EXAMEN EN COMMISSION

La commission a examiné le rapport pour avis de MM. Christian Cambon et André Vantomme lors de sa réunion du 24 novembre 2010.

M. André Vantomme, co-rapporteur pour avis - Mon collègue Christian Cambon vous exposera les principales évolutions de la mission Aide publique au développement. Pour ma part, j'analyserai l'effort global de la France en faveur du développement.

Cet effort est retracé dans les annexes du projet de loi de finances, dans le document intitulé « document de politique transversale » dont nous reparlerons.

Avant cela, je voudrais dire qu'après l'adoption par le Gouvernement du document-cadre, dont nous avons débattu en séance publique, le 4 novembre dernier, le budget de la coopération doit désormais s'inscrire dans cette stratégie.

La version finale de cette stratégie a intégré un cadrage budgétaire par zones géographiques que nous avions réclamé. Je m'en félicite. Ce n'est d'ailleurs pas la seule préconisation qui a été retenue. Je crois pouvoir dire que le travail que nous avons effectué à porté ses fruits.

Les cibles de répartition de l'aide bilatérale française prévues par le document-cadre sont les suivantes :

- 60 % pour l'Afrique subsaharienne, dont 50 % des subventions pour les 14 pays pauvres prioritaires ;

- 20 % pour les pays méditerranéens ;

- 10 % au plus pour les pays émergents

- et 10 % pour les pays en crise.

Je regrette, en revanche, que les documents budgétaires n'aient pas intégré ces cibles dès cette année. Telle qu'elle figure dans le document de politique transversale, la présentation du budget de l'aide au développement ne permet pas de comprendre si la programmation budgétaire se situe dans l'épure de la stratégie.

Je vous propose donc de demander à ce que le document de politique transversale qui accompagne le bleu budgétaire soit revu cette année pour y intégrer ces indicateurs.

J'en viens à l'évolution globale de l'effort français en faveur du développement.

Le projet de loi de finances pour 2011 et le triennat 2011/2013 prévoient une stabilisation des crédits de l'aide au développement.

Dans le contexte actuel de diminution globale de 10 % des crédits d'intervention, c'est un résultat plutôt satisfaisant qui dénote un effort pour préserver les crédits de la coopération. Mais cet effort ne permettra pas à la France d'atteindre, en 2015, un taux d'effort de 0,7 % du revenu national brut. Les projections jusqu'en 2013, où le taux d'effort devrait se situer entre 0,41 % et 0,49 %, montrent clairement que nous n'atteindrons pas 0,7 % en 2015. Pour le dire autrement, il est improbable que l'APD française passe de 10 milliards en 2013 à 17 milliards en 2015. Il faut savoir que la fin d'une vague d'annulation de dettes et le début des remboursements des très nombreux prêts consentis ces dernières années vont mécaniquement diminuer notre APD déclarée.

Pour la petite histoire, ces projections n'étant pas réjouissantes, l'administration des finances a jugé qu'il valait mieux ne plus faire figurer le taux d'effort français dans les projections budgétaires du document de politique transversale.

Je vous propose de souligner qu'un indicateur de politique publique ne doit pas disparaître ou apparaître selon que son évolution est jugée favorable ou non.

À un moment où la France préside le G20 et souhaite miser sur une diplomatie d'influence, à un moment où la France se veut initiatrice de politiques publiques mondiales en matière de santé ou de climat, cette situation n'est pas satisfaisante. Comme l'a souligné le comité pour l'aide au développement de l'OCDE, qui a effectué ce qu'on appelle la revue à mi-parcours de la France, nous aurions dû établir, dès 2007, une feuille de route budgétaire qui nous aurait permis de définir une stratégie crédible pour arriver à notre objectif. C'est ce qu'a fait la Grande-Bretagne qui ne manque pas d'ailleurs de le faire savoir dans les sommets internationaux, comme en septembre à l'ONU.

Cet engagement n'est pas le seul engagement que la France a pris ces dernières années, toutes majorités confondues. Nous retraçons dans le rapport écrit l'ensemble des engagements pris par la France. Le bilan, pour être pudique, est très inégal. Mais il faut voir que nous nous sommes globalement engagés pour des milliards que nous n'avons pas. C'est une habitude qui a été prise. Elle va finir par nuire à la crédibilité de notre parole.

