D. LE PATRIMOINE MONDIAL : UN BUDGET QUI NE TIENT PAS COMPTE DES OBLIGATIONS DE L'ÉTAT

Votre rapporteur s'inquiète de l'absence d'identification d'un effort budgétaire de l'État en faveur du patrimoine mondial . En effet, la protection, la conservation et la valorisation des sites étant classés par l'UNESCO ne bénéficient d'aucun traitement budgétaire particulier, alors même que l'État est juridiquement responsable au titre de la convention concernant la protection du patrimoine mondial culturel et naturel, adoptée le 16 novembre 1972 . Elle est ratifiée par 187 États (dont la France le 27 juin 1975) qui se sont engagés à protéger leur patrimoine naturel et culturel.

En France, 37 sites sont inscrits au patrimoine mondial de l'Unesco, dont 34 sont des sites culturels.

BIENS FRANÇAIS INSCRITS SUR LA LISTE DU PATRIMOINE MONDIAL

Culturel

Abbatiale de Saint-Savin sur Gartempe

1983

Abbaye cistercienne de Fontenay

1981

Arles, monuments romains et romans

1981

Basilique et colline de Vézelay

1979

Beffrois de Belgique et de France

1999

Bordeaux, Port de la Lune

2007

Canal du Midi

1996

Cathédrale d'Amiens

1981

Cathédrale de Bourges

1992

Cathédrale de Chartres

1979

Cathédrale Notre-Dame, ancienne abbaye Saint-Rémi et palais de Tau, Reims

1991

Centre historique d'Avignon : Palais des papes, ensemble épiscopal et Pont d'Avignon

1995

Chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle en France

1998

Cité épiscopale d'Albi

2010

De la grande saline de Salins-les-Bains à la saline royale d'Arc-et-Senans, la production du sel ignigène

1982

Fortifications de Vauban

2008

Juridiction de Saint-Émilion

1999

Le Havre, la ville reconstruite par Auguste Perret

2005

Mont-Saint-Michel et sa baie

1979

Palais et parc de Fontainebleau

1981

Palais et parc de Versailles

1979

Paris, rives de la Seine

1991

Places Stanislas, de la Carrière et d'Alliance à Nancy

1983

Pont du Gard

1985

Provins, ville de foire médiévale

2001

Site historique de Lyon

1998

Sites préhistoriques et grottes ornées de la vallée de la Vézère

1979

Strasbourg - Grande île

1988

Théâtre antique et ses abords et « Arc de Triomphe » d'Orange

1981

Val de Loire entre Sully-sur-Loire et Chalonnes

2000

Ville fortifiée historique de Carcassonne

1997

Les Causses et les Cévennes

2011

Sites palafittiques préhistoriques autour des Alpes

2011

Naturel

Golfe de Porto : calanche de Piana, golfe de Girolata, réserve de Scandola

1983

Lagons de Nouvelle-Calédonie : diversité récifale et écosystèmes associés

2008

Pitons, cirques et remparts de l'île de la Réunion

2010

Mixte

Pyrénées - Mont Perdu

1997

L'appellation « patrimoine mondial » repose sur la notion de « valeur universelle exceptionnelle » (VUE) qui caractérise le bien ainsi classé. Chaque bien du patrimoine mondial est un bien commun à tous les peuples du monde indépendamment du pays où il est situé. Ainsi, chaque pays reconnaît qu'il incombe à la communauté internationale toute entière de participer à la protection du patrimoine culturel et naturel de « valeur universelle exceptionnelle". La VUE peut être très différente d'un bien à un autre. Il peut s'agir de la qualité architecturale d'un immeuble comme de la qualité paysagère d'un site étendu sur des centaines de kilomètres.

La convention concernant la protection du patrimoine mondial de 1972 est très claire : c'est l'État qui est responsable des biens classés ; il doit garantir leur protection .

ARTICLE 4 DE LA CONVENTION DU 16 NOVEMBRE 1972

Chacun des États parties à la présente Convention reconnaît que l'obligation d'assurer l'identification, la protection, la conservation, la mise en valeur et la transmission aux générations futures du patrimoine culturel et naturel visé aux articles 1 et 2 et situé sur son territoire, lui incombe en premier chef. Il s'efforce d'agir à cet effet tant par son propre effort au maximum de ses ressources disponibles que, le cas échéant, au moyen de l'assistance et de la coopération internationales dont il pourra bénéficier, notamment aux plans financier, artistique, scientifique et technique.

