B. UN MANQUE D'ANTICIPATION ÉGALEMENT PRÉJUDICIABLE AU FONCTIONNEMENT DE L'INSTITUTION, POURTANT PRÉSENTÉE COMME ISSUE D'UNE FORTE VOLONTÉ POLITIQUE

Alors que le Gouvernement n'a eu de cesse de présenter la création du Défenseur des droits comme une étape essentielle vers la « démocratie irréprochable » que les Français attendent, l'absence d'anticipation de la mise en place effective de la nouvelle institution laisse votre rapporteur perplexe.

Déjà, dans son rapport budgétaire de l'an passé, votre commission des lois s'était étonnée que ni l'étude d'impact du projet de loi organique sur le Défenseur des droits ni les documents budgétaires du Gouvernement n'aient analysé les besoins financiers et les possibilités de localisation de cette nouvelle autorité. Là encore, pourtant, le délai écoulé entre la décision de création de cette autorité de rang constitutionnel et les décrets d'application permettaient largement d'envisager des solutions pratiques et concrètes.

En premier lieu, l'étude d'impact du projet de loi organique sur le Défenseur des droits s'était révélée particulièrement pauvre sur les aspects budgétaires et organisationnels : l'étude se bornait à indiquer, sans s'appuyer sur aucune donnée chiffrée ni aucune projection concrète , que la réunion des compétences de différentes AAI devait favoriser une « meilleure allocation des moyens ».

En second lieu, les documents budgétaires relatifs au projet de loi de finances pour 2011 étaient quasi-muets sur la mise en place attendue du Défenseur des droits : le projet annuel de performances pour 2011 appelait simplement à « conserver à l'esprit la création prochaine du Défenseur des droits » et les services du Premier ministre n'avaient pas été en mesure d'apporter des réponses précises au questionnaire budgétaire adressé par notre collègue M. Jean-Claude Peyronnet, alors rapporteur budgétaire du présent programme.

Votre commission considérait qu'il eût été opportun, voire naturel, que les services du Premier ministre engagent, dès le vote des textes au Sénat en première lecture, soit dès le mois de juin 2010 , une réflexion avec les AAI concernées pour préparer au mieux la transition - sur un plan humain et budgétaire - quitte à prévoir différents scénarii en fonction de la position des députés.

Or, non seulement aucune réunion de concertation n'est intervenue sous l'égide de Matignon, mais encore aucun mandat n'a été donné aux AAI concernées pour anticiper la mise en place de la nouvelle autorité alors qu'il aurait pu être utilement décidé de désigner une mission de préfiguration , chargée de conduire un travail exploratoire sur au moins deux points essentiels :

- d'une part, les perspectives réelles à court, moyen et long termes de mutualisation et de dépenses du Défenseur des droits en 2011, perspectives qui conditionnent le budget de ce dernier ;

- d'autre part, la question de la localisation du futur Défenseur des droits.

Votre rapporteur déplore que le message adressé l'an passé par votre commission au Gouvernement n'ait pas été entendu par ce dernier .

A lui seul, le défaut d'anticipation du Gouvernement fait clairement apparaître que la création du Défenseur des droits répondait davantage à un souci d'affichage politique qu'à une volonté de faire progresser notre démocratie.

1. La question essentielle de la localisation

Si elle peut paraître anodine, la question de localisation du Défenseur des droits est absolument essentielle dans l'optique de créer, au sein du personnel, une « culture commune » et un sentiment d'appartenance à une même institution . Cette question conditionne également le respect de l'objectif d' économies budgétaires , objectif poursuivi par le Gouvernement au travers du regroupement de quatre AAI.

C'est pourquoi, dans son rapport budgétaire de l'an passé, votre commission avait jugé indispensable d'installer le Défenseur des droits, dès sa création, sur un site unique .

Elle s'était étonnée que le Gouvernement se résigne à ce qu'une autorité constitutionnelle de défense des droits et libertés soit éclatée sur plusieurs sites, dans l'attente d'une localisation unique, avenue de Ségur à Paris, en 2015-2016.

Certes, votre commission avait relevé, l'an passé, que les perspectives de regroupement se heurtaient aux conditions juridiques des baux pris par les AAI auxquelles succède le Défenseur des droits. En effet, la HALDE (rue Saint-Georges, Paris 9) et le Médiateur de la République (rue Saint-Florentin, Paris 8) ont conclu des baux jusqu'en 2014, terme non résiliable.

Lors de son audition, le Défenseur des droits a indiqué à votre rapporteur que beaucoup de temps et d'énergie avaient été mobilisés pour étudier les solutions préconisées par France Domaine.

Deux options sont actuellement à l'étude :

- agrandir les locaux de l'ex-HALDE et de l'ex-Médiateur. Ce projet, qui permettrait de regrouper le personnel du Défenseur des droits sur deux sites, suppose, d'une part, de résilier les baux de la CNDS (Boulevard de la Tour Maubourg, Paris) et ceux du Défenseur des enfants (Boulevard Auguste Blanqui, Paris), d'autre part, de louer des surfaces supplémentaires au rez-de-chaussée des adresses de l'ex-HALDE et de l'ex-Médiateur, avec une fin de bail concordant avec la fin des baux des immeubles principaux (solution comprenant des négociations sur les montants des loyers, très élevés actuellement) ;

- louer de nouveaux locaux, rue de Richelieu, à Paris et résilier les baux de la CNDS et du Défenseur des enfants. Ce projet conduirait le Défenseur des droits à être présent sur trois sites .

