B. LA PARTICIPATION DES RETRAITÉS : PRÉSERVER LE LIEN INTERGÉNÉRATIONNEL

Les précédentes réformes des retraites ont principalement mis à contribution les actifs pour redresser les comptes des régimes. Ce choix est conforme à la logique d'un système de retraites par répartition. Toutefois, l'afflux du nombre de départs à la retraite des générations issues du « baby-boom » représente un choc démographique majeur, que l'accroissement des cotisations des personnes en emploi ne permet pas de combler.

La participation des retraités à la consolidation du système de retraites est aujourd'hui indispensable pour préserver le lien intergénérationnel et la confiance de l'ensemble des générations dans le système par répartition. Elle apparaît d'autant plus justifiée que le niveau de vie des retraités est aujourd'hui équivalent, voire supérieur, à celui des actifs . La montée en charge des régimes de retraite et l' « effet de noria » ont permis au niveau de pension moyen d'augmenter plus vite que l'inflation. En 2011, le montant moyen de la pension de droit propre s'élevait à 1 256 euros par mois contre 1 029 euros en 2004. En outre, les retraités possèdent un patrimoine, immobilier et financier, plus élevé que le reste de la population . Selon l'INSEE, 72 % des plus de 60 ans sont propriétaires de leur résidence principale, contre 58 % en moyenne pour l'ensemble de la population. Le patrimoine 48 ( * ) moyen des personnes âgées de 70 ans et plus est deux fois supérieur à celui des ménages âgés de 30 à 39 ans.

Tableau n° 38 : Patrimoine net des ménages selon leur âge en 2010

(en euros)

Moyen

Médian

D9

D1

Moins de 30 ans

32 700

7 200

91 500

300

De 30 à 39 ans

127 100

48 600

312 700

800

De 40 à 49 ans

243 700

132 500

510 700

1 300

De 50 à 59 ans

303 500

203 700

648 500

2 000

De 60 à 69 ans

345 500

211 500

693 300

3 300

70 ans et plus

259 800

148 600

524 600

3 800

Source : INSEE

En assimilant à un revenu le loyer « fictif » associé à la propriété de la résidence principale, le niveau de vie moyen des retraités est supérieur de 4 % à celui des actifs .

Tableau n° 39 : Comparaison des niveaux de vie moyens des retraités, des actifs et des non retraités en 2006

(en euros)

Niveau de vie + loyers imputés nets d'intérêt d'emprunt

Actifs

(en emploi et chômeurs)

23 060

Retraités

23 970

Ratio retraités / actifs

1,04

Non retraités (actifs, adultes inactifs, enfants)

20 764

Ratio retraités / non retraités

1,15

Source : Cour des comptes, rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale, septembre 2012

Par ailleurs, les retraités bénéficient de différents avantages sociaux et fiscaux afin de tenir compte de l'utilisation progressive de leurs actifs au cours de la période de retraite. En particulier, un taux réduit de contribution sociale généralisée (CSG) de 6,6 % s'applique aux pensions de retraite, contre 7,5 % pour les actifs. De plus, les retraités les plus modestes peuvent bénéficier d'une exonération de CSG et de contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) ou d'un taux réduit de 3,8 %, si leur revenu ne dépasse pas un certain seuil.

Dans le cadre de la présente réforme des retraites, la contribution des retraités proposée par le Gouvernement repose sur deux mesures :

- l'inclusion des majorations de pensions des retraités ayant élevé trois enfants ou plus dans l'assiette de l'impôt sur le revenu 49 ( * ) ;

- le décalage de six mois de la revalorisation des pensions .

Toutefois, la réforme proposée par le Gouvernement prend en considération les disparités de revenus qui subsistent entre retraités d'une même génération. Ces mesures n'auront pas d'impact négatif sur le pouvoir d'achat des retraités les plus modestes . Le report de la revalorisation au 1 er octobre ne concernera pas les bénéficiaires de l'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), tandis que la fiscalisation des majorations de pensions de retraite pour charges de famille touchera principalement les retraités dont le niveau de pension est élevé.

1. Le report de la revalorisation des pensions de six mois (article 4)

L' article 4 du projet de loi prévoit de décaler, du 1 er avril au 1 er octobre de chaque année, la date de revalorisation des pensions en fonction de l'évolution des prix à la consommation hors tabac. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 50 ( * ) avait déjà reporté, du 1 er janvier au 1 er avril, la date de revalorisation des pensions.

Sans baisser le niveau des pensions, ni remettre en cause le principe d'indexation en fonction de l'inflation 51 ( * ) , cette mesure permettra de réaliser des économies significatives pour les régimes de retraite, de l'ordre de 800 millions d'euros en 2014 et de 1,9 milliard d'euros en 2020 .

