EXAMEN EN COMMISSION

Mardi 28 février 2012

M. Jean-Pierre Sueur , président . - Nous avons décidé de présenter un rapport pour avis sur le projet de loi relatif à la majoration des droits à construire, qui touche directement nos compétences.

M. René Vandierendonck , rapporteur pour avis . - Comme elle le fait pour tous les textes touchant au droit de l'urbanisme et renvoyés au fond à la commission de l'économie, notre commission s'est saisie pour avis du projet de loi relatif à la majoration des droits à construire, transmis au Sénat après son adoption en première lecture le 23 février par l'Assemblée nationale. Le gouvernement ayant décidé la procédure accélérée, nous devons examiner dans des délais réduits l'article unique et emblématique, qui traduit sur le plan législatif l'annonce faite le 2 février par le président de la République dans son discours de Longjumeau. Le chef de l'État souhaitant « faire sauter les verrous de la construction par le relèvement de 30 % de toutes les contraintes des plans d'urbanisme fixés par les collectivités locales pour trois ans et sur tout le territoire national », l'objectif affiché est de « libérer le potentiel de constructibilité des terrains et bâtiments existants pour favoriser l'offre privée de logements ».

Le constat de pénurie de logements en France est amplement partagé, mais la réponse de circonstance apportée par le gouvernement n'est pas à la hauteur des enjeux. Pire, des auditions menées avec notre collègue M. Repentin, rapporteur pour la commission des affaires économiques, il ressort qu'aucun acteur de la construction ou de l'urbanisme ne considère ce dispositif comme efficace, adapté ou suffisant. Quant aux élus locaux, leurs associations n'ont même pas été consultées avant l'annonce du chef de l'État ! Les élus de terrain ne souhaitent pas la mise en oeuvre d'une réforme élaborée par le seul gouvernement. Tous soulignent l'improvisation de la mesure, l'absence de concertation et sa complète déconnexion par rapport aux réalités locales.

La principale mesure du texte consiste en une majoration de 30 % des droits à construire fixés par les plans locaux d'urbanisme (PLU), à savoir le gabarit, l'emprise au sol, la hauteur et le coefficient d'occupation des sols. Cette hausse généralisée prend deux voies : modifier l'article L. 123-1-11 du code de l'urbanisme, introduit par la loi de mobilisation pour le logement et de lutte contre l'exclusion du 25 mars 2009, pour porter la majoration maximale de 20 à 30 %, et introduire un nouvel article L. 123-1-11-1 majorant automatiquement de 30 % les droits à construire sur l'ensemble du territoire national pendant trois ans, sauf délibération contraire de l'autorité locale compétente.

Cette majoration ne s'appliquerait ni aux zones A, B et C couvertes par un plan d'exposition au bruit, ni aux secteurs sauvegardés ; elles ne pourraient contredire ni les servitudes d'utilité publique, ni les règles issues des lois littoral et montagne. Enfin, les deux majorations ne pourraient pas se cumuler entre elles, les majorations existantes et à venir restant en tout état de cause limitées à 50 %.

Pour respecter la Charte de l'environnement de 2004, notamment son article 7 qui exige la participation de la population aux décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement, le texte prévoit une consultation destinée à recueillir les observations de la population pendant un mois. Les députés ont tenté d'atténuer le coût de cette procédure pour les collectivités territoriales, en précisant que le public disposerait d'une simple « note d'information », non d'une étude d'impact. L'Assemblée nationale a en outre voté un amendement rédactionnel disposant que l'organe délibérant se prononcerait « à l'issue de la consultation » et non « au vu des résultats », rédaction pouvant suggérer que l'organe délibérant devrait se conformer à l'avis de la population.

Je ne partage pas l'enthousiasme du gouvernement sur l'utilité de cette mesure, bien que la situation du logement soit incontestablement préoccupante : la fondation Abbé Pierre estime à 3,6 millions de personnes le nombre de nos concitoyens mal-logés, soit 5 % de la population, et à 700 000 les personnes non logées. Pour satisfaire les besoins, il faudrait construire 400 000 à 500 000 logements par an pendant dix ans, notamment en Île-de-France.

