B. LA COOPÉRATION INTERNATIONALE DE LA FRANCE EN MATIÈRE D'IMMIGRATION : DES OBJECTIFS AMBIGUS ET IMPARFAITEMENT ATTEINTS

La France développe depuis plusieurs années une politique d'aide bilatérale au développement comprenant une dimension de « prévention de l'émigration non souhaitée ». Selon le ministère de l'intérieur, cette politique, notamment dans sa dimension d'aide aux projets, « présente beaucoup d'avantages, (...) elle peut être ciblée géographiquement et sectoriellement, elle a une visibilité immédiate et concrète. Elle doit donc être privilégiée dans une perspective de prévention de l'émigration, et même dans la lutte continue contre les filières clandestines ». De même, selon le rapport Martinez, « la coopération bilatérale est un instrument de politique de développement dont il faut considérer qu'il sert non seulement les intérêts de la France mais aussi ceux de nos partenaires car les gouvernements peuvent s'en prévaloir pour valoriser leur action . ». S'agissant de l'Afrique francophone, les instruments de l'aide restent le plus souvent bilatéraux.

La création du ministère de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire, aujourd'hui supprimé, la France a notamment traduit la volonté du gouvernement de mettre en oeuvre une politique alliant le contrôle des migrations à l'aide au développement.

Le ministère dispose à cette fin du programme 301 « Développement solidaire et migrations », programme faisant partie de la Mission « Aide publique au développement ».

1. Bilan des « accords de gestion concertée des flux migratoires et de développement solidaire »

L'instrument privilégié et se voulant innovant de cette politique bilatérale est la conclusion d' « accords de gestion concertée des flux migratoires et de développement solidaire ». Ces accords reposent sur l'organisation de la migration légale, la lutte contre l'immigration illégale et prévention de la migration par le développement . Il s'agit en principe d'offrir au pays d'origine la possibilité de mieux assurer la circulation de ses ressortissants avec la France, de garantir à ces derniers l'accès au marché du travail français et, ce faisant, un débouché pour la main d'oeuvre du pays signataire, de donner aux autorités de ce dernier les moyens de lutter avec davantage d'efficacité contre l'immigration clandestine, d'offrir enfin à des populations résidant dans des zones pauvres et démunies caractérisées par un fort taux d'émigration les moyens d'assurer leur avenir sur place en y finançant des projets de co-développement et de développement solidaire.

Ces accords doivent également offrir à la France la possibilité de satisfaire les besoins de son propre marché du travail dans des secteurs ou des métiers connaissant des difficultés de recrutement , et de mieux assurer la coopération avec les autorités du pays d'origine pour la réadmission des ressortissants en situation irrégulière sur le territoire français et le démantèlement des filières criminelles de passeurs de clandestins.

Chaque accord est censé avoir un contenu adapté à la spécificité de la relation bilatérale et aux besoins et intérêts des deux pays signataires en fonction du profil migratoire du pays partenaire.

Les accords de gestion des flux concertés déjà signés au 30 juin 2011

- -le Sénégal, le 23 septembre 2006, complété par un avenant du 25 février 2008 ;

- le Gabon, le 5 juillet 2007 ;

- la République du Congo, le 25 octobre 2007 ;

- le Bénin, le 28 novembre 2007 ;

- la Tunisie, le 28 avril 2008 ;

- Maurice, le 23 septembre 2008 ;

- le Cap Vert, le 24 novembre 2008 ;

- le Burkina Faso, le 10 janvier 2009 ;

- le Cameroun, le 21 mai 2009 ;

- la Macédoine, le 1er décembre 2009 ;

- le Monténégro, le 1er décembre 2009 ;

- la Serbie, le 2 décembre 2009 ;

- le Liban, le 26 juin 2010.

S'y ajoutent un arrangement administratif avec le Brésil créant un mécanisme bilatéral de concertation sur les questions migratoires signé le 7 septembre 2009 lors de la visite du Président de la République dans ce pays.

Enfin, conformément à la stratégie définie en application de la lettre de mission du 31 mars 2009 adressée par le Président de la République, des accords de gestion concertée des flux migratoires simplifiés, centrés sur la migration circulaire des jeunes (jeunes professionnels et étudiants), ont également été signés avec des Etats des Balkans occidentaux pour aider à leur rapprochement avec l'Union européenne, puis avec le Liban en préfiguration de la mise en place de l'Office méditerranéen de la jeunesse (OMJ).

