Avis n° 160 (2013-2014) de M. Jacques LEGENDRE , fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, déposé le 21 novembre 2013

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N° 160

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2013-2014

Enregistré à la Présidence du Sénat le 21 novembre 2013

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (1) sur le projet de loi de finances pour 2014 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE ,

TOME IV

Fascicule 3

MÉDIAS, LIVRE ET INDUSTRIES CULTURELLES :

LIVRE ET INDUSTRIES CULTURELLES

Par M. Jacques LEGENDRE,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : Mme Marie-Christine Blandin , présidente ; MM. Jean-Étienne Antoinette, David Assouline, Mme Françoise Cartron, M. Ambroise Dupont, Mme Brigitte Gonthier-Maurin, M. Jacques Legendre, Mmes Colette Mélot, Catherine Morin-Desailly, M. Jean-Pierre Plancade , vice-présidents ; Mme Maryvonne Blondin, M. Louis Duvernois, Mme Claudine Lepage, M. Pierre Martin, Mme Sophie Primas, secrétaires ; MM. Serge Andreoni, Maurice Antiste, Dominique Bailly, Pierre Bordier, Mme Corinne Bouchoux, MM. Jean Boyer, Jean-Claude Carle, Jean-Pierre Chauveau, Jacques Chiron, Claude Domeizel, Mme Marie-Annick Duchêne, MM. Alain Dufaut, Jean-Léonce Dupont, Vincent Eblé, Mmes Jacqueline Farreyrol, Françoise Férat, MM. Gaston Flosse, Bernard Fournier, André Gattolin, Jean-Claude Gaudin, Mmes Dominique Gillot, Sylvie Goy-Chavent, MM. François Grosdidier, Jean-François Humbert, Mmes Bariza Khiari, Françoise Laborde, M. Pierre Laurent, Mme Françoise Laurent-Perrigot, MM. Jean-Pierre Leleux, Michel Le Scouarnec, Jean-Jacques Lozach, Philippe Madrelle, Jacques-Bernard Magner, Mme Danielle Michel, MM. Philippe Nachbar, Daniel Percheron, Marcel Rainaud, Michel Savin, Abdourahamane Soilihi, Alex Türk, Hilarion Vendegou et Maurice Vincent.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 14 ème législ.) : 1395 , 1428 à 1435 et T.A. 239

Sénat : 155 et 156 (annexe n° 18 ) (2013-2014)

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Le programme 334 « Livre et industries culturelles » de la mission « Médias, livre et industries culturelles » est doté, dans le projet de loi de finances pour 2014, de 262,2 millions d'euros en crédits de paiement , correspondant à une diminution de 2 % par rapport à 2013 . Au regard de l'effort de maîtrise des dépenses demandé à la majorité des ministères, la contraction budgétaire raisonnable imposée au programme préserve, malgré tout, les politiques publiques en faveur du livre et des industries culturelles.

Toutefois, cet élément de relative satisfaction cache une grande disparité de situation entre les deux actions du programme en termes tant de périmètre que de moyens.

Ainsi, l'action n° 1 « Livre et lecture » , qui regroupe la quasi-totalité des crédits du programme (96,7 %), n'est affectée que d' une diminution de 1,45 %, laissant ainsi aux opérateurs, en échange d'ajustements sur leur fonctionnement, la marge nécessaire à la réalisation des objectifs fixés en 2014 par le ministère de la culture et de la communication, notamment la mise en oeuvre des préconisations du « plan librairies » annoncé le 25 mars 2013 et la poursuite de l' adaptation aux enjeux du numérique du cadre normatif applicable au livre.

La politique de l'État en faveur du livre et de la lecture vise, officiellement, à favoriser le développement de la création littéraire, ainsi que la diffusion du livre et des pratiques de lecture à travers divers instruments : la valorisation des collections nationales, la protection des auteurs par une réglementation favorable en matière de propriété intellectuelle, une régulation économique spécifique au secteur et des actions de soutien ponctuelles ou pérennes aux maillons les plus fragiles de la chaîne du livre, en particulier les librairies indépendantes.

Si les ambitions affichées sont généreuses, votre rapporteur pour avis rappelle que la subvention pour charge de service public de la Bibliothèque nationale de France (BnF) -203,5 millions d'euros en 2014- capte près de 82 % des crédits destinés au livre et à la lecture, ce qui ne laisse que peu de ressources pour d'autres interventions.

La situation budgétaire est toutefois bien plus critique s'agissant de l'action n° 2 « Industries culturelles », qui, non seulement n'est destinataire, en 2014, que de 10,48 millions d'euros , soit 3,3 % des moyens du programme, mais accuse, de plus, une baisse de 16,16 % par rapport à 2013.

La musique enregistrée et le cinéma (4,4 millions d'euros au total) conservent leurs aides au titre du programme 334, la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres ; la protection des droits sur Internet (Hadopi) subit l'intégralité de cette restriction budgétaire.

Votre rapporteur pour avis est particulièrement soucieux de l'avenir de la Hadopi et du maintien, dans de bonnes conditions, de ses différentes missions. Il sera particulièrement attentif, dans les mois à venir, au sort qui sera fait à l'opérateur.

PREMIÈRE PARTIE

LE LIVRE, SYMBOLE CULTUREL CONFRONTÉ À LA MODERNITÉ

I. LIVRE ET LECTURE À L'ÈRE NUMÉRIQUE

A. PRÉSERVER LE LIVRE ET DÉVELOPPER LA LECTURE

1. Une pratique culturelle constante

Il ressort des enquêtes du ministère de la culture et de la communication sur les pratiques culturelles des Français, réalisées régulièrement depuis les années 70, que :

- la proportion de non lecteurs est demeurée stable à 30 % de la population ;

- la proportion de grands lecteurs (plus de vingt livres par an), qui constituent le coeur de la clientèle des librairies, s'est fortement réduite, de 28 % en 1973 à 16 % en 2008 ;

- parallèlement, la proportion de lecteurs moyens est passée de 24 % en 1973 à 39 % en 2008.

En définitive , cette évolution ne permet pas de conclure à une érosion de la lecture dans les pratiques culturelles françaises , ce qui explique sans nul doute la relative stabilité du marché du livre.

Selon l'enquête annuelle du Syndicat national de l'édition (SNE), le chiffre d'affaires global de l'édition s'est élevé, en 2012, à 2,7 milliards d'euros pour 441 millions d'exemplaires vendus , ce qui représente une légère baisse, de 1,2 % en valeur et de 2,1 % en volume. Malgré cette régression, le marché global du livre -évalué à 4,1 milliards d'euros à partir des ventes en sortie de caisse- reste le premier marché de biens culturels en France avec 53 % des ventes. À la différence de la musique ou des DVD, le livre n'a donc pas connu d'effondrement, mais plutôt une contraction progressive.

Cette situation, globalement satisfaisante dans le contexte économique actuel des industries culturelles, cache cependant des contrastes entre les supports et les catégories éditoriales.

Ainsi, à la faveur du ralentissement économique et d'une préoccupation accrue sur le pouvoir d'achat, le format poche, en croissance depuis 2010, a représenté, en 2012, 13,3 % des ventes de livres et 24,8 % des volumes. Avec un chiffre d'affaires de 352 millions d'euros, en progression de 1,4 %, le livre de poche a, en partie, soutenu le marché.

S'agissant des différentes catégories éditoriales, les livres destinés à la jeunesse, la bande dessinée et les sciences humaines et sociales progressent, tandis que les beaux livres, les livres pratiques et les manuels scolaires pèsent sur les ventes. En outre, la littérature, qui représente encore le quart du chiffre d'affaires, stagne en valeur et en volume. C'est également le cas des essais et des ouvrages religieux. En revanche, la poésie, le théâtre, les dictionnaires et encyclopédies, les cartes et atlas comme les livres scientifiques affichent des pertes inquiétantes.

Dans le même temps, les ventes de livres numériques demeurent marginales . Le livre numérique représente ainsi 3,1 % du chiffre d'affaires de l'édition. En ce qui concerne les catégories éditoriales, le secteur des sciences humaines et sociales représente le principal contributeur de l'édition numérique avec 70,2 % du marché, suivi de la littérature (9,4 %) et des beaux livres et livres pratiques (6,4 %).

Selon le Baromètre Opinion Way SOFIA/SGDL/SNE de février 2013, 5 % seulement des Français ont déjà lu un livre numérique en partie ou en totalité.

Toujours minoritaire, le livre numérique n'en poursuit pas moins sa croissance en s'affirmant chaque année davantage dans les habitudes de lecture des Français, sans pour autant mettre en péril le livre imprimé. En effet, les lecteurs de livres numériques sont majoritairement de grands lecteurs de livres imprimés . Tandis que le support numérique va être choisi pour son prix et son usage mobile, le livre imprimé demeure préféré pour le confort de lecture et la variété de choix, mais également comme cadeau.

2. Un soutien public utile mais instable

En matière de soutien au livre, les pouvoirs publics interviennent avant tout par l' adaptation du cadre normatif (prix du livre, droits d'auteur, etc.), notamment au regard du contexte numérique, mais également par des aides financières aux acteurs portées, pour près de 30 millions d'euros annuels de prêts et de subventions, par le Centre national du livre (CNL).

