c) Le modèle espagnol

En Espagne 14 ( * ) , l'article 117-5 de la Constitution de 1978 précise que « la loi règlementera l'exercice de la juridiction militaire dans le domaine strictement limité à l'armée et dans le cas d'un état de siège, conformément aux principes de la Constitution ».

L'entrée en vigueur de la Constitution de 1978 a été suivie d'une profonde réforme de la justice militaire , avec l'adoption de quatre lois organiques entre 1985 et 1989. Un nouveau régime disciplinaire des forces armées a ainsi été adopté, de même qu'un nouveau code pénal militaire et un nouveau code de procédure pénale militaire. C'est la loi organique du 15 juillet 1987 qui détermine la compétence et l'organisation de la justice militaire . Par ailleurs, la loi du 15 décembre 1998 établit la compétence territoriale de chacune des juridictions militaires. Enfin, la justice militaire a fait l'objet d'une modification par la loi organique du 15 juillet 2003, afin de l'adapter à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, qui avait condamné l'Etat espagnol pour violation de l'article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales 15 ( * ) .

Les juridictions militaires espagnoles sont des juridictions spéciales . Cependant, l'article 117-5 de la Constitution, qui leur est consacré, soumet la loi qui les organise au respect des principes constitutionnels. Cela signifie notamment que les juridictions militaires doivent être indépendantes et que les droits de la défense doivent y être respectés. De plus, l'article 1 er de la loi organique du 15 juillet 1987 énonce que la justice militaire fait partie intégrante du pouvoir judiciaire . Cette intégration se manifeste notamment par le fait que le Tribunal suprême, juridiction ordinaire la plus haute, est également la juridiction suprême de la justice militaire.

Les juridictions militaires sont les mêmes en temps de paix et en temps de guerre , mais leurs compétences diffèrent selon les circonstances. En temps de paix, la justice militaire est essentiellement compétente pour juger des infractions au code pénal militaire (trahison, espionnage, divulgation de secret, etc.). En temps de paix, si des troupes espagnoles stationnent à l'étranger, la compétence de la justice militaire est élargie aux infractions déterminées par les accords passés avec les pays en question.

En temps de guerre , sa compétence s'étend aux infractions prévues par le droit pénal ordinaire, à celles qui sont déterminées par des traités avec les puissances ou organisations alliées, à celles qui sont commises hors du sol national par un militaire, ainsi qu'à celles qui sont commises par des prisonniers de guerre.

Les juridictions militaires sont également compétentes pour trancher les recours contentieux relatifs aux sanctions disciplinaires.

A l'image des cours d'assises, les juridictions militaires ont une composition mixte . Elles comportent des militaires professionnels, tirés au sort pour chaque affaire, et des magistrats militaires, c'est-à-dire des membres du « corps juridique des armées ».

En effet, l'armée espagnole se subdivise en plusieurs corps, chaque corps regroupant les militaires appartenant à la même spécialité. Le corps juridique, au même titre que le corps sanitaire, constitue un corps commun à toutes les armes. On y accède par promotion interne ou par recrutement externe. Dans les deux cas, il faut être licencié en droit et réussir des épreuves de sélection. Ce corps est, comme tous les autres, divisé en plusieurs grades (de lieutenant à général de division). Les magistrats qui appartiennent aux grades situés entre ceux de lieutenant et ceux de colonel sont « auditeurs ». Les généraux de brigade sont « généraux auditeurs » et les généraux de division « généraux conseillers ».

Concernant les juridictions militaires en temps de paix du premier degré, le grade de l'accusé détermine la juridiction compétente .

Les tribunaux militaires territoriaux , au nombre de cinq, constituent les juridictions pénales militaires du premier degré pour les hommes de troupe, les sous-officiers et les officiers subalternes.

Chaque tribunal militaire territorial comprend cinq magistrats militaires nommés par le ministre de la défense, sur proposition de la chambre militaire du Tribunal suprême, dont le président, qui doit avoir le grade de colonel, un lieutenant colonel et trois commandants.

Lorsqu'ils jugent les infractions militaires commises dans leur ressort géographique 16 ( * ) , les tribunaux militaires territoriaux se composent de trois magistrats militaires, dont le président, et de deux militaires tirés au sort avant le procès à partir d'une liste établie annuellement. Ces militaires doivent, dans la mesure du possible, appartenir à la même arme que l'inculpé.

Par ailleurs, les tribunaux militaires territoriaux tranchent les recours contentieux contre les sanctions disciplinaires imposés par les militaires ayant un grade inférieur à celui de général.

Les infractions pénales militaires commises par les officiers supérieurs sont jugées en première instance par le Tribunal militaire central.

