II. EXAMEN DU RAPPORT

Au cours de sa séance du mercredi 14 novembre 2012, la commission a examiné le rapport pour avis sur les crédits « transports aériens » de la mission « Écologie, développement et aménagement durables » du projet de loi de finances pour 2013.

M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur pour avis. - Il me revient de vous présenter les crédits du contrôle et de l'exploitation aériens, qui font l'objet d'un budget annexe bien connu, le BACEA. Je vous remercie, Monsieur le Président, de m'avoir donné cette occasion d'examiner un domaine qui m'intéresse au plus haut point, que j'ai d'abord connu comme maire d'une commune aéroportuaire et maintenant comme élu national.

La filière aéronautique est devenue notre premier exportateur national. Elle dégage un excédent de 18 milliards d'euros et recrute chaque année 11 000 salariés : nous sommes bien là au coeur d'un secteur clé de compétitivité nationale et nous avons tout intérêt à ce qu'il reste dynamique. Lors de son audition au Sénat la semaine dernière, Louis Gallois citait avec raison la filière aéronautique en exemple : c'est la principale filière d'excellence française sur le plan industriel. L'intégration de la recherche et de l'industrie y est exemplaire, à travers le Conseil pour la recherche aéronautique civile (CORAC), créé à l'issue du Grenelle de l'environnement pour coordonner toute la recherche dans le secteur. La filière est également exemplaire pour ses relations entre donneurs d'ordre et sous-traitants. Nous avons des atouts, nous sommes encore leader, nous coopérons de manière efficace avec nos partenaires européens, nous exportons et nous recrutons : voilà ce que disent les acteurs de l'aéronautique, en nous demandant de ne pas leur mettre du plomb dans l'aile...

Quel est le risque ? Le contexte très international du secteur aéronautique vient de changer en profondeur et brusquement : la crise économique mondiale a frappé durement le secteur aérien. Les conséquences sont très importantes pour les compagnies aériennes, elles peuvent le devenir pour les plateformes aéroportuaires, pour toute la filière aéronautique et les emplois indirects des transports aériens. La crise a redistribué des cartes maîtresses dans la compétition internationale : l'année 2013 est cruciale pour notre secteur aéronautique et c'est dans ce contexte très particulier que j'ai analysé ce budget annexe.

Les grandes tendances avec quelques chiffres, d'abord.

Les crédits de paiement du budget annexe progressent de 3,3 %, à 1,868 milliard d'euros et ses opérations en capital augmentent de 6,7 %, à 418,4 millions. Dans le même temps, et pour la troisième année consécutive, la DGAC diminuera ses effectifs de 116 emplois, soit 1 % du total.

Ce budget est donc en continuité des précédents : le Gouvernement cherche à contenir les dépenses de fonctionnement, en particulier l'évolution des emplois de la DGAC, pour mieux consacrer l'argent public aux investissements, car ce sont bien les investissements qui renforcent la compétitivité de notre territoire. En matière d'aérien, le moins qu'on puisse dire c'est qu'il n'y a pas beaucoup de « changement », même maintenant...

Un mot sur ces investissements , cependant.

La DGAC continue de préparer le ciel français aux standards européens en matière de contrôle du trafic aérien et de la navigation aérienne : ce sont, en particulier, les programmes du « ciel unique européen », les SESAR et autres FABEC. SESAR est un ensemble de règles et de techniques communes pour uniformiser la gestion du trafic aérien, programme lancé il y a bientôt dix ans et qui doit s'achever en 2015. Et le FABEC, c'est le bloc d'espace aérien fonctionnel d'Europe centrale dont nous faisons partie, pour gérer effectivement en commun le trafic aérien. Les techniques utilisées par les dizaines de milliers de contrôleurs aériens et de personnels navigants sont en jeu, l'affaire n'est pas mince et coûte évidemment cher. Cependant, ces investissements sont nécessaires pour « intégrer » le ciel unique et de ce point de vue, les transports aériens sont en avance sur le ferroviaire, par exemple...

Je note, parmi les investissements, la préparation effective du nouvel aéroport de Notre-Dame-Des-Landes : des crédits sont réservés pour les acquisitions foncières, d'autres pour la construction et l'équipement des infrastructures de navigation aérienne - le projet devient effectif et je me félicite, là encore, de cette continuité de l'action gouvernementale.

Du côté du fonctionnement, maintenant, où en est-on ?

