B. DES DIFFICULTÉS DONT LES ORIGINES SONT DIVERSEMENT INTERPRÉTÉES

1. L'arrivée de Free Mobile, facteur explicatif de la « crise »...

Les opérateurs « historiques » du secteur mobile, mais également de nombreux commentateurs 15 ( * ) , ont vu dans l'arrivée d'un quatrième opérateur mobile la source des difficultés que traverse le secteur des communications électroniques aujourd'hui.

Ainsi, ses offres low cost ont eu un impact sur l'ensemble de la filière, obligeant les autres opérateurs à aligner leurs tarifs et diminuant d'autant le revenu par abonné. L'année prochaine devrait d'ailleurs voir ce mouvement s'amplifier, avec la sortie de nombreux clients mobiles de leur période d'engagement contractuelle, leur ouvrant la possibilité de changer d'opérateur sans frais.

Cette diminution des revenus affecte bien entendu les marges des opérateurs, ainsi, dans une mesure restant à définir précisément, que leur capacité à investir, et les oblige à réduire leurs coûts. Ceci expliquerait, selon les trois opérateurs historiques du mobile, la lenteur du déploiement du réseau fibre, mais aussi les annonces ou risques de suppressions d'emploi dans le secteur.

Plus globalement et de façon indirecte, l'ensemble de la filière se trouverait affecté négativement par ces évolutions. Les équipementiers sont ainsi soumis à une pression croissante les poussant à fermer certains de leurs sites et supprimer des emplois. Ceci est observable à la fois chez les groupes français (Alcatel-Lucent, Technicolor, Phone House ...), mais aussi chez des groupes étrangers employant du personnel français (Huawei, ZTE).

Les conditions d'entrée du nouvel opérateur sont par ailleurs critiquées. Selon le rapport précité de Mme Corinne Ehrel, « elles ont conduit à donner une importance excessive à l'intérêt du consommateur par rapport à l'emploi et l'investissement ». Aucune étude d'impact détaillée et aucun bilan n'ont été pour l'instant réalisés, ce à quoi devrait pourvoir sans doute l'observatoire des investissements annoncé par le Gouvernement.

Il est souligné par ailleurs que l'opérateur a bénéficié d'une licence cédée à un prix substantiellement inférieur à celui payé par les trois autres opérateurs, qui lui permettrait en quelque sorte de pratiquer un dumping sur le marché des communications mobiles. En outre, son taux de couverture effective est l'objet d'interrogations, certains lui reprochant de se « reposer » sur le réseau de France Telecom et donc de ne pas respecter ses engagements de couverture réelle, mais également de pas offrir une qualité de service comparable à cette des autres opérateurs.

2. ...ou révélateur de tendances de fond...

Mis directement en cause dans les difficultés que traverse la filière télécoms, Free Mobile fait valoir que son arrivée sur le marché de la téléphonie mobile n'a fait que mettre à jour ou accélérer des tendances structurelles déjà à l'oeuvre auparavant, révélant les faiblesses ou accélérant les projets des opérateurs en place.

L'annonce de plans de restructuration et de réduction d'emplois constituerait ainsi le prétexte, voire la justification a posteriori de décisions prises en amont. Free souligne ainsi que la décision de SFR de réduire ses coûts de structure en déménageant son siège à la Plaine St Denis daterait d'il y a plus de deux ans.

Toujours selon le nouvel entrant, les trois autres opérateurs ont pris l'habitude de verser des dividendes généreux à leurs actionnaires, ce qui viendrait obérer leurs capacités d'investissement, indépendamment de son existence. Le groupe Iliad-Free ne reverserait quant à lui qu'un très faible dividende (20 millions d'euros l'an passé), préférant optimiser ses capacités d'investissement.

Loin de contribuer à réduire les investissements, l'arrivée de Free Mobile serait, selon ce dernier, la raison principale conduisant les trois autres opérateurs mobiles à les accélérer, au contraire, en vue de proposer des offres différenciées.

Free fait par ailleurs valoir qu'il est l'opérateur français qui investit le plus au regard de sa taille, puisqu'environ 50 % de son chiffre d'affaires annuel est réinvesti. Son intérêt serait, de son aveu même, de déployer son propre réseau mobile le plus vite possible, pour diminuer les charges de location du réseau Orange en itinérance.

3. ... susceptible de provoquer à terme un double choc positif ?

Selon Iliad-Free, l'arrivée de sa filiale mobile sur un marché n'ayant que peu évolué ces dernières années entraînerait un double choc. A court terme, dans les deux ans à venir, un « choc de demande » par la libération de pouvoir d'achat supplémentaire pour les consommateurs. Et à plus long terme, un « choc d'offre d'au moins deux milliards d'euros profitant à toute l'économie française ».

L'étude sur l'impact macroéconomique de l'attribution de la quatrième licence mobile, menée par deux économistes renommés 16 ( * ) à la demande de l'opérateur Free lui-même, illustre cet optimisme par des projections très favorables. Un minimum de 16 000 emplois nouveaux, dans le scénario prudent d'une baisse de 10 % des prix des mobiles, est évoqué ; toutefois, 267 seulement travailleraient dans le secteur des télécoms. Ce chiffre irait jusqu'à 30 000 emplois nouveaux dans le cas d'un scénario très favorable où l'accroissement de concurrence permettrait aux entreprises d'améliorer leur productivité, et donc d'embaucher de nouveaux salariés.

Le groupe Iliad-Free, de son côté, avance le chiffre de 2 000 emplois directs nouveaux créés en l'espace de 18 mois, auxquels s'ajoutent les emplois indirects créés chez les sous-traitants, notamment liés au déploiement du nouveau réseau. Le rapport serait de l'ordre de deux emplois indirects pour un emploi direct, selon l'opérateur. Ces nouveaux emplois sont essentiellement créés sur le territoire national, avec par exemple deux nouveaux centres d'appels en région parisienne.

La démonstration des économistes s'appuie sur l'analyse des gains de pouvoir d'achat engendrés par la reconfiguration des grilles tarifaires. A la fin du premier semestre de cette année, la moitié des 3,6 millions de clients Free provenaient d'opérateurs concurrents ; ils ont obtenu en moyenne 16 euros de réduction de leur facture mensuelle, soit 345 millions d'euros d'économies chaque année. Par ailleurs, les 64 autres millions de clients mobiles ont bénéficié d'une réduction de leur facture mensuelle de 1,8 euro, du fait de l'alignement des offres à la baisse, soit une économie globale de 1,386 milliard d'euros. Au total, le marché ferait une économie de 1,731 milliard d'euros.

D'un point de vue encore plus global, Iliad-Free souligne que la diminution des prix qu'ont engendrée ses offres permet de consommer davantage de services et, plus globalement, de réinjecter de l'argent dans les circuits économiques. Elle serait donc favorable au marché du numérique et, au-delà, à l'ensemble de l'économie nationale.

Si cet « effet macro » existe bien, sa portée dépend toutefois de différents facteurs externes tels que la propension des consommateurs à épargner leur surplus d'économie, que l'on sait forte chez les Français, et plus encore en période de crise, mais également du type de produits sur lesquels l'acte de consommation se reporte, dont une partie importante provient d'en-dehors de l'Union européenne.


* 15 Voir par exemple le rapport pour avis sur les crédits consacrés aux communications électroniques dans la mission « Économie » du projet de loi de finances pour 2013 de Mme Corinne Ehrel, au nom de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, tome IX, n° 253.

* 16 MM. Augustin Landier, professeur à la Toulouse school of economics, et David Thesmar, professeur à HEC et membre du Conseil d'analyse économique.

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