B. UN IMPÉRATIF IMMÉDIAT : OUVRIR, À TITRE EXPÉRIMENTAL, DES SALLES DE CONSOMMATION À MOINDRE RISQUE

Il est dommageable de constater qu'en matière de réduction des risques liés à la toxicomanie, la création de salles de consommation à moindre risque soit la seule à faire l'objet d'une couverture médiatique de grande ampleur. Donnant lieu à l'expression de représentations fantasmées sur les usagers de drogues plus qu'à l'étude objective de leurs besoins et des conséquences, en matière de santé publique et de qualité de vie dans certains quartiers, du statu quo actuel, ce qui aurait dû être une décision de bon sens s'est transformé en polémique. Il est temps aujourd'hui de mener à bien ce projet.

Dénommés centres d'injection supervisés (CIS) par l'expertise collective de l'Inserm et définis comme « des structures où les usagers de drogues par injection peuvent venir s'injecter des drogues - qu'ils apportent - de façon plus sûre et plus hygiénique, sous la supervision de personnel qualifié » , de tels dispositifs ont déjà vu le jour à l'étranger : selon le rapport de la mission d'information Assemblée nationale-Sénat sur les toxicomanies, il y en avait en 2009 quarante-cinq dans trente villes aux Pays-Bas, vingt-cinq dans seize villes en Allemagne, douze dans huit villes en Suisse, six dans trois villes en Espagne, un au Luxembourg et un en Norvège, ainsi qu'en Australie et au Canada. Leur évaluation par l'Inserm conclut à leur efficacité en rapport avec les objectifs précis qui sont les leurs.

Ainsi, d'après les résultats de l'expertise collective, « les données disponibles indiquent que les CIS apportent des bénéfices aux usagers de drogues injectés : sécurité, injection dans des conditions hygiéniques, possibilité de recevoir conseils et instructions spécifiques, diminution des comportements à risque, accès à d'autres services, sans effets secondaires indésirables sur la consommation de drogues ou la disponibilité à entrer/rester en traitement. Les CIS bénéficient également à la communauté par la réduction de l'usage de drogues en public et des nuisances associées. Ils constituent un investissement potentiellement rentable » 12 ( * ) . Contrairement à ce qu'avancent parfois les détracteurs de ces lieux, ils ne conduisent ni à l'augmentation du nombre d'injecteurs, ni à celle de la fréquence d'injection.

Au vu de ces données, l'ouverture, à titre expérimental, de CIS en France constitue une réponse pragmatique à une question que les politiques de réduction des risques menées jusqu'à présent n'ont pas permis de régler. En plus d'offrir un cadre sanitaire indispensable pour des conduites à risques qui sont souvent le fait de personnes désocialisées, ces salles seraient aussi un lieu d'accueil et de dialogue, point d'entrée vers les traitements de substitution et le sevrage pour ceux qui le souhaiteraient. Un travail de concertation avec tous les acteurs et de prise en compte des craintes des riverains est bien entendu nécessaire mais il est dans l'intérêt de tous que des salles de consommation à moindre risque voient le jour à Paris et en province, où des collectivités de toutes sensibilités politiques soutiennent de tels projets.

Les associations d'aide aux toxicomanes, qui prennent en charge quotidiennement les usagers de drogue se trouvant dans les situations les plus critiques, sont les premières à demander que ce pas supplémentaire dans la réduction des risques soit franchi. Ainsi, à Paris, le bus méthadone, centre de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie (Csapa) mobile géré par l'association Gaïa, comptait dans sa file active en 2010 près de 800 personnes, pour un total d'environ 35 000 passages, et seulement 12 employés pour le faire fonctionner sept jours sur sept. Son centre d'accueil, d'accompagnement et de réduction des risques pour usagers de drogues (Caarud) mobile comptait quant à lui 2 380 personnes dans sa file active, avec un total de près de 13 000 passages et 87 000 seringues distribuées pour seulement quatre employés. Alors que les associations sont fragilisées par le manque de moyens et que leur personnel doit faire face de plus en plus souvent à des comportements à risque, il est temps que les pouvoirs publics prennent leurs responsabilités et agissent en permettant à ces acteurs d'adopter les mesures adéquates pour réduire encore davantage les risques liés à la consommation de drogue.

La ministre de la santé Marisol Touraine a confirmé à plusieurs reprises que l'expérimentation des salles de consommation à moindre risque, promesse de campagne du Président de la République, aurait lieu dès 2013. La Mildt est chargée d'en définir le cahier des charges. Votre rapporteure espère que celui-ci sera établi dans les plus brefs délais et correspondra aux travaux déjà réalisés par les associations. Tout en étant conscient que l'ouverture d'une seule salle à Paris ne sera pas la solution aux problèmes sanitaires et sociaux causés par la toxicomanie dans certains quartiers de la capitale, cette mesure doit avant tout constituer l'expérimentation d'un nouvel outil qui, si son évaluation le valide, a vocation à être dupliqué partout où les besoins le rendront nécessaire.


* 12 Réduction des risques infectieux chez les usagers de drogues ; expertise collective de l'Inserm, 2010, p. 223.

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