Pour mémoire, l'emploi des quelque 11 000 postes de la DGAC, avec 1,149 milliard d'euros, représente les deux-tiers du budget annexe. L'enveloppe augmente légèrement, de 2,7 %, alors que le nombre d'emplois diminue de 116 équivalents temps plein. En matière de fonctionnement, la priorité reste donc à la maîtrise des dépenses : l'autorité de tutelle demande à la DGAC de rationaliser davantage son service, de mutualiser là où c'est possible, voire de supprimer les services inutiles. Cela dure depuis quelques années et il semble que nous soyons arrivés près de l'os : la DGAC ne va pas pouvoir continuer à supprimer 100 emplois par an sans devoir toucher à la qualité de service elle-même, ce que personne ne souhaite quand il s'agit de contrôle et de sécurité aériens. En tout cas, aller plus loin suppose des réorganisations fortes et une négociation souple, bien au-delà des seuls aspects budgétaires.

Deuxième point essentiel du fonctionnement, celui-ci très préoccupant : la part des charges financières dues à l'endettement, qui sont devenues très difficiles à supporter pour la DGAC.

La DGAC s'est endettée de 337 millions supplémentaires en quatre ans, c'est un bond de 40 % ! Il y a bien sûr l'effet de la crise, qui déséquilibre l'exploitation : la DGAC a perdu 16 millions l'an passé et l'administration prévoit 25 millions de déficit pour l'an prochain. Il y a aussi la « bonne dette », celle de l'investissement, qui est nécessaire même en période de crise.

Mais ce qui est plus difficile à comprendre, c'est de voir le budget général de l'État continuer à prélever une part de la taxe de l'aviation civile (TAC), alors qu'il faudrait laisser à la DGAC l'intégralité de cette ressource. La TAC est acquittée par les passagers et par le fret qui transitent par nos aéroports. Chaque année, plus de 100 millions d'euros de cette taxe abondent le budget général de l'État : dans ces conditions, elle couvre 85 % seulement du coût de l'exploitation et du contrôle aériens. Le budget annexe en est structurellement déséquilibré, la DGAC doit s'endetter pour financer son fonctionnement : elle va dépenser l'an prochain 38 millions d'euros en seules charges financières, alors que l'État prélève dans la taxe qui est censée payer le service rendu...

Cette situation devient difficilement tolérable en période de crise. La DGAC fait des efforts pour comprimer ses coûts, elle investit pour se moderniser, elle n'a plus grand chose à vendre de son patrimoine immobilier, - entre nous, les tours de contrôle se vendent mal... - mais l'État lui retire plus de 100 millions par an : ce n'est pas raisonnable. C'est pourquoi je suis favorable à l'affectation intégrale de la TAC au budget annexe de l'aviation civile.

Or, l'administration nous présente un plan de désendettement de la DGAC qui paraît optimiste sur la conjoncture des années à venir . Certes, le trafic a repris à l'échelle mondiale depuis 2011, pour les voyageurs bien plus que pour le fret. En France même, le nombre de voyageurs a progressé de 7 % l'an passé, c'est favorable, quoiqu'il faille pondérer ce bon résultat par l'effet de rattrapage sur l'année 2010, où le trafic avait été complètement interrompu suite à l'éruption du volcan islandais Eyjafjöll. La tendance est fragile, les opérateurs nous l'ont bien dit et il faut prendre en compte la structure même du trafic. Le nombre d'avions augmente moins vite que celui de voyageurs : on remplit mieux les avions, c'est une bonne chose pour l'environnement mais une mauvaise pour les taxes. Ensuite, le trafic progresse bien plus à l'international qu'à l'intérieur, un opérateur majeur nous a même confié ses plus vives inquiétudes sur le trafic domestique depuis septembre dernier. Le secteur aéronautique est très sensible à la conjoncture : il suffit d'une moindre croissance, pour un effet amplifié sur le trafic.

Dans ces conditions, l'année 2013 sera cruciale pour l'activité aéronautique : ou bien le trafic reprend, et la DGAC pourra se désendetter comme l'espère le Gouvernement, ou bien la reprise ne se confirme pas, et nous aurons toutes les chances de devoir redire la même chose l'an prochain, avec bien des dégâts entre temps. Je n'annonce pas un scénario noir, mais je m'inquiète d'un possible grippage de la croissance, qui aurait des conséquences directes et fortes sur le secteur aérien.

Air France KLM est en position difficile, avec un risque important dont la compagnie a pris toute la mesure.

