III. LE CRÉDIT IMPÔT-RECHERCHE

Avec 5,8 milliards d'euros inscrits au projet de loi de finances pour 2014 , le CIR représente désormais 41,5 % de la part « recherche » des crédits de la MIRES. Son enveloppe a été multipliée par plus de 13 depuis son instauration en 2003, au gré de ses diverses réformes, et il représente désormais l' aide fiscale à la R&D la plus avantageuse des pays membres de l'OCDE , avec 0,26 % du PIB.

L' efficacité de ce crédit d'impôt, certes délicate à mesurer, semble cependant acquise sur le principe . Le rapport de la Cour des Comptes de juillet dernier sur le sujet souligne ainsi son intérêt en termes de développement de la recherche privée, d'attractivité territoriale et de baisse des charges des entreprises.

Sa pérennisation financière dans le cadre du présent projet de budget, tout comme la stabilisation et la clarification de son régime, sont à cet égard de bonnes évolutions . Cependant, du point de vue des entreprises , et notamment des plus petites d'entre elles, l'accès à ce dispositif fiscal et ses procédures de contrôle demeurent sources de difficultés et d'incertitudes .

1. Une pérennisation louable de l'enveloppe financière du dispositif

Soulignant que « la complexité et l'instabilité des normes qui s'appliquent aux entreprises génèrent des coûts, des délais et de l'incertitude préjudiciables à l'investissement, à la croissance et à l'emploi », la décision n° 26 du Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l'emploi , publié en novembre 2012, s'engageait à « stabiliser sur la durée du quinquennat cinq dispositifs fiscaux importants pour l'investissement et la vie des entreprises », dont en premier lieu le CIR.

Conformément à cet engagement, lors du débat sur le projet de loi de finances pour 2014 en première lecture à l'Assemblée nationale, le 18 octobre dernier, les huit amendements 10 ( * ) portant sur le CIR été rejetés ou retirés à la demande du Gouvernement.

Le Président de la République avait rappelé ce même jour, lors d'une table-ronde au Conseil économique, social et environnemental (Cese), la ligne du Gouvernement sur ce point : « J'ai pris un engagement : nous tiendrons sur le crédit impôt recherche pendant tout le quinquennat ». Le ministre délégué chargé du budget, M. Bernard Cazeneuve, est revenu à l'Assemblée sur le fait que le Gouvernement avait « pris l'engagement, dans le cadre du pacte de compétitivité, de ne pas modifier le crédit impôt recherche ».

Votre rapporteure pour avis insiste sur l' indispensable stabilisation de son régime juridique et financier . La visibilité et l'anticipation à moyen terme du cadre normatif et fiscal régissant ce type de dispositif est en effet indispensable à son efficacité. Les investissements en matière de R&D doivent pouvoir être étalés sur des périodes longues ; à défaut d'une législation stable et pérenne, nombre d'entreprises - et notamment les plus petites - y renonceront ou les réduiront.

2. Des mesures de simplification de l'assiette bienvenues

L' article 54 du projet de loi de finances simplifie l'assiette du CIR, conformément aux décisions annoncées à la suite du comité interministériel pour la modernisation de l'action publique du 17 juillet dernier.

Il reformule tout d'abord l'une des conditions imposées pour bénéficier d'un doublement d'assiette pour l'embauche d'un jeune docteur , relative au maintien de l'effectif salarié dans l'entreprise. Cette condition est ainsi concentrée sur le maintien du personnel de recherche de l'entreprise. L'objectif est de ne pas pénaliser les entreprises qui, bien qu'affrontant des difficultés économiques et financières les contraignant à réduire certains de leurs effectifs, maintiendraient toutefois leur effort de R&D.

En second lieu, l'article simplifie et harmonise les règles de territorialité concernant les dépenses visant à protéger les droits de propriété industrielle éligibles au CIR. En l'état, ces règles varient selon la nature des dépenses (frais de prise et de maintenance ou frais de défense des titres de propriété industrielle) et des opérations réalisées (travaux de recherche ou d'innovation). L'article instaure donc un régime unique de territorialité pour toutes ces dépenses.

3. Une mise en oeuvre attendue de l'extension du CIR à certaines dépenses d'innovation

La loi de finances initiale pour 2013 a étendu le régime du CIR à certaines dépenses d'innovation en faveur des PME : c'est le crédit d'impôt innovation (CII). Il permet à cette catégorie d'entreprises de prendre en compte dans l'assiette de leur crédit d'impôt certaines dépenses d'innovation relatives à la réalisation d'opérations de conception de prototypes ou d'installations pilotes de nouveaux produits . Ces dépenses entrent dans la base du CIR dans la limite de 400 000 euros par an, le taux applicable étant de 20 %.

