C. UN CLIMAT SOCIAL DIFFICILE QUI REFLÈTE UN MALAISE DANS LES INSTITUTIONS PATRIMONIALES

L'analyse du projet de loi de finances ne peut être complète sans une mise en perspective des politiques publiques culturelles. Une approche qualitative est nécessaire pour évaluer la pertinence de l'utilisation des crédits proposée à la représentation nationale. Le climat social constitue l'une des grilles de lecture dans la mesure où il peut refléter la cohérence d'un projet ou d'une politique.

Votre rapporteur souhaite exprimer son inquiétude relative au constat d'un climat social dégradé . Plusieurs mouvements de personnel concernent les institutions patrimoniales comme le musée d'Orsay, le CMN, ou les Archives nationales. Les causes de ces mouvements varient certes, mais leur concomitance amène à s'interroger sur la cohérence globale des projets de l'État.

Le cas du musée d'Orsay met en évidence les risques d'un « effet ciseau » préjudiciable aux moyens humains devant accompagner l'ouverture d'un espace de 2 000 m 2 de salles d'exposition supplémentaires dans un contexte de RGPP. En effet, la grève d'une semaine ayant récemment affecté cet établissement public à caractère administratif (qui regroupe le musée d'Orsay et celui de l'Orangerie) avait pour objet de protester contre la réduction des effectifs, soit environ une trentaine de postes toutes filières confondues. La revendication de 20 postes supplémentaires dans le domaine de l'accueil et de la surveillance a finalement abouti à un accord sur 13 postes comprenant notamment le recrutement de personnes compétentes pour l'accueil des personnes handicapées. Cet exemple de la dégradation du climat social est à mettre en perspective avec la philosophie de la RGPP qu'illustrent les indicateurs de performance présentés dans le projet annuel éponyme.

Ainsi l'indicateur 2.1 concerne l'accessibilité physique des collections au public : il contient un objectif de réduction du coût de la surveillance par m 2 des salles ouvertes. L'objectif prévisionnel de 2012 est de 280 euros au m2 et de 275 euros en 2013. Or parallèlement, l'État demande aux opérateurs culturels de développer leurs ressources propres, ce qui passe par une augmentation de la fréquentation. Multiplication des expositions notamment à caractère international, accroissement des espaces d'exposition, telles sont les dynamiques encouragées par l'État pour augmenter les ressources de billetterie. Dans le cas du musée d'Orsay et de l'Orangerie, le ministère de la culture a mis en avant le dynamisme de l'année 2011 qui a permis à la billetterie de représenter 46 % des recettes de fonctionnement contre 32 % pour la subvention de l'État. Cet encouragement à l'autofinancement est une contrepartie de la diminution de 5 % des subventions de fonctionnement ayant concerné d'autres établissements publics culturels en 2011 : musée du Louvre, CNAC- Pompidou, RMN, CMN, BNF. L'effet ciseau est donc évident et devient une règle de gestion des établissements publics culturels dont il faut rappeler les limites.

