III. EXAMEN DE L'ARTICLE

Article 8 (art. 230 H, 224 et 1647 du code général des impôts ; art. L. 6241-10, L. 6241-11, L. 6241-3, L. 6241-8 et L. 6241-9 du code du travail ; art. 34 de la loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005) - Instauration d'un « bonus-malus » sur la taxe d'apprentissage et création du compte d'affectation spéciale « Financement national du développement et de la modernisation de l'apprentissage »

Objet : Cet article propose de moduler le montant de la cotisation supplémentaire à l'apprentissage en fonction du nombre d'alternants employés par une entreprise et crée un compte d'affectation spéciale pour gérer les fonds destinés au développement et à la modernisation de l'apprentissage.

I - Les dispositions initiales du projet de loi

Cet article comprend deux mesures distinctes :

- la première, qui consiste en une modification technique, est la transformation du fonds national de développement et de modernisation de l'apprentissage (FNDMA) en un compte d'affectation spéciale ;

- la seconde, à visée incitatrice, renforce les obligations pesant sur les employeurs en matière d'embauche d'alternants en instaurant, sur la base de la contribution supplémentaire à l'apprentissage de l'article 230 H du code général des impôts, un système d'incitation fiscale (« bonus-malus ») récompensant les comportements vertueux et sanctionnant de manière proportionnelle les écarts au seuil minimal de salariés en alternance qui s'imposent à chaque entreprise.

1. La création d'un compte d'affectation spéciale

La création du compte d'affectation spéciale (CAS) « Financement national du développement et de la modernisation de l'apprentissage », prévue aux paragraphes I et II , constitue la traduction comptable de l'impulsion que le Gouvernement souhaite donner à l'apprentissage.

a) Le régime juridique des comptes d'affectation spéciale

Le CAS est le seul outil juridique permettant d'affecter budgétairement, de manière directe, des ressources à des dépenses auxquelles elles sont liées. Selon l'article 21 de la Lolf, « les comptes d'affectation spéciale retracent, dans les conditions prévues par une loi de finances, des opérations budgétaires financées au moyen de recettes particulières qui sont, par nature, en relation directe avec les dépenses concernées » . Conformément à son article 19, la création d'un CAS ne peut être autorisée qu'en loi de finances, ce qui explique son insertion dans le présent texte.

Autonomes au sein du budget de l'Etat, les CAS ne peuvent voir leurs ressources ponctionnées au profit du budget général, sauf dérogation expresse prévue par une loi de finances. Cet article sanctuarise donc les ressources jusqu'alors attribuées au fonds national de développement et de modernisation de l'apprentissage (FNDMA).

b) Le CAS « Financement national du développement et de la modernisation de l'apprentissage »

Tel qu'il est prévu dans le projet de loi de finances rectificative, le CAS reprend les missions du FNDMA et bénéficie des mêmes sources de financement. S'y ajoute la possibilité d'une nouvelle recette : celle provenant d'éventuels fonds de concours ( alinéa 6 ). Ce mécanisme préserve donc pour l'avenir les ressources destinées à atténuer les disparités régionales en matière d'apprentissage, à financer des actions nationales dans ce domaine et à tenir les engagements de l'Etat auprès des régions dans le cadre des Com.

Échappant aux contraintes de rigueur touchant les finances publiques, au respect de la norme de dépense et à la régulation budgétaire, le CAS devrait permettre une augmentation annuelle des moyens financiers consacrés à l'alternance, grâce à la réforme du barème de la CSA. Il s'agit de la traduction concrète de la conviction largement partagée que le développement de l'alternance reste inférieur en France à ses potentialités pour faciliter l'insertion professionnelle des jeunes et la sécurisation des parcours professionnels.

A son alinéa 11 , le projet de loi ajoute, au titre des dépenses du CAS, le versement aux entreprises assujetties à la contribution supplémentaire à l'apprentissage dont l'effectif comprend plus de 4 % d'alternants, bonus récompensant leur politique en la matière.

Enfin, le paragraphe II prévoit que le solde du FNDMA sera porté en recettes du CAS à la date de sa création et, en application de l'alinéa 2 du paragraphe II de l'article 21 de la Lolf, qu'un découvert de 320 millions d'euros lui sera autorisé durant les trois mois suivant sa création.