Le projet repose sur des postulats erronés. Le premier est que l'offre privée de logements serait limitée par la contrainte réglementaire des PLU. Le gouvernement espère que la majoration des droits à construire libérera ce potentiel inexploité, ce qui relancera la construction sans dépense supplémentaire pour le budget de l'État. Aux objections sur l'incidence inflationniste pour le prix du foncier, qui se fait déjà sentir, le gouvernement répond que le coût accru des terrains sera absorbé par la hausse du nombre de logements, dont le prix de vente final ne serait donc pas augmenté. Ce raisonnement, ou plutôt cette présomption simple d'enchaînement vertueux, n'a aucun fondement car elle suppose qu'aucun intervenant ne conservera une part de la plus-value. Au contraire, plusieurs raisons incitent à la prudence. En effet, le foncier représente une part déterminante du prix de vente final, supérieur à 50 % en Île-de-France. En outre, quand les constructions sont denses, leur coût marginal augmente de manière exponentielle, notamment quand il s'agit d'ajouter un étage à un immeuble existant. Aussi les ménages n'ont-ils pas, le plus souvent, la capacité financière d'utiliser les nouveaux droits à construire. En réalité, la prétendue saturation de droits à construire ne se rencontre que très rarement, alors que le décalage entre les revenus et la flambée de l'immobilier est le lot commun des ménages.

Quelle sera donc l'utilité finale de cette mesure en dehors des cas marginaux comme la division de parcelles, la construction d'une pièce supplémentaire dans les maisons individuelles, ou la transformation de bureaux en habitations ? Rien qui puisse satisfaire les besoins croissants de logements à prix raisonnables.

Le second postulat qui rend ce dispositif largement inopérant tient à la recherche d'une solution unique pour l'ensemble du territoire national, imposée aux collectivités territoriales et à leurs groupements. Les PLU étant adoptés au terme d'une enquête publique et reflétant un équilibre politique local et une contextualisation urbaine, pourquoi la solution devrait-elle faire fi de la libre administration des collectivités territoriales ? Le caractère automatique et autoritaire du dispositif de la majoration des droits à construire motive ce projet : la majoration existe déjà à trois reprises dans le code de l'urbanisme, mais sous forme de dispositifs ciblés pour le logement social ou les bâtiments à haute performance énergétique, et à l'initiative des pouvoirs locaux, alors que le nouveau dispositif ne permet même pas de moduler le taux de la majoration. Pourquoi ne pas se contenter de l'alinéa premier, qui relève à 30 % la majoration introduite par la loi de mobilisation pour le logement ? L'introduction d'un dispositif parallèle et contraignant marque la défiance du gouvernement envers les élus locaux, puisqu'une commune voulant délibérer négativement devra consulter la population. Voilà une vision centralisatrice de la politique urbaine.

En outre, ce projet de loi contredit les objectifs affichés par le gouvernement. Il contrevient tout d'abord frontalement aux principes du Grenelle II, puisque l'article unique neutralise les dispositifs ciblés sur les logements sociaux et les équipements « verts ». La majoration inconditionnelle de 30 %, éventuellement cumulable, risque de pénaliser le logement social, puisqu'on pourra atteindre le plafond de 50 % sans avoir de logements sociaux.

Il contredit également les orientations du gouvernement en créant en matière d'urbanisme une intercommunalité à deux vitesses. On nous a expliqué, lorsque nous étions étudiants, que le sacro-saint principe de spécialité des établissements publics allait de pair avec l'exclusivité de la compétence déléguée. C'est une véritable novation juridique que la création d'une compétence partagée. Les communes pourront adopter une position contraire à celle de l'EPCI, pourtant seul titulaire de la compétence d'urbanisme. La Fédération nationale des SCoT a exprimé une grande émotion.

S'il faut incontestablement simplifier le droit de l'urbanisme, la note d'information constitue-t-elle vraiment une simplification ? Le statut juridique de ce document préparatoire est incertain. Elle n'évitera pas les recours contre les délibérations des communes et, quand il faudra satisfaire aux conditions de délai, elle provoquera des coûts, car il faudra faire appel à des bureaux d'étude.

Enfin, le projet de loi pèche par ses lacunes, puisqu'il n'aborde nullement les conséquences de son application pour les collectivités territoriales. Il reste muet, par exemple, sur l'intensification des infrastructures publiques, donc sur les surcoûts pour les équipements. Pourquoi les autorités locales devraient-elles les payer, alors que des propriétaires privés auront réalisé des plus-values ? De même, le dispositif n'envisage rien quant au droit de préemption urbain, alors que le coût de la maîtrise foncière publique sera augmenté, d'autant plus que la valeur vénale est calculée selon la méthode du compte à rebours, en anticipant une valeur spéculative issue de la modification du document d'urbanisme.

A de forts risques de contentieux entre voisins s'ajouteront les recours motivés par les notes d'information, dont l'insuffisance du contenu pourra provoquer l'annulation de toute la procédure. Le texte provoquera une instabilité juridique en contredisant des processus en cours de révision ou d'élaboration des PLU et des SCoT.