Sa composition est similaire à celle des tribunaux militaires territoriaux, mais les membres du Tribunal militaire central, qu'il s'agisse des magistrats militaires ou des militaires tirés au sort, ont des grades plus élevés.

En matière disciplinaire, le Tribunal militaire central tranche les recours relatifs aux décisions prises par les officiers généraux et par le sous-secrétaire de défense, c'est-à-dire le principal collaborateur du ministre dans le domaine du personnel.

Les infractions pénales militaires commises par les officiers généraux sont jugées par la chambre militaire du Tribunal suprême.

La chambre militaire constitue la cinquième chambre du Tribunal suprême, après la chambre civile, la chambre criminelle, la chambre administrative et la chambre sociale. Elle a été instituée par la loi organique du 15 juillet 1987.

La chambre militaire du Tribunal suprême est composée de huit juges, dont l'un préside. Quatre d'entre eux sont des magistrats professionnels issus des juridictions ordinaires et les quatre autres sont des magistrats militaires qui, dès leur nomination, deviennent des membres à part entière du Tribunal suprême. Le président est nécessairement un magistrat professionnel issu des juridictions ordinaires.

Il n'existe pas d'appel en matière militaire , mais la cassation est possible devant la chambre militaire du Tribunal suprême.

Par ailleurs, il est possible d'introduire un recours en révision devant la chambre militaire du Tribunal suprême lorsque certains faits, connus après la condamnation, remettent en cause la validité de la décision.

L'instruction devant les juridictions militaires est confiée à des magistrats militaires nommés par le ministre de la défense, sur proposition de la chambre militaire du Tribunal suprême. Le Tribunal militaire central en compte deux et les tribunaux militaires territoriaux dix-huit, chaque tribunal militaire territorial devant en compter au moins un.

Pour les officiers généraux, qui sont jugés en première et dernière instance par la chambre militaire du Tribunal suprême, cette dernière est à la fois juridiction de jugement et d'instruction. L'instruction est confiée à l'un des membres de la juridiction. Celui-ci ne peut participer aux étapes ultérieures de la procédure.

Il existe un parquet militaire auprès de chacune des juridictions militaires . Ce parquet est composé de magistrats militaires . Il fait partie du parquet général et doit respecter tous les principes (légalité, impartialité, etc.) qui s'imposent à ce dernier. Cependant, le ministre de la défense peut donner des instructions au procureur général militaire près la cinquième chambre du Tribunal suprême.

Les membres du parquet militaire sont nommés par décret en conseil des ministres contresigné par le ministre de la défense. En outre, le procureur général du royaume doit être informé préalablement à la nomination du procureur général militaire près la cinquième chambre du Tribunal suprême. Ce dernier peut donner des instructions aux autres membres du parquet militaire, de sa propre initiative ou de la part du procureur général du royaume. Il est assisté d'un magistrat militaire de haut rang et d'un membre du parquet civil du Tribunal suprême.

La loi organique du 15 juillet 1987 précise que tout accusé qui comparaît devant une juridiction militaire a le droit d'être défendu. De plus, la défense est nécessairement assurée par un avocat, alors que, avant cette réforme, l'accusé pouvait choisir par exemple d'être défendu par un officier.

Les magistrats militaires sont nommés par le ministre de la défense. Selon la loi organique du 15 juillet 1987, ils sont inamovibles et sont soumis au même régime d'incompatibilités que les magistrats ordinaires.

Bien que les principales compétences que le Conseil général du pouvoir judiciaire exerce à l'égard des magistrats ordinaires (en matière de nomination et de discipline) soient exercées par la chambre du conseil du Tribunal militaire central pour ce qui concerne les magistrats militaires, ces derniers peuvent, s'ils s'estiment victimes de pressions, prévenir le Conseil général du pouvoir judiciaire.

En outre, le Conseil supérieur de la magistrature, bien qu'il ne joue aucun rôle dans la nomination des magistrats militaires, dispose d'un pouvoir général d'inspection des juridictions militaires.


* 14 Voir l'étude de législation comparée du Sénat précitée ainsi que la contribution de M. Luis Jimena Quesada, « Les tribunaux militaires et juridictions d'exception en Espagne », dans l'ouvrage collectif « Les juridictions militaires et tribunaux d'exception en mutation, perspectives comparées et internationales » sous la direction de Mme Elisabeth Lambert Abdelgawad, Agence universitaire de la Francophonie, décembre 2007, pp. 233-263.

* 15 Cour européenne des droits de l'homme, Castillo Algar c/Espagne, 28 octobre 1998, Recueil 1998-VIII

* 16 La composition des tribunaux militaires territoriaux varie en fonction du rôle qu'ils jouent. Ils siègent en formation restreinte lorsqu'ils tranchent des questions de procédure.

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