2. Une incitation fiscale pour favoriser l'alternance

Le paragraphe III contient la réforme de la CSA annoncée par le Président de la République. Initialement inscrite à l'article 6 de la proposition de loi précitée 10 ( * ) , cette mesure à l'incidence fiscale certaine trouve plus naturellement sa place dans une loi de finances, et ce d'autant plus qu'un projet de loi constitutionnelle proposant d'instaurer le monopole des lois de finances sur ces matières est actuellement en cours d'examen au Parlement.

a) Le dispositif proposé

La réforme de la CSA a un double objectif : augmenter le recrutement de salariés en alternance dans les entreprises ; rendre la sanction des entreprises ne respectant pas le quota imposé plus équitable grâce à la progressivité de la CSA en fonction de la proportion d'alternants atteinte.

Les modalités de mise en oeuvre de ce nouveau dispositif, et notamment le montant de la prime, ne sont pas définies par le présent projet de loi mais renvoyées à un décret.

Les entreprises seront désormais plus fortement incitées à recruter des salariés en alternance : le seuil d'alternants en dessous duquel une entreprise de plus de deux cent cinquante salariés sera tenue d'acquitter la CSA est porté de 3 % à 4 % des effectifs .

L'article instaure également un barème sur cette taxe , la modulant selon les efforts réalisés par chaque entreprise en faveur de l'apprentissage et de l'alternance :

- les entreprises aux performances les moins bonnes, comptant moins d'1 % d'alternants dans leur effectif, verront leur taux de CSA doublé, à 0,2 % de la masse salariale. Ce taux sera porté à 0,3 % pour les entreprises de plus de deux mille salariés dans cette situation ;

- le taux de 0,1 % est maintenu pour les entreprises employant entre 1 % et 3 % d'alternants ;

- celles se rapprochant le plus du seuil fixé par la loi, soit de 3 % à 4 % d'alternants dans leur effectif, bénéficieront d'une baisse du taux de la CSA, alors fixé à 0,05 % de la masse salariale.

Modifications apportées par la réforme de la CSA

Proportion d'alternants dans l'entreprise 1

CSA : régime actuel

CSA : réforme proposée

De 0 % à 1 %

0,1 % 2

0,2 %
0,3 % pour les entreprises de plus de deux mille salariés

De 1 % à 3 %

0,1 %

De 3 % à 4 %

-

0,05 %

Plus de 4 %

-

Versement d'un bonus

1 Part, dans l'effectif annuel moyen de l'entreprise, des salariés sous contrat de professionnalisation ou d'apprentissage et des jeunes accomplissant un volontariat international en entreprise ou bénéficiant d'une convention industrielle de formation par la recherche.

2 Assiette : masse salariale brute.

b) L'impact financier

Selon les évaluations fournies par le Gouvernement, la réforme du barème de la CSA et l'augmentation du quota d'apprentis devraient rapporter entre 5 et 10 millions d'euros supplémentaires par an à partir de 2012 ; 85 % des entreprises seraient alors assujetties à cette taxe contre 80 % aujourd'hui. Les recettes tirées de la CSA devraient, sous ce nouveau régime, être comprises entre 72 et 77 millions d'euros par an, sur lesquels 67 millions seraient consacrés aux Com, la différence étant destinée à financer le mécanisme de bonus annoncé par le Président de la République versé aux entreprises qui dépasseront le seuil de 4 % d'alternants dans leur effectif.

Il faut toutefois préciser que le Gouvernement reconnaît, dans l'étude d'impact annexée au présent projet de loi de finances rectificative, n'être pas en mesure de prévoir le niveau de recettes de la CSA réformée dans les années suivant sa mise en oeuvre. La réforme est applicable à la contribution due en 2012 au titre des rémunérations versées à compter du 1 er janvier 2011 (paragraphe VI) . Une fois la première année passée, son montant dépendra notamment de la proportion d'entreprises respectant le quota, de la répartition de celles assujetties entre les différentes tranches d'imposition ou du taux de recouvrement de la taxe. Le surplus de recettes attendu pour 2012 pourrait donc ne pas être pérenne, ce qui poserait nécessairement la question du financement du versement du bonus aux entreprises vertueuses. Il conviendrait alors de s'assurer que les fonds du CAS « Financement national du développement et de la modernisation de l'apprentissage », appelé à servir de support à ce dispositif mais destiné au financement des Com qui ont fait l'objet d'un engagement formel de l'Etat auprès des régions, ne seront pas utilisés pour pallier des recettes insuffisantes.

