C. LES CHARGES À VENIR LIÉES AU VIEILLISSEMENT DE LA POPULATION

La situation qui vient d'être décrite paraît d'autant plus préoccupante à votre rapporteur pour avis que c'est dans ce contexte particulièrement dégradé que notre système de protection sociale devra affronter un défi majeur, qui touchera l'ensemble des pays développés dans les décennies à venir, l'explosion des dépenses liées au vieillissement de la population.

1. Les besoins supplémentaires sont évalués entre trois et quatre points de richesse nationale

a) La déformation de la structure de la population aura un impact fort sur les finances des administrations de sécurité sociale, mais aussi celles de l'Etat et des collectivités territoriales

Selon les projections de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), un français sur trois aura plus de soixante ans en 2050 contre un sur cinq en 2005 . La part des jeunes et des personnes actives diminuera considérablement puisqu'en 2050, 69 habitants seront âgés de soixante ans ou plus pour 100 habitants âgés de vingt à cinquante-neuf ans, soit deux fois plus qu'en 2005. Ce seront, par ailleurs, les classes d'âge les plus élevées qui connaîtront les taux de progression les plus importants, comme le montre le graphique suivant.

Source : mission commune d'information sur la prise en charge de la dépendance et la création du cinquième risque - rapport d'information n° 447 (2007-2008) - d'après les données de l'INSEE (INSEE première n° 1092 - juillet 2006)

Or la déformation durable de la pyramide des âges aura des conséquences lourdes sur les finances publiques de notre pays qui consacrait déjà, en 2005, 31,5 % de son PIB aux dépenses de protection sociale , plaçant ainsi la France au deuxième rang des pays de l'Union européenne, derrière la Suède, selon les dernières comparaisons internationales disponibles ( cf . graphique suivant).

Au sein des dépenses de protection sociale, celles dites de « vieillesse-survie » 32 ( * ) représentaient, en 2007, près de 45 %, soit 13 % du PIB 33 ( * ) .

Comparaison du niveau des dépenses de protection sociale
dans l'Union européenne en 2005

( en % du PIB )

Source : DREES, « Les comptes de la protection sociale en 2007 », Etudes et résultats n° 667 - octobre 2008

Si les administrations de sécurité sociale devraient être les plus affectées par le vieillissement de la population, l'Etat - en raison du versement des retraites des fonctionnaires - et les collectivités territoriales - qui financent près de 20 % des dépenses liées à la prise en charge de la dépendance - seront également durablement touchés .

b) Les évaluations réalisées ne pourraient être qu'un minimum

Comme l'a déjà souligné la mission commune d'information sur la prise en charge des personnes âgées et la création du cinquième risque 34 ( * ) , présidée par notre collègue, Philippe Marini, le coût potentiel des dépenses liées au vieillissement de la population a fait l'objet de plusieurs études . Celles-ci sont, soit globales - comme les évaluations de la commission européenne 35 ( * ) ou de l'OCDE en 2006 -, soit centrées sur des thèmes spécifiques - les retraites s'agissant de l'analyse du conseil d'orientation des retraites (COR) 36 ( * ) ou les dépenses de santé pour le Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie (HCAAM) 37 ( * ) . Le premier rapport du conseil d'orientation des finances publiques 38 ( * ) , dont notre collègue député Gilles Carrez est rapporteur, propose une synthèse intéressante de ces travaux.

Le conseil d'orientation des finances publiques constate, tout d'abord, que l'ensemble des projections menées par les instituts européens conclut, s'agissant de la France, à des dépenses supplémentaires liées au vieillissement de la population comprises entre trois et quatre points de richesse nationale .

Il estime cependant, dans un second temps, qu'il pourrait ne s'agir que d'un minimum. « Dans le pire des scénarios, c'est même un surcoût supplémentaire de plus de sept points [de PIB] qui pourrait être constaté . De telles projections sont évidemment entourées d'une part d'incertitude importante, liées à la démographie, l'environnement macroéconomique et aux comportements. Mais au final, elles font consensus sur un point : le vieillissement de la population va engendrer des dépenses supplémentaires importantes, et il ne faut pas compter sur la diminution du chômage, ou la baisse des dépenses d'éducation, pour en absorber le coût. Par conséquent, ces projections montrent la nécessité d'agir au plus vite pour assurer la soutenabilité de nos finances publiques. » 39 ( * )