Ces accords interviennent sur trois volets de coopération bilatérale et comportent en tout ou en partie les dispositions suivantes, adaptées à la spécificité de la relation bilatérale :

1les accords encouragent la circulation des ressortissants des deux pays par la délivrance accrue de visas de court séjour à entrées multiples , appelés visas de circulation (les accords avec les Balkans exceptés) ;

2ils offrent la possibilité aux étudiants du pays partenaire de compléter leur formation par une première expérience professionnelle en France par la délivrance d'une autorisation provisoire de séjour (APS), sans opposition de la situation de l'emploi, selon des modalités plus favorables que par rapport au droit commun ;

3ils favorisent l'immigration professionnelle « circulaire ».

Les programmes d'immigration « circulaire »


• lancement d'un programme d'échange de jeunes professionnels âgés de 18 à 35 ans (40 ans pour le Bénin) désireux d'acquérir une expérience professionnelle dans l'autre pays pour une durée pouvant aller jusqu'à 18 mois (24 mois pour la Tunisie à condition d'un projet professionnel de retour élaboré avec le service tunisien de l'emploi, les trois pays des Balkans et le Liban), sans opposition de la situation de l'emploi, mais avec obligation de retour dans le pays d'origine et dans la limite d'un contingent annuel pour chaque pays (100 avec le Cap Vert, Congo, Sénégal, Liban, Monténégro, 200 avec le Bénin, Maurice, la Macédoine, 250 avec le Cameroun, 1 500 avec la Tunisie ou la Serbie) ; revitalisation d'accords de jeunes professionnels déjà conclus avec le Sénégal et la Tunisie ;


• délivrance facilitée de la carte « compétences et talents » d'une durée de validité de 3 ans renouvelable une fois (avec le Bénin, Cap Vert, Congo, Maurice, et la Tunisie), ou sans limitation (avec le Burkina Faso, Cameroun, Gabon), dans la limite d`un contingent annuel (de 100 pour le Cap Vert, 150 pour le Bénin, Burkina Faso, Congo et Maurice, 200 pour le Cameroun et 1 500 pour la Tunisie) ;


• accès au marché français du travail, sans opposition de la situation de l'emploi, sur la base de listes de métiers en tension permettant l'exercice, sur l'ensemble du territoire français mais dans la limite d'un contingent annuel, d'activités salariées dans des professions n'appartenant pas nécessairement aux 30 métiers déjà ouverts aux pays tiers par la législation nationale. Les listes sont de 104 métiers pour le Sénégal, 77 pour la Tunisie, 35 pour le Gabon, 41 pour le Congo, 42 pour le Bénin, 61 pour Maurice, 40 pour le Cap-Vert, 50 pour le Burkina Faso, 66 pour le Cameroun (ces chiffres incluant les métiers appartenant à la liste de base de 30 métiers ouverts de droit mais ne figurant pas forcément dans les listes annexées aux accords). Les contingents retenus sont de 1 000 pour le Sénégal, 3 500 pour la Tunisie et 500 pour Maurice, le Cap-Vert et le Burkina Faso.

2. Le développement solidaire financé sur le programme 301 «Développement solidaire et migrations»

Les neuf premiers accords comportent tous un volet co-développement impliquant un soutien aux projets portés par les migrants relevant des axes suivants : développement local des régions d'origine des migrants ; investissements productifs par les migrants ; mobilisation de la diaspora pour des missions d'aide ; initiatives de jeunes migrants ; pour la plupart, appui à la réinsertion des migrants, y compris d'étudiants porteurs d'un projet créateur d'emplois (accords avec le Sénégal, Maurice, le Cap-Vert, le Burkina Faso, le Cameroun).

Ils comportent également, pour certains d'entre eux, dans le cadre de l'élargissement prévu par le développement solidaire, un soutien à des projets sectoriels de nature à contribuer dans les pays partenaires à une meilleure maîtrise de l'émigration.


Les projets sectoriels dans les pays concernés par les accords bilatéraux


• l'accord avec le Bénin met l'accent sur la coopération dans le domaine de la santé ;


• l'accord avec la Tunisie prévoit de consacrer, sur la période 2008-2011, 30 M€ à des projets de formation professionnelle et 10 M€ à des actions favorisant la création de richesses dans les zones défavorisées ;


• l'accord de migration circulaire avec Maurice met également l'accent sur la formation professionnelle ;


• l'accord avec le Burkina Faso prévoit de consacrer 7 M€ à des projets dans les domaines de la santé, de la sécurité alimentaire, de l'eau et assainissement et de la formation professionnelle ;


• l'accord avec le Cameroun prévoit un financement de 12 M€ sur 5 ans pour des projets de formation professionnelle, de soutien aux activités productives, de santé et de développement durable, ainsi qu'un financement de près de 2 M€ sur 5 ans pour soutenir la réforme de l'état civil.