Enfin, le paragraphe IV prévoit diverses mesures de coordination afin d'adapter la législation actuelle à la création du CAS. Le paragraphe V , quant à lui, supprime l'obligation faite au Gouvernement, par l'article 34 de la loi de cohésion sociale de janvier 2005 précitée, de remettre annuellement au Parlement un rapport sur le suivi des Com apprentissage, l'évolution des fonds du FNDMA et le crédit d'impôt apprentissage prévu à l'article 244 quater G du code général des impôts. Il convient de souligner que le Gouvernement semble ne s'être jamais soumis à cet exercice qui aurait grandement amélioré l'information du Parlement sur l'efficacité de la politique gouvernementale en faveur de l'apprentissage et permis d'y apporter des corrections. Ce rapport devient toutefois sans objet avec l'instauration du CAS, pour lequel des documents budgétaires devront être produits lors de l'examen des projets de loi de finances initiale et de règlement.

II - Le texte adopté par l'Assemblée nationale

L'Assemblée nationale a adopté cet article en y apportant sept modifications rédactionnelles mineures.

III - La position de la commission

Votre commission est évidemment favorable aux dispositions de l'article 8. Celles-ci, bien que techniques, devraient permettre un meilleur pilotage du financement des actions nationales en faveur de l'alternance et un suivi de l'utilisation des fonds plus respectueux du principe d'efficacité auquel ceux-ci doivent être soumis. La réforme de la CSA et l'introduction du bonus-malus devraient conduire à une hausse du nombre d'employés en alternance, permettre l'augmentation des moyens destinés à l'apprentissage et récompenser les comportements volontaristes dans ce domaine. Cet article a surtout le mérite de relancer le débat sur le rôle de l'alternance dans l'accès des jeunes et des publics à la recherche d'un emploi au marché du travail et sur les moyens à lui accorder. Il annonce l'examen prochain, par le Sénat, de la proposition de loi pour le développement de l'alternance, la sécurisation des parcours professionnels et le partage de la valeur ajoutée.

Il convient tout d'abord de saluer la création du CAS « Financement national du développement et de la modernisation de l'apprentissage ». Il est vrai que les CAS constituent une entorse au principe budgétaire d'universalité énoncé à l'article 6 de la Lolf. Il est également vrai qu'il s'agit de la troisième création de CAS en six mois, après les comptes « Engagements en faveur de la forêt dans le cadre de la lutte contre le changement climatique » et « Services nationaux de transport conventionnés de voyageurs » par la loi de finances pour 2011, portant leur nombre total à neuf. Néanmoins, le cas précis du FNDMA correspond bien à celui de recettes qui sont, par nature, en relation directe avec les dépenses concernées. De plus, l'information du Parlement au sujet des dépenses et recettes du FNDMA se trouvera renforcée grâce à la publication, chaque année, d'un projet annuel de performance avant le vote de la loi de finances initiale et d'un rapport annuel de performance avant celui de la loi de règlement.

On peut toutefois regretter, comme l'a fait la commission des finances de l'Assemblée nationale 11 ( * ) , que cette budgétisation s'arrête « à mi-chemin » et qu'elle ne s'inscrive pas dans une réforme plus large de la manière dont les dépenses de l'Etat en faveur de l'apprentissage et de l'alternance sont comptabilisées et réparties au sein de son budget. Le programme 103 « Accompagnement des mutations économiques et développement de l'emploi », qui fait partie du périmètre de la mission « Travail et emploi », prend en charge des dépenses liées à ces formations pour un montant supérieur à 3,2 milliards d'euros en 2011, en particulier les nombreuses exonérations fiscales et sociales dont peuvent bénéficier les employeurs d'apprentis. Afin d'assurer une meilleure lisibilité de l'action publique et permettre une meilleure évaluation, par le Parlement, des résultats des efforts menés en faveur de l'alternance, la question du périmètre budgétaire mériterait d'être reposée lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2012.

