II. UN SYSTÈME COOPÉRATIF DE DISTRIBUTION AUX ABOIS

A. LA RÉFORME DES MÉCANISMES DE RÉGULATION DOIT ÊTRE APPROFONDIE

Discutée pied à pied avec l'ensemble des acteurs du secteur de la distribution de la presse par votre rapporteur pour avis, et Jacques Legendre, auteur du texte, la loi n° 2011-852 du 20 juillet 2011 relative à la régulation du système de distribution de la presse a permis de mettre un terme à une situation de blocage permanent dans laquelle l'instance professionnelle de régulation, le Conseil supérieur des messageries de presse (CSMP) ne parvenait pas à faire évoluer les règles de la distribution de la presse en l'absence de compétence normative clairement affirmée dans la loi n° 47-585 du 2 avril 1947 relative au statut des entreprises de groupage et de distribution des journaux et publications périodiques, dite loi « Bichet ».

La loi a ainsi mis en place un système de régulation bicéphale , au sein duquel les professionnels du secteur de la distribution élaborent en concertation les normes régissant la distribution de la presse, leur caractère exécutoire reposant sur leur validation par l'Autorité de régulation de la distribution de la presse (ARDP). Ce fonctionnement dual a, pour l'heure, fait la preuve de son efficacité : les questions de fonds sont instruites dans des délais raisonnables par le CSMP qui démontre une très grande réactivité et les considérations juridiques et de respect des principes de solidarité coopérative sont prises en charge par l'ARDP. Le CSMP a salué ainsi les apports significatifs de l'ARDP au travail normatif, dans le cadre de relations de confiance et transparentes.

La loi du 20 juillet 2011 a constitué une étape importante dans la résolution des problèmes structurels du secteur de la distribution de la presse. Les éditeurs et le CSMP ont pleinement pris conscience de l'urgence des réformes qui s'imposaient. Depuis l'entrée en vigueur de la loi précitée, le CSMP a pris plusieurs décisions de portée générale, majeures pour l'avenir du secteur, qui ont été totalement ou partiellement rendues exécutoires par l'ARDP :

- décision n° 2011-01 relative à la fixation des conditions de rémunération des agents de la vente de presse, adoptée par l'assemblée du CSMP le 1er décembre 2011 (exécutoire) ;

- décision n° 2011-02 relative à l'assortiment des titres servis aux points de vente de presse, adoptée par l'assemblée du CSMP le 22 décembre 2011 (exécutoire) ;

- décision n° 2011-03 relative à la mise en place d'une péréquation inter-coopératives pour le financement de la distribution de la presse quotidienne d'information politique et générale, adoptée par l'assemblée du CSMP le 22 décembre 2011 (partiellement exécutoire) ;

- décision n° 2012-01 fixant la durée de préavis à respecter par les éditeurs qui retirent la distribution d'un titre de presse à une messagerie de presse ou qui se retirent d'une société coopérative de messageries de presse dont ils sont associés, adoptée par l'assemblée du CSMP le 21 février 2012 (exécutoire) ;

- décision n° 2012-02 relative à la fourniture par les sociétés coopératives de messageries de presse et les entreprises commerciales mentionnées à l'article 4 de la loi du 2 avril 1947 des documents et informations relatifs à leur situation économique et financière, adoptée par l'assemblée du CSMP le 28 juin 2012 (exécutoire) ;

- décision n° 2012-03 fixant la participation financière forfaitaire aux frais de dossier en matière de conciliation, les modalités de paiement de cette participation et le barème sur lequel est fondé le calcul des frais d'une procédure de conciliation, adoptée par l'assemblée du CSMP du 10 mai 2012 ;

- décision n° 2012-04 du 26 juillet 2012 fixant le schéma directeur des dépositaires centraux de presse pour la période 2012-2015 (décision en cours de transmission à l'ARDP en vue de devenir exécutoire).