L'État a ainsi, dès 1981 et la loi n° 81-766 du 10 août relative au prix unique du livre dite « loi Lang » , obligé les éditeurs et importateurs à fixer un prix pour chaque ouvrage , qui s'applique à l'ensemble des détaillants nonobstant la possibilité, pour ces derniers, d'offrir une remise de 5 % à leurs clients (9 % pour les collectivités, les établissements d'enseignement ou de recherche et les bibliothèques).

Face à la concurrence des grandes surfaces généralistes et spécialisées qui, dans les années 70, ont appliqué des rabais pouvant aller jusqu'à 40 % en vue de s'imposer sur le marché du livre, les pouvoirs publics ont donc refusé de considérer le livre comme un produit marchand banalisé et choisi de maintenir un réseau de librairies indépendantes sur le territoire, librairies qui n'auraient pu supporter longtemps une guerre des prix. Au cours des quinze dernières années, les prix des livres sont ainsi restés stables (+ 0,2 % sur les titres du fonds et + 0,75 % sur les nouveautés).

Le prix unique permet également de préserver la diversité de la création comme de l'édition , la distribution en grande surfaces favorisant les ouvrages à rotation rapide au détriment des oeuvres plus complexes ou moins connues.

Le souci de conserver un taux de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) faible pour le livre vise, pour sa part, à en favoriser l'achat , dans un contexte où le livre demeure un bien culturel coûteux pour de nombreux Français. Ce taux, bien que réduit, n'en a pas moins connu récemment des fluctuations perturbantes pour le secteur.

Pour mémoire, le projet de loi de finances rectificative pour 2011 prévoyait initialement de relever le taux réduit de TVA de 5,5 % à 7 % à compter du 1 er janvier 2012. Face à la fronde des libraires, le Gouvernement de l'époque a chargé Pierre-François Racine d'une mission sur les contraintes juridiques et techniques propres à la filière du livre dans le cadre de l'augmentation du taux de TVA et sur les moyens d' aménager une transition.

Les premières conclusions de cette mission, remises en décembre 2011, jugeaient nécessaire un délai supplémentaire pour l'application du dispositif, compte tenu du nombre considérable de références disponibles en librairies (plus de 700 000) et de l'ampleur, en conséquence, du travail de ré-étiquetage . La loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011 a donc reporté au 1 er avril 2012 le relèvement du taux pour le livre physique, la date du 1 er janvier étant maintenue pour le livre numérique.

Au mois de mars 2012, la mission Racine rendait une seconde série de conclusions, dans lesquelles elle proposait, pour accompagner la réforme, l'instauration de mesures fiscales favorables, d'une information du public sur les lieux de vente, d'un soutien du Centre national du livre (CNL) aux librairies et d'un observatoire des prix du livre.

Ce nouvel observatoire a constaté que l'application du taux de TVA à 7 % avait été globalement répercutée sur le prix de vente des livres. Ainsi, les opérateurs dont la rémunération dépend du prix hors taxe (les détaillants bien sûr, mais aussi les auteurs, les éditeurs et les distributeurs) n'ont pas souffert du relèvement du taux. En revanche, le coût du seul ré-étiquetage par les détaillants est estimé à 30 millions d'euros , auxquels s'ajoute le montant de la mise à jour des logiciels comptables.

Promesse de campagne du Président de la République, le rétablissement du taux de TVA à 5,5 % pour le livre papier et numérique a été confirmé par la deuxième loi de finances rectificative pour 2012 (loi n° 2012-958 du 16 août 2012). La modification n'est cependant intervenue qu'au 1 er janvier 2013 , le début d'année, période de faible activité, ayant été considéré plus favorable à la mise en oeuvre d'une réforme, dont les difficultés techniques et financières étaient identiques à celles de l'année précédente.

Quelques mois plus tard, dans le cadre de la réforme globale des taux, la troisième loi de finances rectificative pour 2012 (loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012) dispose, dans son article 68, que le taux de TVA applicable au livre sera abaissé, à compter du 1 er janvier 2014, à 5 %.

Votre rapporteur pour avis est évidemment favorable au principe de l'application d'un taux réduit de TVA au livre papier et numérique. En revanche, la modification trop fréquente de ce taux pose des difficultés techniques et budgétaires insoutenables pour les librairies. Votre rapporteur pour avis souhaite donc que le soutien des pouvoirs publics au livre et à la lecture soit désormais stable pour ce qui concerne son volet fiscal .

B. SOUTENIR LES LIBRAIRIES EN DIFFICULTÉ

1. Un état des lieux contrasté mais préoccupant

Le réseau de détaillants présente, sur le territoire national, de multiples visages et une santé financière très variable.

La Fnac, avec une part de marché de 16 % tous circuits de vente confondus, représente le premier libraire de France, malgré une diminution de 1,5 % de son chiffre d'affaires en 2012, toutefois conforme à la moyenne nationale.

L'enseigne est directement concurrencée par la chaîne Cultura, qui se développe en périphérie des grandes villes, et par les espaces culturels des grandes surfaces Leclerc, dont le chiffre d'affaires a crû de 6 % pendant la même période. Créés en 1989, ces points de vente, installés dans des zones de chalandise importantes, sont désormais au nombre de 215, contre 90 magasins Fnac et 52 pour Cultura, et proposent près de 60 000 titres.

Les 3 000 librairies indépendantes, si elles réalisent encore 45 % des ventes au détail, ne sont pas toutes logées à la même enseigne . Les plus importantes, comme le Furet du Nord dans le Nord-Pas-de-Calais, tirent parfaitement leur épingle du jeu. C'est également le cas de grandes librairies de centre-ville : Ombres Blanches à Toulouse, Le Failler à Rennes, Gibert à Paris ou encore Mollat à Bordeaux, qui misent sur un nombre élevé de références en littérature, visent les familles et développent des politiques actives d'animation. La vente des librairies Chapitre et le recours au chômage partiel dans le réseau Decitre constituent des contre-exemples inquiétants.

Les petites et moyennes librairies de quartier , dont les charges sont élevées, sont quant à elles bien souvent menacées . Elles doivent faire face aux charges de personnel et de loyer, à l'augmentation des frais de transport, ainsi qu'à des difficultés de trésorerie structurelles liées à l'étendue et à la nature de leurs stocks de livres, souvent à rotation lente. Charlotte Valois, gérante de la librairie Tirloy de Lille, auditionnée par votre rapporteur pour avis, a ainsi résumé sa situation et celle de nombre de ses collègues.

Outre la concurrence au sein du réseau physique, les librairies, quelle que soit leur taille, subissent la détermination d'Amazon à s'établir comme acteur majeur de la vente de livres . À l'heure où la vente en ligne représente la seule source de croissance des ventes -le e-commerce réalise à ce jour 12 % des ventes de livres papier-, Amazon y détient près de 70 % des parts de marché.

Les libraires ont tenté de réagir à cette invasion en développant leur présence sur Internet -500 librairies proposent aujourd'hui un service de vente et de réservation en ligne-, mais la concurrence d'Amazon, qui poursuit une stratégie d'optimisation fiscale en matière de TVA, grâce à une installation au Luxembourg, tout en offrant les frais de port cumulés à la remise de 5 % prévue par la loi de 1981, semble extrêmement difficile à contenir. Preuve en est l'échec de l'aventure du site 1001libraires.com, en raison de difficultés de gouvernance, d'un nombre trop peu important de titres proposés, de l'absence d'un service de livraison à domicile et d'un sous-investissement chronique.

L' absence de capacités d'investissement compromet aujourd'hui l'avenir de nombreux commerces : face au tassement du marché du livre, à la diminution du nombre de grands lecteurs, à la concurrence de la grande distribution et d'Internet et à l'envolée des charges, l'économie de la librairie est de plus en plus fragile. Ainsi, avec une rentabilité nette moyenne divisée par trois en moins de dix ans, pour s'établir à 0,6 % du chiffre d'affaires, la librairie constitue le secteur le moins rentable du commerce de détail.

En conséquence, certaines villes moyennes, comme Boulogne-sur-Mer, risquent prochainement de se voir privées de librairies et certaines régions rurales, à l'instar du Limousin, en manquent déjà cruellement. C'est également le cas dans les périphéries urbaines défavorisées : on compte ainsi une librairie pour 46 000 habitants en Seine-Saint-Denis, rappelait Vincent Monadé, président du CNL, à votre rapporteur pour avis, soit une proportion dix fois moindre qu'à Paris. Ce constat pose question au regard des objectifs de maillage du territoire et d'égal accès de tous à la lecture poursuivis par les pouvoirs publics.

La situation de fragilité économique de la librairie indépendante constitue également un frein puissant à sa modernisation , ainsi que le constatait en novembre 2012 la mission confiée à l'Inspection générale des affaires culturelles (IGAC) sur la librairie indépendante et les enjeux du commerce électronique.

