C. DES QUESTIONS TOUJOURS TRÈS SENSIBLES

1. La polémique sur l'aide juridique aux étrangers dans les lieux de rétention

L'action « Lutte contre l'immigration irrégulière » comprend les crédits des centres de rétention administrative. A ce titre, y figurent les dépenses d'accompagnement social et humanitaire des étrangers retenus -cette mission est assurée par l'ANAEM- et d'aide à l'exercice effectif de leurs droits. Cette mission d'aide juridique est assurée par l'association la CIMADE. La Croix-rouge française et l'ANAFE remplissent également ces missions mais dans les zones d'attente.

L'année 2008 a été et continue d'être agitée par la modification des règles relatives à l'attribution du marché de l'aide juridique aux étrangers dans les lieux de rétention administrative qui comprennent les centres de rétention administrative (CRA) et les locaux de rétention administrative (LRA) 38 ( * ) .

En effet, le marché public qui attribue cette mission à la CIMADE arrive à son terme le 31 décembre 2008. Compte tenu de l'augmentation du nombre d'étrangers retenus depuis plusieurs années, le coût annuel de ce marché tourne désormais entre 4 et 4,5 millions d'euros.

Le ministère de l'immigration a publié le 23 août 2008 un décret modifiant l'organisation de l'aide juridique aux étrangers dans les lieux de rétention. Les principales modifications sont les suivantes :

- toute personne morale peut soumissionner, et non uniquement « une association à caractère national » ;

- dans un centre de rétention, il ne peut y avoir qu'un seul intervenant.

En conséquence, l'appel d'offres publié une semaine plus tard a divisé en huit lots, selon des zones géographiques, le marché de l'aide juridique. Il remet ainsi en cause l'exclusivité de la CIMADE qui assure cette mission seule depuis 1983, date de création des premiers centres de rétention.

Quelques repères chronologiques

- 23 août 2008 : publication au Journal officiel du décret n° 2008-817 du 22 août 2008 qui tend notamment à modifier l'organisation de l'aide juridique aux étrangers dans les centres et locaux de rétention pour permettre l'exercice effectif de leurs droits ;

- 28 août 2008 : lancement de l'appel d'offres pour l'attribution du marché de l'aide juridique aux étrangers dans les centres et locaux de rétention ;

-13 octobre 2008 : le tribunal administratif de Paris est saisi d'un référé précontractuel contre l'appel d'offres par cinq associations (ADDE, ELENA-France, GISTI, LDH, SAF) ;

- 14 octobre 2008 : ordonnance du juge des référés enjoignant au ministre de l'immigration de différer la signature du marché ;

- 22 octobre 2008 : date de remise des offres par les candidats (la CIMADE, Ordre de Malte, Forum réfugiés, France Terre d'Asile, l'Association service social familial migrants et Collectif respect) ;

- 22 octobre 2008 : dépôt par dix associations d'un recours devant le Conseil d'Etat contre le décret du 22 août 2008 ;

- 30 octobre 2008 : ordonnance du juge des référés annulant l'appel d'offres.

Situation au 26 novembre 2008 :

- le ministère de l'immigration devrait lancer une nouvelle procédure de passation vers le mois d'avril 2009 ;

- le Conseil d'Etat n'a pas encore statué sur le décret du 22 août.

Votre commission des lois a souhaité procéder à plusieurs auditions sur ce sujet. Outre la CIMADE, elle a entendu d'autres associations d'aide aux étrangers, certaines ayant soumissionné à l'appel d'offres annulé, ainsi que M. Jean-Marie Delarue, contrôleur général des lieux de privation de liberté 39 ( * ) .

Il ressort de ces auditions que le monopole de la CIMADE est le fruit des circonstances historiques et que, compte tenu du changement d'échelle de sa mission, le gouvernement est libre de la confier à plusieurs intervenants sauf à considérer que la CIMADE est un opérateur unique de l'Etat.

En outre, comme l'a rappelé M. Olivier Brachet, directeur général de Forum réfugiés, le débat entourant cet appel d'offres s'inscrit de façon plus générale dans un mouvement, initié il y a une quinzaine d'années, de suppression des monopoles en matière de droit des étrangers. Il a cité les exemples de l'accueil des demandeurs d'asile, de la prise en charge des mineurs isolés ou de l'attribution de l'allocation temporaire d'attente.

Enfin, votre commission a constaté que si cette polémique révélait les divergences de point de vue des associations sur la légitimité du principe de l'éloignement des étrangers en situation irrégulière, toutes n'étaient pas assez compétentes juridiquement pour assumer cette tâche.

Cette nouvelle organisation ne doit pas se faire sans prendre certaines précautions.