2. L'allongement de l'espérance de vie pose trois défis majeurs à notre système de protection sociale

Si la France se situe dans la moyenne européenne - les travaux de la commission européenne précités évaluent en effet les dépenses supplémentaires liées au vieillissement de la population à 3,2 points de PIB pour la France contre 3,8 points de PIB pour la zone euro et 3,4 points de PIB pour l'Union européenne à 25 ( cf . tableau suivant) - les défis que notre système de protection sociale devra affronter sont de trois ordres : le financement des retraites, l'augmentation dépenses d'assurance maladie et la montée en charge des dépenses liées à la dépendance.

Accroissement des dépenses publiques entre 2004 et 2050

( en % )

Retraites

Santé

Dépendance

Chômage

Education

Total

France

+2,0

+1,8

+0,2

-0,3

-0,5

+ 3,2

Allemagne

+1,7

+1,2

+1,0

-0,4

-0,9

+2,7

Royaume-Uni

+2,0

+1,9

+0,8

0,0

-0,6

+4,0

Italie

+0,4

+1,3

+0,7

-0,1

-0,6

+1,7

Espagne

+7,1

+2,2

+0,2

-0,4

-0,6

+8,5

Pologne

-5,9

+1,4

+0,1

-0,4

-1,9

-6,7

Zone euro

+2,6

+1,5

+0,6

-0,3

-0,6

+3,8

Union européenne à 25

+2,2

+1,6

+0,7

-0,3

-0,6

+3,4

Note : Les travaux de la commission européenne s'appuient sur un scénario macroéconomique estimant qu'à l'horizon 2050, la croissance potentielle de l'Union européenne s'établira à un rythme annuel moyen de 1,4 %.

Source : Report by the Economic Policy Committee and the European Commission on the impact of ageing populations on public spending - février 2006 -, cité par le premier rapport du conseil d'orientation des finances publiques - février 2007

a) Le financement des retraites

Depuis 2004, le solde de la branche vieillesse du régime général s'est dégradé de façon continue, comme le montre le graphique qui suit, et devrait atteindre en 2010 - après les mesures prévues par le PLFSS pour 2010 - 10,7 milliards d'euros.

Evolution du solde de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAVTS)

( en milliards d'euros )

Source : d'après le dossier de presse du Gouvernement de présentation du PLFSS pour 2010 et les données de la commission des comptes de la sécurité sociale - rapport d'octobre 2009

Auditionnée par votre rapporteur pour avis, Mme Danièle Karniewicz, présidente de la caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAVTS), a indiqué que, selon les dernières projections disponibles, hors mesures nouvelles (tant en recettes qu'en dépenses), le déficit de la branche vieillesse pourrait atteindre 15 milliards d'euros en 2012, soit un déficit cumulé à cette date d'environ 50 milliards d'euros , ce qui constitue une situation insoutenable.

Il convient de rappeler, à cet égard, que, lors de la réforme des retraites menée en 2003, un redéploiement des prélèvements obligatoires au sein de la sphère sociale avait été imaginé , une hausse des cotisations vieillesse devant être compensée par une baisse des cotisations chômage. Or la crise économique actuelle rend ce scénario irréalisable . Ne souhaitant pas accroître les prélèvements obligatoires, le Gouvernement a, en effet, décidé de reporter la hausse des cotisations vieillesse envisagée en 2009, soit une perte de recettes pour la CNAVTS de 1,8 milliard d'euros.

b) L'augmentation des dépenses de santé

Le deuxième défi lié au vieillissement de la population a trait à l'accroissement des dépenses de santé . Les personnes âgées ont en effet massivement recours aux produits et soins de santé, même si ce point doit être relativisé puisque, grâce au progrès médical, la prolongation de l'espérance de vie s'accompagne également d'un meilleur état de santé de la population.

La caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) ne dispose pas de données chiffrées par classes d'âge sur les dépenses de soins. Cependant, comme l'indiquait le directeur général de la CNAMTS, lors de son audition devant la mission commune d'information sur la prise en charge de la dépendance et la création du cinquième risque 40 ( * ) , les dépenses de soins des personnes âgées peuvent être rapprochées des dépenses d'affections de longue durée (ALD), les personnes de plus de soixante-quinze ans relevant pour la plupart de ce régime ( cf . encadré suivant).