Les différences de vue entre le ministère en charge de la recherche, qui gère le CIR, et le ministère du redressement productif, expliquent le très long retard pris pour l'élaboration de l'instruction fiscale sur ce nouveau crédit d'impôt. Celle-ci a finalement été publiée le 10 octobre dernier. Seront éligibles l'ensemble des dépenses engagées en 2013. Les commentaires de l'administration fiscale, publiés après consultation des parties prenantes, visent à préciser la notion d'innovation et à offrir ainsi aux entreprises bénéficiaires une sécurité juridique maximale.

Cependant, cet objectif ne semble pas entièrement atteint, selon certains fiscalistes. Ainsi, et malgré la publication de cette instruction, la mise en oeuvre du CII se heurte à plusieurs limites :

- la distinction des activités de R&D et d'innovation , qui conditionnent l'accès à l'un ou l'autre des dispositifs, reste malaisée . Il est en effet admis que des phases de R&D puissent s'intercaler au sein d'un projet d'innovation, tandis que la nature même des deux activités est parfois difficile à dissocier ;

- il découle de cette perméabilité de la frontière CIR/CII des risques de requalification par l'administration fiscale de l'un en l'autre. Et plus volontiers du CIR vers le CII, dont le taux est moins favorable à l'entreprise, et qui du coup a un impact moindre sur la dépense fiscale. Ceci réduirait le CIR de nombreuses PME et affecterait également les ETI et les grandes entreprises qui, n'ayant pas accès au CII - réservé aux PME - verraient la base de calcul de leur CIR sensiblement limitée ;

- en outre, existe un risque avéré de dérapage budgétaire à hauteur de plusieurs centaines de millions d'euros, en cas d'afflux massif de déclarants à ce nouveau régime. Les prévisions budgétaires en estiment à 250 millions d'euros la créance fiscale, ce qui peut paraître sous-évalué, dans la mesure où 30 000 PME et TPE pourraient y être éligibles ;

- enfin, il se peut que l'aide ainsi octroyée soit dispersée entre un nombre important d'entreprises , ce qui aboutirait alors à financer des innovations à faible valeur ajoutée, contrairement à l'esprit du mécanisme fiscal.

4. Un dispositif demeurant complexe, notamment pour les PME

La complexité du CIR résulte de trois facteurs :

- la nécessité de réunir des compétences pluridisciplinaires , fiscales, financières et scientifiques. Le montage des dossiers implique l'intervention d'acteurs issus de quatre fonctions au sein de l'entreprise : finance, technique, achats et ressources humaines. L'instruction correcte du dossier nécessite une bonne connaissance par les quatre parties du CIR et l'assurance d'une cohérence des actions de chacun ;

- la mise au point d'un jugement de valeur de la nouveauté technique qui reste difficile à objectiver. L'administration s'appuie dans ce cadre sur la réalisation d'états de l'art par les entreprises. Or, ces dernières sont souvent peu armées pour les faire. Et ce d'autant plus pour les activités relevant du développement expérimental, qui représentent la majorité des dépenses déclarées au titre du CIR. Il s'agit en effet, dans ce cas, de savoir-faire techniques qui restent souvent implicites et ne font pas l'objet de publications comme cela est le cas pour la recherche fondamentale et, dans une moindre mesure, la recherche appliquée ;

- la capacité à justifier de l'éligibilité des projets et des dépenses retenus. Les entreprises qui déclarent le CIR, pour la plupart, se livrent à des activités de développement expérimental, qui sont les plus proches de la phase d'industrialisation. Les problèmes de délimitation se posent pour ces activités, une frontière double devant être tracée :

• entre les travaux qui concourent à la levée d'incertitudes sur de nouvelles technologies et ceux qui utilisent des technologies existantes ;

• entre les travaux qui concourent à la levée d'incertitudes techniques et les tâches postérieures à la levée de ces incertitudes, qui ne font pas partie du domaine de la R&D.

Cette complexité du montage des dossiers de CIR n'a pas été , jusqu'à présent, un facteur de découragement pour les entreprises concernées. Plus de 10 000 entreprises sont en effet entrées dans le dispositif entre l'année de sa création et 2011, dernière année à laquelle des statistiques sont disponibles.

Il est vrai que la mise en place, par les entreprises, d'une organisation et d'une méthode adaptée et rigoureuse permet de maîtriser cette complexité . Entrer dans le dispositif du CIR nécessite une période d'apprentissage, qui peut être franchie à condition de faire preuve d'une grande minutie dans le montage des dossiers, tant sur le plan scientifique que financier. Cela implique de mobiliser des outils performants et une méthode rigoureuse de gestion et de suivi sur l'année pour établir l'éligibilité des projets, collecter les informations nécessaires au calcul de l'assiette et rassembler les pièces justificatives.