En premier lieu, M. Jean-Marie Delarue ayant alerté la commission sur ce point, il est indispensable de prévoir une période de transition suffisante pour que la qualité de l'aide juridique offerte ne se dégrade pas et pour que les étrangers ne soient pas traités inégalement selon le centre où ils se trouvent. Aujourd'hui, aucune association ne possède la compétence pour reprendre sans rupture le rôle de la CIMADE. Il serait certainement plus prudent que la CIMADE continue à assurer sa mission dans certains centres.

En deuxième lieu, l'expertise juridique doit être le premier critère retenu, avant la disponibilité par exemple.

En troisième lieu, une coordination entre les associations choisies sera indispensable, notamment afin qu'un étranger qui changerait de CRA ne subisse pas de rupture dans le suivi de son dossier.

Cette coordination, plus ou moins formalisée, contribuera également à conserver une vision d'ensemble sur les conditions de la rétention administrative.

Votre commission prend également acte de la déclaration de M. Brice Hortefeux lors de son audition affirmant que les clauses de confidentialité figurant dans l'appel d'offres n'ont pas pour effet d'interdire aux associations de s'exprimer publiquement sur des cas individuels ou les conditions générales de la rétention.

Enfin, votre rapporteur attire l'attention sur les locaux de rétention administrative. Les conditions de la rétention y sont moins bonnes, car moins organisées, que dans les CRA. L'aide juridique est par exemple plus incertaine. Toutefois, ces insuffisances sont compensées par le fait que normalement la durée de rétention ne peut y excéder 48 heures.

2. L'organisation des régularisations

Les régularisations des étrangers en situation irrégulière et la lutte contre l'immigration clandestine sont deux débats étroitement liés, le risque étant que des régularisations soient interprétées comme une régularisation collective qui ferait appel d'air.

C'est d'ailleurs le sens du Pacte européen sur les migrations et l'asile adopté par le Conseil européen du 16 octobre 2008 qui proscrit les régularisations collectives.

En France, l'application de la circulaire du 13 juin 2006 visant à examiner la situation des familles avec enfants scolarisés, qui a permis de délivrer un titre de séjour à 6.924 personnes, a été faite au cas par cas. La plus grande prudence était nécessaire pour qu'elle ne soit pas interprétée à tort comme une régularisation collective.

C'est notamment pour trouver un nouvel équilibre entre, d'une part, des régularisations collectives et, d'autre part, des décisions préfectorales pouvant apparaître comme arbitraires, que la loi du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration a créé la procédure d'admission exceptionnelle au séjour.

Rappelons que l'article L. 313-14 du CESEDA permet au préfet de délivrer une carte de séjour temporaire (CST) portant la mention « vie privée et familiale » à l'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard de motifs exceptionnels.

En outre, le préfet est tenu de soumettre à la commission du titre de séjour, la demande d'admission exceptionnelle au séjour de l'étranger qui justifie de dix ans de présence en France.

La loi du 20 novembre 2007 est venue compléter le dispositif en prévoyant la délivrance d'une carte de séjour temporaire portant la mention « salarié » à l'étranger se prévalant de l'engagement d'un employeur à l'embaucher en contrat à durée indéterminée dans un métier figurant sur la liste des métiers en tension.

Une commission nationale d'admission exceptionnelle au séjour est notamment chargée de rendre un avis sur les critères permettant de bénéficier de cette procédure.

Malheureusement, le ministère de l'immigration n'est pas en mesure de communiquer de statistiques sur les résultats de la procédure d'admission exceptionnelle au séjour en raison notamment de l'adaptation tardive de l'outil statistique. Plus de deux années après l'adoption de la loi du 24 juillet, ce manque de données sur un dispositif aussi important est regrettable. Rappelons à cet égard les polémiques du printemps dernier sur la régularisation de travailleurs étrangers en situation irrégulière.

Incidemment, même s'il ne s'agit pas de régularisations à proprement parler 40 ( * ) , on observera que le nombre d'étrangers entrant dans le champ du 7° de l'article L. 313-11 du CESEDA -c'est-à-dire ceux dont les liens personnels et familiaux sont tels qu'un refus d'autoriser leur séjour porterait une atteinte au respect de leur vie privée et familiale qui serait disproportionnée au regard des motifs de refus- tend à décroître après avoir atteint un niveau assez élevé en 2006. Les raisons de ces variations ne sont pas établies à ce stade.

Evolution du nombre de titres délivrés
pour liens personnels et familiaux depuis 2003

2003

2004

2005

2006

2007 (provisoire)

2008 sur
8 mois (provisoire)

Liens personnels et familiaux

11.289

13.724

14.542

22.900

18.052

10.769

* 38 Sauf exception, les étrangers ne peuvent être maintenus dans les locaux de rétention que pendant une durée n'excédant pas 48 heures.

* 39 Compte-rendu de l'audition sur : http://www.senat.fr/bulletin/20081117/lois.html#toc2

* 40 En application de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme et du Conseil d'Etat, ces personnes ont acquis un droit à résider légalement en France.

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