Il convient de s'interroger sur la « stratégie » culturelle de l'État : d'un côté, l'autonomie des établissements est prônée, et de l'autre, l'efficience attendue est critiquée. En effet, comme le rappelle un rapport 9 ( * ) de la Cour des comptes de mars 2011, la politique muséale de l'État a conféré aux principaux musées une autonomie de gestion et une autonomie culturelle. Pour autant, cette autonomie s'est traduite par un coût net et ne s'est pas accompagnée d'objectifs d'efficience. Aussi peut-on se demander quelles seraient les conséquences d'une plus grande autonomie avec le transfert envisagé des personnels aujourd'hui agents de l'État et rattachés aux établissements culturels. Dans un rapport 10 ( * ) de la mission d'évaluation de contrôle de l'Assemblée nationale relative au musée du Louvre et aux musées nationaux , Mme Anne Baldassari, directrice du musée Picasso, témoignait en faveur de tels transferts: « Nous nous voyons attribuer des personnels de la DMF [direction des musées de France] et de la RMN [Réunion de musées nationaux] qui ne nous reconnaissent pas comme étant au sens strict leur employeur et dont les carrières sont administrées parallèlement selon des appartenances et dans des hiérarchies parfois incompatibles les unes avec les autres. Le système de corps ou de filières souvent limité à des plans de carrière déjà obsolètes et formant parfois des « castes », est rarement ancré dans la culture professionnelle des sites de détachement ou d'affectation des agents. Pourtant c'est bien à partir de ceux-ci, précisément, qu'une mobilisation effective des énergies est possible - laquelle, d'ailleurs, conditionne aussi notre travail sur le plan international. ». Si le transfert de gestion des personnels pourrait permettre un pilotage plus efficace des ressources humaines comme le rappelait la présidente du CMN lors de son audition, elle aurait aussi pour effet de « bloquer » la mobilité des personnels pourtant concernés par les objectifs de réduction des effectifs. Cet écueil concernerait déjà, selon les informations transmises à votre rapporteur, certains agents de surveillance du Louvre, puisque cet établissement public a bénéficié d'une expérimentation du transfert de la gestion des personnels en vertu d'un accord signé le 27 novembre 2003. Votre rapporteur invite la commission de la culture à suivre avec une attention toute particulière cette question liée à l'autonomie des opérateurs culturels afin que la stratégie d'efficience n'accentue pas le malaise social constaté chez certains opérateurs . Elle est particulièrement importante alors que la Cour des comptes a rappelé que l'autonomie accordée aux établissements lors de la décennie passée n'avait pas été source d'efficience et avait au contraire amenuisé le rôle de pilotage du ministère de la culture. En effet, le rapport constate que « cette situation a débouché sur un mode de relations peu satisfaisant, régulé par les relations directes entre les équipes dirigeantes des musées et les autorités politiques, les premières ayant pris l'habitude de ne référer qu'aux secondes sans que les services du ministère de la culture parviennent à assurer, au quotidien, la mise en oeuvre des orientations de la politique nationale ».

Le cas du CMN met en lumière une autre problématique source de tensions sociales. Le comité d'hygiène et de sécurité du ministère de la culture (CHSM) a demandé une inspection des affaires culturelles relative à la souffrance au travail au sein du Centre des monuments nationaux. Ce rapport, rendu au ministre dont il est officiellement le destinataire, n'a pas été présenté aux membres du CHSM à l'origine de la démarche. Cette absence de communication a fait naître des tensions sociales fortes, entraînant une rupture du dialogue social préjudiciable pour l'ensemble du personnel contractuel qui pourrait ne plus pouvoir bénéficier d'une mesure de révision de leur grille au titre de l'année 2011. Ce malaise social dont la presse s'est fait l'écho est regrettable et votre rapporteur s'interroge sur la gestion de ce dossier et sur le manque de transparence relatif aux informations contenues dans le rapport de l'inspection générale des affaires culturelles.

Enfin, le malaise relatif au projet de Maison de l'Histoire de France met en évidence la gestion délicate d'un dossier controversé. En attendant une présentation définitive du projet scientifique, est annoncée la création, au début de l'année 2012, d'un établissement public et d'une confédération de neuf musées nationaux d'art et d'histoire importants, le tout pouvant être rattaché à un GIP (groupement d'intérêt public) : le musée national de Préhistoire des Eyzies-de-Tayac (Dordogne) ; le musée d'Archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye (Yvelines) ; le musée de Cluny-musée national du Moyen Âge (Paris) ; le musée national de la Renaissance à Écouen (Val-d'Oise) ; le musée national du Château de Pau (Pyrénées Atlantiques) ; le musée des Plans-reliefs à l'hôtel des Invalides (Paris) ; l'établissement public du Château de Fontainebleau (Seine-et-Marne) ; le musée national de Malmaison et Bois-Préau (Hauts-de-Seine) et ses annexes (musées de l'île d'Aix et maison Bonaparte d'Ajaccio) ; les musées et domaine nationaux de Compiègne (Oise) et le musée national de la coopération franco-américaine de Blérancourt (Aisne). Ce projet inquiète car il met en évidence un manque patent de concertation et de mise en perspective avec les projets portés depuis plusieurs années par les Archives nationales, qui devront partager avec la Maison de l'Histoire de France le quadrilatère Rohan-Soubise. Certains y voient un « démantèlement des services à compétence nationale » qui priverait le ministère du pilotage de ces musées.


* 9 Rapport public thématique, mars 2011 « Les musées nationaux après une décennie de transformations 2000-2010 ».

* 10 Rapport n° 1719 du 3 juin 2009.

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