Toutefois, l' élaboration d'un référentiel clair et stable sur le périmètre des dépenses éligibles et la conduite des contrôles permettrait aux entreprises de mieux affecter fiscalement leurs dépenses selon leur nature et d'en préparer la justification de l'éligibilité. Cela permettrait également d'éviter des remises en cause de dossiers montés en année N sur la base du guide CIR du MESR alors disponible, au motif qu'ils ne respecteraient pas toutes les recommandations de la version du guide à N+3 en vigueur à la date du contrôle.

5. Un recours accru, mais problématique, aux cabinets de conseil

Le paysage des cabinets de conseils accompagnant les entreprises déclarantes au CIR est très divers : conseils spécialisés dans la seule assistance à la déclaration ; acteurs ayant un domaine d'intervention plus large, pour lesquels le CIR n'étant qu'une facette d'une activité multiple ; professions réglementées (avocats, experts comptables, conseils en propriété industrielle) ...

L eur nombre s'est considérablement accru suite aux réformes du dispositif intervenues en 2005 et, surtout, en 2008, qui l'ont complexifié. Cette évolution n'est pas sans soulever des questions de fond . S'ils ont répondu à une nouvelle demande, et pu constituer un appui pour les entreprises, ils ont également contribué à la créer, en incitant des PME actives dans des domaines aux frontières de la R&D à entrer dans le dispositif.

Or, le rapport de l'Inspection générale des finances (IGF) de 2010 sur le CIR estime le taux moyen de rémunération des cabinets de conseil, auxquels recouraient 25 % des entreprises, à environ 20 % . Ce niveau de rémunération est cependant très variable est peut aller de moins de 1 % pour les très gros CIR à près de 40 % dans quelques cas exceptionnels (des TPE généralement). Ces cas devraient toutefois refluer fortement, les entreprises gagnant en expertise et la concurrence augmentant.

Par ailleurs, l'intervention massive de ces cabinets de conseil sur le CIR, notamment auprès des PME, n'a pas permis d'endiguer l'augmentation des rectifications . Comme le souligne la Cour des comptes dans son rapport de 2013 sur le CIR, l'impact de ces cabinets de conseil peut être positif comme négatif. « Selon les entreprises, le rôle du cabinet-conseil est variable et peut s'avérer de ce fait (...) « vertueux ou pervers » : la taille de l'entreprise de ce point de vue n'est pas déterminante. Certaines petites entreprises se laissent séduire par des démarches marketing agressives et peuvent tenter de déclarer du CIR alors qu'elles ne font pas de R&D. Dans les grandes entreprises, le rôle du cabinet peut être de mettre en forme des informations collectées au cours de l'année par l'entreprise ou peut être plus structurant ».

Aussi l' idée d'un agrément de ces cabinets de conseil a-t-elle pu être évoquée, afin d'en « moraliser » la profession. La Cour des comptes la rejette cependant, dans son rapport sur le CIR, au motif qu'« une telle solution représenterait (...) un alourdissement des procédures associées au CIR, sans pouvoir garantir au cas par cas la qualité des prestations effectuées ».

Il est vrai qu'outre les nombreuses questions qu'elle poserait (quels seraient les titulaires de cet agrément ? Quelle en serait la portée ? Qui le délivrerait et sur quels critères ?), la mise en place d'un tel agrément aurait plusieurs effets contre-productifs . Elle avaliserait le recours systématique à un cabinet de conseil pour garantir son CIR. Dans même temps, un tel agrément entérinerait la nécessité pour l'État de réserver une partie du CIR au financement des cabinets de conseil.

Plutôt que d'un agrément, l' idée d'une labellisation des cabinets de conseil respectant certains principes de fonctionnement pourrait être évoquée. La procédure en serait en effet plus souple et d'un recours laissé à l'appréciation des cabinets, qui décideraient - ou non - de solliciter une telle reconnaissance par les pouvoirs publics, de la même façon que les entreprises seraient libres de choisir un cabinet labellisé ou non.

En tout état de cause, il paraît préférable de favoriser l'autonomie des entreprises , notamment des PME, en les formant et en les informant , et de leur laisser le choix d'un accompagnement externe, si jugé nécessaire. Le réseau public ou consulaire d'accompagnement des entreprises, via les conseilleurs innovation, serait à cet égard parfaitement adapté. Une solution opportune pourrait être celle de la création de « cercles d'échanges » au profit des PME. Par ailleurs, l' établissement de « bonnes pratiques » indiquant la façon optimale de monter un dossier CIR procurerait également aux entreprises un référentiel leur permettant d'étalonner les prestations proposé es par les cabinets de conseil.

