3. La nécessité de légiférer pour rendre disponibles les oeuvres du XXe siècle

Cependant, les ressources des bibliothèques numériques étant limitées aux titres du domaine public (XV e -XIX e siècles), la production éditoriale du XX e siècle, toujours protégée par le droit d'auteur, reste difficilement accessible au public.

En effet, pour des raisons de faible rentabilité économique, une grande partie des titres publiés au XX e siècle n'a pas été rééditée. Les titres sont épuisés sous forme imprimée, indisponibles dans le commerce et ne sont plus accessibles que dans les bibliothèques. Dans ce contexte, la numérisation est le seul horizon envisageable pour faire renaître cet important corpus 2 ( * ) , mais elle n'est juridiquement pas possible, car la titularité des droits numériques est incertaine.

La raison en est que les éditeurs n'ont fait figurer des dispositions relatives à l'exploitation numérique dans les contrats qu'à partir de la fin du XX e siècle. Les droits numériques sur ces oeuvres relativement anciennes sont revendiqués tant par les auteurs que par les éditeurs. Une campagne systématique d'adaptation de centaines de milliers de contrats anciens à la réalité digitale constituerait, pour eux, un travail difficile, disproportionné et peu rationnel du point de vue économique. Hors quelques titres au potentiel commercial réel, les modèles d'affaires sous-jacents à la réexploitation numérique de ces oeuvres sont peu compatibles avec les coûts de transaction qu'entrainerait la mise à jour des contrats. Par conséquent, à l'heure actuelle, les éditeurs ne peuvent pas envisager d'exploitation numérique marchande dans un environnement juridique sécurisé.

Quant aux bibliothèques, elles ne sont pas davantage titulaires des droits numériques sur ces oeuvres indisponibles et, en l'état du droit, la reproduction numérique par les bibliothèques d'oeuvres protégées, sans qu'elles y soient autorisées, constitue une contrefaçon, quand bien même lesdites oeuvres ne seraient plus exploitées par les ayants droit.

La situation est incompréhensible pour le lecteur, puisqu'elle crée une discontinuité d'un siècle dans le corpus des livres disponibles au format numérique. C'est pourquoi elle a facilité les attaques contre le droit d'auteur, perçu comme une entrave au développement de la société de l'information.

Il importe donc de trouver des solutions juridiques et économiques innovantes au problème des oeuvres indisponibles, qui réconcilient les objectifs de la société de l'information et le droit d'auteur, et montrent que ce dernier est suffisamment flexible pour être adapté, sans pour autant que ses fondements ne soient remis en cause.

Cette question a fait l'objet d'un accord-cadre signé, le 1er février 2011, avec le Commissariat général aux investissements (CGI) et les représentants des pouvoirs publics, ceux des auteurs et ceux des éditeurs.

Les principes partagés par l'ensemble des parties sont les suivants :

- toute mesure législative nécessaire pour permettre la numérisation de ce corpus, cette mesure devrait rester strictement circonscrite à son objet, qui consiste à adapter les principes actuels du droit d'auteur à l'ère numérique ;

- l'exploitation des livres numérisés doit revenir prioritairement aux éditeurs et aux ayants droit, des tiers ne devant pouvoir y prétendre qu'à titre subsidiaire ;

- la gestion collective semble la voie la plus adaptée pour une nouvelle exploitation de ces livres.

Cette question semble faire l'objet d'un consensus entre auteurs et éditeurs : la question de la titularité des droits serait donc réglée par l'instauration d'une gestion collective des droits numériques sur les oeuvres indisponibles par une société de perception et de répartition des droits (SPRD).

Le code de la propriété littéraire et artistique devant être modifié à cette fin, votre rapporteur a déposé, le 21 octobre 2011, une proposition de loi « relative à l'exploitation numérique des livres indisponibles du XX e siècle ».

Cette dernière poursuit deux objectifs principaux :

- en premier lieu, il s'agit tout d'abord d'éviter le trou noir que représente le XX e siècle pour la diffusion numérique des livres français en permettant à des oeuvres devenues indisponibles, dont certaines très récentes, de trouver une nouvelle vie au bénéfice des lecteurs . Par là, la proposition vise à offrir les conditions du développement d'une offre légale abondante de livres numériques pour faire démarrer ce marché naissant ;

- en second lieu, la proposition vise à permettre aux auteurs et aux éditeurs de se réapproprier leurs droits, afin de les exploiter selon de nouveaux modèles pouvant trouver leur pertinence et leur équilibre.

Au moment où Google renonce, aux États-Unis, à son accord transactionnel (dit « Settlement ») qu'il espérait conclure avec les ayants droit du monde entier pour faire valider la copie, sans autorisation, des oeuvres protégées conservées par les bibliothèques, l'adoption et la mise en oeuvre de ce texte ferait de la France le premier pays au monde à disposer d'un mécanisme moderne et efficace pour régler la question des oeuvres indisponibles , qui constitue aujourd'hui un obstacle majeur à la numérisation de notre patrimoine éditorial. C'est pourquoi votre rapporteur forme le voeu d'une adoption rapide de cette proposition de loi par le Parlement.

Quand cette étape sera franchie, un projet de numérisation des livres concernés pourra être soumis au Commissariat général aux investissements. Le coût total de ce projet est estimé à 50 millions d'euros.


* 2 Environ 500 000 titres, soit un corpus comparable à celui des livres aujourd'hui disponibles aux catalogues des éditeurs.

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