Cette année encore, la France, par la voix de son Président, s'est engagée :

- à augmenter de 420 millions les dépenses de lutte contre le réchauffement climatique, c'était à Copenhague ;

- de consacrer 100 millions additionnels à la lutte contre la mortalité infantile et maternelle, c'était à Muskoka en juin ;

- d'augmenter de 60 millions d'euros notre contribution au fonds Sida, c'était à New York en septembre.

C'est une chance que l'année ne fasse que douze mois...

Dans une période de restrictions budgétaires, ces promesses ne sont pas faciles à financer. Et d'ailleurs, nous le verrons, il n'est pas facile de retrouver leur trace dans le budget.

Un mot sur la composition de notre aide : nous déclarons à l'OCDE 9 milliards d'aide au développement. Sur ces 9 milliards, 18 % sont des dépenses qui ont un rapport très indirect avec l'aide au développement. Nous le soulignons chaque année. La France respecte globalement les règles de l'OCDE, mais a une interprétation large de ces règles qui fait l'objet de critiques récurrentes.

Je ne vais pas vous abreuver de chiffres, mais il y a 600 millions déclarés au titre de l'accueil des étudiants étrangers, 200 millions au titre de l'accueil des réfugiés, 400 millions au titre des dépenses en faveur de Mayotte et Wallis et Futuna. Il faut espérer qu'en 2011 nous arrêterons de déclarer les dépenses en faveur du département français de Mayotte au titre de la coopération internationale.

L'effort en faveur du développement que nous déclarons est également très marqué par le poids des annulations de dettes qui constituent, selon les années, 10 à 30 % de notre APD.

Enfin, il faut souligner la part croissante des prêts qui représentait en 2009 un milliard d'euros. C'est une somme qui a doublé depuis 2008 et qui correspond aux engagements croissants de l'AFD sous forme de prêts, en particulier dans les pays émergents. L'AFD intervient aujourd'hui à 87 % sous forme de prêts. Il faut savoir que les prêts sont comptabilisés en APD lors de leur engagement et soustraits de notre aide lors du remboursement. Si on se fixe comme objectif d'atteindre les 0,7 % par des prêts, il faut toujours prêter plus qu'on ne nous rembourse et, à long terme, c'est un mécanisme sans fin et c'est bien sûr insoutenable.

Tous ces éléments pour vous dire que l'APD, telle qu'elle est déclarée par l'OCDE, est un indicateur très approximatif de l'aide qui est réellement disponible dans les pays du Sud pour financer des projets de développement.

De ce point de vue, je vous propose de demander à ce que, dans le document de politique transversale, figure la notion d'aide programmable qui comptabilise les crédits qui font l'objet d'un pilotage effectif par le Gouvernement. Cela permettrait d'avoir une vision plus fidèle de l'évolution des crédits de coopération, au-delà de la stricte mission APD, mais en deçà de l'APD déclarée.

Quelques mots sur les grands équilibres de notre aide et d'abord sur l'équilibre entre aide bilatérale et aide multilatérale. Comme vous le savez, la France s'est engagée, depuis une dizaine d'années, dans une montée en puissance de notre aide multilatérale afin de peser sur la programmation des grandes institutions que sont la Banque mondiale, la Banque africaine de développement, le Fonds européens de développement ou le Fonds Sida.

Ces institutions ont une légitimité, une neutralité politique, des compétences et des capacités financières sans commune mesure avec les nôtres. Dans une certaine mesure, cette stratégie a été payante. Nous avons infléchi la programmation de ces grands fonds vers l'Afrique mais, comme nous l'avons souligné à plusieurs reprises, ce mouvement est allé trop loin. Comme le budget de la coopération n'a pas augmenté de façon significative, la croissance du multilatéral s'est faite au détriment du bilatéral, réduisant considérablement les moyens des agences de l'AFD et des ambassades. De ce point de vue, le budget pour 2011 marque une volonté de redressement qu'il faut souligner. La part de l'aide bilatérale devrait passer de 56 % en 2009 à 64 % en 2012. Je crois qu'il faut s'en féliciter.

Le deuxième équilibre qu'il convient de surveiller est celui qui concerne la part des dons et des prêts. Ces dernières années, la part des dons a eu tendance à diminuer considérablement.

L'ensemble des subventions de l'aide bilatérale est ainsi passé de 2005 à 2009 de 440 millions d'euros à 300 millions d'euros. Parallèlement, le montant des prêts a été multiplié par 4 ou 5. On prévoit que ces derniers passeront de 450 millions en 2008 à 2,5 milliards en 2013.