Depuis environ quatre ans, les ministères en charge du suivi de la convention de 1972 ont mis en place un dispositif devant répondre à cette exigence. Rappelons à ce titre que le comité national consultatif a entre autres pour missions :


• l'identification d'un suivi efficace. Cet objectif s'est traduit par la mise en place de relais des ministères sur l'ensemble du territoire. Tout d'abord une circulaire du ministre de la culture a été adressée aux préfets en 2007, demandant aux services de veiller à la conservation des biens et d'alerter les ministères en cas de projet d'aménagement susceptible de porter atteinte à leur VUE. Ensuite un courrier leur a été adressé la même année afin qu'ils désignent un référent patrimoine mondial dans chaque région ;


• les rencontres avec les homologues des autres pays d'Europe ;


• la coopération internationale grâce à laquelle la France fait bénéficier les autres États-parties de son expertise en matière de protection du patrimoine.

Mais ces mesures ne sont pas suffisantes pour que l'État joue pleinement son rôle de garant du patrimoine mondial sur son territoire. Comme l'avait noté notre collègue Ambroise Dupont dans son rapport pour avis budgétaire sur le projet de loi de finances pour 2011, si le code du patrimoine prévoit des systèmes de protection que l'on juge 11 ( * ) exemplaires à l'étranger, il ne comprend en revanche aucune référence à la notion de patrimoine mondial. C'est la raison pour laquelle votre commission a adopté, dès son examen en première lecture, un amendement à la proposition de loi précitée relative au patrimoine monumental de l'État en ce sens. L'article 1 er A, que le Sénat a adopté en deuxième lecture le 3 novembre dernier, inscrit en droit positif la notion de patrimoine mondial. Il vise non seulement à lui donner une valeur juridique en l'insérant dans le code du patrimoine, mais aussi à intégrer, dans l'urbanisme réglementaire, des obligations définies par le préfet de département dans le « porter à connaissance » .

Rappelons que l'article L. 121-2 du code de l'urbanisme dispose que « L'État veille au respect des principes définis à l'article L. 121-1 et à a la prise en compte des projets d'intérêt général ainsi que des opérations d'intérêt national. Le Préfet porte à connaissance des communes ou de leurs groupements compétents les informations nécessaires à l'exercice de leurs compétences en matière d'urbanisme ». Dispositif obligatoire relevant du rôle de l'État, le "porter à connaissance" (PAC) contient deux types d'informations :

- les informations légales et réglementaires (directives, lois, ordonnances, décrets, arrêtés, etc.) Il s'agit de documents ayant une portée juridique certaine : servitudes d'utilité publique, projets d'intérêt général (PIG), directives territoriales d'aménagement (DTA 12 ( * ) ), dispositions relatives aux zones de montagne et au littoral (application des lois montagne et littoral), opérations d'intérêt national, ou toute autre information d'ordre réglementaire ;

- les informations nécessaires aux collectivités :


• les études techniques dont dispose l'État relatives aux risques, à l'environnement, à l'inventaire du patrimoine culturel (article L121-2) ;


• les études et données utiles en matière d'habitat, de déplacements, de démographie, d'emploi et de gestion de l'eau, les diagnostics territoriaux, les études réalisées dans le cadre des DTA, etc. ;


• les informations relatives aux projets de l'État qui pourraient orienter les choix des collectivités, dont notamment celles relatives aux projets inscrits dans les schémas de services collectifs ou relevant de décisions du Comité interministériel à l'aménagement et au développement des territoires (CIADT).

Le Sénat espère ainsi qu'une adoption définitive de l'article 1 er A de la proposition de loi permettra une entrée en vigueur rapide de cette disposition essentielle pour le patrimoine mondial. Mais votre rapporteur souhaite dénoncer, à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2012, l'absence d'accompagnement financier des mesures de protection et de valorisation du patrimoine mondial. Pourtant, l'article 5 de la convention du 16 novembre 1972 indique clairement que l'État signataire doit prendre des mesures financières adéquates .

ARTICLE 5 DE LA CONVENTION DU 16 NOVEMBRE 1972

Afin d'assurer une protection et une conservation aussi efficaces et une mise en valeur aussi active que possible du patrimoine culturel et naturel situé sur leur territoire et dans les conditions appropriées à chaque pays, les États parties à la présente Convention s'efforceront dans la mesure du possible :

(a) d'adopter une politique générale visant à assigner une fonction au patrimoine culturel et naturel dans la vie collective, et à intégrer la protection de ce patrimoine dans les programmes de planification générale ;

(b) d'instituer sur leur territoire, dans la mesure ou ils n'existent pas, un ou plusieurs services de protection, de conservation et de mise en valeur du patrimoine culturel et naturel, dotés d'un personnel approprié, et disposant des moyens lui permettant d'accomplir les tâches qui lui incombent ;

(c) de développer les études et les recherches scientifiques et techniques et perfectionner les méthodes d'intervention qui permettent à un État de faire face aux dangers qui menacent son patrimoine culturel ou naturel ;

(d) de prendre les mesures juridiques, scientifiques, techniques, administratives et financières adéquates pour l'identification, la protection, la conservation, la mise en valeur et la réanimation de ce patrimoine ;

(e) de favoriser la création ou le développement de centres nationaux ou régionaux de formation dans le domaine de la protection, de la conservation et de la mise en valeur du patrimoine culturel et naturel et d'encourager la recherche scientifique dans ce domaine.

