INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Lors de chaque grande élection nationale ressurgit la question du financement de la vie politique. L'année 2012 ne fait pas exception à la règle : le financement des campagnes électorales en vue de l'élection présidentielle a, de nouveau, été au coeur de l'actualité.

La France a pourtant mis en place l'une des législations les plus strictes en la matière. Le Parlement a ainsi rigoureusement encadré le financement des partis politiques, en excluant toute contribution d'une personne morale au financement des partis politiques, en particulier des entreprises. Dans le même esprit, le législateur a également instauré, afin de garantir l'égalité entre les candidats, un financement public des partis politiques comme des campagnes, et plafonné les dépenses électorales. Ce dispositif visait, dès l'origine, à favoriser le pluralisme politique et la transparence financière, tout en mettant notre démocratie à l'abri de l'influence de l'argent.

Vingt-cinq ans après le vote de la première loi relative au financement de la vie politique, il est apparu utile de tirer un bilan qu'encourage par ailleurs l'attention portée par l'opinion publique à ces questions auxquelles la Commission sur la rénovation et la déontologie de la vie publique, présidée par M. Lionel Jospin 3 ( * ) , fait aussi une large place.

C'est l'état d'esprit avec lequel votre rapporteur a abordé l'examen des crédits du programme « vie politique, cultuelle et associative » de la mission « administration générale et territoriale de l'État » du projet de loi de finances pour 2013.

Ces crédits concourent principalement à la mise en oeuvre des lois de 1901 sur la liberté associative, de 1905 sur la séparation des églises et de l'État, et de 1988, 1990 et 1995 sur le financement de la vie politique. Ils incluent en outre le budget nécessaire à l'exercice, par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, de ses missions. Leur examen, qui sera détaillé dans la dernière partie de ce rapport, offre donc l'occasion, à la fois, de s'interroger sur les évolutions à apporter afin de mieux protéger notre démocratie des dérives encouragées par le coût élevé des campagnes électorales, de réfléchir aux enseignements à tirer des élections de 2012 sur la réglementation relative à des questions spécifiques telles que les sondages, l'heure de fermeture des bureaux de vote ou l'organisation du vote électronique pour nos compatriotes à l'étranger, et rappeler succinctement les enjeux des moyens alloués aux associations ou à la lutte contre les dérives sectaires .

I. ADAPTER LA LÉGISLATION EN MATIÈRE DE FINANCEMENT PUBLIC DE LA VIE POLITIQUE AUX NOUVEAUX ENJEUX

La première loi sur le financement de la vie politique, en 1988, fut adoptée pour mettre un terme à des dérives que l'opinion publique, qui avait jusqu'alors préféré les ignorer, ne voulaient plus tolérer. Aussi s'agissait-il d'abord de répondre à des objectifs de transparence que les lois ultérieures sont venues renforcer. Parallèlement, se sont greffées sur cette première législation des préoccupations nouvelles, cherchant à utiliser les mécanismes de dotation publique pour encourager un renouvellement des pratiques politiques et un approfondissement de notre démocratie notamment en matière de parité. Ce sont ces objectifs qu'il convient maintenant de conforter.

A. RENFORCER ENCORE LA TRANSPARENCE DE NOTRE VIE POLITIQUE

Jusqu'en 1988, le financement de notre vie politique ne faisait l'objet d'aucun encadrement. Celui-ci finit par s'imposer à la suite d'une série de révélations sur les pratiques observées au sein des principaux partis politiques, venant relayer les suspicions provoquées par la mise en place de la décentralisation.

Les progrès accomplis depuis lors ne peuvent masquer les difficultés qui subsistent et qui rendent aujourd'hui indispensables un ajustement et un renforcement de l'appareil législatif applicable au financement des partis comme des campagnes.

Des auditions et réflexions conduites par votre rapporteur, il ressort, en particulier, que si les pratiques dénoncées par le passé ont été contenues, sinon éradiquées, l'importance croissante prise dans notre vie politique par les campagnes présidentielles sont aujourd'hui, en raison des moyens qu'elles réclament et des stratégies que doivent déployer les candidats potentiels, à l'origine des principales dérives, ce qui appelle, au-delà de la consolidation du dispositif existant, des précautions supplémentaires.

