C. LES OBSERVATIONS SUPPLÉMENTAIRES DE VOTRE COMMISSION

1. Ouvrir la réflexion sur le renforcement de la spécialisation par la création de deux ou trois pôles spécialisés

Votre rapporteur pour avis juge positivement la mise en place par la réforme de 1982 de formations spécialisées en matière militaire au sein des juridictions de droit commun pour remplacer les huit tribunaux permanents des forces armées pour connaître des infractions militaires et des crimes et des délits de droit commun par les militaires dans l'exercice du service.

Cette spécialisation s'est traduite, d'une part, par la désignation d'un tribunal de grande instance et d'une cour d'assises au sein de chaque cour d'appel, et, d'autre part, par le fait qu'au sein de ce tribunal seuls certains magistrats désignés lors de l'assemblée générale peuvent instruire, poursuivre et juger ces infractions.

La spécialisation s'explique, en effet, par le caractère particulier des infractions militaires et la difficulté d'appréciation que pourraient rencontrer les magistrats de l'ordre judiciaire pour appréhender ces questions.

Elle n'est d'ailleurs pas propre aux affaires militaires, puisqu'on la retrouve en matière de lutte contre le terrorisme, de lutte contre le blanchiment d'argent ou encore en matière de pollution maritime.

Toutefois, en pratique, cette spécialisation n'est pas égale pour toutes les juridictions.

Une analyse des statistiques de l'année 2010 montre, en effet, que sur les trente trois juridictions de droit commun spécialisées, dix-sept ont traité moins de 50 affaires par an, dont huit ont eu moins de 20 affaires. Seules trois juridictions (Le Mans, Chambéry et Marseille) ont eu plus de 100 affaires par an, Marseille en ayant eu le plus, avec 220 affaires.

On peut également relever que sur ces 33 juridictions de droit commun spécialisées, sept n'ont procédé à aucune poursuite, se contentant de classer sans suite les affaires portées à leur connaissance, alors que trois d'entre elles avaient connaissance d'approximativement 30 affaires et deux autres de plus de 50 affaires.

ÉTAT COMPARATIF DES STATISTIQUES JUDICIAIRES EN MATIÈRE PÉNALE MILITAIRE (DÉCISIONS DES PARQUETS) DE 2010

Juridictions

Classements

Poursuites

Total

Agen

6

6

Amiens

2

71

73

Besançon

20

20

40

Bordeaux

11

21

32

Bourges

12

17

29

Caen

3

16

19

Chambéry

86

23

109

Clermont-Ferrand

29

29

Grenoble

45

4

49

Le Mans

58

52

110

Lille

9

26

35

Limoges

54

54

Lyon

50

9

59

Marseille

48

172

220

Metz

6

80

86

Montpellier

2

1

3

Nancy

21

9

30

Nîmes

1

51

52

Nouméa

28

28

Orléans

24

34

58

Papeete

1

1

Paris

11

8

19

Pau

34

34

Poitiers

2

22

24

Reims

4

5

9

Rennes

4

67

71

Saint Denis

1

1

Strasbourg

51

51

Tribunal aux armées de Paris

30

102

132

Toulouse

19

13

32

Versailles

9

3

12

Total

680

827

1 507

Source : Ministère de la défense

Votre rapporteur pour avis estime dès lors qu'une piste de réflexion intéressante pourrait consister à renforcer la spécialisation par le regroupement des juridictions de droit commun spécialisées en matière militaire au sein de quelques pôles « Affaires militaires ».

Ces pôles, dont le nombre serait plus réduit qu'aujourd'hui, de l'ordre de deux ou trois, auraient à connaître des infractions militaires et des crimes et des délits commis par les militaires dans l'exercice du service, soit en fonction d'un critère géographique (par exemple, Paris, Marseille, Brest et éventuellement Metz), soit d'autres critères (les affaires maritimes et concernant la Légion étrangère étant traitées par exemple à Marseille, les autres à Paris). Le pôle du Tribunal de Grande instance de Paris aurait également compétence pour connaître les infractions de toute nature commises par les militaires hors du territoire national.

Le regroupement au sein de pôles spécialisés pose néanmoins la question de la proximité avec le justiciable militaire.

Le regroupement au sein de deux ou trois pôles spécialisés aurait pour effet de contraindre les militaires devant être jugés à effectuer de longs déplacements, parfois de plusieurs centaines de kilomètres.

Cet éloignement du justiciable (qu'il soit auteur ou victime) poserait des difficultés en matière de contacts avec le conseil du militaire, qui s'il est proche de la juridiction sera éloigné de son client et inversement.

Cette situation, qui n'est pas sans rappeler celle de l'époque des tribunaux permanents des forces armées, pourrait avoir des conséquences non négligeables sur le fonctionnement de l'institution militaire, en raison de l'indisponibilité d'au moins une journée pour chaque acte que nécessitera le traitement judiciaire d'une affaire.

Ce système ne serait pas non plus sans conséquences sur le corps des greffiers militaires.

Tout en estimant qu'une telle réforme serait à ce stade prématurée, votre rapporteur pour avis considère qu' une réflexion pourrait utilement s'ouvrir sur ce point.

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