II. LES PRINCIPAUX AXES DU PROJET DE LOI

Fruit d'une réflexion approfondie, le projet de loi soumis à l'examen du Sénat, tout en restant fidèle aux grands principes posés par la loi fondatrice du 3 janvier 1979, procède à des modifications bienvenues afin de l'adapter aux exigences de notre temps :

- en ouvrant plus largement l'accès aux archives publiques ;

- en adaptant le droit à la pratique, confortant ainsi des solutions pragmatiques permettant d'améliorer la collecte et la gestion des archives ;

- en renforçant, enfin, le régime de protection des archives, notamment privées.

A. LA « LIBÉRALISATION » DE L'ACCÈS AUX ARCHIVES PUBLIQUES : UNE RÉPONSE AUX ATTENTES DES USAGERS DONT IL CONVIENDRA D'ASSURER LES CONDITIONS DE MISE EN oeUVRE EFFECTIVE


• La loi du 3 janvier 1979, dans ses articles 6 à 8 désormais repris aux articles L. 213-1 à L. 213-8 du code du patrimoine, a posé le principe général de la non communicabilité des archives publiques de moins de trente ans et a assorti ce délai de droit commun de délais spéciaux, fixés à soixante, cent, cent-vingt ou cent-cinquante ans, pour les documents dont la communication porterait atteinte à certains secrets. Il s'agissait alors d'un effort important de rationalisation et d'harmonisation de dispositions relevant jusqu'alors de multiples décrets, voire de circulaires, et donc d'une avancée en termes de garantie des droits des citoyens.

Le régime de communication des archives publiques doit en effet concilier deux exigences parfois contradictoires :

- d'une part, la sauvegarde des droits de l'individu (le respect du secret de la vie privée) et des intérêts fondamentaux de l'Etat ;

- d'autre part, l'intérêt général de la connaissance (recherche, histoire...) et la transparence de l'action publique.


• Sans remettre en cause cet équilibre, l'article 11 du projet de loi traduit plusieurs avancées qui vont dans le sens d'une plus grande ouverture des archives publiques aux chercheurs et citoyens :

- il procède à un renversement de logique , en posant la règle générale d'une libre communicabilité des archives publiques, c'est-à-dire d'un droit à communication immédiate ;

- il maintient la définition de délais spéciaux , mais en réduisant leur nombre (trois au lieu de six auparavant) et en réduisant leur durée, fixée à vingt-cinq, cinquante et cent ans ;

- il confirme, en parallèle, la possibilité de déroger à ces délais , sur autorisation individuelle ou par une ouverture anticipée des fonds.


• Votre commission salue ces avancées qui répondent aux attentes exprimées par les usagers des services d'archives , et notamment des chercheurs, généalogistes et historiens . Elle proposera d'adopter, dans le même sens, un amendement visant à réaffirmer le principe de gratuité de l'accès aux archives publiques .

La nécessité de réexaminer les règles d'accès aux archives publiques a notamment été soulignée par le rapport Braibant précité : « Le mouvement général vers la transparence en France et dans les pays comparables, l'ouverture des archives à l'étranger qui, combinée avec le développement d'Internet, conduit à un système d' « archives sans frontières », l'accélération de l'Histoire et le vieillissement rapide des secrets, tout porte à remettre en cause un dispositif qui a constitué un progrès en son temps mais qui est en train de devenir anachronique. »

Le projet de loi s'inscrit, ainsi, dans une tendance européenne de réduction des délais d'accès aux archives . Cette évolution a été soulignée par un rapport de la Commission européenne sur les archives dans l'Union européenne élargie, publié en 2005.

Tendre vers une harmonisation apparaît en effet comme une évolution souhaitable pour que les scientifiques étrangers ne se détournent pas de la recherche concernant l'histoire de notre pays .

En fixant à 25 ans le délai ordinaire de communication, ainsi que le suggérait le rapport Braibant, la France se rapproche des délais retenus par exemple aux Pays-Bas (20 ans depuis loi sur les archives publiques du 28 avril 1995), au Canada (20 ans pour les documents non immédiatement communicables d'après la loi de 1983 sur l'accès à l'information) ou aux Etats-Unis (10 ans avec possibilité de prolongation jusqu'à 25 ans voire au-delà dans certains cas particulier, depuis l'Executive order du 17 avril 1995).