1. Un encadrement tardif, plusieurs fois modifié, du financement des partis.

Jusqu'en 1988, partis et groupements politiques ne recevaient de l'État aucune aide directe et les dons privés n'étaient pas encadrés.

En revanche, il existait déjà un ensemble de modalités d'aide publique à la vie politique, notamment lors des campagnes électorales. Les candidats bénéficiaient, pour toutes les élections, de la prise en charge partielle des dépenses d'impression de documents électoraux et de facilités matérielles pour l'envoi et l'affichage de ces documents. Les candidats à l'élection présidentielle bénéficiaient, par ailleurs, sous certaines conditions, d'un remboursement forfaitaire de leurs dépenses électorales (cf. infra ). Les élections présidentielles, législatives et européennes leur offraient, en outre, un droit d'accès aux antennes de la radiodiffusion et de la télévision nationales.

L'aide de l'État se cantonnait donc au financement de dépenses de la campagne officielle. En revanche, aucune règle n'était prévue pour les coûts induits par la compétition électorale, leur prise en charge s'effectuant dans des conditions qui apparaissaient opaques.

Or, comme le soulignait l'ancien président de votre commission des lois et rapporteur des lois du 11 mars 1988 4 ( * ) , notre ancien collègue Jacques Larché 5 ( * ) , les difficultés et rumeurs nées du financement de la vie politique résultaient du « coût sans cesse croissant des formes de la compétitivité politique moderne et [de] la nécessité de prendre en compte ces outils aujourd'hui indispensables à la démocratie que sont les partis politiques ».

Parallèlement, ainsi que le formulait le gouvernement, avec un sens certain de la litote, « la question du financement de la vie politique a connu récemment, et pour une cause occasionnelle, un regain d'actualité » 6 ( * ) .

Celle-ci conduisait donc le Parlement à régir enfin le cadre financier de la vie politique et le Gouvernement à déposer deux projets de loi - organique et ordinaire - pour y pourvoir.

a) Le recours nécessaire à un cadre législatif

Le dispositif proposé prévoyait notamment de :

(1) Mettre en place un financement public des partis et groupements politiques.

L'ambition alors affichée était bien de libérer les partis politiques, via l'aide publique, des pressions de leurs donateurs. « La contribution de l'État au financement des partis et groupements politiques, justifiée par le rôle qui leur est reconnu par la Constitution, est de nature à favoriser leur nécessaire indépendance » est-il alors rappelé 7 ( * ) .

Les crédits correspondants, inscrits en loi de finances, seraient répartis entre eux proportionnellement au nombre de parlementaires ayant déclaré être inscrits ou se rattacher à telle formation politique, à la date de l'ouverture de la première session ordinaire de chaque année ; en conséquence, les bénéficiaires de ces aides devaient arrêter annuellement leurs comptes, les faire certifier par deux commissaires aux comptes et les déposer sur le bureau de l'Assemblée nationale pour leur publication au Journal officiel . La sanction du non-respect de ces obligations résidait dans la privation des aides publiques l'année suivante.

(2) Réglementer le financement des campagnes électorales à l'Assemblée nationale et à la présidence de la République

Les dépenses de campagne des candidats étaient plafonnées à 400 000 francs pour les législatives et à 100 millions de francs pour les présidentielles (120 millions de francs pour les deux candidats présents au second tour).

Les dépenses prises en compte étaient celles effectuées dans les trois mois précédant le scrutin dans le premier cas, dans les dix mois dans l'autre.

Le dépassement du plafond n'était, cependant, pas sanctionné.

Les candidats devaient tenir un compte de campagne retraçant selon leur origine, l'ensemble des recettes perçues et, selon leur nature, l'ensemble des dépenses effectuées en vue de l'élection, par leur soin ou pour leur compte.

Les comptes des candidats à l'élection présidentielle étaient transmis au Conseil constitutionnel pour leur publication au Journal officiel . Pour les élections législatives, ils étaient transmis à la préfecture, seuls ceux des candidats élus étaient transmis au bureau de l'Assemblée nationale sans, dans tous les cas, qu'ils ne fassent l'objet d'une publicité :

- le non-dépôt du compte était sanctionné, pour les députés, par la déchéance de plein droit de leur mandat, ainsi que par la perte du droit au remboursement forfaitaire. Pour l'élection présidentielle, la sanction résidait dans la seule perte du remboursement forfaitaire ;

- le remboursement aux candidats des frais engagés était très sensiblement augmenté.