Pour autant, votre rapporteur pour avis, qui militait dès l'été 2011 pour une réforme encore plus ambitieuse de la régulation du système de distribution de la presse, est conscient des limites de l'organisation bicéphale introduite par la loi du 20 juillet 2011. Les marges de manoeuvre de l'ARDP dans l'élaboration des normes de régulation demeurent extrêmement contraintes : dans une logique somme toute assez binaire, l'autorité ne peut que décider de valider ou de rejeter les projets de décision soumis par le CSMP, sans disposer d'une véritable capacité d'amendement qui serait pourtant la bienvenue compte tenu de son niveau d'expertise juridique et de son autorité morale. Les interventions de l'ARDP se réduisent encore à celles d'un juge administratif chargé de prévenir toute erreur manifeste d'appréciation du droit en vigueur .

Votre rapporteur pour avis constate, dans ces conditions, que l'idée selon laquelle l'intervention de l'ARDP dans la régulation du système de distribution devrait prendre de l'ampleur commence à faire son chemin au sein de la communauté des éditeurs. S'il est vrai que le CSMP assume les responsabilités qui lui sont confiées par la loi, le fait est que les décisions prises sont rapidement remises en cause dans le cadre du procès en légitimité plus général qui lui est traditionnellement adressé. L'ARDP, en raison de l'indépendance reconnue des magistrats qui la composent et de l'absence de conflits d'intérêts en son sein, a vocation à s'imposer comme la seule instance en mesure de faire prévaloir l'intérêt général du secteur sur les intérêts particuliers des parties en présence . Les menaces de recours systématique à la voie contentieuse formulées par certains acteurs du secteur (dont en particulier les Messageries lyonnaises de presse) contre des décisions pourtant incontournables (telles que la durée du préavis de départ en fonction de l'ancienneté de la relation commerciale entre les éditeurs et la coopérative de messageries ou les conditions de la péréquation inter-coopératives) plaident pour la constitution d'une autorité administrative indépendante de plein exercice, composée de magistrats, d'experts et de personnalités qualifiées issues du secteur et dont l'indépendance serait clairement établie, à laquelle serait attribué un véritable pouvoir normatif de régulation du système de distribution de la presse .

La préservation des équilibres coopératifs du système de distribution de la presse est aujourd'hui le principal défi pour l'avenir du secteur. Le réseau coopératif de distribution a été historiquement mis en place afin de garantir la diffusion sur l'ensemble du territoire de la presse quotidienne nationale. La presse magazine bénéficie, aujourd'hui, des mécanismes de solidarité coopérative qui articulent ce système. Il apparaît donc logique qu'elle en assume une partie des surcoûts. Les Messageries lyonnaises de presse (MLP) tirent profit, pour l'heure, de cette architecture sans pour autant participer dans des conditions d'équité à la soutenabilité financière de cette solidarité coopérative . En effet, l'ARDP a reconnu que la presse magazine, majoritaire au sein des MLP, bénéficie de la qualité d'un réseau de distribution mutualisé qui s'est développé, historiquement, pour permettre en tous lieux et dans des délais très contraints la distribution des quotidiens 14 ( * ) .

Or, les barèmes de la distribution ayant été revalorisés avant l'été 2012, les conditions semblent réunies pour que les MLP soient en mesure de participer, de façon effective, au financement de ces mécanismes de solidarité dans le cadre de la péréquation inter-coopérative.

La société coopérative Presstalis, pour sa part, entendait que les règles de la péréquation prennent en compte les surcoûts historiques de distribution qu'elle assume. Conformément aux recommandations de l'ARDP, il a été convenu que le nouveau système de péréquation s'appuiera sur une évaluation objective des surcoûts, en ne retenant que les surcoûts industriels. L'objectif de la péréquation inter-messageries consiste à faire supporter aux Messageries lyonnaises de presse une partie du coût de la distribution des quotidiens qui constitue la charge la plus lourde au sein des comptes de Presstalis. En effet, les éditeurs de la presse magazine représentés au sein du conseil d'administration de Presstalis sont de moins en moins disposés à participer au financement de la distribution des quotidiens, les éditeurs des quotidiens ne s'acquittant que de 60 % du coût de la distribution de leurs titres. Votre rapporteur pour avis rappelle que l'esprit de responsabilité doit conduire chacun des acteurs en présence à prendre conscience de la nécessité de coopérer afin de garantir la viabilité du système de distribution .