Les représentants des libraires, le Syndicat de la librairie française (SLF), dans une présentation institutionnelle, comme Charlotte Valois à titre plus personnel, ont indiqué à votre rapporteur pour avis que les librairies ont un grand besoin de quatre catégories d'aides :

- des aides à l'investissement (création, extension, déménagement, informatisation des commerces) : ce sont aujourd'hui les plus efficacement développées par le CNL, les directions régionales des affaires culturelles (DRAC) et l'Association pour le développement de la librairie de création (ADELC). Elles pourraient utilement être complétées par une aide à la modernisation sur le modèle existant pour les salles de cinéma, comme le propose la mission de l'IGAC précitée ;

- des aides à la transmission : les crédits mobilisables dans le cadre des dispositifs du CNL et de l'ADELC sont désormais insuffisants au regard de la multiplication des dossiers ;

- des aides à la trésorerie : aucun dispositif n'existe à ce jour malgré des cycles de trésorerie traditionnellement tendus en raison de la faible rotation des stocks ;

- enfin, des aides à l'amélioration des marges : sur le modèle des aides aux salles d'art et d'essai, l'exercice de son métier par le libraire pourrait être défini par différents critères (implantation, formation, concurrence, diversité de l'assortiment, présence sur Internet) et aidé en conséquence.

2. Un nouvel élan en faveur des librairies

Annoncé à l'occasion du salon du livre au mois de mars puis dévoilé le 3 juin 2013 lors des rencontres nationales de la librairie par la ministre de la culture et de la communication, le « plan librairie » , qui s'inspire largement des conclusions de la mission confiée à Serge Kancel sur le soutien aux entreprises de librairie rendues publiques en janvier 2013, prévoit le versement de 9 millions d'aides supplémentaires aux librairies indépendantes . Dans ce cadre, 5 millions d'euros seront consacrés, par l'IFCIC, à des prêts de trésorerie à court terme, et 4 millions d'euros s'ajouteront aux aides à la transmission gérées par l'ADELC. Par ailleurs, le CNL augmentera son soutien aux commerces de 2 millions d'euros. Le SNE accompagnera ce plan en versant des contributions volontaires d'éditeurs en 2014 au profit des librairies via l'ADELC .

Si le plan annoncé peut être qualifié de satisfaisant, trois sujets , non pris en compte, demeurent préoccupants et mériteraient d'être prochainement traités :

- le relèvement du seuil de procédure d'appel d'offres de 15 000 à 50 000 euros, afin de permettre aux collectivités d'organiser la mise en concurrence entre les librairies de leur territoire. Il convient de rappeler, à cet égard, que les marchés publics représentent entre 15 et 25 % du chiffre d'affaires des librairies ;

- la limitation de l'augmentation des loyers avec, éventuellement la création d'un droit de préemption sur les locaux commerciaux pour permettre leur location à des librairies ;

- l' amélioration des marges commerciales .

Par ailleurs, on peut regretter que les conclusions de la mission Kancel relatives au ciblage des aides dans une logique d'offre territoriale n'aient pas été suivies d'effet, de même qu'aucune réflexion n'ait été menée sur sa proposition de création d'un fonds de soutien à la librairie, dotée d'une dizaine de millions d'euros, comme il en existe pour d'autres industries culturelles.

Outre le « plan librairie », deux dispositions législatives permettant de renforcer l'application des lois de 1981 et de 2011 relatives au prix du livre ont été introduites par le Gouvernement lors de la discussion, en septembre, en première lecture du projet de loi consommation : la création d'un médiateur du livre , instance de conciliation des litiges pouvant survenir entre les acteurs de la chaîne du livre, et l'assermentation d'agents du ministère de la culture et de la communication pour constater d'éventuelles infractions , notamment sur les sites de e-commerce.

De fait, le développement des ventes de livres d'occasion sur Internet conduit à contourner la loi sur le prix unique du livre : de grands sites de vente de livres présentent ainsi des livres neufs (au prix unique fixé par l'éditeur) aux côtés de livres d'occasion « à l'état neuf » à un prix sensiblement inférieur, ce qui a pour conséquence de brouiller la perception du prix par le consommateur et à le détourner de l'achat en librairie.

Il faudra toutefois attendre le vote définitif de la loi, après une seconde lecture par les deux chambres, pour voir s'appliquer ces nouveaux dispositifs et aboutir les premières investigations.

En cours de discussion parlementaire également, la proposition de loi visant à ne pas intégrer la prestation de la livraison à domicile dans le prix unique du livre , adoptée à l'unanimité à l'Assemblée nationale au mois d'octobre à l'initiative du groupe UMP, concentre également les espoirs des libraires.

Le dispositif prévu par l'article unique du texte supprime, dans le cadre de la vente en ligne, la possibilité d'appliquer un rabais de 5 % sur le prix unique du livre. Ce rabais ne pourra alors plus être porté que sur les frais de port, même s'il n'est pas prévu, à ce stade et au grand regret des représentants des libraires, d'en interdire la gratuité.

Malgré cette lacune, qui pourrait être prochainement comblée par le Sénat lors de l'examen du texte, la proposition de loi répond à une préoccupation forte des éditeurs et des libraires de rétablir des conditions équitables entre tous les revendeurs de livres et à éviter des pratiques de dumping de nature à éteindre la concurrence. Ainsi, si le libraire choisit d'appliquer le rabais de 5 % à sa clientèle, il sera désormais moins cher que les géants de la vente en ligne.

C. ADAPTER L'OFFRE DE LECTURE À LA RÉVOLUTION NUMÉRIQUE

1. Considérer le livre numérique à l'identique du livre papier

Si le soutien aux librairies constitue traditionnellement un axe majeur de sa politique en faveur du livre et de la lecture , la France ne peut cependant demeurer à l'écart de la révolution numérique qui, tôt ou tard, touchera aussi massivement le livre. Dans cette perspective, les pouvoirs publics ont estimé, à juste titre, que le livre numérique devait être considéré comme un bien culturel de même importance que le livre papier.

Ainsi la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 précitée a instauré, au 1 er janvier 2012, un parallélisme fiscal avec le livre physique en matière de TVA , qui a conduit la France au contentieux avec la Commission européenne, dont votre rapporteur pour avis, favorable au taux unique, appelle de ses voeux la résolution rapide.

L'alignement du taux de TVA du livre numérique sur le taux réduit du livre :
un contentieux européen

À la suite de l'adoption, par la France, d'un taux réduit de TVA sur les livres numériques applicables au 1 er janvier 2012, la Commission européenne a lancé une procédure en manquement contre la France et le Luxembourg, qui applique une législation similaire, le 3 juillet 2012, dont les conclusions devraient être connues en 2015.

La France a fait valoir que l'harmonisation du taux de TVA sur l'ensemble des livres est favorable à la diffusion de la culture et aux consommateurs et respecte le principe de neutralité fiscale , jugeant que le livre est avant tout une oeuvre de l'esprit, quel que soit son support.

En parallèle de cette procédure, la Commission européenne a toutefois lancé une consultation sur les taux réduits de TVA et envisage une modification de la directive concernée. Si le signal est encourageant, toute réforme fiscale requiert cependant l' unanimité des États membres.

A la suite de la Journée de Berlin du 9 septembre 2013 « Avenir du Livre, avenir de l'Europe », l'Allemagne, qui était l'un des principaux opposants à l'application du taux réduit sur le livre numérique, s'est ralliée à la France. Une majorité solide d'États membres est désormais favorable à cette réforme . Seuls quatre pays demeurent opposés à l'alignement des TVA « papier » et « numérique » : le Royaume-Uni (qui craint la remise en cause du taux zéro qu'il applique sur les livres papier), le Danemark, l'Estonie et la Bulgarie (pour des raisons d'orthodoxie économique).

Dans le cadre du Conseil Européen du numérique des 24 et 25 octobre 2013, la France a envoyé une contribution aux chefs d'État et de Gouvernement, à Herman Van Rompuy et à la Commission appelant à mettre en place une réforme de la TVA, afin de permettre l'application d'un taux réduit sur l'ensemble des biens et services culturels .

En définitive, l'avenir du taux réduit de TVA sur le livre numérique dépend d'une course de vitesse entre, d'une part, un processus judiciaire, qui suit son cours, certes lent mais inexorable, et, d'autre part, un processus législatif, qui évolue positivement mais nécessitera l'unanimité des États membres pour aboutir.

Par ailleurs, la loi n° 2011-590 du 26 mai 2011 relative au prix unique du livre numérique a ouvert à l'éditeur, comme pour le livre papier, la liberté de fixer le prix de vente d'un ouvrage, prix qui demeure toutefois inférieur d'environ 30 % à celui du livre physique.

Le décret d'application n° 2011-1499 du 10 novembre 2011 précise les caractéristiques des livres numériques entrant dans le champ d'application de la loi. Il définit également les critères permettant à l'éditeur de fixer des prix différents pour une même oeuvre commercialisée sous forme numérique en fonction du contenu de l'offre, des modalités d'accès et des modalités d'usage. Par ailleurs, le décret n° 2012-146 du 30 janvier 2012 définit les infractions à la loi et le régime des sanctions pénales qui leur est applicable.

À ce jour, le dispositif, sur lequel le Gouvernement a rendu ses avis circonstanciés dans le cadre de la notification de la loi, n'a fait l'objet d' aucune restriction de la part des autorités européennes. D'autres pays ont d'ailleurs adopté des législations similaires , à l'instar de l'Allemagne, de l'Espagne et de l'Italie.