En tout état de cause, si des consultants extérieurs peuvent aider une entreprise à former les intervenants sur ce qu'est le CIR et sur la façon de monter le dossier CIR, les dossiers techniques doivent être rédigés par les seuls responsables techniques en charge des projets , eux seuls étant capables d'en exposer les raisons de l'éligibilité. Cette « connaissance de l'intérieur » des dossiers est en effet indispensable lorsqu'intervient, par la suite, un contrôle de l'administration fiscale, qui demandera à ce que lui soit expliquée l'approche retenue pour le montage du dossier.

6. Des procédures de contrôle inadaptées au fonctionnement des entreprises

L' année 2012 a été marquée par un renforcement important des contrôles par les services de l'administration fiscale, et des rectifications subséquentes . La Cour des comptes, dans son rapport sur le CIR de 2013, a chiffré ces dernières à 8% du montant du crédit d'impôt, soit 400 millions d'euros !

Cependant, cette évolution ne doit pas être mise sur le compte d'un accroissement des comportements frauduleux de la part des entreprises concernées. Elle relève en effet plutôt d'une augmentation du flux de déclaration, dont une partie importante résulte de « nouveaux venus » dans le CIR, qui n'en maitrisent pas toutes les subtilités et s'exposent ainsi à des redressements, sans être pour autant de mauvaise foi. Elle devrait donc, en toute logique, être passagère.

Ainsi, les rectifications concernent essentiellement des TPE et PME nouvellement entrées dans le dispositif et souvent actives dans des secteurs peu intensifs en recherche, où la frontière entre les activités de conception et de réalisation de prototypes éligibles au CIR et celles non éligibles est particulièrement ténue (numérique, ingénierie, distribution, bâtiments et travaux publics [BTP] ou architecture).

La nature, la durée et les modalités du contrôle exercé doivent cependant être révisées , afin de minimiser les zones d'incertitude pour les entreprises.

L'élévation continue des exigences des agents chargés de contrôler le CIR aboutit à accroitre le poids des éléments à fournir pour les entreprises. Le renforcement des exigences de l'administration en matière d'états de l'art , notamment, complexifie notablement le montage des dossiers justificatifs. L'établissement de ces états demande en effet des efforts importants pour lesquels de nombreuses entreprises ne sont pas équipées.

Bien que justifiée, cette demande ne devrait pas être, à elle seule, le motif de redressement en cas de contrôles . C'est pourtant aujourd'hui ce qui se passe quand l'état de l'art est absent ou non suffisamment étayé, ceci indépendamment de l'analyse de l'éligibilité réelle des projets retenus. Au contraire, il appartiendrait logiquement à l'expert scientifique du MESR de garantir cet état de l'art et l'éligibilité du projet par rapport à ce dernier.

Par ailleurs, le contrôle sur pièces est privilégié par les services du MESR, ce qui ne facilite pas la compréhension des spécificités propres à l'entreprise et le dialogue avec les services administratifs. Un expert du ministère, chargé d'assister les inspecteurs de l'administration fiscale, examine ainsi, dans un temps très court, un dossier descriptif que l'entreprise lui a communiqué. Malgré les soins attachés à la confection d'un dossier justificatif, l'expert n'a pas toujours une vision exacte de la réalité des activités de R&D, ce qui peut être source d'incompréhensions.

Une solution simple serait l' organisation d'un réel débat oral et contradictoire , qui permettrait dans de nombreux cas de clarifier les points d'achoppement. Des explications recueillies sur le site de l'entreprise, auprès des responsables R&D, qui renseignent souvent mieux qu'un dossier exploité à distance, seraient en effet de nature à dissiper les interrogations de l'expert. Il serait également opportun de prévoir une contre-expertise « à l'aveugle » , avec un second expert différent du premier, et d' informer les entreprises du stade d'examen de leur dossier lors d'un contrôle fiscal

Enfin, et plus généralement, les experts gagneraient à être mieux formés aux particularités du fonctionnement des entreprises en matière de recherche. Pour compétents qu'ils soient, ces experts sont en effet généralement issus du milieu universitaire, et ont une approche plus théorique de la recherche et de l'innovation. Ainsi, les divergences d'appréciation sont dues assez souvent au positionnement des agents vérificateurs, trop axés sur la recherche fondamentale et ayant une vision académique qui n'accorde que peu de considération au développement expérimental, jugé trop proche des préoccupations commerciales. La constitution de référentiels sectoriels , validés par l'administration, pourrait être également être explorée pour prévenir ces difficultés.


* 10 Portant sur la fixation à 100 millions d'euros du plafond des dépenses éligibles, la consolidation des dépenses de R&D au niveau du groupe, la suppression du « bonus » à l'embauche de docteurs, la suppression du bonus pour sous-traitance des travaux de recherche, le plafonnement à 2 millions d'euros de la prise en compte des dépenses de sous-traitance, la suppression de certaines dépenses de la liste des dépenses éligibles et l'interdiction de cumuler le CIR et le crédit d'impôt compétitivité-emploi (CICE).

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