Tableau n° 40 : Impact financier du report de la revalorisation de pensions

(en millions d'euros constants 2011)

2014

2020

2030

2040

Tous régimes de base (hors ASPA)

+ 800

+ 1 900

+ 2 200

+ 2 600

Tous régimes de base non équilibrés par l'Etat (hors ASPA)

+ 600

+ 1 400

+ 1 700

+ 2 000

Source : étude d'impact annexée au projet de loi garantissant l'avenir et la justice du système de retraites

Seront concernés par le report de la revalorisation, l'ensemble des retraités du régime général, des régimes de base alignés ainsi que les retraités des trois fonctions publiques et des régimes spéciaux, à l'exception des quelques 600 000 bénéficiaires de l'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA ) 52 ( * ) , ainsi que les bénéficiaires de pensions d'invalidité et de rentes accidents du travail-maladie professionnelle (AT-MP).

L'impact financier élevé de cette mesure s'explique par l'assiette très large sur laquelle elle repose : la quasi-totalité des pensions de retraite de base, soit environ 200 milliards d'euros de dépenses annuelles. Les effets financiers de long terme du report sont liés, quant à eux, au « rebasage » qu'entraîne la mesure : le total des pensions servies en 2014 sera légèrement moins important que ce qu'il aurait été sans ce report, décalant ainsi la courbe du montant des pensions légèrement vers le bas.

Pour les retraités, le coût de cette mesure sera à la fois :

- réduit : sur la base d'une hypothèse de revalorisation des pensions de 0,9 % en 2014, l'impact du décalage de six mois de la date de revalorisation sera de 10,80 euros par mois pour une pension de retraite de 1 200 euros. De plus, l'effort consenti par chaque retraité sera proportionnel au niveau de sa pension ;

- limité dans le temps : le report interviendra seulement en 2014, les années suivantes, les pensions continueront d'être revalorisées tous les douze mois, au 1 er octobre.

Enfin, l'étude d'impact souligne que cette mesure permettra de renforcer la cohérence macro-économique du mécanisme de revalorisation des pensions de retraite . Dans le système actuel, les pensions sont indexées en fonction d'une prévision spécifique d'inflation, réalisée en mars par la Commission économique de la Nation. Or la prévision d'inflation, réalisée assez tôt dans l'année, correspond rarement à l'inflation effectivement constatée par l'INSEE. Des ajustements au titre de l'année n-1 interviennent donc chaque année. Le report de la date de revalorisation au 1 er octobre permettra d'éviter les sur- ou sous-évaluations de la revalorisation au titre de l'année n , ce qui limitera les rattrapages d'une année sur l'autre pour les retraités.

Tableau n° 41 : Historique des revalorisations de pensions depuis 2010

Revalorisation au titre de l'année n

Rattrapage au titre de l'année n-1

1 er avril 2010

+ 1,2 %

- 0,3 %

1 er avril 2011

+ 1,8 %

+ 0,3 %

1 er avril 2012

+ 1,8 %

+ 0,3 %

1 er avril 2013

+ 1,2 %

+ 0,1 %

Source : commission des finances, d'après les données du ministère de l'économie

2. La fiscalisation des majorations de pension des retraités ayant élevé trois enfants ou plus

La seconde mesure sur laquelle repose la participation des retraités est l' assujettissement des majorations de pension pour charges de famille à l'impôt sur le revenu . Cette mesure sera examinée dans le cadre du projet de loi de finances pour 2014 53 ( * ) .

La majoration du montant de pension pour les assurés (hommes et femmes) ayant eu ou élevé trois enfants ou plus correspond à l'un des trois grands types d'avantage familiaux de retraite , avec la majoration de durée d'assurance pour chaque enfant (MDA) et l'assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF). Elle s'applique à la fois aux pensions de droit propre et aux pensions de réversion et est proportionnelle au niveau de pension (en règle générale 10 % de la pension versée). Toutefois, certains régimes, comme le régime des professions libérales (CNAVPL) ou le régime complémentaire des artisans et commerçants, ne prévoient pas cet avantage, ce qui accentue les inégalités entre régimes de retraite.

Tableau n° 42 : Les majorations de montant de pension pour charges de famille dans les principaux régimes de retraite

Majoration pour trois enfants

Majoration par enfant supplémentaire au-delà du troisième

Majoration maximale

Régimes de base

Régime général

10 %

-

-

Fonctions publiques (FPE et CNRACL)

10 %

5 %

Traitement *

RATP - SNCF

10 %

5 %

Traitement *

Régime des artisans et commerçants (RSI)

10 %

-

-

Régime des professions libérales (CNAVPL)

-

-

-

Régime des exploitants agricoles (MSA)

10 %

-

-

Régimes complémentaires obligatoires

Régime complémentaire des salariés et cadres du privé

(AGIRC-ARRCO)**

10 %

-

1 000 euros par an

Régime des artisans et commerçants (RSI)

-

-

-

Régime des professions libérales (CNAVPL)

10 %

-

-

Régime des exploitants agricoles (MSA)

-

-

-

* Dans les régimes de la fonction publique et les régimes spéciaux, le montant de la pension après majorations ne saurait excéder le traitement ayant servi de base pour le calcul de la pension.