Votre rapporteur salue les efforts du Défenseur des droits pour trouver une solution acceptable et opérationnelle afin de suppléer la défaillance du Gouvernement .

Il faut en effet rappeler avec force que l'Etat a juridiquement la possibilité de reloger certains services administratifs de l'Etat dans les locaux actuels de la HALDE et du Médiateur de la République, jusqu'en 2014, terme des baux des deux anciennes institutions.

Cette absence de volonté politique conduit à une situation préjudiciable au bon fonctionnement du Défenseur des droits ; en outre, elle rend difficile la réalisation d' économies budgétaires espérées et annoncées par le Gouvernement au travers de la réforme.

Votre rapporteur ne peut que condamner une telle situation et relève qu'elle se trouve en contradiction flagrante avec les objectifs qui ont présidé à la création du Défenseur des droits.

Lors de son audition, M. Serge Lasvignes, Secrétaire général du Gouvernement, a confirmé l'intention du Gouvernement d'installer à terme le Défenseur des droits dans un bâtiment situé avenue de Ségur à Paris. La livraison du bâtiment est attendue, a-t-il précisé, au second semestre 2015, avec une installation progressive des services début 2016.

M. Serge Lasvignes a également indiqué que l'efficacité d'une institution n'impliquait pas nécessairement un regroupement de l'ensemble de ses services sur un même site.

Votre rapporteur n'est guère convaincue par ces arguments.

En premier lieu, il est probable - sinon certain - que le calendrier espéré par le Gouvernement pour le projet « Ségur » ne sera pas tenu , eu égard aux retards quasi-systématiques que connaissent les opérations de rénovation de grande ampleur. En outre, la période d'austérité budgétaire que connaît la France générera inéluctablement des recherches d'économies qui allongeront les délais de réalisation des travaux.

En second lieu, il est étonnant de déclarer que l'efficacité du Défenseur des droits n'est en rien affectée par son éclatement géographique et, dans le même temps, de louer le mérite d'un vaste programme de regroupement avenue de Ségur, étant précisé que ce projet concerne tant le Défenseur des droits que les services du Premier ministre. Sauf exceptions, ces derniers ont en effet vocation à rejoindre le bâtiment Ségur alors même que ce sont des structures beaucoup plus hétérogènes que les différents services d'une même institution... Il n'y en effet pas grand-chose de commun entre, par exemple, la MIVILUDES, la MILDT, le SGG, le SIG 11 ( * ) ...

Enfin, votre rapporteur souligne que la période qui s'étale de la fin des baux de l'ex-Médiateur et de l'ex-Halde, c'est-à-dire en 2014, à l'installation prévisionnelle avenue de Ségur, en 2016-2017, va être particulièrement difficile à gérer pour le Défenseur des droits. En effet, ce dernier devra, en 2014, se rapprocher des propriétaires des locaux situés rue Saint-Florentin et rue Saint-Georges afin de renouveler les baux, par avenants, dans l'attente du déménagement de l'institution avenue de Ségur. Or, l'impossibilité où il sera d'envisager toute solution de déménagement provisoire et de fixer une date certaine de déménagement le mettra en position de faiblesse dans les négociations avec les bailleurs : votre rapporteur ne peut donc que redouter des augmentations conséquentes des loyers - déjà exorbitants - pendant cette période transitoire qui pourrait durer plusieurs années compte tenu des retards - très probables, on l'a dit - du « projet Ségur ».

Sur cette question, la réponse apportée par le SGG n'est guère satisfaisante : « La période entre la fin des baux (2014) et l'installation sur le site de Ségur (2016) pourra être gérée par le Défenseur des droits en relation avec les services de l'Etat (France Domaine, DSAF) qui disposent non seulement des compétences pour les discussions avec les propriétaires, mais encore des moyens de comparaison des coûts de maintien sur les sites des rues Saint-Florentin et Saint-Georges avec ceux des autres solutions envisageables (déménagement, travaux d'adaptation des locaux, autres loyers). »

Pour l'ensemble de ces raisons, votre rapporteur pense qu'il serait plus cohérent - et plus conforme à l'objectif affiché de la réforme - d'installer très rapidement l'ensemble des services du Défenseur des droits sur un site unique . Même difficile à régler, ce point ne peut souffrir de délai.

En 1970, Henry Kissinger demandait « l'Europe, quel numéro de téléphone ? ». Quarante ans plus tard, on peut s'interroger, de la même façon : « le Défenseur des droits, quelle adresse ? »...


* 11 Ces instances relèvent toutes du programme « Coordination du travail gouvernemental » ; voir l'avis budgétaire de M. Alain Anziani dans le cadre du PLF 2012.

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