V. UNE RÉFORME CONTESTABLE DU DROIT DE PRÉEMPTION

Votre commission, traditionnellement compétente en matière d'urbanisme, s'est saisie pour avis des articles 83 A et 83 B de la présente proposition de loi, qui réforment en profondeur le droit de préemption, instrument d'action foncière utilisé par les collectivités territoriales pour acquérir des biens et mener des politiques d'aménagement.

En réécrivant pas moins de trois chapitres du code de l'urbanisme, ces articles pourraient constituer en réalité un projet ou une proposition de loi à eux seuls, tant par leur longueur (l'article 83 B compte 120 alinéas) que par leur contenu , une personne auditionnée par votre rapporteur pour avis ayant qualifié l'un de ses articles de « révolutionnaire ».

Votre rapporteur pour avis est d'autant plus réservé sur l'introduction d'une telle réforme dans un texte de simplification qu'elle modifie en profondeur une compétence essentielle des collectivités territoriales, et plus particulièrement des maires, à travers l'urbanisme et le droit de préemption.

A. UNE RÉFORME DE FOND NOYÉE DANS UNE LOI DE SIMPLIFICATION

1. Un bouleversement du droit applicable en matière de préemption

Il existe actuellement essentiellement deux droits de préemption en zone urbaine :

- le droit de préemption urbain (DPU), créé par les communes, dans les zones urbaines et à urbaniser des plans locaux d'urbanisme (PLU) ;

- le droit de préemption exercé dans les ZAD (zones d'aménagement différé), qui peuvent être créées par l'Etat sur tout le territoire national. Depuis la loi du 3 juin 2010 sur le Grand Paris 82 ( * ) , leur durée de vie n'est plus de 14 mais de 6 ans, renouvelable une fois, afin de tenir compte des exigences du droit européen. Leur objectif est de préparer des opérations d'urbanisation à long terme dans des zones prédélimitées et de lutter contre la spéculation foncière liée à ces opérations, en permettant à l'Etat de procéder à l'acquisition d'immeubles par voie de préemption aux prix pratiqués un an avant la création des zones.

Dans les deux cas, le titulaire du droit de préemption peut contester le prix indiqué dans la déclaration d'intention d'aliéner en saisissant le juge de l'expropriation.

La réforme proposée supprime le régime juridique actuel du droit de préemption urbain ainsi que celui des ZAD et les remplace par deux droits distincts :

- un droit de priorité, « d'opportunité », aux prix et conditions de la vente, dans les zones urbaines ou à urbaniser délimitées par un PLU : le titulaire du DPU ne peut plus contester le prix devant le juge ;

- un droit de préemption à l'intérieur de « périmètres de projet d'aménagement ou de protection » dans lesquels la puissance publique peut faire modifier le prix par le juge de l'expropriation, si elle estime qu'il est excessif. En contrepartie, les propriétaires peuvent mettre le titulaire du droit de préemption en demeure d'acquérir leur bien , celui-ci étant alors obligé de le faire, le cas échéant après avoir saisi le juge pour fixer le prix. Ceci va bien plus loin que le droit de délaissement actuellement ouvert aux propriétaires dans les zones de DPU ou dans les ZAD, qui leur permet simplement de faire « tomber » le droit de préemption, sans contraindre la collectivité à acquérir leur bien.

La création de ces deux droits constitue ainsi une mini-révolution dans le droit de préemption.

2. Des conditions d'examen inadaptées à une réforme de cette ampleur

Votre rapporteur pour avis relève que le fait de « noyer » une réforme de fond dans un texte de simplification du droit n'est pas satisfaisant.

Il relève que, sur un sujet de cette importance et de cette complexité juridique, il est problématique que la commission ne puisse pas avoir communication de l'avis du Conseil d'Etat.

En outre, les conditions d'examen de cette réforme à l'Assemblée nationale ont été particulières. En effet, la commission des lois a dû, afin d'éviter l'application de l'article 40, revenir sur certains points de la proposition de loi initiale, le Gouvernement les rétablissant ensuite en séance publique . Ceci a pu conduire à des confusions sur des points très importants. A titre d'exemple, le droit de délaissement prévu dans les périmètres de projet d'aménagement a été modifié à deux reprises . Le texte initial prévoyait l'application du droit de délaissement prévu par les articles L. 230-1 et suivants du code de l'urbanisme (obligation d'acquérir les biens par la collectivité). Constatant que cette disposition pouvait augmenter les charges publiques, la commission des lois l'a remplacée par le droit de délaissement actuellement en vigueur dans les zones où le droit de préemption urbain a été institué 83 ( * ) . Le Gouvernement est revenu en séance, par un sous-amendement, à la rédaction initiale de la proposition de loi. Votre rapporteur a pu constater, au cours de ses auditions, que certains acteurs en étaient restés au texte de la commission des lois, ce qui est source d'erreurs d'interprétation sur un point particulièrement important .

L'insertion d'une réforme du droit de l'urbanisme dans un texte de simplification pose de surcroît le problème du dessaisissement de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale , compétente sur le fond en matière d'urbanisme, et qui n'a même pas émis d'avis sur le texte.

3. La nécessité de mener une réflexion d'ensemble sur les politiques foncières et d'aménagement

Votre commission pour avis salue la création, en juin 2010, du groupe intitulé « Vers un urbanisme de projet », présidé par M. Benoist Apparu, secrétaire d'Etat au logement et à l'urbanisme, et composé de quatre sous-groupes chargés d'émettre des propositions concrètes pour favoriser la mise en place des politiques foncières et d'aménagement. Cette démarche, réunissant tous les acteurs pour mener une réflexion globale et cohérente sur le droit de l'urbanisme est opportune, et en opposition assez radicale avec celle suivie dans la présente proposition de loi .


* 82 Article 6 de la loi n° 2010-597 du 3 juin 2010 relative au Grand Paris.

* 83 La collectivité n'est pas obligée d'acquérir le bien ; en cas de refus, le droit de préemption ne s'applique plus pendant cinq ans.

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