Le régime des affections de longue durée (ALD)

Sont considérées comme affections de longue durée, les maladies chroniques « comportant un traitement prolongé et une thérapeutique particulièrement coûteuse » au sens de l'article L. 322-3 du code de la sécurité sociale. Ces affections, au nombre de trente, sont répertoriées au sein d'une liste établie par décret après avis de la Haute autorité de santé (HAS) (liste des « ALD 30 ») : tumeurs malignes, diabète, maladies psychiatriques de longue durée, maladies cardiovasculaires, notamment.

La reconnaissance d'une ALD ouvre droit à l'exonération du ticket modérateur . En revanche, restent à la charge des assurés le forfait de 1 euro et le forfait journalier hospitalier. Les patients relevant du régime des ALD doivent, en outre, respecter les règles de parcours de soins.

L'obtention du régime d'ALD est subordonnée à une demande à la caisse d'affiliation de l'assuré et à l'accord du service médical.

Peuvent également bénéficier d'une prise en charge à 100 % les assurés atteints d'une affection grave caractérisée ne figurant pas sur la liste des « ALD 30 » ou de plusieurs affections entraînant un état pathologique invalidant, nécessitant un traitement prolongé et une thérapeutique particulièrement coûteuse (ALD dites « ALD 31 » et « ALD 32 »).

Source : commission des finances d'après les données de la CNAMTS

Le directeur de la CNAMTS précisait ainsi qu'au sein des dépenses de soins dédiées à la couverture des affections de longue durée - qui atteignaient 56 milliards d'euros au total en 2007 -, celles liées à la prise en charge des personnes de plus de soixante-quinze ans s'élevaient à 17 milliards d'euros et à 5 milliards d'euros pour les personnes de plus de quatre-vingt-cinq ans . La prise en charge des patients atteints de la maladie d'Alzheimer représentait, à elle seule, une dépense de 2,4 milliards d'euros pour l'assurance maladie du régime général.

Or les dépenses liées aux ALD constituent le principal facteur de progression des dépenses de santé. Ainsi, alors qu' en 1992 la proportion des pathologies lourdes prises en charge au titre des ALD représentait 50 % des dépenses d'assurance maladie, elle est aujourd'hui supérieure à 60 % et devrait atteindre 70 % en 2015 41 ( * ) , et ce sous l'effet conjugué du développement des maladies chroniques, de l'amélioration de leur dépistage et du vieillissement de la population. Votre rapporteur pour avis rappelle en outre qu'en 2007, les patients bénéficiant du régime d'ALD ne représentaient que 14 % de l'ensemble des assurés du régime général 42 ( * ) .

La question du régime de prise en charge de ces pathologies, principale source de progression des dépenses à venir de l'assurance maladie, constitue ainsi un chantier de réforme qui ne pourra plus être éludé. Cette question, liée à celle du partage des interventions du régime obligatoire et des assureurs complémentaires, doit plus que jamais, compte tenu de la situation de nos finances publiques, faire l'objet d'une réflexion rapide et d'un réel débat public.

c) La prise en charge de la dépendance

Un dernier chantier de réforme nécessitera des choix forts, il concerne la couverture du risque dépendance , question qui a fait l'objet d'une analyse précise par la mission commune d'information sur la prise en charge de la dépendance et la création du cinquième risque 43 ( * ) .

Le défi qui se pose aujourd'hui s'agissant de la prise en charge des personnes âgées dépendantes est le suivant : comment continuer à garantir à nos concitoyens une base solide de prestations financées par la solidarité nationale dans un contexte de croissance mécanique des dépenses liées au vieillissement et de relative rareté de la ressource publique ?

L'effort public en faveur des personnes âgées dépendantes est en effet d'ores et déjà considérable - environ 20 milliards d'euros par an - et il n'est pas envisagé de le réduire. Cependant son taux de progression très rapide - entre + 5 % et + 10 % par an - oblige à concevoir des mécanismes qui permettent de continuer à garantir cette base solide de prestations financées par la solidarité nationale, tout en veillant à la maîtrise des dépenses et à la non-augmentation des prélèvements obligatoires.

