B. JETER LES BASES D'UNE NOUVELLE RÉGULATION DU SYSTÈME ÉDUCATIF

1. Le renforcement de la coopération avec les collectivités territoriales dans le cadre de la loi de refondation

Trop longtemps l'intervention des collectivités territoriales dans les établissements, au-delà de leur contribution financière, n'a pas été reconnue à sa juste valeur par le ministère de l'éducation nationale, qui a développé une culture de citadelle. Si l'État doit conserver le contrôle du pédagogique stricto sensu , force est d'admettre que les actions des collectivités tant dans le périscolaire que dans la prise en charge matérielle des établissements ont également un impact éducatif et qu'elles contribuent à améliorer le climat de vie scolaire et les conditions d'apprentissage.

Les interventions accrues des collectivités (communes, établissements publics de coopération intercommunale - EPCI-, départements et régions) dans le champ éducatif appelaient une reconnaissance de leur rôle de partenaires à part entière de l'éducation nationale. C'est chose faite avec la loi du 8 juillet 2013 de refondation de l'école de la République, qui contient plusieurs avancées majeures.

a) La délimitation de la carte scolaire des collèges

Adopté à l'initiative de votre rapporteure pour avis, l'article 20 de la loi de refondation de l'école étend les pouvoirs du conseil général en matière de délimitation de la carte scolaire en lui donnant la possibilité de construire des secteurs communs à plusieurs collèges . C'était une des recommandations du rapport de la mission sénatoriale sur la carte scolaire 2 ( * ) afin d'élargir les zones géographiques de recrutement des collèges et ainsi de faciliter le brassage social des publics scolarisés.

À la différence de ce qui prévaut pour les districts des lycées, un secteur ne pouvait jusqu'à présent comporter qu'un seul collège public aux termes de l'article D. 211-10 du code de l'éducation. Cette disposition réglementaire freinait anormalement la redéfinition par les conseils généraux de secteurs de collèges plus larges. C'est pourquoi il convenait par la loi d'ouvrir la possibilité aux conseils généraux qui le souhaiteront de prévoir des secteurs comprenant deux ou trois collèges.

Cette mesure n'a d'intérêt qu'en zone urbaine dans la mesure où l'implantation des collèges en zone rurale est très dispersée. C'est pourquoi il est précisé que les nouveaux secteurs seront dessinés dans un même périmètre de transports urbains.

b) L'utilisation des locaux et équipements scolaires des collèges et des lycées en dehors du temps scolaire

Les articles 25 et 26 de la loi de refondation de l'école de la République ont ouvert la possibilité pour les présidents de conseil général et de conseil régional d'autoriser l'utilisation des locaux et des équipements des collèges par des tiers hors du temps scolaire.

Votre rapporteure pour avis estime que cette mesure permettra une gestion avisée des biens du domaine public, qu'elle dynamisera la vie associative locale et qu'elle transformera les collèges et les lycées en lieux de vie ouverts sur leur environnement.

Afin de renforcer l'encadrement des activités qui pourront être organisées dans les collèges, le Sénat a précisé que non seulement elles devaient être compatibles avec la nature des installations et le fonctionnement normal du service, mais qu'elles devaient également respecter les principes de neutralité et de laïcité du service public .

En effet, il n'était pas judicieux de prévoir sans restriction l'ouverture des locaux à des associations pour les besoins de la vie citoyenne. En particulier, les nouvelles dispositions ne devaient pas autoriser les réunions d'un parti politique dans un établissement scolaire. La jurisprudence administrative interdit aujourd'hui comme contraire à la neutralité du service public la tenue d'une université d'été d'un parti dans un établissement. Votre rapporteure pour avis a tenu à préserver cette règle et cette limite, tout en conservant la faculté de tenir des réunions d'information ou des débats publics avant les scrutins électoraux.

Il convenait également de préserver le principe de neutralité commerciale qui interdit la publicité et les pratiques commerciales dans l'enceinte d'un établissement scolaire, ainsi que la diffusion des données personnelles relatives aux élèves.