Le remboursement forfaitaire existant de 250 000 francs aux candidats ayant obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés était porté à 25 millions de francs. Pour leur part, les candidats ayant recueilli moins de 5 % des suffrages exprimés bénéficiaient d'un remboursement forfaitaire de 5 millions de francs.

Les candidats aux législatives qui, de même, recueillaient au moins 5 % des suffrages, recevaient un remboursement forfaitaire de 40 000 francs.

(3) Réglementer les dons aux candidats

Les dons manuels par des personnes physiques ou morales dûment identifiées ne pouvaient excéder 10 000 francs pour une personne physique et 50 000 francs pour une personne morale.

Tout don de plus de 2 000 francs devait être versé par chèque.

Le montant global des dons en espèces faits au candidat ne pouvait excéder 20 % du total des recettes mentionnées dans son compte de campagne.

Le non-respect de ces règles était pénalement sanctionné : trois mois à deux ans d'emprisonnement et 1 800 à 30 000 francs d'amende.

Il est important d'observer que la législation adoptée en 1988 a fixé le cadre qui régit toujours le financement de la vie politique, sous réserve des nombreuses modifications intervenues depuis lors.

b) Des retouches incessantes

Moins de deux ans plus tard, le Parlement se saisissait à nouveau du dossier en adoptant la loi du 15 janvier 1990 relative à la limitation des dépenses électorales et à la clarification du financement des activités politiques 8 ( * ) .

Son premier article créait d'abord une instance de contrôle : la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) , instance collégiale dédiée au « contrôle objectif nécessaire » et chargée de transmettre « au juge compétent, sans jamais se substituer à lui, tout ce qui serait susceptible de constituer un manquement. » 9 ( * ) .

La même loi mettait en place, dans le même souci, des associations de financement des partis politiques, « instruments privilégiés de la transparence recherchée ».

Pour autant, le dispositif légal devait être encore modifié douze fois jusqu'à ce jour, la dernière retouche résultant même de la loi organique du 28 février 2012 10 ( * ) .

De ces nouvelles modifications ressortaient surtout l'interdiction faite, par l'effet de la loi du 29 janvier 1993 11 ( * ) , aux personnes morales - partis et groupements politiques exceptés - de financer les campagnes électorales et les partis politiques, directement ou indirectement, en fournissant des biens, services ou autres avantages à des prix inférieurs à ceux habituellement pratiqués ; et la création par la loi du 8 février 1995 12 ( * ) de la commission pour la transparence financière de la vie politique , chargée de recevoir les déclarations de situation patrimoniale des parlementaires, des députés européens, des membres du Gouvernement et des exécutifs locaux, et d'en apprécier la variation.

Pour favoriser l'accès des femmes aux mandats électifs, la loi du 6 juin 2000 13 ( * ) , qui mettait en oeuvre le principe de parité politique introduit en 1999 dans la Constitution, créait une sanction financière, réduisant le montant du financement public aux partis politiques qui ne s'y conformeraient pas.

Parallèlement, les modalités de répartition des aides de l'État étaient modifiées à diverses reprises.


* 3 « Pour un renouveau démocratique », rapport de la Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique, présidée par M. Lionel Jospin, 9 novembre 2012.

* 4 Lois n° 88-226 et 88-227 du 11 mars 1988 relatives à la transparence financière de la vie politique.

* 5 Rapport n° 229 (1987-1988) de M. Jacques Larché sur le projet de loi organique relatif à la transparence financière de la vie politique.

* 6 Exposé des motifs du projet de loi organique n° 1214 AN (VIII législature).

* 7 Ibid.

* 8 Loi n° 90-55 du 15 janvier 1990 relative à la limitation des dépenses électorales et à la clarification du financement des activités politiques.

* 9 Exposé des motifs du projet de loi n° 798 AN (IXème législature).

* 10 Loi organique n° 2012-272 du 28 février 2012 relative au remboursement des dépenses de campagne de l'élection présidentielle.

* 11 Loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques.

* 12 Loi n° 95-126 du 8 février 1995 relative à la déclaration du patrimoine des membres du gouvernement et des titulaires de certaines fonctions.

* 13 Loi n° 2000-493 du 6 juin 2000 tendant à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives.

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