement.

Cet assouplissement pourrait en premier lieu se traduire par l'abandon du principe de l'heure glissante et l'adoption du principe de l'heure d'horloge susceptible de renforcer l'attractivité des espaces publicitaires des principaux groupes privés. A cet égard votre rapporteur souhaite préciser qu'une telle mesure pourrait jouer en défaveur des chaînes privées en provoquant une réaction de rejet des téléspectateurs face aux « tunnels » publicitaires diffusés aux heures de grande écoute.

Cet assouplissement pourrait également se concrétiser par la clarification de la réglementation relative à la promotion croisée des programmes des chaînes d'un même groupe. Votre rapporteur comprend mal pourquoi ce type de message est autorisé pour les chaînes de France Télévisions et demeure considéré par le Conseil supérieur de l'audiovisuel comme de la publicité clandestine pour les groupes privés.

b) Le maintien du statu quo pour les chaînes publiques

Concernant les chaînes de télévisions publiques, votre rapporteur est en revanche opposé à tout assouplissement des règles quantitatives en matière publicitaire, et donc à l'institution d'une seconde coupure.

D'une part, il estime qu'un moindre recours à la publicité est un élément de différenciation positif pour les chaînes télévisées du service public. Par le passé, le recours excessif à la publicité a d'ailleurs contribué à faire perdre aux chaînes de France Télévisions leur nature de service public ainsi qu'une partie de leur audience.

D'autre part et surtout, il considère que le financement du service public de l'audiovisuel doit reposer principalement sur la redevance . C'est d'ailleurs en ce sens qu'il propose l'augmentation du taux de cette taxe ainsi que son indexation sur l'évolution du coût de la vie.

Dans l'esprit de votre rapporteur, ce principe connaît néanmoins une exception. Celle-ci concerne Radio France qui depuis 1975 se voit contrainte, aux termes des articles 32 et 33 de son cahier des charges, de ne diffuser que les messages publicitaires issus du secteur public, coopératif et mutualiste.

Cette restriction entraîne une concentration des écrans publicitaires consacrés aux produits d'assurance-vie, mutualistes et/ou destinés aux fonctionnaires, conduisant à renforcer l'idée que le public de Radio France est limité à la fonction publique.

Dans ces conditions, votre rapporteur souhaite la suppression de cette discrimination entre annonceurs en fonction de la nature juridique de leur capital dans les meilleurs délais.

* 10 Décret n° 90-66 du 17 janvier 1990 modifié fixant les principes généraux concernant la diffusion des oeuvres cinématographiques et audiovisuelles.

Décret n° 2001-1333 du 28 décembre 2001 fixant les principes généraux concernant la diffusion des services autres que radiophoniques par voie hertzienne terrestre en mode numérique.

Décret n° 2001-l332 du 28 décembre 2001 relatif à la contribution des éditeurs de services de télévision diffusés par voie hertzienne terrestre en mode analogique dont le financement fait appel à une rémunération de la part des usagers au développement de la production d'oeuvres cinématographiques et audiovisuelles.

Décret n° 2001-609 du 9 juillet 2001 relatif à la contribution des éditeurs de services de télévision diffusés en clair par voie hertzienne terrestre en mode analogique au développement de la production d'oeuvres cinématographiques et audiovisuelles.

Décret n° 2002-140 du 4 février 2002 fixant le régime applicable aux différentes catégories de services de radiodiffusion sonore et de télévision distribués par câble et diffusés par satellite.

* 11 Cet assouplissement ne devrait toutefois pas concerner la limite horaire de 12 minutes par heure d'horloge prévue par l'actuelle directive TVSF mais seulement la limite journalière et les modalités d'insertion de la publicité dans les programmes.

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