Il fallait enfin qu'outre la neutralité politique et commerciale, soit respectée la neutralité religieuse, c'est-à-dire la laïcité, afin que les locaux ne soient pas mis à disposition d'associations cultuelles.

c) La représentation de la collectivité de rattachement au sein du conseil d'administration des EPLE

Conformément à l'article 421-2 du code de l'éducation, la composition du conseil d'administration des collèges et des lycées obéit au principe des trois tiers :

- un tiers de représentants des collectivités territoriales et de l'administration de l'établissement, ainsi qu'une ou deux personnalités qualifiées selon le cas ;

- un tiers de représentants élus des personnels de l'établissement ;

- un tiers de représentants élus des parents d'élèves et des élèves.

L'article 60 de la loi du 8 juillet 2013 tire les conséquences du transfert de propriété des bâtiments scolaires de l'État et des communes vers les départements qu'a ouvert la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et aux responsabilités locales. En substance, il a donné une place plus importante aux collectivités de rattachement dans les conseils d'administration des établissements publics locaux d'enseignement (EPLE) en diminuant la place dévolue aux communes sièges.

Nouvelle répartition des sièges
des collectivités territoriales au CA des EPLE

Lycées et collèges > 600 élèves

Collèges < 600 élèves

Établissement régional d'enseignement adapté

Effectif du CA

30

24

24

Nombre de sièges des collectivités territoriales

4

3

3

Répartition des sièges sans EPCI

2 pour la collectivité
de rattachement

2 pour la commune siège

2 pour la collectivité
de rattachement

1 pour la commune siège

2 pour la collectivité
de rattachement

1 pour la commune siège

Répartition des sièges avec EPCI

2 pour la collectivité de rattachement

1 pour la commune siège

1 pour l'EPCI

2 pour la collectivité de rattachement

1 pour la commune siège

+ 1 représentant de l'EPCI sans voix délibérative

2 pour la collectivité de rattachement

1 pour la commune siège

+ 1 représentant de l'EPCI sans voix délibérative

Source : Ministère de l'éducation nationale

Votre rapporteure pour avis considère que la prise de responsabilité supplémentaire de la collectivité de rattachement méritait en effet un accroissement de son poids dans le principal organe décisionnel des établissements scolaires.

Rappelons qu'aux termes de l'article L. 421-4 du code de l'éducation, le conseil d'administration met en oeuvre l'autonomie pédagogique de l'établissement et de fixer ses règles d'organisation, dans le respect des lois et des règlements et en visant les objectifs définis par l'État. Il adopte le budget de l'établissement et à ce titre bénéficie d'une relative autonomie administrative et financière, même s'il dépend pour ses ressources des dotations de l'État et des collectivités. Le conseil d'administration est également compétent pour engager l'établissement, doté de la personnalité morale, par contrat ou convention. En particulier, la collectivité de rattachement, région ou département, ne peut s'y substituer pour passer des marchés.

Toutefois, les associations d'élus ont pointé les difficultés que risquaient de rencontrer les régions et les départements pour parvenir à nommer deux élus dans tous les conseils d'administration de tous les collèges et de tous les lycées placés sous leur responsabilité. Le nombre limité des élus freine leur participation effective dans tous les établissements.

C'est pourquoi a été ouverte la possibilité, lorsqu'une même collectivité doit envoyer deux représentants, que l'un d'entre eux ne soit pas membre de l'assemblée délibérante.

d) La signature du contrat d'objectif des établissements par la collectivité de rattachement

Depuis plusieurs années, les établissements scolaires et l'autorité académique concluent des contrats d'objectifs, après une simple information de la collectivité de rattachement. L'article 61 de la loi de refondation de l'école a ouvert la signature du contrat d'objectifs aux collectivités territoriales de rattachement qui souhaitent y être partie, de telle sorte qu'il devienne tripartite et engage simultanément l'établissement, l'autorité académique et la région ou le département.

Votre rapporteure pour avis se réjouit de la prise en compte du partenaire fondamental que sont les collectivités territoriales dans la vie des établissements . La signature de contrats d'objectifs tripartite permettra la conjugaison des compétences des parties, alors qu'elles demeurent trop souvent encore exercées de façon séparée et cloisonnée, au risque parfois de l'ambiguïté, de l'inefficacité ou du conflit. La définition d'objectifs partagés entre les trois partenaires fondamentaux est intéressante en elle-même et pourra contribuer à l'émergence de projets éducatifs innovants.