En soi, le recours à des prêts bonifiés permet d'optimiser la dépense publique. Ils permettent de financer des projets de développement important pour un coût budgétaire limité. C'est ce qu'on appelle l'effet de levier. À partir du moment où on ne contribue pas à ré-endetter des pays qui viennent de sortir d'un processus douloureux de désendettement, le recours aux prêts permet une politique d'influence adaptée aux pays intermédiaires ou aux pays émergents.

En revanche, la diminution des dons est en contradiction avec nos objectifs de concentration sur l'Afrique subsaharienne et sur les 14 pays prioritaires de la coopération française. C'est pour cela que, lorsqu'on regarde précisément les crédits budgétaires consacrés à ces pays, on s'aperçoit qu'ils diminuent de 2005 à 2009.

De ce point de vue, le budget pour 2011 apporte une légère amélioration puisque le redressement de l'aide bilatérale s'effectue au profit de l'aide aux projets, à hauteur de 68 millions, sur le programme 209.

La répartition géographique de notre aide n'évolue, quant à elle, pas de façon très favorable, puisque la part de l'Afrique subsaharienne dans l'aide bilatérale française est passée entre 2005 et 2009, de 54 % à 47 %. On observe la même chose sur les 14 pays qui sont pourtant dits prioritaires. Cette évolution est un peu moins défavorable si l'on prend l'effort budgétaire puisque l'Etat a poursuivi son objectif de concentration de 60 % de l'effort budgétaire sur l'Afrique subsaharienne. Mais, globalement, il faut veiller à ce que cette priorité soit bien maintenue. C'est le coeur de notre coopération, ce sont à la fois les pays qui en ont le plus besoin et où notre influence peut être la plus forte. On a été étonné de voir qu'au Mali, l'ancien « Soudan français », nous sommes maintenant le 10è bailleur de fonds.

Cela sera un des enjeux de la renégociation du contrat d'objectifs et de moyens de l'AFD. Je vous rappelle que, lorsque nous avons adopté la loi sur l'action extérieure de l'Etat, nous avons indiqué, à l'article 1er, que les projets de conventions des établissements publics concourant à l'action extérieure avec l'Etat seront soumis, pour avis, aux commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat. Je vous propose de le rappeler lors du débat et de nous saisir du projet de convention en cours de négociation.

Un dernier mot sur les documents budgétaires qui nous sont fournis. Comme vous avez pu le constater, les principaux équilibres relatifs à ces politiques concernent la répartition géographique de l'aide, l'équilibre entre l'aide bilatérale et multilatérale, la répartition entre les dons et les prêts, l'équilibre entre l'aide programmable et les dépenses non programmables.

On ne retrouve pas ces données dans le document de politique transversale qui accompagne chaque année le projet de loi de finances. Aujourd'hui, dans ce document, sur 88 pages, il y a 65 pages de description des 23 programmes qui concourent à l'APD qui n'apportent pas grand-chose, 10 pages d'annexes plus intéressantes, dont deux seulement contiennent des informations vraiment pertinentes. On pourrait se fixer comme objectif d'inverser les proportions entre les parties intéressantes et celles qui le sont moins.

Je vous propose donc de demander au Gouvernement une refonte de ce document pour y intégrer un suivi des objectifs du document-cadre et les indicateurs que je viens de vous citer. C'est un élément important du contrôle du Parlement.

Je laisse la parole à mon ami et collègue co-rapporteur, Christian Cambon, et je vous donnerai ensuite mon sentiment sur l'ensemble de la mission.

M. Christian Cambon, co-rapporteur pour avis - J'en viens aux crédits de la mission Aide publique au développement, qui regroupe 35 % de l'effort de la France en faveur du développement dont André Vantomme vient de parler. Ce n'est que 35 %, mais ce sont là les crédits sur lesquels les pouvoir publics ont une marge de manoeuvre et effectuent des arbitrages géographiques et sectoriels. Ce sont les 35 % stratégiques.

Comme vous le savez, cette mission comporte trois programmes de taille inégale :

- le programme 110, qui est géré par le ministère des finances, qui constitue 35 % des crédits de la mission ;

- le programme 209, qui est le programme géré par le ministère des affaires étrangères, qui comprend 64 % des crédits de la mission ;

- et le programme 301, mis en oeuvre par le ministère de l'immigration, qui ne représente que 1 % des crédits de la mission.

