IV. UNE INTERROGATION SUR LES PERFORMANCES DU PILOTAGE DES SYSTÈMES D'INFORMATION

A. LOUVOIS, UN DYSFONCTIONNEMENT MAJEUR PAR SON AMPLEUR

1. La genèse

Dans la perspective de son raccordement à l'opérateur national de paie (ONP), le ministère de la défense a amorcé une rationalisation de ses systèmes d'information de rémunération du personnel rémunéré hors-paiement sans ordonnancement préalable (PSOP), en substituant aux nombreux systèmes d'information (SI) le calculateur unique de solde, Louvois. Ont été raccordés successivement au calculateur les systèmes d'information des ressources humaines (SIRH) du service de santé en avril 2011, de l'armée de terre en octobre 2011 et de la marine nationale en mars 2012.

2. La révélation

De nombreuses anomalies dans le versement des rémunérations ont été observées depuis lors. Leurs causes relèvent des domaines technique, fonctionnel et organisationnel. Elles se traduisent notamment par d'importants indus de paye et moins-versés aux administrés.

Le montant des trop-versés potentiels relevant essentiellement du programme 178 fait l'objet d'une évaluation fluctuante. Au cours de son audition par la commission des finances du Sénat, le 9 octobre 2013 43 ( * ) , M. Jean-Paul Bodin, secrétaire général pour l'administration constatait : « Louvois a eu des effets directs tout à fait regrettables pour les personnels militaires, ainsi que des conséquences sur la consommation des crédits de masse salariale. Reprenant l'estimation qu'avaient établie l'IGF et le CGA, la Cour des comptes estime le montant des indus à 133 millions d'euros. Suivant les travaux actuellement menés avec la direction du budget, nous réévaluons le montant des indus à 72 millions d'euros au titre de l'année 2012 et 64 millions d'euros en 2013.». Dans une mise à jour plus récente (mi-novembre 2013), les montants « d'environ 70 M€ au titre de l'année 2012 et de 65 à 70 millions en 2013 » sont cités.

Au-delà de ces chiffres, il convient également de prendre en compte la surconsommation des crédits au titre :

- des avances dont la reprise est gelée depuis décembre 2012 sur décision ministérielle. Elles couvrent notamment les avances et fractions de solde versées sur les théâtres aux militaires en opérations extérieures, les avances aux nouveaux engagés et d'autres avances diverses. Leur montant est estimé à 25 millions d'euros.

- des acomptes versés depuis novembre 2012 au titre du plan d'urgence ministériel (43 M€ à fin août 2013), destinés à aider les familles affectées par les dysfonctionnements : l'ensemble des créances des militaires est traité par le centre interarmées d'administration de la solde (CIAS) qui disposait à cet effet d'un fonds d'avance pour régulariser les sommes qui étaient dues pour les militaires qui les demandaient.

On ne reviendra pas sur les désordres occasionnés, ni sur les situations de malaise observées, que vos rapporteurs ont largement décrits dans leur précédent rapport, ni sur les mesures palliatives qui ont été mises en place dès que le ministre a perçu l'ampleur des dysfonctionnements. Vos rapporteurs ont largement décrit les faits dans leur précédent rapport pour avis. Ils ont fait l'objet d'un rapport d'information de l'Assemblée nationale.

3. Les surcoûts occasionnés
a) La mise en place d'une cellule de traitement

Au dispositif exceptionnel de versement d'acomptes cité supra s'ajoutent d'autres mesures d'urgence décidées par le ministre pour éviter des situations difficiles en cas de solde diminuée ou incomplète, telles que le déploiement de spécialistes dans les bases de défense, afin que les dysfonctionnements puissent être rapidement traités, le renforcement des effectifs du centre expert RH-Soldes de Nancy (CERHS) pour lui permettre de traiter de façon satisfaisante tous les dossiers dans un délai raisonnable, la mise en place d'une cellule d'assistance (n° vert) pour répondre aux questions des militaires et des familles et les accompagner dans l'instruction de leurs dossiers, la création d'un groupe utilisateurs qui comprend les acteurs de la solde et des représentants des militaires.

b) Le recouvrement incomplet des trop-versés

La campagne de recouvrement des trop-versés a commencé début août 2013, avec une première phase de notification aux administrés des sommes à rembourser et des propositions de remboursement tenant compte des dispositions en vigueur relatives à la quotité saisissable, ainsi que de leur solvabilité effective. Sous réserve de cette dernière limite, la quasi-totalité des trop-versés et avances devrait ainsi faire l'objet d'un recouvrement ou d'une reprise au profit du budget du ministère de la défense, pour l'essentiel à partir de 2014. Près d'une centaine de vacataires ont été recrutés entre juin et septembre 2013 jusqu'à fin 2013 pour la notification des trop-versés aux administrés. Le surcoût correspondant, en dépenses de titre 2 sur le programme 178, est évalué à 1,45 M€.