Ailleurs, les éditeurs ont réussi à maintenir une pluralité de réseaux de diffusion, via un contrat de mandat leur permettant également de fixer le prix du livre. Toutefois, la validité de ce type de dispositif a été récemment mise à mal par les décisions des autorités de régulation de la concurrence américaines et européennes , convaincues de l'entente de certains groupes d'édition en matière de fixation du prix du livre numérique.

Les éditeurs incriminés se sont alors engagés, pour éviter de trop coûteuses condamnations, à résilier leurs contrats de mandat avec les revendeurs pour leur permettre à nouveau de fixer librement le prix de vente des livres numériques aux consommateurs. L'entrée en vigueur de ces accords, à partir de la fin de l'année 2012, a donc signé le terme d'une période inédite pour les pays ne possédant pas de système de prix fixe du livre, où le prix des livres numériques était fixé par les éditeurs.

La Commission précisait cependant, dans sa communication de septembre 2012 relative auxdits accords, que les engagements des éditeurs étaient «  sans préjudice des législations nationales qui autorisent ou obligent les éditeurs à fixer le prix de vente au détail des livres numériques à leur propre convenance (législations sur les prix de vente imposés) ».

Ces procédures sont lourdes de conséquence pour la structuration du marché du livre numérique dans les pays où il n'est pas régulé par un prix fixe : l'interdiction, pour les principaux éditeurs, d'exercer un contrôle sur le prix de revente de leurs ouvrages pendant plusieurs années, devrait permettre à Amazon, soupçonné d'avoir largement contribué à l'ouverture de ces procédures, de retrouver la position très dominante qu'il exerçait sur ces marchés. De fait, selon les témoignages des professionnels du livre déposés auprès de la cour de New York en charge du dossier comme auprès de la Commission européenne lors de la consultation ouverte en septembre 2012, la période d'application du contrat de mandat a ouvert significativement le marché du livre numérique en permettant à de nouveaux acteurs de s'y développer. Aux États-Unis, il est ainsi estimé que, durant cette période, la part de marché d'Amazon était passée de 90 % à 65 % des ventes de livres numériques.

Votre rapporteur pour avis estime que la fragilisation extrême du principe du contrat de mandat plaide, plus que jamais, pour une législation fixant un prix unique pour le livre numérique, telle qu'adoptée par la France. Seule une réglementation de cette nature peut, en l'absence d'une harmonisation fiscale européenne en matière de TVA, limiter la position dominante d'Amazon et maintenir, autant que faire ce peu, un réseau de librairies.

2. Accélérer la numérisation des oeuvres

Le développement du marché, marchand et non marchand, du livre numérique nécessite également que les oeuvres du patrimoine littéraire français soient rendues accessibles.

a) Gallica : une source de satisfaction

La politique publique de numérisation du patrimoine écrit ressort des missions confiées à la Bibliothèque nationale de France (BnF), qui dispose d' une bibliothèque numérique, Gallica . Inaugurée en 1997 avec une offre de quelques dizaines de milliers de documents, principalement en mode image, et conçue à l'origine comme une bibliothèque numérique à vocation encyclopédique , Gallica a profondément changé à compter de 2006, en contrepoint des projets de numérisation de Google. Le site, désormais généraliste, reçoit près de onze millions de visiteurs chaque année.

Gallica compte à ce jour plus de 2,6 millions de documents (dont 470 000 monographies) en provenance de la BnF, des bibliothèques partenaires, mais également de l'édition contemporaine mise à disposition par les éditeurs 1 ( * ) . Un dispositif de soutien du CNL aux éditeurs pour la numérisation rétrospective d'ouvrages sous droits a été créé, à cet effet, en 2008. Il s'agit d'un subventionnement partiel des frais occasionnés par la production de livres numériques à partir des ouvrages imprimés pour les livres les plus anciens ou, lorsqu'ils sont plus récents, à partir des fichiers techniques des imprimeurs.

La bibliothèque consacre annuellement, en propre, près de 600 000 euros à la numérisation de documents, ce qui est fort peu au regard des coûts de telles opérations. Face aux contraintes budgétaires pesant sur ses crédits d'investissement, l'établissement a choisi de concentrer son action sur la numérisation de manuscrits , à l'instar de certains manuscrits de Tombouctou récemment, et de cartes , laissant à d'autres financeurs le soin d'agir à plus grande échelle.

Aux fins d'exécution de son marché de numérisation de masse (2011-2013), qui aura permis de numériser environ 27 millions de pages, la BnF reçoit du CNL environ 6 millions d'euros par an. Un nouveau marché est actuellement en préparation, pour la période 2014-2016, avec un apport financier similaire du CNL.

Par ailleurs, l'établissement bénéficie de financements du fonds de soutien à l'économie numérique (FSN) des investissements d'avenir pour développer et moderniser sa bibliothèque numérique. À cette fin, elle a créé en avril 2012 BnF partenariats, filiale de droit privé qu'elle détient intégralement , chargée de passer des accords de numérisation à grande échelle de documents libres de droit.

Dès l'automne 2012, BnF partenariats a conclu, pour 10 millions d'euros reçus du FSN, deux partenariats avec des opérateurs privés en vue de la numérisation de 70 000 livres datant des XV e , XVI e , XVII e et XVIII e siècles, ainsi que de 180 000 disques vinyles, ce qui constitue une première mondiale. À la fin de l'année 2013, ces programmes ont d'ores et déjà permis de numériser deux millions de pages de livres anciens et 35 000 oeuvres sonores. Ces dernières rejoindront les 100 000 disques numérisés de musique du monde légués, cette année, à l'établissement par Radio France International (RFI). Un tel don ne s'était pas reproduit depuis celui de l'Office de radiodiffusion télévision française (ORTF) il y a près de quarante ans.

L'année 2012 a également marqué une nouvelle étape technologique du développement de Gallica avec le développement d'applications pour tablettes et smartphones .

La BnF a cependant dû renoncer, faute de partenaires, à son projet de numériser massivement la presse , comme l'a regretté Bruno Racine, son président, lors de son audition par votre rapporteur pour avis. L'établissement détient aujourd'hui trois millions de pages en ligne et souhaite atteindre vingt-cinq millions tout en ne pouvant consacrer directement que 160 000 euros au projet. Pour mémoire, les premières opérations de numérisation de la presse quotidienne du XIXème siècle avaient obtenu un soutien financier du Sénat.

En revanche, le projet Europeana de portail des bibliothèques numériques européennes reste décevant , avec à peine cinq millions de visites, majoritairement brèves, par an. La BnF y contribue en mettant à la disposition du portail ses documents numérisés et en participant à des programmes de recherche. À partir de 2015, Europeana , considéré comme une infrastructure de l'Union européenne, devrait toutefois bénéficier de financements stables qui faciliteront son développement et la mise en oeuvre de projets européens de numérisation (manuscrits royaux et archives de la première guerre mondiale notamment). Le portail ne pourra cependant pas faire l'économie d' une réflexion sur l'amélioration de sa visibilité, très insuffisante à ce jour, et sur la nécessité de proposer un service multilingue.

b) La numérisation des livres indisponibles : des engagements à respecter

Les projets de numérisation des oeuvres ont, en France, principalement porté sur le domaine public et les collections les plus contemporaines. Les livres anciens mais toujours sous droits n'ont pas, jusqu'à présent, fait l'objet de programmes spécifiques en raison de la faible opportunité économique de leur numérisation. De fait, alors que la rentabilité économique individuelle des titres est faible, le coût de leur numérisation est excessivement élevé puisqu'il est nécessaire de contacter individuellement les auteurs ou leurs ayants droit, dont la trace a souvent été perdue, afin de négocier des contrats pour les nouvelles utilisations numériques des oeuvres.

Avec la loi n° 2012-287 du 1 er mars 2012 relative à l'exploitation numérique des livres indisponibles du XX e siècle, adoptée à l'unanimité par les deux chambres, les pouvoirs publics ont souhaité remédier à la quasi-absence de ce patrimoine sur les supports numériques , mais également répondre au risque de constitution d'un monopole de la diffusion numérique des oeuvres de l'écrit . En effet, dès 2004, Google a entrepris de numériser et de donner accès de façon exhaustive à un très grand nombre d'ouvrages en s'affranchissant largement des principes du droit d'auteur.

La loi du 1 er mars 2012 précitée a instauré un mécanisme de gestion collective pour les droits numériques attachés aux livres indisponibles du XX e siècle publiés en France et ne faisant plus l'objet d'une diffusion commerciale par un éditeur, soit environ 200 000 titres. Seuls sont concernés les ouvrages édités dans un contexte où les perspectives de diffusion numérique n'étaient pas envisagées : pour les livres plus récents, c'est en pleine connaissance de cause que l'exploitation numérique est prévue ou omise dans les contrats d'édition. Le dispositif s'éteindra donc naturellement avec l'entrée de ces oeuvres dans le domaine public.

Le dispositif prévu consiste en un transfert de l'exercice des droits numériques des livres indisponibles à une société de perception et de répartition des droits , gérée de façon paritaire par des représentants des auteurs et des éditeurs et agréée par le ministère de la culture et de la communication. Ce transfert ne peut intervenir qu'au terme d'un délai de six mois après l'inscription des livres dans une base de données publique réalisée par la BnF , et sauf opposition des titulaires de droits. Pendant ce délai, les auteurs et leurs ayants droit sont informés de la réforme afin de leur permettre d'exercer en toute connaissance de cause leur droit de sortie initial. Après l'entrée en gestion collective, les titulaires de droits conservent cependant la possibilité de se retirer, sans contrepartie, du dispositif dès lors que les droits d'exploitation numérique de l'oeuvre n'ont pas été cédés à un éditeur.