La dégradation des comptes d'Air France s'est brusquement accélérée cette année : après avoir perdu 350 millions d'euros en 2011, alors que le résultat était encore positif en 2010, Air France a perdu 663 millions au cours du seul premier semestre 2012, malgré l'augmentation du trafic ! Il y a eu, certes, la hausse du carburant, qui a représenté une charge supplémentaire de 400 millions. Mais l'explication tient plus profondément au modèle économique de notre champion national. En fait, la crise a mis sur la sellette toutes les compagnies aériennes européennes, le mouvement est allé très vite. Les compagnies américaines ont continué à faire des bénéfices importants et plus encore les compagnies asiatiques et moyen-orientales : sur les 8 milliards de dollars de bénéfices à l'échelle mondiale, les compagnies asiatiques en ont capté 62 % et les compagnies américaines 16 %, tandis que les européennes devaient se contenter d'à peine 6 %, bien en dessous de leur part de marché. C'est que la marge nette des compagnies européenne est inférieure à 1 %, bien en deçà de celles de leurs concurrentes asiatiques comme américaines.

Air France, avec son nouveau président Alexandre de Juniac, a engagé un plan courageux pour revenir à l'équilibre en 2015, en ayant entre temps changé le modèle économique et industriel de l'entreprise. Comme les autres compagnies européennes, notre champion national subit de plein fouet une double concurrence : celle des compagnies low cost qui lui prennent des moyens courriers et de plus en plus de vols domestiques ; celle des compagnies asiatiques et du Golfe persique, qui ont le grand avantage de ne pas payer leur plateforme aéroportuaire et qui sont très agressives aussi bien sur les tarifs en classe économique, que sur la qualité de services en business et en première. Avec le plan « Transform 2015 », Air France KLM entend rester une compagnie globale attachée à son hub de Roissy, mais avec des coûts supportables. Il faut pour cela qu'elle gagne globalement 20 % de productivité, qu'elle investisse pour développer le service et qu'elle supprime des lignes et des activités déficitaires.

Je n'en dis pas davantage sur ce volet, la direction d'Air France KLM me paraît faire un excellent travail, la négociation a réussi avec les pilotes et avec les personnels au sol, elle est à continuer avec les navigants commerciaux : j'espère qu'ils trouveront d'ici ce printemps les voies d'accord pour que notre champion national atteigne ses objectifs. Les personnels sont très attachés à la compagnie et sont conscients des enjeux, je salue leur engagement et leur mobilisation pour son redressement.

De notre côté, il faut veiller à ne pas charger trop « la barque » d'Air France KLM et nous défaire de l'idée que les compagnies aériennes seraient florissantes. C'est vrai pour les taxes d'aéroport : Air France paie sa plateforme 30 % plus cher que KLM ne paie la sienne à Amsterdam. Il y a une raison à cela : ADP réalise des investissements colossaux, que la plateforme doit bien financer. Dès lors, on ne peut pas pénaliser ADP pour redresser Air France, d'autant que la compagnie n'est pas seule : tout changement tarifaire s'applique à toutes les compagnies.

Nous devons raisonner « global » en la matière : l'enjeu, c'est bien l'attractivité de notre territoire, en l'occurrence de nos plateformes aéroportuaires, et la possibilité pour des entreprises françaises de compter encore dans l'activité aéronautique. Le rapport Gallois nous incite à un tel raisonnement global. Les sujets sont éminemment liés, entre l'entreprise Air France, l'attractivité de la place de Paris, le soutien à la recherche dans l'aéronautique, la performance de la filière aéronautique, et finalement l'emploi dans ce domaine d'activité. Le moment budgétaire pousse bien sûr à retirer ici ou là des moyens pour les redistribuer à d'autres, c'est normal, mais nous devons dans ce domaine jouer collectif et ne pas opposer les opérateurs.

Aéroports de Paris a bien changé en quelques années, étant passé du statut d'EPIC à celui de société anonyme, puis cotée en bourse. La plateforme de Roissy et plus récemment d'Orly font de gros efforts de compétitivité, avec un programme d'investissement très conséquent. ADP a développé ses activités commerciales et immobilières, parvenant à trouver des revenus qui ne sont pas directement liés au trafic. ADP connaît une révolution tranquille, attendue, avec une très nette amélioration de son service au point que certains de ses aérogares sont en tête du classement mondial. Il faut bien sûr veiller à ce que les taxes appliquées aux compagnies et à Air France en particulier, ne les affaiblissent pas dans la conjoncture d'aujourd'hui : c'est l'objet du contrat de régulation, qui encadre les évolutions tarifaires.