En ce qui concerne la réforme de la CSA, votre commission est favorable au renforcement des obligations d'embauche d'alternants et elle soutient le nouveau mécanisme selon lequel les entreprises les plus éloignées du seuil de 4 % seront plus sanctionnées que celles qui s'en rapprocheront. L'étude d'impact précise néanmoins que peu d'entreprises comptent moins d'1 % d'alternants et que des taux de CSA de 0,2 % ou 0,3 % (entreprises de plus de deux mille salariés) devraient être rares. En ce qui concerne le bonus destiné aux entreprises vertueuses, ses contours sont flous et la définition en est laissée au pouvoir réglementaire. Cette mesure a une portée avant tout symbolique, avec un coût estimé faible (entre 5 et 10 millions d'euros). Selon le Gouvernement, environ huit mille contrats pourraient y être éligibles la première année, sur un stock actuel d'environ 420 000 contrats. Il faudrait toutefois s'assurer que son financement ne se fera pas au détriment de celui d'actions plus structurelles en faveur de l'apprentissage et faisant partie d'une stratégie réfléchie, comme les Com.

Ceci étant, les partenaires sociaux ont conclu, le 7 juin 2011, un accord national interprofessionnel (Ani) sur l'accès des jeunes aux formations en alternance et aux stages en entreprises 12 ( * ) . Signé par les organisations patronales (Medef, UPA, CGPME) et trois des cinq organisations représentatives des salariés (CFDT, CFE-CGC, CFTC), l'Ani demande au législateur d'apporter des modifications à la réforme de la CSA. Son article 1 er propose de fixer par accord de branche un objectif chiffré de progression annuelle des contrats en alternance dans les branches employant moins de 4 % de salariés en alternance. Les partenaires sociaux souhaitent que l'atteinte de cet objectif, obligatoirement supérieur ou égal à 10 % par rapport aux résultats de l'année précédente, puisse exonérer de CSA les entreprises qui en sont membres ; en cas de non-respect de cet objectif, la taxe s'appliquerait l'année suivante aux entreprises concernées.

Un tel mécanisme apparaît à votre commission comme un affaiblissement du dispositif initial, déjà adopté en première lecture par l'Assemblée nationale. En effet, il est susceptible d'encourager les comportements de « passager clandestin », les entreprises refusant de réaliser des embauches en alternance pouvant potentiellement s'abriter derrière les résultats de leur branche pour ne pas avoir à s'acquitter de la CSA. Celles employant moins de 1 % d'alternants pourraient mettre plus d'une décennie à atteindre le taux de 4 %. Sans, bien évidemment, remettre en cause la sincérité des partenaires sociaux lorsqu'ils expriment leur attachement au développement de l'alternance, seul un mécanisme alliant incitation et sanction financières, comme la CSA réformée, paraît à même de modifier les comportements individuels d'entrepreneurs récalcitrants ou, s'ils refusent d'avoir recours à l'alternance dans leur entreprise, de les contraindre à contribuer au développement de l'alternance à l'échelle nationale. Qui plus est, il est vraisemblable que cet accord conduise à une diminution des recettes tirées de la CSA. Il serait singulier, alors que l'alternance est devenue une priorité gouvernementale mais que la situation financière de l'Etat impose des contraintes budgétaires accrues, d'accepter la diminution d'une recette affectée directement à une politique publique à laquelle elle est, par nature, liée, et son remplacement par le produit d'autres impositions de toute nature. Ne peut-on craindre que cela compromette la capacité de l'Etat à tenir ses engagements envers les régions dans le cadre des Com ?

En revanche, l'Ani comporte de nombreuses autres mesures favorables à l'alternance et l'emploi des jeunes, notamment sur l'encadrement des stages en entreprise ou les modalités de conclusion de contrats en alternance. Celles-ci devraient faire l'objet d'une transcription législative au sein de la proposition de loi précitée et votre commission se prononcera sur leur bien-fondé lorsqu'elle examinera ce texte.

Sous le bénéfice de ces observations, la commission a donné un avis favorable à l'adoption de cet article sans modification.


* 10 Proposition de loi n° 3369 sur le développement de l'alternance, la sécurisation des parcours professionnels et le partage de la valeur ajoutée.

* 11 Rapport AN n° 3503 de Gilles Carrez, 1 er juin 2011.

* 12 A la suite de la mise en oeuvre du protocole de consultation des partenaires sociaux sur la proposition de loi n° 3369 précitée.

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