Le mécanisme est particulièrement incitatif pour les éditeurs. Il encourage, en effet, l'éditeur originel du livre, s'il est encore en activité, à assumer l'exploitation numérique des livres concernés . D'une part, comme l'auteur, l'éditeur du livre peut s'opposer pendant le délai de six mois à l'entrée du livre en gestion collective. En revanche, contrairement à l'auteur, il doit assumer les conséquences de cette opposition et se trouve contraint de rendre de nouveau le livre disponible sous forme imprimée ou numérique. D'autre part, lorsque les droits numériques sont exercés par une société de gestion collective, cette dernière doit prioritairement proposer une licence exclusive à l'éditeur historique. Si celui-ci l'accepte et si l'auteur ne s'y oppose pas, il est là encore tenu d'exploiter le livre indisponible concerné.

La BnF a publié, le 21 mars 2013, une première liste de près de 60 000 livres sur son Registre des livres indisponibles en réédition électronique (ReLIRE), dont les droits d'exploitation numérique sont entrés en gestion collective le 21 septembre 2013 à défaut d'opposition de leurs éditeurs, de leurs auteurs ou des ayants droit de ces derniers. À ce jour, seuls 5 % des titres ont fait l'objet d'un retrait de ReLIRE par l'auteur ou par l'éditeur.

A la même date, par arrêté de la ministre de la culture et de la communication, la Société française des intérêts des auteurs de l'écrit (SOFIA) a été agréée en qualité de société de perception et de répartition pour la gestion collective du droit d'autoriser l'exploitation numérique des livres indisponibles.

En revanche, la situation est critique s'agissant du financement de la phase de numérisation , qui, faute d'accord sur la participation des éditeurs et du commissariat général à l'investissement (CGI) au capital de la société de projet, ne peut débuter. Manquent à ce jour 700 000 euros . Or, les éditeurs rechignent à financer un projet à si faible rentabilité commerciale, tandis que le CGI est soumis à des règles contraignantes de participation , qui doit demeurer limitée par rapport à ses partenaires. Pire, d'après les informations recueillis par votre rapporteur, le CGI pourrait se désengager du projet.

Pour sortir de l'impasse, la BnF a proposé de financer la phase de scannage des ouvrages grâce à une subvention supplémentaire du CNL mais cette solution demeure insuffisante pour débloquer la situation. En l'absence d'effort des éditeurs, seul le CNL sera à même de disposer les crédits nécessaires. Toutefois, son fonds de roulement ne s'établit qu'à 5 millions d'euros, une fois décomptés les crédits correspondant à deux mois de fonctionnement de l'opérateur, alors même que d'autres projets doivent être aidés. En tout état de cause, une participation, même renforcée, du CNL, ne pourrait se faire à hauteur de celle, prévue, du CGI.

Conscient des enjeux culturels et économiques attachés à la numérisation du patrimoine écrit et convaincu de l'urgence de développer une offre légale abondante et diversifiée de livres numériques dans un marché encore émergent, votre rapporteur pour avis appelle de ses voeux un déblocage rapide de ce conflit afin que s'applique la loi . Il lui semble essentiel, à cet égard, que les éditeurs, comme l'État, prennent enfin la mesure des enjeux et fassent preuve de l'engagement nécessaire.

3. Moderniser le droit de la propriété intellectuelle et artistique

Hors le cas spécifique des livres indisponibles, se posait la question de l' adaptation du contrat d'édition à l'exploitation numérique de l'oeuvre , afin d'en sécuriser les clauses tant pour les auteurs que pour les éditeurs.

Déjà, au mois de juin 2012, les travaux de la commission spécialisée du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) sur le contrat d'édition à l'heure du numérique avaient fait progresser les négociations entre le Syndicat national de l'édition (SNE) et le Conseil permanent des écrivains (CPE) sur les conditions de cession et d'exploitation des droits numériques. Certains principes avaient pu être dégagés mais un accord d'ensemble sur les termes exacts d'une modification du code de la propriété intellectuelle n'avait pu être trouvé. En septembre 2012, la ministre de la culture et de la communication a souhaité relancer la réflexion et, à cet effet, a confié au professeur Pierre Sirinelli le soin de poursuivre son travail de médiation.

À l'issue de plusieurs mois de négociation, auteurs et éditeurs ont conclu, le 21  mars 2013, un accord-cadre relatif au contrat d'édition , dont les dispositions n'avaient pas été modifiées depuis 1957, afin de l'adapter aux contraintes numériques avec l'installation de règles communes à tout contrat et de règles variant en fonction de la nature de l'exploitation :

- pour l'ensemble des contrats d'édition, le champ est modifié pour couvrir à la fois l'édition en nombre des exemplaires d'une oeuvre mais également le livre numérique . Les professionnels ont souhaité concilier le respect de l'unicité de l'oeuvre et la spécificité des modes d'exploitation, en proposant que le contrat d'édition détermine dans deux parties distinctes les conditions relatives à la cession des droits liés à l'exploitation imprimée de l'oeuvre d'une part, et les conditions liées à l'exploitation numérique de l'oeuvre d'autre part.

En outre, les parties se sont entendues pour préciser deux éléments fondamentaux du contrat d'édition : l'obligation de reddition des comptes qui pèse sur l'éditeur est renforcée et adaptée aux spécificités de l'édition numérique ; l'auteur ou l'éditeur est autorisé à mettre fin à l'ensemble du contrat sur la base du constat d'un défaut d'activité économique ;

- pour l'exploitation imprimée, la négociation a permis de définir avec précision l'étendue de l'obligation pesant sur l'éditeur en matière d'exploitation permanente et de diffusion commerciale des oeuvres . Pour l'auteur, cette précision simplifie la procédure de résiliation du contrat, aujourd'hui ressentie comme coûteuse et incertaine ;

- enfin, pour l'exploitation numérique, les obligations de l'éditeur ont également été précisées. Ont, par ailleurs, été fixées de nouvelles règles de rémunération. Enfin, les parties sont convenues d'un réexamen régulier des modalités de cession des droits d'exploitation numérique de manière à pouvoir les adapter à l'évolution des modèles économiques de diffusion numérique.

Cet accord a été très largement salué par les professionnels du livre . À titre d'exemple, s'agissant des règles nouvelles en matière de rémunération, la Société des gens de lettres a indiqué par voie de presse : « En réaffirmant le principe d'une rémunération fondée sur l'ensemble des revenus de l'édition, et non seulement de la vente des ouvrages à l'unité, et en mettant en place une commission mixte paritaire chargée de rendre des avis sur des cas particuliers, les accords écartent clairement les mauvaises pratiques dénoncées depuis plusieurs années par les associations ou sociétés d'auteurs. »

Votre rapporteur pour avis juge également ces modifications contractuelles, comme la réaction des auteurs et éditeurs à leur égard, particulièrement encourageantes pour l'adaptation du secteur de l'édition au numérique. Ces dispositions devraient prendre valeur législative dans le code de la propriété intellectuelle à l'occasion du projet de loi « création », qui sera présenté en Conseil des ministres en février 2014.

4. Penser le rôle des bibliothèques à l'heure du numérique

Les bibliothèques sont confrontées, pour leur part, à la difficulté de garantir , de façon pratique comme en matière de respect de la propriété intellectuelle, les conditions d'un usage collectif des livres numériques . De fait, comme le souligne la mission « Acte II de l'exception culturelle » confiée à Pierre Lescure dans son rapport de mai 2013, « la numérisation des contenus et la transformation des pratiques culturelles induite par la révolution numérique interrogent le rôle des bibliothèques et leur mission d'intermédiation culturelle ».

Certes, la loi n° 2003-517 du 18 juin 2003 relative à la rémunération au titre du prêt en bibliothèque et renforçant la protection sociale des auteurs a prévu la mise en place d' une licence légale pour le prêt de livres en bibliothèque . Selon ce principe, l'auteur se voit privé de son droit d'autoriser ou d'interdire le prêt des exemplaires de son oeuvre, moyennant une rémunération compensatoire versée par l'État et les collectivités territoriales, via la société de gestion collective SOFIA, qu'il partage à parts égales avec son éditeur. Mais ce dispositif n'a pas vocation à s'appliquer au prêt de livres numériques , conformément aux termes de la directive européenne 2006/115 qui ne vise que le prêt d'exemplaires physiques.

En outre, les principes d'exclusivité du prêt et d'épuisement des droits n'ont pas cours dans l'univers numérique.

Le prêt de livres numériques relève donc du droit exclusif de l'auteur et de la négociation contractuelle entre les organismes prêteurs et les titulaires de droits. Seule une modification du droit communautaire ou, à défaut, un accord global avec les éditeurs permettraient de lever les obstacles juridiques au prêt de livres numériques.

À l'absence de cadre juridique adapté, s'ajoute la diversité des modèles techniques et des stratégies commerciales des éditeurs, intégrateurs et distributeurs numériques , compliquant d'autant la recherche d'une solution équilibrée pour les auteurs, éditeurs et bibliothèques.