Ceci emporte deux conséquences aux yeux de la mission : d'une part, parvenir à une prise en compte plus satisfaisante de la capacité contributive de chacun et, d'autre part, renvoyer vers des mécanismes de prises en charge assurantielles ceux qui le peuvent.

C'est pourquoi la mission propose de solliciter les patrimoines les plus élevés par le libre choix offert à l'entrée en dépendance entre une allocation personnalisée d'autonomie (APA) à 50 % ou une mise en gage du patrimoine du bénéficiaire dans des conditions encadrées ( cf . encadré). Par ailleurs, elle propose de réfléchir à la mise en place d' un financement mixte du cinquième risque, c'est-à-dire faisant intervenir à la fois un financement socialisé et des produits d'assurance individuelle. Dans ce cadre, la clé de répartition entre couverture publique et couverture privée du risque aurait vocation à différer selon la capacité de financement du bénéficiaire et son degré de dépendance évalué médicalement.

Le schéma proposé pour la réforme de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA)

Le schéma proposé par la mission repose sur les principes suivants : dès lors que le patrimoine de la personne excède un certain montant, le demandeur d'APA aurait le choix, au moment de son entrée en dépendance, entre opter pour une allocation à taux plein ou une allocation diminuée de moitié.

Dans le premier cas, le département pourrait effectuer une prise de gage anticipée sur le patrimoine du bénéficiaire pour la fraction de l'actif excédant un certain montant. La prise de gage serait elle-même partielle et ne concernerait qu'une faible part de la succession à venir. Si le bénéficiaire acceptait d'emblée une Apa diminuée de moitié, aucune mesure conservatoire ne serait prise.

Ce mécanisme serait encadré :

- la situation des personnes disposant d'un patrimoine inférieur à un certain seuil serait inchangée : elles continueraient de bénéficier d'une APA à taux plein sans avoir à mettre leur patrimoine à contribution ;

- des dispositions devront être élaborées pour empêcher que le bénéficiaire n'organise son insolvabilité ;

- en cas de situation de dépendance conjointe des époux ou des membres pacsés du couple, la mission estime que le patrimoine ne devrait être gagé qu'une seule fois, dans la limite du plafond du gage ;

- cette mesure ne serait pas rétroactive et ne s'appliquerait qu'aux nouveaux bénéficiaires.

Ce mécanisme présente plusieurs avantages : il ne s'apparente pas à la récupération sur succession dès lors qu'il résulte d'un choix clair et ex ante du bénéficiaire ; il ne remet pas en cause le caractère universel de l'APA ; il constitue une incitation, sur le long terme, à la souscription de produits d'épargne ou de prévoyance en matière de dépendance, ce qui est particulièrement important dans une logique économique sur longue période.

Source : mission commune d'information sur la prise en charge de la dépendance et la création du cinquième risque - rapport d'information n° 447 (2007-2008)

L'ensemble de ces questions devront faire l'objet d'un débat approfondi à l'occasion de l'examen du projet de loi sur la prise en charge de la dépendance qui pourrait être déposé prochainement au Parlement.

* 32 Ces prestations recouvrent les pensions de base, les pensions complémentaires, les dépenses liées à l'allocation personnalisée pour l'autonomie (APA), le minimum vieillesse et les pensions de réversion.

* 33 DREES, « Les prestations de protection sociale en 2007», Etudes et résultats n° 665 - octobre 2008.

* 34 Rapport d'information n° 447 (2007-2008).

* 35 Report by the Economic Policy Committee and the European Commission on the impact of ageing populations on public spending - février 2006.

* 36 Troisième rapport du conseil d'orientation des retraites, « Retraites : perspectives 2020 et 2050 » - mars 2006.

* 37 Rapport du Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie - juillet 2007.

* 38 Premier rapport du conseil d'orientation des finances publiques - février 2007.

* 39 Rapport précité du conseil d'orientation des finances publiques - février 2007.

* 40 Audition du mercredi 6 février 2008.

* 41 Audition de M. Frédéric Van Roekeghem, directeur de la CNAMTS, devant la commission des affaires sociales du Sénat, le 1 er juillet 2009.

* 42 CNAMTS, Points de repère n° 20 - novembre 2008.

* 43 Rapport d'information n° 447 (2007-2008) précité.

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