Je ne vais pas vous présenter l'évolution des crédits programme par programme, parce que c'est ennuyeux et parce qu'à vrai dire les deux principaux programmes, le programme 110, dont le responsable administratif est le directeur du trésor, que nous avons entendu, et le programme 209, qui relève du directeur de la mondialisation que nous avons également entendu, ne se distinguent, ni par leurs objectifs, ni par leur zone géographique d'intervention, ni par les instruments utilisés. Ces programmes correspondent à une répartition historique par ministère. Je préfère vous présenter les choses de façon plus thématique.

Je voudrais d'abord évoquer l'ensemble du budget qui diminue à périmètre constant de 0,16 %. Autrement dit, il est stable dans un contexte où la majorité des missions diminue de 10 %.

Cette sanctuarisation des crédits de la mission APD constitue une exception qui mérite d'être soulevée.

Comme l'a indiqué mon collègue André Vantomme, à budget constant, le projet de loi de finances 2011 prévoit une diminution des contributions multilatérales et une augmentation des subventions au titre de l'aide bilatérale.

La diminution du « multilatérale » se traduit par une baisse de la contribution à la Banque mondiale de 70 millions d'euros, une diminution de notre contribution au FED d'une centaine de millions. L'impact de cette réduction pourrait être cependant limité par l'augmentation annoncée de notre contribution au fonds Sida de 60 millions d'euros par an.

Nous participons déjà à hauteur de 300 millions d'euros par an à ce fonds, dont nous sommes le deuxième contributeur. Cette augmentation de 60 millions d'euros n'est pas inscrite dans ce budget. Il est indiqué qu'elle pourrait être financée par la taxe sur les billets d'avion qui, aujourd'hui, contribue au fonds Unitaid en faveur de l'achat de médicaments. En l'état de nos connaissances, de deux choses l'une : soit on prend une part de financement de l'Unitaid pour la verser au fonds Sida, soit on augmente la taxe sur les billets d'avion. Dans le contexte actuel de crise économique, le produit de cette taxe a diminué au cours des deux dernières années. On peut se demander, dès lors, s'il est opportun d'alourdir le prélèvement sur les billets d'avion. Il s'agit d'une taxe qui va de 4 à 40 euros par billet. Je vous propose de demander au ministre ce qu'il en est.

Par ailleurs, du point de vue de la santé publique, la lutte contre le sida ne doit pas faire oublier les autres maladies et, en particulier, les maladies qui sont à l'origine du niveau de mortalité infantile particulièrement élevé de certains pays en voie de développement. Je vous rappelle qu'au Mali, où nous avons été en mission avec André Vantomme, dans ses 5 premières années, un enfant malien à 50 fois plus de risques de mourir qu'un enfant né en France. Or, les principales maladies à l'origine de ces décès sont la pneumonie et la diarrhée qui ont un impact 20 fois supérieur au Sida et 3 fois supérieur au Paludisme. Cela aurait été sans doute moins visible, mais peut être plus pertinent de mettre l'accent sur ces maladies.

En ce qui concerne le FED, la diminution de la clé de répartition nous permet de diminuer notre contribution de 900 millions à 800 millions d'euros jusqu'en 2013.

À partir de cette date, la France souhaite que le FED soit budgétisé au sein de l'Union européenne. Cette budgétisation permettrait une plus grande cohérence avec les autres instruments de la politique européenne de développement. Elle permettrait un plus grand contrôle par le Parlement européen de ses dépenses. Il faut bien prendre conscience que cette budgétisation se traduira pour nous par la disparition du contrôle du Parlement sur cette contribution. En effet, ces dépenses rentreront dans le prélèvement sur recettes au profit de l'Union. Ce prélèvement n'affecte pas les dépenses à des actions particulières. Il reviendra alors entièrement au Parlement européen et à la Commission européenne de déterminer le montant des contributions au Fonds européen du développement. Cela ne doit pas nous empêcher de réclamer cette année encore une évaluation du partenariat entre le France et le FED.

Plus largement, sur la politique européenne de développement, je voudrais insister sur le fait que celle-ci doit servir de catalyseur à une association plus étroite des politiques de coopération des Etats-membres.

À un moment où l'ensemble des finances publiques européennes sont en difficulté, plus que jamais, il nous faut favoriser des programmations conjointes entre les Etats-membres et avec les agences de l'Union européenne. On ne peut plus continuer à avoir 27 politiques de coopération, plus celles de l'Union, faisant plus ou moins les mêmes choses, dans les mêmes pays. Il y a des expériences pilotes dans ce domaine qui mettent en application une division du travail en fonction des avantages comparatifs de chacun. Au Mali, par exemple, nous avons constaté que les principaux partenaires européens étaient prêts à adopter une programmation conjointe où, selon les secteurs, il y a un chef de file qui met en oeuvre, non seulement ses crédits, mais également les crédits que les autres pays souhaitent consacrer à ce secteur. La France et l'AFD sont des éléments moteurs de cette politique. Je crois qu'il faut les soutenir.