La décision n° 2012-05 du CSMP instituant un mécanisme de péréquation entre coopératives de messageries de presse s'appuie sur les conclusions du rapport établi par le cabinet Mazars qui a permis d' isoler les charges spécifiques résultant des contraintes structurelles de la distribution de la presse quotidienne (contraintes horaires, travail de nuit et du dimanche, schéma logistique particulier).

Semble progressivement s'imposer l'idée selon laquelle les deux principales sociétés de messageries de presse en présence sur le marché de la distribution doivent renforcer leur coopération, voire étudier les conditions d'un rapprochement. Face à l'opposition manifestée par les MLP contre une fusion à terme des deux messageries, certains préconisent la mise en place d'une société commune de moyens chargée de mutualiser les frais de transport . Quelle que soit la décision qui sera prise quant aux modalités de ce rapprochement de plus en plus incontournable, force est de constater que l'on s'achemine petit à petit vers un nouveau système monopolistique de distribution régulé . Dans ces conditions, le renforcement des prérogatives normatives de l'ARDP semble d'autant plus inéluctable , face aux limites de l'autorégulation par les éditeurs au sein du CSMP.

B. LE SAUVETAGE FINANCIER DE PRESSTALIS : UNE OPÉRATION DE TOUS LES DANGERS

L' accord tripartite conclu, le 5 octobre 2012, entre la direction de Presstalis, les éditeurs des coopératives qui lui sont associées et l'État permet de garantir la poursuite de l'exploitation de la messagerie, sous le contrôle du tribunal de commerce de Paris. Votre rapporteur pour avis salue les efforts significatifs consentis par l'État et les éditeurs au sauvetage financier de Presstalis :

- l'État abondera le plan de sauvetage de Presstalis en augmentant l'aide à la modernisation de la presse quotidienne nationale de 15 millions d'euros sur 2012-2013, à hauteur de 5 millions d'euros en 2012, puis 10 millions d'euros en 2013. Il prévoit également la mise en place d'un prêt au titre du fonds pour le développement économique et social de 20 millions d'euros en deux tranches de 10 millions d'euros en 2012 puis 2013 ;

- les éditeurs ont consenti à une augmentation de capital correspondant à 0,5 % du chiffre d'affaires de distribution de la presse de Presstalis (soit 7 millions d'euros), à une augmentation d'un point du barème (soit 15 millions d'euros), ainsi qu'à des délais de règlement des soldes et des règlements définitifs correspondant à une facilité de trésorerie de l'ordre de 10 millions d'euros. En outre, les éditeurs ont donné leur accord pour que Presstalis utilise la trésorerie issue des opérations de ventes de la presse, pour un montant maximum de l'ordre de 90 millions d'euros.

Néanmoins, votre rapporteur pour avis s'inquiète de la perspective de la mise en oeuvre par l'entreprise Presstalis d'un plan social à caractère conventionnel particulièrement lourd . Si certains avancent un chiffre de 1 250 salariés potentiellement concernés par ce plan, la direction de Presstalis indique que cet effectif pourrait être inférieur à l'échelle globale du plan de restructuration.

Dans ces conditions , votre rapporteur pour avis estime qu'il n'est pas possible de renvoyer les organisations syndicales représentatives dos au mur , en les réduisant à choisir entre un plan social conventionnel ou la mort de Presstalis. Une telle situation, potentiellement explosive, accélérerait la dégradation continue de la vente au numéro et l'éclatement anarchique du système de distribution, et serait fatale pour nombre de titres de presse .

Par conséquent, des solutions de reclassement ou d'accompagnement et de réinsertion devraient pouvoir être trouvées pour les salariés exposés au plan social.

Le système de distribution ne peut se permettre de repousser les réformes courageuses qu'appelle la relance de la vente au numéro, dans un marché bouleversé par l'essor de la consultation et de l'achat de la presse en ligne, notamment grâce aux tablettes digitales et le basculement accéléré d'un certain nombre de titres sur le « tout numérique » . Le secteur prévoit une diminution de la vente au numéro de 8 % en 2012. Cette baisse devrait atteindre - 25 % sur les quatre prochaines années .


* 14 Délibération ARDP n° 2012-07 relative à la décision n° 2012-05 du CSMP.

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