Nous devons également améliorer la liaison de l'aéroport de Roissy avec la capitale : c'est le sujet du Charles-de-Gaulle Express. Ici, quoique je déborde de « mes » crédits, je veux dire que le dossier est mûr : le tracé, le type de service, le matériel, et jusqu'au tour de table financier. Une mission lancée par le ministre vient de s'achever, il faut trancher le débat, ce sera bénéfique à la plateforme aéroportuaire, donc à l'Ile de France et à notre pays tout entier. De mon côté, je crois qu'il faut réaliser le CDG Express par un service direct, tout en renforçant l'accessibilité des territoires qu'il traversera, en particulier celui du Bourget, premier aéroport d'affaires en France, qui accueille tous les ans le plus grand salon aéronautique du monde.

En conclusion, j'aborderai deux sujets essentiels pour l'avenir : la recherche dans l'aéronautique et l'affaire des ETS.

Dans l'aéronautique, nos crédits de recherche sont inférieurs à ceux de nos voisins allemands. Cependant, la filière aéronautique a bénéficié depuis 2010 du programme d'investissement d'avenir (PIA), abondé par les 35 milliards du grand emprunt. Le programme arrive à échéance l'an prochain, ce qui provoque de fortes inquiétudes dans ce secteur d'activité : quelle en sera la suite ?

Enfin, la question de l'environnement se pose évidemment. Les avions contribuent peu au réchauffement climatique : d'après le Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (GIEC), ils représentent environ 2 % des émissions de carbone. Mais leur part progresse chaque année, sans qu'une alternative aux carburants actuels paraisse accessible dans un délai proche. C'est un sujet de recherche sur lequel nous devons porter une attention particulière.

La Commission européenne vient tout juste d'annoncer le « gel » de la taxe carbone sur les compagnies aériennes, au moins jusqu'à la prochaine réunion de l'Organisation de l'aviation civile, dans un an. Comme vous le savez, les Américains, les Russes, les Indiens et les Chinois, parmi d'autres, refusent l'application des ETS à leurs vols. L'idée était d'appliquer cette taxe carbone aux vols intercontinentaux à destination ou au départ de l'UE pour lutter contre le réchauffement climatique. La taxe est en vigueur depuis cette année et le restera pour les vols intra-européens. Pour les vols intercontinentaux, l'Organisation de l'aviation civile est compétente et c'est de son côté qu'il faudra désormais se tourner, plutôt que d'essayer de forcer la main aux compagnies qui sont en même temps nos principaux clients...

Il y aurait encore bien des sujets à aborder, notamment la lutte contre les nuisances aéroportuaires, ou encore la situation des aéroports de province.

Mais nous aurons d'autres occasions l'an prochain et pour le moment, au vu des éléments que je viens de vous présenter, je vous propose un avis de sagesse sur ces crédits . Une sagesse bienveillante, mais très attentive à ce que l'action publique facilite plutôt qu'elle ne contraigne cet important secteur qu'est l'aéronautique.

M. Philippe Esnol . - Je partage votre inquiétude devant l'endettement de la DGAC, votre souhait que le CDG Express soit lancé et je me soucie particulièrement de voir diminuer les nuisances aéroportuaires, qui posent des problèmes de plus en plus aigus. Cependant, je crois que le ministre nous a apporté des réponses satisfaisantes et que nous avons de quoi être optimistes, y compris sur le désendettement de la DGAC. C'est pourquoi je voterai ces crédits.

Parmi les réformes à venir, il faudrait renforcer le rôle de l'Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires (ACNUSA) et mettre en oeuvre des procédures de descente continue, qui bien moins bruyantes que celles que nous utilisons actuellement : il en va du confort de millions de Franciliens !

M. Charles Revet. - Je félicite M. Campo-Canellas, nous le rejoignons pour déplorer certaines incertitudes dans ce budget : le groupe UMP votera contre.

M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur pour avis. - J'ai auditionné M. Victor Haïm, le nouveau président de l'ACNUSA. Il m'a fait part de ses idées, en particulier sur le régime des sanctions des compagnies aériennes en cas d'infraction de la réglementation relative au survol, ainsi qu'en matière d'urbanisme à proximité des plateformes aéroportuaires. Nous en reparlerons l'an prochain.

La descente en continu diminue effectivement le bruit des avions et il est vrai que les populations supportent de plus en plus difficilement les changements de trajectoires. La DGAC fait des efforts pour contenir les nuisances sonores, elle n'a pas toutes les cartes en main puisqu'elle doit compter avec Eurocontrol, l'organisation européenne pour la sécurité de la navigation aérienne. La réduction des nuisances passe également par la modernisation des flottes, c'est encourageant pour l'avenir.

A l'issue du débat, la commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits du budget annexe « Contrôle et exploitation aériens ».

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