En ce qui concerne nos contributions aux Agences des Nations unies, on constate une très forte diminution des contributions volontaires qui ont baissé de 38 % depuis 2008. Le projet de loi de finances pour 2011 prévoit une nouvelle baisse de 12,9 % et une très forte concentration des crédits sur le PNUD, sur le Haut Comité aux réfugiés et sur l'Unicef. Nos contributions volontaires représentent aujourd'hui moins de la moitié des contributions japonaises ou américaines et deux tiers des contributions anglaises. Que les organes des Nations unies puissent être critiqués, qu'il y ait eu par le passé un saupoudrage critiquable, qu'il y a là une sorte de jungle institutionnelle qui gagnerait à une RGPP internationale, j'en suis convaincu, mais nos contributions sont arrivées à un niveau inquiétant pour la place de la France dans les enceintes des Nations unies.

Voilà pour ce qui est des crédits multilatéraux. S'agissant de l'aide bilatérale, qui représente en gros 1 milliard d'euros sur les deux programmes, soit 0,01 % du budget de l'Etat, je rejoins complètement ce qu'a dit André Vantomme sur la nécessité de concentrer les subventions sur les pays d'Afrique subsaharienne et sur les secteurs sociaux, et de réserver nos interventions sous forme de prêts aux pays plus avancés et au secteur productif.

De ce point de vue, nous avons eu une discussion tout au long de l'année avec l'AFD et avec le ministère des affaires étrangères pour savoir s'il était normal que la Chine soit, en 2008, le sixième Etat bénéficiaire des prêts bonifiés. Il nous a semblé que les bonifications devraient être réservées à ceux qui en ont le plus besoin. Un rapport de la Cour des comptes vient également de le relever. Le document-cadre prévoit un plafonnement des engagements dans les pays émergeants à 10 %. Je crois que nous avons été entendus.

Cela ne doit pas empêcher l'AFD d'intervenir avec des prêts non bonifiés en Chine. Mais une réflexion doit s'engager sur la nature de l'intervention de l'AFD dans les pays émergents et ses résultats. Dans des pays comme l'Inde ou la Chine, les besoins de financement sont tellement considérables que les montants susceptibles d'être engagés par l'AFD semblent dérisoires pour espérer avoir une influence sur les modèles de développement de ces pays et leur faire adopter une croissance plus sobre en carbone. Il faut savoir quels sont les objectifs que poursuit concrètement l'AFD dans ces pays. Est-on encore dans l'aide au développement ? Dans de l'aide au commerce extérieur ? Dans une diplomatie d'influence ? Avec quels résultats ? Nous aurons l'occasion d'étudier cette question au cours de la session. C'est assurément une des questions que nous poserons lorsque nous aurons à étudier le contrat d'objectifs et de moyens de l'AFD.

En ce qui concerne les dons pour des projets de développement, on observe un certain redressement puisque la ligne « dons-projets » du programme 209 augmente de 18 % pour s'établir à 390 millions d'euros.

A quoi vont servir ces crédits ? Ils vont d'abord servir à financer des projets instruits par l'AFD dans les domaines des infrastructures, de l'eau, de l'urbanisme et de l'agriculture. Ce sont ce type de projets que nous avons vus au Mali. Il s'agit d'un objectif de lutte contre la pauvreté et de promotion de la croissance. Ils vont ensuite à des pays en crise. Il est prévu 15 millions pour la zone Afghanistan-Pakistan et 20 pour Haïti. Il s'agit d'aider ces pays à rebâtir des infrastructures.

Ils vont enfin à des projets instruits par des ONG : 45 millions sont prévus à cet effet, ou par des collectivités territoriales : 9 millions sont prévus pour compléter les financements des collectivités locales à destination de projets de coopération décentralisée.

AFD, ONG, collectivité territoriale, nous avons là les principaux acteurs de notre coopération bilatérale.