Demeure toutefois en suspens la question des moyens affectés à la réalisation de ces objectifs. Le contrat tripartite pourrait être l'occasion d'expérimenter des dotations éducatives globalisées. La collectivité n'affecterait pas les subventions à un objet particulier mais attribuerait une somme globale à l'établissement procéderait à une régulation a posteriori en fonction de l'utilisation par l'établissement de son budget et des résultats éducatifs obtenus.

2. L'évaluation et l'encadrement, deux leviers de rénovation de l'école
a) La mise en place du Conseil national d'évaluation du système scolaire (CNESS)

L'article 33 de la loi du 8 juillet 2013 crée le Conseil national d'évaluation du système scolaire (CNESS). Cette instance indépendante, placée auprès du ministre chargé de l'éducation, doit contribuer à rendre transparent l'ensemble du processus d'évaluation. Ses champs d'investigation couvrent toutes les composantes de l'enseignement scolaire, l'organisation du système éducatif et ses résultats. Il réalise ou fait réaliser des évaluations, il se prononce sur les méthodologies et les outils utilisés et donne un avis sur les résultats des évaluations internes et externes, notamment internationales.

Le CNESS est composé, à parité de femmes et d'hommes, de quatorze membres désignés pour six ans. Il comprend :

- deux députés et deux sénateurs, désignés, respectivement, par les commissions permanentes compétentes en matière d'éducation de l'Assemblée nationale et du Sénat ;

- deux membres du Conseil économique, social et environnemental, désignés par le président de ce conseil ;

- huit personnalités, choisies pour leur compétence en matière d'évaluation ou dans le domaine éducatif.

Le CNESS doit remettre chaque année un rapport sur ses travaux au ministre chargé de l'éducation nationale et au ministre chargé de l'enseignement agricole. Ce rapport est transmis et présenté aux commissions compétentes en matière d'éducation des deux assemblées. Il peut donner lieu à un débat en séance.

Votre rapporteure pour avis salue la création du CNESS. Elle souhaite que cette nouvelle instance d'évaluation devienne un instrument de régulation des politiques éducatives. Comme l'ensemble des experts (sociologues, économistes, spécialistes de sciences de l'éducation) qu'elle a rencontrés, elle considère que la crédibilité et l'efficacité du CNESS dépendront de son indépendance effective, politique, intellectuelle et financière.

Il paraît essentiel à cet égard que le CNESS ne soit pas une simple émanation des services du ministère de l'éducation nationale. Le ministère dispose déjà d'instances internes d'évaluation avec la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) et avec les inspections générales. Le CNESS doit se distinguer en offrant une expertise indépendante conjuguant les regards internes et externes sur le système éducatif. À cette condition, l'évaluateur ne se confondra pas avec l'opérateur.

La constitution d'un comité scientifique pour préparer ses décisions serait une excellente mesure, que votre rapporteure pour avis avait d'ailleurs proposée lors des débats sur la loi de refondation de l'école. Un recrutement de personnels extérieurs, plutôt que des mises à disposition d'agents du ministère, semble bienvenu pour garantir le renouvellement des points de vue.

Du point de vue financier, votre rapporteure pour avis souhaite qu'il soit donné des moyens suffisants au CNESS pour lui permettre de mener à bien une tâche très lourde et de jouer le rôle de levier de transformation de l'école. Le Haut conseil de l'éducation avait des responsabilités beaucoup plus modestes et son budget (100 000 euros pour réaliser des études) ne peut constituer qu'un étalon minimal des ressources adéquates pour la nouvelle instance régulatrice voulue par le législateur.