Schématiquement, deux modèles d'accès aux titres , modulables en termes de modèle commercial (licence ou achat), de volume (illimité ou non) et de choix de titres (catalogue entier, partiel ou au titre), coexistent : un accès en téléchargement permettant une lecture hors ligne et fonctionnant par paiement à l'acte ou un accès en streaming pour un nombre d'utilisateurs simultanés illimité impliquant un abonnement souscrit par la bibliothèque.

La multiplicité des modèles d'acquisition de titres et des dispositifs de lecture est préjudiciable aux bibliothèques , contraintes de contracter avec de nombreux intermédiaires et de former leurs personnels à la diversité des outils proposés, comme aux usagers , qui ne se voient pas offrir d'offre intelligible.

In fine , peu d'établissements proposent aujourd'hui de prêter des livres numériques : seuls 1 % d'entre eux disposent d'un fonds, contre la totalité des bibliothèques en Suède, 75 % aux États-Unis, 71 % en Grande-Bretagne et 16 % en Allemagne. Toutefois, la frilosité des bibliothèques françaises doit être tempérée par le peu d'appétence des lecteurs français pour le support numérique.

Afin de développer l'offre numérique en bibliothèque, la mission Lescure propose :

- d' adopter un dispositif de sécurisation du prêt numérique, notamment par la mise en place de systèmes de fichiers chronodégradables ;

- de développer l'offre de titres en nouant des partenariats avec les librairies , plus performantes en matière de respect de l'exception culturelle que les plateformes américaines auxquelles les établissements font aujourd'hui largement appel ;

- d'inciter les éditeurs français à mettre en place une gestion collective du prêt numérique , permettant la conclusion d'accords sur la rémunération des auteurs et éditeurs ;

- enfin, d' adapter les aides publiques aux bibliothèques en prenant en compte le développement de l'offre numérique, mais également de conditionner les aides à la numérisation versées par le Centre national du livre (CNL) à la mise à disposition des titres en bibliothèque.

Votre rapporteur pour avis souhaite qu'une réflexion approfondie sur la faisabilité de ces propositions soit menée par le ministère de la culture et de la communication, afin, le cas échéant, de les rendre effectives dans les plus brefs délais.

II. UNE POLITIQUE FREINÉE PAR LES CONTRAINTES BUDGÉTAIRES

A. UN BUDGET EN TROMPE L'oeIL

1. Une contraction des crédits sans rapport avec les besoins du secteur

Au sein du programme 334 « Livre et industries culturelles », l'action n° 1 « Livre et lecture » bénéficie de 96,7 % des crédits alloués par le projet de loi de finances pour 2014, soit 305,5 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 251,7 millions d'euros en crédits de paiement (CP) . S'agissant des autorisations d'engagement, l'action enregistre une augmentation de ses ressources de 23,3 % par rapport à 2013, exceptionnelle dans le contexte actuel.

Malheureusement, l'effort affiché n'est que la conséquence des prévisions de travaux du chantier de rénovation du Quadrilatère Richelieu de la BnF. En réalité, en crédits de paiement, les moyens diminuent de 1,48 % par rapport à 2013.

Les crédits consacrés au livre et à la lecture sont répartis en quatre-sous actions d'importance inégale :

- la subvention pour charge de service public de la BnF pour 203,5 millions d'euros en AE comme en CP ;

- le financement des travaux du Quadrilatère Richelieu pour 63,9 millions d'euros en AE et 10,2 millions d'euros en CP ;

- les crédits destinés au développement de la lecture et des collections pour 19,4 millions d'euros en AE et en CP ;

Sur ce total , 7,1 millions d'euros correspondent à la subvention pour charge de service publique versée à la Bibliothèque publique d'information (BPI) , soit un montant identique à celui alloué en 2013.

Par ailleurs, 12,3 millions d'euros de crédits d'intervention sont répartis entre les crédits centraux destinés à financer les interventions en direction des bibliothèques, le soutien à la conservation et à la diffusion du patrimoine écrit et le soutien au développement de la lecture (subventions aux associations) et les crédits déconcentrés (10,2 millions d'euros) consacrés à la conservation et à la mise en valeur du patrimoine écrit, à travers le soutien apporté à l'Institut de la mémoire de l'édition contemporaine (IMEC) et la mise en oeuvre du plan d'action pour le patrimoine écrit (PAPE), aux acquisitions et l'enrichissement des collections par les fonds régionaux d'acquisition des bibliothèques (FRAB), mais également à l'aide au fonctionnement des médiathèques ;

- enfin, les aides à l'édition, à la librairie et aux professions du livre pour 18,7 millions d'euros en AE et en CP.

Dans ce cadre, 15,7 millions d'euros de crédits centraux sont versés pour la rémunération des auteurs et des éditeurs au titre du droit de prêt en bibliothèque et pour la subvention au Syndicat de la librairie française et à la Centrale de l'édition. Enfin, 3 millions d'euros de crédits déconcentrés sont destinés au soutien aux libraires et aux maisons d'édition pour leurs projets de création, de développement et de diversification, afin de favoriser le maintien d'un réseau de librairies et éditeurs indépendants.

2. Des bibliothèques nationales à la recherche des moyens de leur développement
a) La BnF : une activité plombée par les projets immobiliers

La Bibliothèque nationale de France subit, à nouveau, une baisse de sa subvention pour charge de service public, qui s'élève, pour 2014 à 203,4 millions d'euros . Certes, facialement, la dotation augmente de 0,44 % en raison d'une ouverture de crédits de 3,7 millions d'euros destinée au financement des mesures de titularisation de personnels prévues par la loi dite « Sauvadet ». Mais, hors compensation de ce dispositif par l'État, les crédits de l'établissement sont réduits de 1,53 %, soit - 2,8 millions d'euros en fonctionnement et - 330 000 euros en investissement.

L'établissement participe depuis plusieurs années à l'effort de maîtrise des dépenses publiques et cherche, en conséquence, à limiter ses coûts de fonctionnement.

En 2014, le plafond d'emploi de l'opérateur diminuera de 29 équivalents temps plein (ETP). Bruno Racine, président de la BnF, a indiqué à votre rapporteur pour avis que le nombre d'ETP supprimés s'établit à une centaine en quatre ans , sur un total de 2 500, grâce au non-renouvellement des départs à la retraite. Il s'agit majoritairement d'emplois de catégorie C, tels que les magasiniers et les techniciens d'art. Une réorganisation des procédures du dépôt légal - un exemplaire numérique remplacera prochainement l'un des deux exemplaires physiques de l'ouvrage - permettra également de libérer huit postes et de réorganiser les tâches en conséquence. De même, le vestiaire du site François Mitterrand a été remplacé par une consigne automatique. Enfin, 1,1 million d'économie sera réalisé en 2014 en sous-traitant la sécurité des sites à une entreprise privée.

Outre sa dotation, la BnF bénéficie d'un soutien significatif dans deux domaines : les opérations de rénovation de son site historique du quadrilatère Richelieu , dont les crédits sont inscrits sur la sous action n° 2 précitée, et la poursuite de la numérisation de masse des collections imprimées.

La rénovation du quadrilatère Richelieu : un chantier à suivre

Le projet Richelieu a pour objectif de mieux assurer la sécurité des personnes et la sûreté des collections patrimoniales, en vue de l'installation sur le site des bibliothèques de l'Institut national d'histoire de l'art (INHA) et de l'École nationale des Chartes. Il s'agit de constituer un pôle de ressources en histoire de l'art , grâce à la rénovation des salles de lecture, à l'augmentation du nombre de places et à la création de nouvelles aires d'accueil pour le public.

La sous-action n° 2 « Quadrilatère Richelieu », dotée de 63,9 millions d'euros en AE et 10,2 millions d'euros en CP en 2014, retrace les crédits nécessaires à la rénovation complète du site historique de la BnF, dont les travaux sont prévus de 2011 à 2017.

Ce chantier représente pour l'État une charge globale réévaluée à 217,8 millions d'euros en 2014, contre 212 millions d'euros en 2013, dont 141,5 millions d'euros sont imputés sur le programme 334 du ministère de la culture et de la communication. Les 20 % restants sont à la charge du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Les crédits d'investissement inscrits pour le financement de l'opération de rénovation varient chaque année en fonction de l'état d'avancement des travaux . Le montant a, en outre, été révisé par rapport à la programmation pluriannuelle 2011-2014, compte tenu des besoins prévisionnels actualisés exprimés par l'opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la culture (OPPIC), mandaté pour la conduite de l'opération .

Pour mémoire, la prévision inscrite au titre de 2014 dans la programmation pluriannuelle 2011-2014 s'élevait à 61 millions d'euros en AE et 7,2 millions d'euros en CP.

Les montants inscrits en projet de loi de finances pour 2014 dépassent les prévisions en raison de surcoûts apparus à la suite d'aléas rencontrés sur le chantier (découverte d'amiante et de plomb), entraînant une hausse globale de 4,6 millions d'euros du budget des travaux. Conformément à la clé de répartition de la convention de mandat entre les deux ministères, le programme 334 finance 3,68 millions d'euros au titre du surcoût.