Parmi les objectifs de cette coopération, on notera, dès cette année, une montée en puissance des crédits consacrés à la lutte contre le réchauffement climatique. 150 millions viendront abonder la mission en provenance de deux nouveaux comptes d'affectation spéciale qui recevront le produit de la vente de nos quotas carbones. Nous contribuons, par ailleurs, à deux fonds pour l'environnement. Je crois qu'il est important de dire que nous ne devons pas reproduire en matière de préservation des biens publics mondiaux la même « jungle institutionnelle » que nous connaissons en matière d'aide au développement. C'est un enjeu de l'agenda international, car depuis Copenhague, nous sommes à la recherche d'un compromis sur la création d'une architecture internationale en charge de la préservation de l'environnement. Sur ce sujet, je compte également interroger le ministre sur le caractère additionnel de nos dépenses. Nous avons en effet pris, dans le cadre des accords de Copenhague, des engagements à hauteur de 420 millions par an dont nous avions compris qu'ils devaient être additionnels. Or on les retrouve ici comptabilisés au titre des 0,7 %. Le ministre nous donnera des précisions sur ce qu'il faut entendre par « additionnels ».

Au-delà de la question des crédits budgétaires, un mot du projet de financements innovants qui est une des priorités de la présidence française du G20 pour souligner la dimension politique de ce projet.

Asseoir le financement des politiques d'aide au développement sur une ressource fiscale mondialisée, c'est jeter les bases d'une politique publique de redistribution à l'échelle mondiale, une redistribution fondée sur la taxation d'activités qui bénéficient de la mondialisation, vers ceux qui n'en profitent pas ou peu. C'est aussi une façon de mieux répartir l'effort en faveur de l'APD. En effet, aujourd'hui, l'Europe représente 30 % du PIB mondial et 60 % de l'APD mondiale. Un financement assis sur les transactions permettrait de réduire ce déséquilibre. C'est un projet vraiment intéressant. Même s'il est présenté à Paris comme un moyen de faire oublier que nous ne serons pas en mesure d'honorer nos engagements pour le 0,7 %, il faut savoir qu'à New-York et à Tokyo, ces financements ont toujours été présentés et ne seront acceptés que comme des financements additionnels par rapport à 0,7 %.

Au-delà des crédits, il y a les résultats. Le sommet de septembre à l'ONU a permis de faire le point et de voir que les politiques menées ont obtenu sur le terrain des résultats encourageants. On parle des échecs, on parle des détournements, il faut être lucide sur tout cela, mais il faut aussi voir les résultats et les évaluer. Nous avons beaucoup insisté sur l'évaluation des résultats au cours de l'année avec le ministère des affaires étrangères. On nous dit : c'est complexe. C'est vrai. Mais l'aide au développement n'a pas le monopole de la complexité. Nous en sommes redevables devant les citoyens et les contribuables. Des outils, des organismes, des évaluations existent. La question, c'est tout autant la difficulté d'évaluer que la difficulté d'en tirer les leçons et d'adapter nos instruments en fonctions des résultats. Le précédent ministre nous avait proposé de nous associer à un exercice d'évaluation de l'ensemble de la politique de coopération. Il faudra répondre présent, c'est bien là une des fonctions du Parlement.

Il y aurait d'autres sujets à aborder. C'est un domaine passionnant, mais je ne voudrais pas abuser de votre temps.

Sur l'ensemble du budget, je vous propose de l'adopter dans la mesure où il manifeste la prise en compte des orientations que nous avions souhaitées sur un certain nombre de points. Alors, évidemment, nous aurions souhaité que la France soit plus riche et le déficit moindre. Mais, dans le contexte actuel, c'est un bon budget. Mais je laisse à mon collègue Vantomme le soin de donner son point de vue et d'éventuellement nuancer mon propos.

M. André Vantomme, co-rapporteur pour avis - Nous avons pris l'habitude d'étudier ce budget avec objectivité et lucidité. De l'ensemble des observations que vous avez entendues, on pourrait en conclure que la bouteille est à moitié vide ou à moitié pleine. Pour ma part je ne veux ignorer ni les avancées ni les faiblesses de ce budget établi dans des conditions difficiles pour les finances publiques. Je considère néanmoins que la bouteille est à moitié vide non pas sur les objectifs que nous partageons, mais sur la difficulté de mettre en rapport ces objectifs avec les moyens budgétaires. Je regrette par ailleurs la tendance à vouloir faire des annonces et prendre des engagements sans rapport avec les moyens dont nous disposons. Pour les raisons que j'ai indiquées et dans l'esprit de courtoisie et d'objectivité qui règne au sein de la commission des affaires étrangères, je m'en remettrai donc à la sagesse de la commission pour l'approbation de ces crédits.