Pour toutes ces raisons, je vous propose de donner un avis défavorable à un projet qui constitue un véritable cheval de Troie contre la décentralisation de l'urbanisme.

M. Jean-Pierre Sueur , président . - Quelles que soient nos préférences politiques, nous sommes nombreux à avoir appris que ce projet de loi serait prochainement examiné sans y avoir été préparés.

Mme Virginie Klès . - Je partage l'avis de notre rapporteur. Un détail trivial : il n'y a pas de logements urbains sans stationnement, mais le texte n'en dit mot. Un professionnel de l'immobilier m'a dit que ce texte inutile et néfaste était typiquement l'idée venue le samedi matin en se rasant et reprise le dimanche sans que la nuit ait porté conseil...

M. Yves Détraigne . - En tant que maire d'une commune bourg-centre dans la première couronne d'une grande ville, je me retrouve complètement dans les propos du rapporteur.

M. Philippe Bas . - Le rapporteur ne m'a pas convaincu. Nous examinons en réalité une faculté d'accroître les droits à construire en zone urbaine. Ce n'est pas la première, il n'y a donc pas à avoir d'objection de principe.

Au départ, j'étais sensible à l'argument fondé sur le caractère excessif une disposition générale et unilatérale, mais la décision finale reste confiée aux conseils communautaires et aux conseils municipaux. Il n'y a pas d'obligation irrémédiable.

Ce texte est-il présenté comme une solution unique ? Non, puisque l'on construit actuellement plus de 100 000 logements sociaux par an, contre 43 000 avant 2002. Quant au prix des logements, dans une logique de marché, plus il y a de biens disponibles, moins la pression inflationniste est forte. Je ne suis pas convaincu que tous les indicateurs iront dans le mauvais sens. Sans être la panacée, le dispositif proposé offre une chance supplémentaire de construire davantage dans certaines zones.

M. Alain Richard . - Je suis frappé par le nombre de sujets renvoyés à une mesure postérieure. Le pouvoir négatif de restriction confié aux conseils municipaux consiste à décider que la majoration s'appliquera sur une partie du territoire : rien n'est réglé pour les autres règles fixées par la collectivité.

Les règles d'écart à la limite séparative entre logements individuels dans les quartiers pavillonnaires ne sont, par exemple, pas touchées par ce dispositif, ce qui est d'ailleurs logique, puisqu'elles ont un caractère civil. Lorsqu'une limite séparative est déjà saturée, la seule option pour agrandir le logement consiste à relever le niveau d'une maison individuelle, ce qui est difficile sauf dans les rares cas de combles encore aménageables.

Dans les structures collectives, l'assemblée générale des copropriétaires doit prendre une décision pour autoriser l'application d'une éventuelle majoration, sous réserve que la structure porteuse de l'immeuble l'autorise. Et je vous laisse imaginer les conditions divertissantes de vie faites aux habitants d'un immeuble que l'on rehausse !

En définitive, le texte s'appliquera principalement aux terrains nus, ceux dont nous manquons dans nos villes, et avec un effet certain de renchérissement. Or, le projet de loi ne comporte aucune disposition sur les prix des terrains, ni sur les plus-values. Il est muet quant à la charge d'équipement pesant sur la collectivité. Enfin, France Domaine anticipe de façon très prononcée le potentiel de construction, donc la préemption se fera au nouveau prix.

La note d'information sera un élément de la procédure préparatoire. Comme elle devra indiquer toutes les conséquences liées à l'augmentation des droits à construire, j'y vois un nid à contentieux.

La concertation avec les associations d'élus locaux aurait permis d'arriver à un tout autre résultat, mais pas pour la même échéance...

M. Jacques Mézard . - En majorité, nous ne voterons pas ce texte à usage médiatique caractérisé. Il arrive comme un cheveu sur la soupe dans des conditions qui ne trompent personne. Il faut certes conforter la densification urbaine et mieux utiliser l'espace, y compris, malgré les discours écologistes, dans les bourgs-centres en zone rurale, mais ce dispositif, bien cavalier envers les collectivités territoriales, aura des conséquences évidentes sur le prix de la ressource foncière, partant sur le coût final des logements dans les zones tendues. En définitive, ce texte peu prospectif est mal préparé. Il est inutile de créer une usine à gaz dans les circonstances actuelles ! Ce projet ne vient ni au bon moment, ni dans les bonnes conditions.

M. Michel Delebarre . - Écoutant M. Vandierendonck, dans un premier temps, je me suis surpris à visualiser certains quartiers de Roubaix tels ces grandes villes américaines où l'on avait vu surgir des immeubles de grande hauteur. On se rend vite compte que la proposition a toutes les allures d'une fausse bonne idée, facile à présenter mais aux inconvénients nombreux. C'est une usine à contentieux.