** Selon l'accord du 18 mars 2011, les régimes complémentaires AGIRC et ARRCO ont aligné les règles de majoration des deux régimes.

Source : commission des finances, d'après les données du Conseil d'orientation des retraites, Sixième rapport « Retraites : droits familiaux et conjugaux », décembre 2008

Le montant total des majorations de pension pour enfants versées en 2012 est estimé à 8,9 milliards d'euros , pour environ 8,1 millions de bénéficiaires du régime général et des régimes alignés. Selon le rapport établi par Bertrand Fragonard sur les aides aux familles 54 ( * ) , le nombre de bénéficiaires de majorations a progressé de 0,7 % entre 2010 et 2011.

La suppression de la dépense fiscale que constitue l'exclusion de ces majorations de l'assiette de l'impôt sur le revenu devrait permettre d' accroître les recettes de l'impôt sur le revenu de 1,2 milliard d'euros dès 2014 . Elle s'appliquera en effet à compter de l'imposition des revenus de l'année 2013. Le rendement de cette mesure contribuera à partir de 2015 au rétablissement des comptes du régime général d'assurance vieillesse.

Tableau n° 43 : Rendement attendu de la fiscalisation des majorations de pensions

(en milliards d'euros 2011)

2014

2020

2030

2040

Fiscalisation des majorations de pensions

1,2

1,3

1,5

1,7

Source : étude d'impact annexée au projet de loi garantissant l'avenir et la justice du système de retraites

Selon l'évaluation préalable à l'article 6 du projet de loi de finances pour 2014, 3,8 millions de personnes seront concernées par la suppression de cette exonération, pour un montant annuel moyen de 320 euros d'impôts sur le revenu supplémentaire. Les 20 % de retraités dont le niveau de pension est le plus faible ne devraient pas être touchés par cette mesure, tandis que les 20 % de retraités dont le niveau de pension est le plus élevé en supporteront la moitié des effets.

La suppression de cette exonération , préconisée à plusieurs reprises par la Cour des comptes 55 ( * ) et la commission pour l'avenir des retraites , est justifiée d'un double point de vue :

- il s'agit d' une dépense fiscale inéquitable . En raison du caractère proportionnel de la majoration et compte tenu de la progressivité de l'impôt sur le revenu, les retraités percevant les pensions les plus élevées sont ceux qui bénéficient le plus de cet avantage fiscal. Cet avantage est d'autant plus inéquitable que les droits familiaux ne sont pas identiques dans tous les régimes de retraite ;

- il s'agit d' une dépense fiscale inefficace . Les femmes percevant, en moyenne, une pension de retraite 30 % inférieure à celle des hommes, l'exonération de la majoration profite davantage aux hommes. Or les aléas de carrière liés à la charge d'enfant sont principalement subis par les femmes. Dès lors, ce dispositif s'est vu attribuer le score de « 0 » par le rapport du comité d'évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales 56 ( * ) .

Dans l'attente d'une réforme globale des avantages familiaux de retraite, annoncée par le Premier ministre le 27 août 2013, la fiscalisation de majorations de pension pour enfants constitue une première étape vers un système d'avantages familiaux de retraite plus juste et plus efficace .

Votre rapporteur pour avis a pris note des difficultés techniques, soulignées par la commission Moreau, que pose une refonte totale des majorations à court terme et de la nécessité de mener des travaux complémentaires. L'article 13 du présent projet de loi prévoit la remise, par le Gouvernement, d'un rapport sur l'évaluation des droits familiaux , dans les six mois suivant l'entrée en vigueur de la loi. Il conviendra de suivre attentivement ce sujet, compte tenu des enjeux financiers importants qui y sont associés, à la fois pour la branche vieillesse et pour la branche famille de la sécurité sociale.


* 48 Comprenant l'ensemble des actifs financiers, immobiliers et professionnels.

* 49 Cf. article 6 du projet de loi de finances pour 2014.

* 50 Loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 de financement de la sécurité sociale pour 2009.

* 51 Prévu par l'article L. 161-23-1 du code de la sécurité sociale.

* 52 L'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) est versée en complément des ressources d'une personne âgée afin de garantir un revenu minimale de 787,27 euros par mois pour une personne seule et 1 222,27 euros pour un couple en 2013. Elle est perçue sur demande et recouvrable sur succession.

* 53 Article 6 du projet de loi de finances pour 2014.

* 54 Rapport établi par Bertrand Fragonard, président du Haut Conseil de la Famille, « Les aides aux familles », avril 2013.

* 55 En 2007 et 2012 dans les « rapports sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale » et en 2011 dans le « rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques ».

* 56 Rapport du comité d'évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales, 2011.

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