M. Robert del Picchia - Pour ma part, compte tenu de la situation financière de la France, je considère que le verre est à moitié plein et qu'il est même bien plein.

M. Daniel Reiner - Vous avez évoqué la nécessité d'évaluer les résultats de la politique d'aide au développement. Je souhaiterais savoir s'il existe des indicateurs pertinents de l'efficacité de notre coopération. Je m'interroge également sur la façon dont on peut juger du bon équilibre entre les crédits consacrés à l'aide bilatérale et ceux consacrés à l'aide multilatérale. Je souhaiterais enfin souligner l'apport des organisations non gouvernementales en matière d'aide au développement et souhaiterais savoir comment s'organisent les relations entre ces organisations et l'Etat.

M. Christian Cambon, co-rapporteur pour avis - Il existe un certain nombre d'indicateurs relatifs au décaissement qu'on ne peut pas considérer comme des indicateurs de résultats. Ce qu'il faut développer dans le cadre de l'examen du budget et plus généralement dans le cadre de la gestion des crédits à la coopération, ce sont des indicateurs de résultat tels que le taux de vaccination, le taux de scolarisation, autant d'indicateurs qui permettent de mesurer les résultats effectifs des crédits que nous utilisons dans les pays partenaires de notre coopération. Cela suppose un travail considérable, mais aussi l'accord des pays dans lesquels nous intervenons. Ce travail en vaut la peine, ce n'est qu'à ce prix que nous pourrons évaluer notre aide au développement et en renforcer l'efficacité.

M. André Vantomme, co-rapporteur pour avis - Dans le contexte actuel, il est important de concentrer nos efforts sur l'Afrique subsaharienne et d'européaniser notre stratégie de coopération. Au Mali, où nous ne sommes plus que le 10è bailleur de fonds, nous avons pu constater qu'il y a des initiatives de programmation conjointe entre pays membres de l'Union tout à fait intéressantes. Vu la difficulté des temps, je comprends qu'on puisse considérer que le verre est à moitié plein, ce que je trouve difficilement justifiable c'est de continuer à faire des promesses, à prendre des engagements alors même qu'on n'a pas les moyens de les tenir. Par ailleurs je constate que cette façon de vouloir augmenter l'aide au développement que nous déclarons en augmentant nos prêts n'est ni une stratégie pertinente pour le développement, ni une stratégie financière soutenable puisque les remboursements viennent en soustraction de l'aide déclarée, si bien qu'il faudrait toujours prêter plus pour que l'APD déclarée augmente.

M. Christian Cambon, co-rapporteur pour avis - L'aide bilatérale et l'aide multilatérale ont chacune leur légitimité et leur efficacité. La question, c'est le juste équilibre entre ces deux canaux de notre coopération. Mais au-delà de cet équilibre, l'avenir est dans la création d'une synergie entre tous les acteurs. De ce point de vue, il faut soutenir les actions de programmation conjointe entre les coopérations des Etats membres de l'Union européenne. Nous pouvons améliorer l'efficacité de notre aide au développement, si nous arrivons à une division du travail entre Européens en fonction des avantages comparatifs de chacun, de sorte que, selon les secteurs, il y ait un chef de file qui mette en oeuvre non seulement ses crédits, mais également les crédits des autres partenaires. Il faut répondre à l'insuffisance de moyens par une meilleure coordination et une meilleure division du travail. En ce qui concerne les ONG, le budget pour 2011 prévoit 45 millions d'euros d'aide projet. Je suis particulièrement sensible à l'action des ONG. Dans le cadre du syndicat des eaux d'Île-de-France, près de 2 millions de dollars sont dépensés chaque année pour financer des projets d'adduction et de traitement de l'eau. Dans de très nombreux pays, et notamment au Laos, nous passons par des ONG dont les méthodes sont plus efficaces que celles des administrations publiques.

Mme Gisèle Gautier - Nous n'avons pas à rougir de l'action que nous menons en Afrique. Nous y finançons des projets de financement désintéressés qui sont à l'honneur de la France. La Chine, elle, investit dans l'espoir d'un retour sur investissement.

M. Christian Cambon, co-rapporteur pour avis - Je voudrais souligner ici un paradoxe : la France est le deuxième bailleur de fonds de l'aide au monde et dans des pays comme le Mali nous nous trouvons en dixième position derrière les Hollandais ou les Canadiens pour une raison simple : nous continuons à intervenir partout dans le monde, ce qui fait que notre effort se dilue. C'est pourquoi nous insistons sur la nécessité de concentrer notre effort sur les pays qui en ont le plus besoin et où notre influence est la plus forte.