• Votre rapporteur pour avis rappelle, par ailleurs, que les règles de communicabilité fixées par la loi de 1979 sont interprétées de façon souple et sont de plus en plus souvent contournées en pratique. L'intérêt pour une histoire de plus en plus récente a conduit à une augmentation des demandes de dérogations pour l'accès à certains documents : pour l'année 2006, sur les 3 102 demandes de dérogations déposées, plus de 93 % ont reçu une réponse favorable, les autres ayant fait l'objet d'un refus partiel ou total.

Cependant, les représentants des usagers des archives, entendus par votre rapporteur pour avis, ont relevé que la longueur des délais de réponse , pouvant aller jusqu'à six mois, voire un an, est fortement préjudiciable, notamment pour les étudiants, qui disposent d'un temps limité pour rendre leurs mémoires ou thèses. Le rapport, précité, de la mission Stirn relevait ainsi que « l'instruction de ces demandes requiert à la fois des délais très importants, un travail considérable de la part des archivistes, et enfin donne lieu à des pratiques très variables selon les administrations, incompatibles avec le principe d'égalité des citoyens devant le service public » . L'administration devrait s'imposer des délais de réponse plus courts. Cette question est importante pour ne pas détourner les étudiants de la recherche archivistique, au risque de réduire la richesse de leurs travaux.


• Votre rapporteur pour avis insiste également sur la nécessité d' assurer les conditions effectives de mise en oeuvre de ces dispositions , en prenant des mesures d'accompagnement qui correspondent aux ambitions fixées par le projet de loi.

En effet, les représentants de l'Association des archivistes français (AAF) ont regretté l'absence d'étude d'impact : ils ont douté que l'ensemble des archives qui seront susceptibles d'être consultées dès l'entrée en vigueur de la loi soient effectivement prêtes à être communiquées, à défaut de moyens humains et financiers suffisants. On rappellera que la loi du 3 janvier 1979, réduisant à 30 ans le délai de droit commun, n'a véritablement pu s'appliquer que plus de dix ans après son adoption.

Les représentants des maires ont également fait part des difficultés qu'ils rencontrent pour assurer, dans de bonnes conditions matérielles, la consultation des registres d'état civil ou du cadastre. Ils ne disposent pas, le plus souvent, de locaux adaptés et de personnels disponibles pour favoriser l'accès à ces archives, alors même que les demandes, de la part de généalogistes amateurs notamment, ont tendance à augmenter.


• Enfin, votre rapporteur pour avis constate le manque de lisibilité qui résulte, pour le citoyen, de « singulières difficultés d'articulation » , relevées par le rapport Braibant, entre la loi du 3 janvier 1979 relative aux archives et celle du 17 juillet 1978 relative à l'accès aux documents administratifs . Bien que contemporains, ces deux textes répondent à des logiques différentes.

Ainsi, alors que tous les documents administratifs sont par nature des archives publiques dès leur création, au sens de la définition large donnée par le code du patrimoine, en revanche, tous les documents d'archives ne sont pas des documents administratifs, au sens de la loi de 1978 : en sont exclus par exemple les actes des assemblées parlementaires, les documents judiciaires, les actes préparatoires (notes, brouillons...), etc.

Les règles de communication ne sont pas tout à fait identiques : alors que la loi sur les archives, et le présent projet de loi, s'appuient sur des considérations temporelles (écoulement de délais), la loi de 1978 exclut du principe de libre communication certains documents, en raison de leur contenu. Il y a donc une relation chronologique sous-jacente entre les deux textes. Or, cela ne va pas de soi dans la mesure où, comme cela a été souligné, tout document « naît » archive. De fait, il revient au juge, ou à la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA), d'interpréter ces notions.

De toute évidence, cette situation n'est pas satisfaisante et une plus grande harmonisation entre les deux textes serait souhaitable. Pour autant, la dimension historique et patrimoniale des archives la distingue des documents administratifs et ne saurait être négligée.

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