Les crédits de fonctionnement et de personnel du CNESS ne bénéficient pas d'une ligne identifiée au sein des documents budgétaires. Ils sont regroupés avec l'ensemble des crédits des deux inspections générales, de la DEPP et des services statistiques académiques au sein de l'action n° 2 « évaluation et contrôle » du programme 214 « Soutien de la politique de l'éducation nationale ». Il faut noter que sur les 4,9 millions d'euros prévus sur cette action au titre des dépenses de fonctionnement doivent être financées notamment toutes les évaluations internationales (PIRLS, PISA), les enquêtes CEDRE et autres études statistiques nationales. Votre rapporteure pour avis souhaite que soit en pratique définie une enveloppe sanctuarisée permettant au CNESS de commander en toute indépendance des études propres.

Si des moyens supplémentaires doivent être trouvés, peut-être serait-il bon d'utiliser les possibilités de transferts de crédits des inspections générales vers le CNESS par fongibilité asymétrique. À plus long terme, le positionnement de la DEPP pourrait également être revu. La mise à l'étude d'une fusion des deux inspections générales pourrait être envisagée afin de dégager des ressources supplémentaires au bénéfice du nouveau modèle de régulation que doit incarner le CNESS.

b) Vers une remise à plat de la formation des inspecteurs et des chefs d'établissement

Après l'échec de la mastérisation, il était nécessaire que la loi du 8 juillet 2013 de refondation de l'école insiste sur la formation des enseignants, facteur d'essentiel de rénovation du système éducatif. Il faut encore aller plus loin et prévoir également un renforcement de la formation des cadres de l'éducation nationale. À défaut, l'impulsion donnée par la loi risque de s'épuiser sur le terrain, par manque de relais efficaces, quel que soit le dévouement des personnels. L'implication croissante des collectivités territoriales nécessite une nouvelle approche du recrutement et de la formation des inspecteurs territoriaux et des chefs d'établissement pour faciliter le dialogue et la coopération avec les élus et avec les parents.

Au mois de février 2013, votre commission s'est rendue à Poitiers pour découvrir l'école supérieure de l'éducation nationale (ESEN) , chargée d'une partie de la formation des chefs d'établissements et des inspecteurs. Le fonctionnement de ce service du ministère de l'éducation nationale, dépendant directement de la direction générale des ressources humaines, n'est pas optimal et les maquettes de formation ne paraissent pas à la hauteur des tâches lourdes et complexes que devront affronter les futurs cadres de l'éducation nationale.

Les inspecteurs stagiaires rencontrés sur place se sont montrés particulièrement critiques sur l'organisation et l'intérêt des formations reçues. Le recours à des jeux de rôle pour préparer les inspecteurs à négocier avec des élus locaux leur a paru insuffisant, non sans raison. Au cours de ses déplacements dans les académies de Strasbourg, de Nantes et de Limoges, votre rapporteure pour avis a pu constater qu'aucun inspecteur interrogé sur ce point ne défendait l'ESEN, présenté comme un organisme « hors-sol », directement relié à la centrale et déconnecté du travail en académie.

Le récent rapport conjoint des deux inspections générales sur l'ESEN vient corroborer ce diagnostic empirique en critiquant « un schéma stratégique mort-né » , « une contractualisation inexistante avec l'administration centrale », « un conseil d'orientation peu réuni et sans décisions stratégiques », « des réunions bilatérales avec les différentes directions ou services sans définition globale des priorités », « une absence de validation des formations », « des décisions de développement qui mériteraient réflexion », « un fonctionnement interne cloisonné et perfectible », « un rapport aux académies qui pourrait gagner en expertise et en pilotage », etc. 3 ( * )

Votre rapporteure pour avis appelle donc de ses voeux une modernisation de l'ESEN , qui pourrait passer par sa transformation en établissement public pour lui donner plus d'autonomie et de souffle, mais surtout par une refonte de la maquette pédagogique et une révision de son articulation avec les services académiques de formation.

*

* *

Compte tenu de l'ensemble de ces observations, votre rapporteure pour avis émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Enseignement scolaire ».

DEUXIÈME PARTIE - L'ENSEIGNEMENT PROFESSIONNEL


* 2 Rapport d'information n° 617 (2011-2012) de Mme Françoise Cartron, fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, déposé le 27 juin 2012.

* 3 IGEN-IGAENR, Évaluation de l'école supérieure de l'éducation nationale, Rapport n° 2013-020, avril 2013.

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