M. Jean Faure - Je regrette que notre politique ne soit pas plus visible en Afrique. J'observe que dans les pays du Sahel, nous avons de plus en plus de difficulté à mener des projets de développement en raison de l'insécurité croissante qui règne dans ces pays, comme en témoigne la situation au Mali et au Niger. Je rejoins ce qu'a dit notre collègue Gisèle Gautier sur les investissements chinois en Afrique. C'est particulièrement frappant à Madagascar où la Chine et la Corée du Sud investissent massivement dans l'espoir de profiter des ressources naturelles nombreuses de ce pays particulièrement frappé par le sous-développement. Au Laos, la Chine finance la création d'une ligne de chemin de fer pour un montant qui s'élève à 5 milliards de dollars ; cet investissement servira tout autant le Laos qu'à la Chine qui entend par ce moyen accroître sa présence dans ce pays.

M. Josselin de Rohan, président - Je veux saluer la qualité des travaux des rapporteurs et attirer l'attention de la commission sur l'adoption par la commission européenne d'un Livre vert sur la coopération et le développement qui constitue un préalable à la modernisation de la politique européenne de développement. Je crois qu'il faudra se pencher sur ce document.

*

Vote sur les crédits de la mission Aide publique au développement .

La commission émet -le groupe UMP et le groupe UC votant pour, le groupe communiste, républicain et citoyen votant contre, le groupe socialiste et le groupe RDSE s'abstenant- un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission Aide publique au développement dans le projet de loi de finances pour 2011.

M. Christian Cambon, co-rapporteur pour avis - Comme nous l'avions annoncé, nous vous proposons un amendement qui modifie le contenu du document de politique transversale qui accompagne le bleu budgétaire consacré à la mission Aide au développement. Dans un souci de lisibilité et de transparence, nous souhaitons compléter la description de ce document afin d'avoir une vision plus claire de l'évolution de l'ensemble des crédits consacrés à la coopération, de l'effort global de la France en faveur du développement et de l'aide bilatérale qui fait l'objet d'une véritable programmation de la part des pouvoirs publics. Cet amendement permettra de mieux distinguer la part relative de chacun de nos instruments, l'aide multilatérale, l'aide bilatérale, les dons, les prêts, les annulations de dettes.

Cet amendement permettra de mieux exercer les prérogatives du Parlement en matière de contrôle puisque nous aurons une vision plus fine de l'évolution des principaux équilibres de notre politique d'aide au développement.

La commission émet à l'unanimité un avis favorable à l'amendement.

PROJET DE LOI DE FINANCES POUR 2011

ARTICLES DEUXIÈME PARTIE

MISSION AIDE PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT

II-1

SERVICE DE LA SÉANCE

24 NOVEMBRE 2010

A M E N D E M E N T

présenté par

M. Christian CAMBON et André VANTOMME
Au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées

ARTICLE ADDITIONNEL AVANT L'ARTICLE 68

I. Avant l'article 68, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Il est inséré, après le 19 em alinéa de l'article 128 de la loi n°2005-1720 du 30 décembre 2005 de finances rectificative pour 2005, un alinéa ainsi rédigé :

« - une présentation détaillée de l'évolution à titre rétrospectif sur les cinq dernières années et de façon prévisionnelle pour la durée de la programmation triennale des finances publiques :

- de l'effort français d'aide publique au développement en proportion du revenu national brut en comparaison avec celui des autres Etats membres du Comité d'aide au développement de l'Organisation de coopération et de développement économiques ;

- de la répartition entre les principaux instruments de coopération des crédits consacrés à l'aide au développement tels qu'ils sont présentés dans les documents budgétaires et de l'aide publique au développement qui en résulte, permettant d'identifier les moyens financiers respectivement affectés à l'aide multilatérale, communautaire et bilatérale, à l'aide bilatérale qui fait l'objet d'une programmation, ainsi qu'aux subventions, dons, annulations de dettes et prêts ;

- de la répartition de ces instruments par secteurs, par zones d'intervention de la coopération française et par catégories de pays selon leur revenu ;

- du montant net et brut des prêts.

- un récapitulatif des engagements internationaux de la France en matière d'aide publique au développement et un état des lieux de leur mise en oeuvre. »

II. Faire précéder cet article de l'intitulé : « aide publique au développement »

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