L'accompagnement financier est d'autant plus crucial que se dégage une nette tendance à l'inscription, au titre du patrimoine mondial, de biens particulièrement étendus ou en réseau.

On peut rappeler les exemples cités dans l'avis de votre commission n° 114 tome IV 13 ( * ) . Ainsi figurait l'oeuvre de Vauban, dont les fortifications ont été classées au patrimoine mondial en 2008. Elle comprend 12 groupes de bâtiments fortifiés et de constructions le long des frontières nord, est et ouest de la France. Quant aux chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle, classés en 2008 également, ils concernent les régions Aquitaine, Auvergne, Basse-Normandie, Bourgogne, Centre, Champagne-Ardenne, Ile-de-France, Languedoc-Roussillon, Limousin, Midi-Pyrénées, Picardie, Poitou-Charentes et Provence-Alpes-Côte d'Azur.

Le Val de Loire, inscrit sur la liste du patrimoine mondial en 2000, s'étend quant à lui sur 280 km de long et relève de deux régions et de 161 communes.

Plusieurs personnes auditionnées par votre rapporteur ont exprimé leur inquiétude relative à l'absence de budget dédié aux sites du patrimoine mondial. En outre, elles ont suggéré que les associations de défense du patrimoine soient consultées pour les mesures qui se rapportent aux sites concernés. Cela peut être en amont de la définition par le préfet de département des mesures s'imposant à l'urbanisme réglementaire, dans l'hypothèse d'adoption définitive de la proposition de loi précitée. La consultation peut également s'inscrire dans le cadre de l'élaboration des plans de gestion ou plans d'action mis en oeuvre en application de la charte d'engagement sur la gestion des biens inscrits sur la liste du patrimoine mondial, signée le 20 septembre 2010 par les deux ministères de la culture et de l'écologie et par l'Association des biens français du patrimoine mondial, à l'initiative de notre ancien collègue Yves Dauge.

* *

*

Compte tenu de l'ensemble de ces observations, votre rapporteur vous propose d'émettre un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Culture ».

ÉVOLUTION DES CRÉDITS DU PROGRAMME 224 « TRANSMISSION DES SAVOIRS ET DÉMOCRATISATION DE LA CULTURE»
(hors fonds de concours - en euros)

Numéro et intitulé de l'action

LFI 2011

PLF 2012

Variation par rapport à 2010
(en %)

AE

CP

AE

CP

AE

CP

01 - Soutien aux établissements d'enseignement supérieur et insertion professionnelle

247 356 522

224 872 029

208 452 371

226 518 621

- 15,7 %

+ 0,7 %

02 - Soutien à l'éducation artistique et culturelle

30 883 975

31 533 143

30 725 475

31 871 878

- 0,5 %

+ 1,1 %

03 - Soutien aux établissements d'enseignement spécialisé

29 458 000

29 458 000

29 228 000

29 228 000

- 0,8 %

- 0,8 %

04 - Actions en faveur de l'accès à la culture

54 819 553

54 609 553

44 030 395

43 820 395

- 19,7 %

- 19,8 %

06 - Action culturelle internationale

9 250 458

9 250 458

8 965 158

8 965 158

- 3,1 %

- 3,1%

07 - Fonctions de soutien au ministère

743 556 751

726 731 983

730 345 579

733 350 051

- 1,8 %

+ 0,9 %

Total Programme

1 115 325 259

1 076 455 166

1 051 746 978

1 073 754 103

- 5,7 %

- 0,3 %

Source : Projet annuel de performances annexé au projet de loi de finances pour 2012


* 11 D'après M.SOROSH-WALI, expert au Centre du patrimoine mondial de l'Unesco.

* 12 En application de la loi du 12 juillet 2010 dite « grenelle II », les DTA vont devenir des DTADD, directives territoriales d'aménagement et de développement durables.

* 13 Loi de finances pour 2011 - Écologie, développement et aménagement durables - M. Ambroise Dupont (2010-2011).

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page