Outre les coûts de personnel affecté à ces opérations, cette situation a au moins un coût en trésorerie pour le budget de l'Etat.

c) L'engagement de mesures palliatives

Par ailleurs, sur la base des recommandations des audits commandés par le ministre, un plan d'action a été décliné en douze chantiers qui couvrent l'intégralité du spectre de la fonction solde.

Une attention particulière est portée à la gouvernance de l'écosystème RH-Solde, au pilotage fonctionnel de la chaîne opérationnelle, au suivi comptable et réglementaire, au pilotage des systèmes d'information, à la gestion du référentiel métier et au contrôle interne. Il en découle un certain nombre de mesures qui sont dès à présent mises en oeuvre :

- une gouvernance plus lisible, qui donne également au ministère de la défense une capacité d'anticipation améliorée sur ses grandes échéances : plan annuel de mutation et restitutions de fin d'année ;

- des processus pour l'exécution des cycles de la solde optimisés et un renforcement des entités impliquées dans la mise en oeuvre (effectifs, formation) : les centres experts RH des armées et services, le service ministériel opérateur des droits individuels du service du commissariat des armées (SCA/SMODI) ;

- les équipes de maintenance (centre de maintenance informatique de la solde, SMODI) sont également renforcées et la gestion des anomalies remontées par les acteurs de la chaîne solde est optimisée pour corriger au plus tôt les plus critiques ;

- des actions correctrices en matière budgétaire et comptable sont également en cours. Elles visent un meilleur encadrement des opérations de trésorerie, l'amélioration des restitutions comptables et budgétaires et le renforcement du contrôle interne ;

- enfin, sous la supervision de la direction générale des systèmes d'information et de communication (DGSIC), un plan d'action a été défini pour sécuriser et consolider le calculateur Louvois, puis réaliser des adaptations de fond (après la phase des corrections d'urgence qui mobilisent actuellement les équipes).

Ces mesures nécessitent des renforts de personnels auprès des différents services impliqués dans la gestion de la solde.

Les plus importants ont été affectés auprès des CERH des différentes armées, essentiellement au CERH de Nancy (+63) et de Toulon (+39). Le centre de maintenance interarmées de la solde (CMIS) s'est vu affecter une trentaine de personnes et le SMODI a bénéficié de 3 commissaires supplémentaires. Ces renforts sont réalisés par redéploiement de personnels militaires et civils.

Il a également été fait appel à de l'expertise externe pour conduire les audits et assister la maîtrise d'ouvrage dans l'instruction des corrections et des évolutions, le recouvrement des trop-versés, l'amélioration des processus de la solde et du contrôle interne. S'agissant de l'action 5, les dépenses d'expertise et d'assistance à maîtrise d'ouvrage représentent une évolution du coût global de près de 9 millions d'euros.

d) Le maintien en service d'applications anciennes dont les coûts de maintenance vont s'accroître

Dès lors, le raccordement de l'armée de l'air et de la gendarmerie nationale au système Louvois, initialement prévu en mars et septembre 2013, fait l'objet d'un moratoire. L'armée de l'air et la gendarmerie continuent donc d'utiliser leur système propre (GDS-SDS et PSIDI) et étudient les modalités d'un raccordement à terme.

e) Une partie des surcoûts compensée au sein du programme 212

Le dépassement de coût mentionné dans le projet annuel de performance pour 2014 pour l'exercice 2013 (23 millions d'euros) a été compensé en partie en gestion par un arbitrage du cabinet du ministre qui a permis de majorer de 20 millions d'euros les crédits de l'action 5 par une redistribution au sein du programme 212.

f) Un manque de visibilité sur le chemin de sortie de crise

Le ministre de la défense a annoncé le 26 novembre l'abandon de LOUVOIS et la mise en place d'un « dispositif plus robuste qui va être préparé avec beaucoup de vigilances, qui va être expérimenté et qui va être mis en place dans les mois qui viennent » sans en préciser pour le moment le calendrier.

En attendant, il faudra continuer à gérer les soldes avec un système défaillant et continuer à administrer les palliatifs nécessaires.

L'aboutissement de ce nouveau projet demandera du temps, 2 à 3 ans, d'autant qu'il serait souhaitable que, préalablement, soit conduite la réforme des régimes indemnitaires des personnels militaires qui, à force de spécificités, rendent impossible la construction d'un système d'information adaptable à toutes les composantes du ministère.

Cette décision aura un impact sur la réalisation et le déploiement du SIRH SOURCE.

Ces évènements montrent que le cumul et l'intensité des réorganisations, à la fois fonctionnelles et territoriales, dans une période de forte contrainte budgétaire, ont rendu extrêmement difficile et périlleuse la manoeuvre de déploiement du logiciel dans l'armée la plus nombreuse et sans doute celle où les règles de rémunération étaient les plus complexes. Cela démontre à l'évidence la fragilité des systèmes d'information complexes et le désordre que peut créer leur dysfonctionnement sans qu'il soit possible de façon simple de basculer sur un dispositif de secours. Il faut en tirer les leçons.


* 43 http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20131007/fin.html

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