La présence d'amiante et de plomb a d'ores et déjà retardé les travaux de près d'un an (la réouverture de la salle Labrouste, correspondant à la fin de la première phase, n'interviendra qu'en juillet 2015). Il est à craindre qu'un retard supplémentaire et de nouveaux surcoûts n'apparaissent en raison des atermoiements du ministère de la culture sur le sort à réserver à l'escalier d'honneur , qui date de 1917 et est inscrit à l'inventaire supplémentaire. Le projet initial prévoit sa destruction et son remplacement par un escalier moderne.

Le quadrilatère Richelieu n'est pas le seul projet immobilier de l'établissement : la bibliothèque de l'Arsenal vient d'être restaurée , bien que la mise aux normes de sécurité incendie a été reportée en 2015 par manque de moyens, et le site François Mitterrand nécessite de perpétuels travaux de maintenance.

Reste que le coeur de l'activité de la BnF, malgré des moyens réduits, demeure l'accueil des lecteurs et des visiteurs , l'accès sur place ou à distance, grâce à Gallica , aux collections et leur valorisation à travers notamment un programme d'expositions, mais aussi l'enrichissement des collections par le dépôt légal et une importante politique d'acquisition, enfin, le développement des actions de coopération nationale et internationale.

S'agissant de l'accueil du public, si le nombre d'entrées enregistrées en 2012 (environ 925 000, soit 537 000 entrées pour la bibliothèque d'étude du Haut-de-Jardin et 388 000 entrées pour la bibliothèque de recherche sur les sites François Mitterrand, Maison Jean Vilar, Arsenal, Musée de l'Opéra et Richelieu) est en légère progression par rapport à l'année précédente, l'année 2013 ne devrait pas obtenir d'aussi bons résultats, en raison du réaménagement des salles de lecture du Haut-de-Jardin, initialement prévu en septembre 2012 mais finalement reporté au printemps 2013.

Toutefois, il convient de noter avec satisfaction que la fréquentation du site Richelieu se maintient malgré les travaux en cours et que l'assouplissement des conditions d'accès à la bibliothèque de recherche du site François Mitterrand (adaptation de la grille tarifaire, accréditation facilitée pour les masterants) a permis d'augmenter le nombre d'étudiants et de chercheurs accueillis.

Bruno Racine a indiqué à votre rapporteur pour avis qu'à l'issue des travaux du Haut-de-Jardin, une campagne d'information sera lancée en 2014 afin d'inciter le public à fréquenter les salles de lecture ainsi réaménagées.

Le contrat de performance 2008-2013 arrive à son terme et les travaux en vue de la rédaction d'un nouveau contrat pour la période 2014-2016 ont débuté au mois de juin avec l'appui d'une mission d'audit conduite par l'IGAC et l'Inspection générale des bibliothèques. Votre rapporteur pour avis appelle de ses voeux sa conclusion dans les plus brefs délais, afin de donner à l'établissement une visibilité de son activité pour les années à venir.

b) La BPI : une capacité d'investissement trop limitée

Au sein du projet de loi de finances pour 2014, la Bpi dispose, comme les années précédentes, d'une subvention pour charge de service public de 7,1 millions d'euros. Sur ce total, 6,7 millions d'euros sont destinés au fonctionnement de l'établissement, ne laissant que 375 000 euros au titre de l'investissement , dont près de 26 000 euros pour la recherche.

La Bpi a essentiellement un rôle de conseil auprès de bibliothèques municipales et départementales ; elle constitue également, à leur profit, une source d'informations. À cet effet :

- la Bpi procède chaque année à des études nationales sur le livre et la lecture sur demande du ministère de la culture et de la communication ;

- elle réalise des enquêtes de fréquentation des bibliothèques tous les deux ans, ainsi qu'une évaluation annuelle de la consultation sur place ;

- elle soutient l'association Réseau CAREL (Coopération pour l'accès aux ressources numériques en bibliothèques), créée en 2012, qui fédère des collectivités territoriales pour négocier avec les éditeurs et fournisseurs de ressources des tarifs à l'usage de l'ensemble des bibliothèques publiques ;

- enfin, en partenariat avec l'association « Images en bibliothèques », la Bpi sélectionne des films documentaires non édités pour en acquérir, en coordination avec le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), les droits de représentation et de prêt au bénéfice des bibliothèques publiques. Le catalogue comprend plus de 1 400 titres à ce jour.

Sur son site du Centre Pompidou, la Bpi accueille également chaque année environ 1,5 million de lecteurs, chercheurs et visiteurs , soit une moyenne d'un peu plus de 5 000 visiteurs quotidiens. Le nombre d'entrées enregistré en 2012 est en augmentation de 4,5 % par rapport à 2011. Le phénomène de désaffection de l'établissement observé depuis 2002 semble donc avoir atteint un palier en 2011 et légèrement s'infléchir depuis. Il convient de préciser que le site, faisant partie des rares bibliothèques publiques ouvertes, est saturé le dimanche. Il voit également sa fréquentation enfler à l'occasion des expositions qu'il accueille, à l'instar de celle d'Art Spiegelman en 2012.

En décembre 2012, la ministre de la culture et de la communication a souhaité que le projet d'établissement « Lire le monde », élaboré en 2011, soit modifié afin de garantir le maintien du nombre de places de lecture dans l'établissement, de développer les liens avec le Centre Pompidou et de renforcer davantage la coopération avec les bibliothèques en région . Un nouveau projet a été transmis le 25 juillet 2013 mais ces modifications ont entraîné un report de la rédaction du futur contrat de performance de la bibliothèque qui devrait être élaboré à compter de la fin de l'année.

B. LE CNL : UN OPÉRATEUR À RÉFORMER

1. Une envergure modeste

Le Centre national du livre (CNL), établissement public administratif sous tutelle du ministère de la culture et de la communication, agit comme opérateur du ministère dans le cadre d'orientations définies par un conseil d'administration où siègent, à côté des représentants publics, des représentants des professions du secteur et des personnalités qualifiées. Depuis 2010, son président est nommé pour cinq ans par le Président de la République, ce qui a favorisé une gouvernance plus dynamique.

Le CNL est chargé de soutenir, aux différents niveaux de la chaîne du livre (auteurs, éditeurs, libraires, bibliothèques, organisateurs de manifestations), les projets de qualité en favorisant plus particulièrement la création et la diffusion des oeuvres les plus exigeantes sur le plan littéraire ou scientifique. Il attribue notamment des subventions et des prêts après avis de commissions ou comités spécialisés.

Dans ce cadre, il a pour mission de :

- soutenir et encourager l'activité littéraire des écrivains français par des bourses ;

- favoriser par des subventions ou des avances de fonds l'édition ou la réédition d'oeuvres littéraires dont il importe d'assurer la publication ;

- concourir à la diffusion, sous toutes ses formes, des oeuvres littéraires ;

- contribuer au maintien et à la qualité des réseaux de diffusion du livre (et notamment les librairies) ;

- favoriser la traduction d'oeuvres étrangères en français et d'oeuvres françaises en langues étrangères ;

- contribuer aux manifestations littéraires d'envergure organisées sur tout le territoire lorsqu'elles offrent au public de découvrir toutes les formes de littératures et de rencontrer des auteurs et contribuent à la diffusion du livre ;

- intensifier les échanges littéraires internationaux en invitant des auteurs étrangers à rencontrer le public français et en encourageant les éditeurs français à traduire la littérature étrangère ;

- favoriser les commandes par les bibliothèques, les établissements culturels et les librairies en France et à l'étranger, des ouvrages de langue française dont la diffusion présente un intérêt culturel, scientifique ou technique ;

- aider à la numérisation de revues ou d'ouvrages, la préparation de maquettes de projets éditoriaux numériques et la mise en ligne des catalogues des éditeurs.

Malgré un périmètre d'action ambitieux, le poids du CNL dans l'ensemble de l'économie du livre reste modeste . Ses interventions représentent ainsi environ 1 % du chiffre d'affaires de l'édition , soit un taux d'intervention bien inférieur à celui du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) en matière de cinéma, de l'ordre de 10 % du chiffre d'affaires du secteur. Elles sont toutefois décisives pour la qualité, la diversité et l'économie des domaines éditoriaux à rotation lente.

Le CNL bénéficie, pour son fonctionnement et ses interventions, du produit des deux taxes fiscales qui lui sont affectées :

- la première taxe, de nature redistributrice, est due par les éditeurs en fonction des ventes d'ouvrages de librairie. Elle est perçue au taux de 0,2 % sur la même assiette et dans les mêmes conditions que la TVA. Sont exonérés les éditeurs dont le chiffre d'affaires de l'année précédente n'excède pas 76 000 euros. Elle représente 12,4 % des recettes du CNL en 2012 ;

- la seconde taxe, de nature compensatrice, concerne les ventes des appareils de reprographie et, depuis 2007, de reproduction et d'impression, figurant sur une liste fixée par arrêté interministériel. Elle a pour objet d'apporter une réparation partielle au préjudice subi par les éditeurs et auteurs du fait du développement de l'usage de la reprographie. Elle est perçue au taux de 3,25 % et concerne la première vente sur le territoire.