Les accords avec les trois pays des Balkans et le Liban proposent (pour les accords avec la Serbie et la Macédoine) l'octroi de bourses dites « de développement solidaire » pour promouvoir la formation supérieure en France d'étudiants de ces pays en sciences et technologie, et prévoient le financement d'une plate-forme d'accès à des offres d'emplois pour aider aux échanges de jeunes professionnels.

3. La lutte contre l'immigration illégale

La plupart des accords comportent un engagement mutuel de réadmission des nationaux en situation irrégulière sur le territoire du pays partenaire (Sénégal, Gabon, Congo, Tunisie, Bénin, Cap-Vert, Burkina, Cameroun) ainsi que, si possible , de réadmission des ressortissants de pays tiers ayant séjourné dans le pays partenaire lorsque celui-ci est un pays de transit (Gabon, Congo, Bénin, Cameroun). Les accords les plus récemment signés, qui portent engagement de réadmission, proposent le dispositif français d'aide au retour volontaire (Bénin, Sénégal, Tunisie, Cap-Vert, Burkina Faso, Cameroun).

Ils comportent également le développement d'une coopération policière et, le cas échéant, d'une coopération dans le domaine de l'état civil (notamment avec le Cameroun) visant à aider le pays partenaire à combattre la fraude documentaire , à renforcer la surveillance de ses frontières et à démanteler les filières d'immigration clandestine (Congo, Bénin, Sénégal, Tunisie, Cap-Vert, Burkina Faso avec lequel 770 000 € d'aide sont prévus pour cette action sur trois ans et Cameroun).

4. Conclusion : les ambiguïtés et les insuffisances de la politique de coopération

Votre rapporteure ne peut que constater que l'ensemble de cette politique bilatérale de gestion des flux concertés ne représente qu'un volume d'environ 30 millions d'euros, en stagnation entre 2011 et 2012, à comparer aux 90 millions consacrés à la lutte contre l'immigration irrégulière.

Le nombre de personnes concernées par cette politique reste faible. On peut également s'interroger sur les objectifs affichés par ces accords, qui sont notamment de développer des migrations de travail entre les pays concernés et la France, et l'objectif global de réduction de l'immigration légale, dont l'immigration de travail, annoncé par le ministre de l'Intérieur . Ainsi, la liste des métiers en tension pour lesquels le recours à la main d'oeuvre étrangère a été fortement réduite (cf. page 8), au motif qu'il est possible de trouver des ressortissants français pour occuper plusieurs métiers qui y figuraient, alors même que certains de ces métiers restent ouverts aux étrangers dans le cadre d'accords bilatéraux.

La notion même de « migrations circulaires », de plus en plus mise en exergue par les pouvoirs publics, et qui sous-tend bon nombre des accords de coopération, est-elle très ambiguë. S'il s'agit de faciliter la mobilité choisie de migrants très qualifiée, cela peut sembler une bonne chose. Toutefois, la « migration circulaire » peut aussi s'apparenter à ce qui existait avant l'autorisation du regroupement familial . Elle est alors synonyme de situation précaire et particulièrement inconfortable en période de crise. Pour ne prendre qu'un exemple, les femmes marocaines qui viennent pour la récolte des fraises en Espagne dans la province de Huelva, choisies parce qu'elles ont un enfant de moins de 13 ans au Maroc, ce qui permet de s'assurer de leur retour, vivent-elles dans la crainte de ne pas être embauchées l'année suivante, crainte qui s'est trouvée justifiée en 2010 du fait de la crise économique. En outre, ces migrantes sont logées mais leurs dépenses en nourriture et déplacement entament de manière très importante le salaire perçu. Enfin, elles sont souvent victimes de persécutions et de mauvais traitements en Espagne. En outre, il est loin d'être certain que de telles migrations sont plus bénéfiques au pays d'origine que les transferts d'argent que peuvent fournir des travailleurs installés en Europe .

En outre, la politique française en la matière s'inscrit dans une politique de l'Union européenne visant de plus en plus à « externaliser » le contrôle des migrants . Dans le cadre d'accords bilatéraux ou multilatéraux, les Etats européens ont ainsi incité les Etats du Maghreb et à présent ceux du Sahel à contrôler leurs frontières afin de limiter le plus possible les flux migratoires, alors même que les flux en direction de l'Europe sont très minoritaires au sein de l'ensemble des flux migratoires africains et sans forcément que cette politique corresponde aux intérêts véritable de ces pays.

Enfin, la solidarité affichée à l'égard des pays d'origine de l'immigration a trouvé ses limites lors des événements du « printemps arabe » (cf. ci-dessus).

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Sous le bénéfice de ces observations, la commission a donné un avis défavorable à l'adoption des crédits relatifs à l'immigration et à l'intégration de la mission « Immigration, asile et intégration » du projet de loi de finances pour 2012.

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