B. LE COMPORTEMENT DE LA FRANCE SUR LA SCÈNE INTERNATIONALE N'EST PAS VERTUEUX

La promotion du multilinguisme au sein des grandes entreprises ou des organisations internationales est encore largement perçue comme une dépense de fonctionnement , et non comme un investissement. Les entreprises individuelles y voient encore moins un facteur de développement à l'international dans le cadre d'une mondialisation dominée par un anglais d'une qualité du reste bien souvent médiocre. M. Jean-Loup Cuisiniez, expert de la Confédération française démocratique du travail (CFDT) dans la défense des droits linguistiques des salariés, a dénoncé auprès de votre rapporteur pour avis en particulier l'inertie, voire le non-respect des pouvoirs publics français dans la défense de la langue française et au sujet de laquelle l'actuel Gouvernement a pourtant réaffirmé que « le combat pour la langue française est un combat pour l'avenir » :

- dans une logique de sécurisation de la pratique de la langue anglaise par les employés des grandes entreprises, envisagée comme un moyen de modernisation de l'économie, le Parlement, à l'occasion de l'adoption de la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l'allégement des démarches administratives, a entériné le renoncement à l'exigence de traduction des documents de sécurité dans le domaine de l'aéronautique . Ce vote est allé à l'encontre des principes énoncés à l'article premier du Protocole de Londres et de l'avis de l'Assemblée parlementaire de la Francophonie, en contribuant à l'appauvrissement terminologique de la langue française et à la perte de sa fonctionnalité ;

- en janvier 2009, la France a renoncé au français comme langue de travail au sein de l'Agence internationale des énergies renouvelables (IRENA), et renforce, ce faisant, l'hégémonie linguistique de l'anglais. L'Organisation internationale de la Francophonie tente désormais de faire modifier le régime linguistique de l'institution vers le multilinguisme, comme le démontre son communiqué de presse en date du 15 avril 2011 ;

- en juin 2010, l'arrêté ministériel instituant l' anglais comme seule et unique langue obligatoire pour l'épreuve orale du concours d'entrée à l'École nationale de la magistrature a été confirmé par le Conseil d'État 3 ( * ) . La requête du Syndicat de la magistrature et de l'Union syndicale des quatorze magistrats pour le maintien du choix de plusieurs langues étrangères parmi une liste établie par le ministère a été rejetée ;

- en décembre 2011, le ministère de la culture a élaboré avec le ministère du travail un projet de plaquette intitulée « Votre droit au français dans le monde du travail ». La publication de cette plaquette est toujours en attente de l'aval du ministère du travail, suscitant une incompréhension face à cette réticence à communiquer sur le droit au français au moment où les organisations syndicales réclament des outils pédagogiques de sensibilisation ;

- en janvier 2012, l'Agence française de développement (AFD) a émis un appel à projets en vue de l'organisation d'une conférence le 14 juin à Paris. Elle exigeait de la part des soumissionnaires français des réponses exclusivement en anglais .

Il est intéressant de noter qu'en juillet 2012, le premier Forum mondial sur la langue française à Québec a été cofinancé par la compagnie aérienne Qatar Airways.

Pourtant, votre rapporteur pour avis estime que des progrès en faveur d'un renforcement de la place du français au sein des milieux économiques peuvent être réalisés au travers de deux créneaux d'intervention de l'action publique :

- l'accompagnement de la formation des employés (en particulier dans les secteurs exposés à l'internationalisation des échanges et de la coopération dans le domaine de la sécurité : miniers, électricité...) ;

- la possibilité pour la francophonie multilatérale de promouvoir au niveau international une modification des réglementations linguistiques susceptible d'avantager les entreprises francophones dans l'environnement international des affaires.

D'une façon générale, les organisations syndicales en France réclament l'exemplarité de l'action publique dans la défense du français, les droits à la traduction, à l'interprétation et au respect de la diversité linguistique devant constituer la pierre angulaire de la politique francophone de l'État. Dans ces conditions, M. Jean-Loup Cuisiniez enjoint aux institutions publiques de se conformer aux obligations imposées par la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française, plus connue sous le nom de « loi Toubon ». Il recommande, en particulier, la création au sein des entreprises de plus de 500 salariés d'un organe chargé de défendre les droits linguistiques des salariés . Il souligne, à cet égard, qu'une disposition contenue dans la proposition de loi visant à compléter la loi du 4 août 1994 précitée, portée par les sénateurs Jacques Legendre et Philippe Marini, restée en instance depuis plusieurs années à l'Assemblée nationale, correspond à un véritable besoin :

« Après l'article L. 432-3-2 du code du travail, il est inséré un article L. 432-3-3 ainsi rédigé :

« Art. L. 432-3-3. - Dans les entreprises dont l'effectif est supérieur à cinq cents salariés, le chef d'entreprise soumet pour avis au comité d'entreprise un rapport écrit sur l'utilisation de la langue française dans l'entreprise.

« Ce rapport trace le bilan de la façon dont l'entreprise s'acquitte des obligations formulées dans la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française.

« Dans les entreprises dont l'effectif est inférieur à cinq cents salariés, la présentation de ce rapport répond à une demande du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel. »

II. - L'article L. 439-2 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Les obligations définies à l'article L. 432-3-3 s'imposent au comité de groupe. »


* 3 Conseil d'État, 16 juin 2010, requête n° 325669.

Page mise à jour le

Partager cette page