Il faut incontestablement compléter notre législation pour accroître le nombre de terrains à construire, ainsi que la contribution de l'État, mais cette idée-là ne va pas dans le bon sens : ses effets pervers nourriront la spéculation.

Outre que ce texte s'assied sur la décentralisation, même si la commune peut dire non, je ne comprends pas l'innovation constituée par la « note d'information ». Qui sera son auteur ? Sera-t-elle adoptée par le conseil municipal avant la consultation ? Le délai d'un mois pour celle-ci est extraordinairement court, les seules réactions recueillies seront donc celle de lobbies. On se prépare bien des difficultés, alors que la loi ne pourra en pratique jouer que pour les nouveaux programmes, puisque l'on ne peut guère augmenter de 30 % le nombre de logements d'un bâtiment déjà construit.

M. Jean-Jacques Hyest . - On s'attache dans certaines zones à ne pas miter le territoire (2 000 hectares par an !). C'est un enjeu du schéma territorial de l'Île-de-France.

M. Michel Delebarre . - En Île de France, sûrement !

M. Jean-Jacques Hyest . - Cette loi s'appliquera peut-être surtout à l'Île-de-France, où le schéma territorial a besoin de terrains nouveaux. Contrairement à ce que pense M. Richard, on peut augmenter la hauteur d'un bâtiment collectif : je l'ai fait dans un HLM, sans gêne particulière pour les habitants.

Pourquoi l'EPCI et la commune entreraient-ils en conflit ? La compétence « urbanisme » est exercée par l'une ou l'autre, elle n'est pas conjointe !

M. Jean-René Lecerf . - J'avais compris le contraire, j'aimerais que le rapporteur réponde sur ce point. Les EPCI sont de plus en plus politiquement situés, la constructibilité supplémentaire risque de s'imposer dans une commune qui ne le voudrait pas.

M. René Vandierendonck , rapporteur pour avis . - L'alinéa 11 de l'article unique dispose : « Les communes membres d'un établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d'urbanisme peuvent décider d'appliquer la majoration prévue au I du présent article sur leur territoire, nonobstant toute délibération contraire de l'établissement public, ou d'écarter cette application. »

M. Jean-Jacques Hyest . - En effet.

M. René Vandierendonck , rapporteur pour avis . - C'est un précédent dans le partage des compétences.

L'excellent rapporteur de l'Assemblée nationale a proposé de créer un document sui generis : la note d'information, dont M. Apparu a dit qu'elle ne ferait pas grief. On peut néanmoins exciper de l'illégalité de cet acte préparatoire dans le cadre d'un recours dirigé contre une délibération. Je présume que les services des communes ou des EPCI élaboreront ces notes, en s'inspirant d'une circulaire interprétative...

M. Alain Richard . - Il y aura un modèle national...

M. René Vandierendonck , rapporteur pour avis . - M. Bas, les trois majorations figurant dans le code de l'urbanisme relèvent toutes de l'appréciation des autorités locales ; elles ne sont pas limitées dans le temps et leur taux est modulable. Aucune de ces caractéristiques n'est reprise dans ce dispositif, très différent donc de ceux qui existent déjà.

M. Hyest, je suis aussi attaché que vous à la ville dense. Nous mettons en place une communauté urbaine associant 85 communes en aidant les maires à réaliser les études nécessitées par la traduction urbaine du projet approuvé par les électeurs, que nous contextualisons dans un cadre coproduit entre l'EPCI et la commune. Ici, le dispositif tombe d'en haut, avec des effets répulsifs. Surtout, il s'appliquera en l'absence de délibération. La commune peut s'opposer à l'application du dispositif, mais après consultation ; et le texte prévoit une application automatique, en cas de silence de l'autorité locale, dans le délai de neuf mois à compter de la promulgation de la loi.

M. Jean-Pierre Sueur , président. - Il est temps de voter sur l'avis négatif proposé par le rapporteur.

M. René Vandierendonck , rapporteur pour avis . - Ce texte hors normes doit être voté selon un calendrier tout aussi original : la commission mixte paritaire se réunira le 5 mars, en cas de succès le lendemain ses conclusions seront discutées à l'Assemblée nationale et au Sénat, sinon il y aura nouvelle lecture du texte devant chaque assemblée, les députés devant avoir le dernier mot le jour même.

M. René Garrec . - Belle journée !

M. Jean-Jacques Hyest . - Du temps réel !

La commission émet un avis défavorable à l'adoption du projet de loi.

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