II. LE RISQUE D'UNE ATTEINTE AUX DROITS DU PARLEMENT

Si des doutes peuvent subsister sur la portée du monopole s'agissant de la réduction des déficits publics, il est en revanche difficilement contestable que ses répercussions sur le rôle du Parlement sont importantes.

La balance entre ses effets bénéfiques supposés et ses conséquences négatives avérées a conduit logiquement votre commission pour avis à s'interroger sur son opportunité.

A. DES EFFETS SUR LES POUVOIRS DU PARLEMENT

A travers la réduction du champ de l'initiative et l'accroissement du rôle des lois de finances, le monopole remet en cause une partie des acquis de la réforme constitutionnelle de 2008. Le Sénat est, à cet égard, davantage concerné que l'Assemblée nationale, puisque celle-ci dispose d'un traitement privilégié dans le cadre des lois financières.

1. La place du Sénat dans l'équilibre institutionnel

Le monopole entraîne l'obligation pour le Gouvernement de faire figurer les volets financiers de ses réformes dans des PLF ou des PLFSS. Ceci conduit à une priorité de l'Assemblée nationale sur le volet financier de toutes les réformes.

La nécessité devant laquelle serait placée le Gouvernement d'accompagner ses grandes réformes de projets de loi de finances aggraverait cette situation puisqu'elle conduirait, par cohérence, à un dépôt devant l'Assemblée nationale de toutes ces réformes.

En outre, comme le démontre excellemment le rapport de la commission des lois du Sénat 18 ( * ) , le monopole pose un problème particulier s'agissant des collectivités territoriales.

D'une part, si l'on considérait que seule une loi de finances pouvait fixer les ressources compensant les charges résultant d'un transfert de compétences de l'État aux collectivités territoriales, comment le Conseil constitutionnel, saisi de la loi transférant les compétences, pourrait-il apprécier le respect de l'exigence de compensation fixé par l'article 72-2 de la Constitution ?

D'autre part, dans ce cas, les deux textes ne pourraient cheminer parallèlement puisque le Sénat serait saisi du texte relatif aux compétences tandis que le projet de loi de finances concernant les ressources serait déposé à l'Assemblée nationale.

En tout état de cause, une telle disposition serait de nature à remettre en cause la priorité d'examen du Sénat sur les textes ayant pour principal objet l'organisation des collectivités territoriales, ce que votre commission pour avis juge difficilement acceptable.

2. Une limitation de l'initiative parlementaire

A la lumière de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, l'impossibilité d'adopter des propositions de loi à caractère fiscal apparaît contradictoire avec l'article 39 de la Constitution qui prévoit que « l'initiative des lois appartient concurremment au Premier ministre et aux membres du Parlement ».

Le Conseil a en effet jugé, dans une décision de 1991, que « réserver aux seules lois de finances la création ou la modification d'une ressource fiscale en cours d'année limiterait, contrairement aux articles 39 et 40 de la Constitution, l'initiative des membres du Parlement en matière fiscale à un droit d'amendement, puisque les lois de finances ne peuvent être présentées que par le Gouvernement » 19 ( * ) .

Il convient de souligner que la proportion de propositions de loi adoptées par le Parlement qui comportent soit des dispositions de nature fiscale, soit un article de gage, est loin d'être négligeable. Ainsi, n'auraient pas pu être adoptées en l'état, en 2010, les textes suivants, issus de propositions de loi :

- la loi organique tendant à permettre à Saint-Barthélemy d'imposer les revenus de source locale des personnes établies depuis moins de cinq ans, présentée par M. Michel Magras ;

- la loi visant à créer une allocation journalière d'accompagnement d'une personne en fin de vie, présentée par MM. Jean Leonetti et plusieurs de ses collègues ;

- la loi relative au service civique, présentée par M. Yvon Collin et les membres du groupe du Rassemblement démocratique et social européen ;

- la loi pour le développement des sociétés publiques locales, présentée par M. Daniel Raoul ;

- la loi renforçant la protection des victimes et la prévention et la répression des violences faites aux femmes, présentée par Mme Danielle Bousquet.

La réforme constitutionnelle instituant une semaine d'initiative parlementaire n'étant en vigueur que depuis 2009, on peut penser que cette proportion serait appelée à augmenter, au fur et à mesure de l'appropriation de ce nouveau droit par le Parlement.

Enfin, l'instauration du monopole condamnerait sans doute la technique du « gage » utilisée par les parlementaires puisque celui-ci constitue lui-même une mesure fiscale. En conséquence, il ne serait plus possible d'adopter des amendements hors loi de finance ou des propositions de loi entraînant des baisses de recettes y compris non fiscales. Ainsi, la portée de l'article 40 serait encore plus lourde qu'aujourd'hui : les parlementaires ne pourraient plus déposer, hors loi de finances, aucun amendement ni aucune proposition de loi ayant une portée financière .


* 18 Rapport n° 568 (2010-2011) fait au nom de la commission des lois par M. Jean-Jacques Hyest, p. 64 à 67.

* 19 Décision n° 91-298 DC du 24 juillet 1991, Loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier.

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