L'article 46 de la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 de finances pour 2012 a plafonné ces deux taxes, respectivement à hauteur de 5,3 millions d'euros pour la taxe sur l'édition et de 29,4 millions d'euros pour la taxe sur le matériel de reproduction et d'impression. Ce plafonnement est appliqué au produit des deux taxes avant prélèvement des frais d'assiette et de recouvrement estimés chaque année à 1,2 million d'euros. Il a été reconduit pour les exercices 2013 et 2014.

Les ressources du CNL se trouvent ainsi limitées à 33,5 millions d'euros après déduction des frais de gestion. Toutefois, le rendement des taxes, notamment celle sur les appareils de reproduction et d'impression, n'est pas à la hauteur des espérances, qui s'établissaient en 2007 à 30 millions d'euros par an.

Tableau d'évolution du rendement des taxes 2008-2013

En K€

2008

2009

2010 *

2011 *

2012 *

Prévision
2013 **

Taxe sur le matériel de reprographie

28 492

22 074

29 318

32 470

29 638

29 400

Taxe sur l'édition

5 492

5 282

5 257

5 549

4 993

5 300

Montant net
des taxes ***

32 367

26 212

33 141

34 399

33 197

indéterminé

* Source agence comptable CNL « les chiffres clés du CF 2012 » ;

** Source Budget primitif 2013 ;

*** Net des remboursements de taxes sur les exercices antérieurs.

Source : CNL

En outre, depuis 2004, le CNL ne perçoit plus de subvention de fonctionnement de son ministère de tutelle. Pire, la subvention mise en place au titre des transferts de compétence intervenus en 2009 entre l'administration centrale et le CNL, qui représentait 2,8 millions d'euros en loi de finances pour 2012, n'a pas été reconduite depuis 2013, l'établissement participant à l'effort de relèvement des comptes publics.

2. Une efficacité à améliorer

Le dispositif d'aides du CNL est caractérisé par sa complexité et son éparpillement. On compte ainsi trente-cinq catégories d'aides attribuées sur avis de dix-huit commissions et neuf comités, organisées par disciplines ou par type d'intervention. Ces structures rassemblent plus de 300 spécialistes (écrivains, universitaires, journalistes, chercheurs, traducteurs, critiques, éditeurs, libraires, conservateurs, animateurs de la vie littéraire, français et étrangers), nommés pour trois ans par le ministre de la culture et de la communication, sur proposition du président du CNL. Elles s'appuient également sur un réseau bénévole de lecteurs et d'experts.

Sur les 4 218 demandes reçues en 2012, le CNL a alloué 2 800 aides, soit un taux de satisfaction de l'ordre de 66,4 %, pour un montant total d'interventions de 29,6 millions d'euros.

On observe une baisse du taux de satisfaction de 7,7 points, passant de 73,2 % en 2007 à 65,5% en 2011, pour se stabiliser en 2012 à 66,4 %, évolution qui rapproche le CNL d'établissements similaires.

Le nombre de demandes a diminué de 8 % entre 2011 et 2012 pour un montant d'aides attribué légèrement supérieur (+ 300 000 euros). Logiquement, l'aide moyenne allouée a augmenté de 913 euros par bénéficiaire, pour s'établir à 10 582 euros.

Source : CNL

En nombre d'aides, le secteur de l'édition est le plus soutenu et se détache significativement des autres. La diffusion marchande (librairies) supplante la diffusion non marchande (aides aux bibliothèques, dont 6 millions d'euros à la BnF au titre de la numérisation), mais la proportion s'inverse pour ce qui est des montants alloués.

Source : CNL

L'action du CNL en faveur des librairies poursuit un double objectif, de stabilisation du réseau d'une part, d'adaptation au numérique d'autre part. Conformément aux priorités fixées par le ministère de la culture et de la communication, l'opérateur a plus que doublé son budget dédié au soutien de la librairie depuis 2006 : en 2012, il a consacré 3,5 millions d'euros aux aides directes aux librairies et aux structures professionnelles, soit plus de 350 bénéficiaires par an. Ces aides seront portées à six millions d'euros en application du « plan librairies ».

La mission précitée confiée à Jacques Kancel a estimé que le dispositif de soutien du CNL aux librairies devrait être sensiblement renforcé. À cet effet, elle propose d' accroître la sélectivité des subventions par une analyse approfondie de la situation économique des bénéficiaires, afin d' éviter le saupoudrage des aides . Le ciblage des aides pourrait être également fonction des enjeux prioritaires pour l'économie du secteur, notamment la transmission de fonds de commerce et l'adaptation au numérique.

Conscient de la nécessité d'une rationalisation de son système d'aides, au-delà de celles consacrées spécifiquement aux librairies, en vue de le rendre plus efficace, le CNL a présenté en mars 2012 une réforme du dispositif, suspendue par la ministre de la culture et de la communication dès le mois de juillet 2012 en raison des inquiétudes suscitées chez les auteurs. La réforme envisagée consiste en la réduction du nombre de dispositifs d'aides à treize et du nombre d'instances à onze commissions et six comités.

La ministre de la culture et de la communication a confié à l'IGAC le soin de dresser un bilan du dispositif actuel et d'expertiser le projet de réforme du CNL. Les conclusions de cette mission ont été rendues en novembre 2012.

La première critique de l'IGAC porte sur la quasi-absence de concertation en amont de la présentation de la réforme, méthode qui a largement contribué à crisper les positions. La mission s'interroge ensuite sur la réalité de la diminution annoncée du nombre d'aides, dans la mesure où de nouveaux dispositifs seraient créés (soutien aux grands projets patrimoniaux, aide au roman, soutien aux manifestations littéraires internationales, etc.). Elle s'inquiète en revanche de la suppression des aides à vocation sociale , qui constituent une mission historique de l'opérateur. Enfin, la mission regrette qu' aucune évaluation de la réforme ne soit prévue, critique qu'elle formule également à l'encontre du CNL s'agissant de son fonctionnement actuel.

La mission conclut à la nécessité d'une véritable concertation avec l'ensemble des acteurs du livre, comme de l' affirmation des priorités de la tutelle en matière de soutien au secteur, avant toute mise en oeuvre de la réforme. Elle rappelle que quelles que soient les pistes retenues, les aides du CNL devront être compatibles avec l'obligation de déclaration auprès de la Commission européenne.

Après une période d'incertitude à la tête de l'établissement entre la démission de Jean-François Colosimo en juin 2013 et la nomination de Vincent Monadé en octobre, le CNL a désormais toute latitude pour mener à bien une réforme nécessaire à l'efficacité du soutien public au livre et à la librairie . Votre rapporteur pour avis, qui a auditionné le nouveau président avec intérêt, appelle de ses voeux des décisions rapides en la matière.

DEUXIÈME PARTIE

LES INDUSTRIES CULTURELLES AU MILIEU DU GUÉ

I. VERS UNE SORTIE DE CRISE POUR LE SECTEUR MUSICAL ?

A. UNE EMBELLIE À CONFIRMER

1. Des résultats encourageants

Malgré une année 2013 marquée par le traumatisme qu'a représenté, pour les acteurs de la filière musicale comme pour le grand public, la fermeture du magasin Virgin des Champs-Élysées, les chiffres fournis par le Syndicat national de l'édition phonographique (SNEP), qui les a exposés en détails lors de son audition par votre rapporteur pour avis, sont étonnamment bons.

Ce résultat mérite d'autant plus d'être salué qu'il intervient après une période de crise grave où, en cinq ans, le marché de la musique enregistrée a perdu 31 % de sa valeur et où les maisons de disque ont licencié 50 % de leurs effectifs.

- 31 %

Source : Syndicat national de l'édition phonographique

Au premier semestre de l'année 2013, les ventes physiques comme numériques ont crû de 6 % grâce, notamment, à la sortie d'albums extrêmement attendus par le public, à l'instar de Random Access Memories des Daft Punk le 20 mai, comme l'ont rappelé les représentants de la Fnac lors de leur audition. Ce résultat devrait encore s'améliorer avec la période des fêtes de fin d'année.

Le marché physique , fort d'un réseau de détaillants bien implantés sur le territoire (Fnac, Cultura, Leclerc, etc.), représente encore plus de 70 % du chiffre d'affaires de la filière, même si, comme pour le jeu vidéo, on observe un basculement progressif des habitudes de consommation vers le numérique.

Source : GFK

L'avenir de la filière musicale est, à n'en pas douter, numérique via le téléchargement et, surtout, le streaming , dont la part dans le chiffre d'affaires du secteur ne cesse de progresser. La France est ainsi le deuxième pays d'Europe à en tirer le plus de bénéfices.

Source : Syndicat national de l'édition phonographique

2. L'offre légale : un succès à préserver

L'offre légale est toutefois encore insuffisante et son modèle économique toujours fragile. Pire, dans son rapport d'activité en date d'octobre 2013, la Hadopi constate un recul de la labellisation des plateformes musicales , même si, sur une cinquantaine de services concernés, la moitié a d'ores et déjà obtenu le label promotion des usages responsables (PUR). Alors qu'ils représentaient 56 % des plateformes labellisées par l'institution en 2012, les sites de musique en ligne n'en représentaient plus que 36 % en juin 2013.

Ce résultat s'explique notamment par la fermeture de huit plateformes musicales en ligne, vaincues par la concurrence de services comme ITunes et Youtube, qui bénéficient par ailleurs d'une fiscalité particulièrement favorable. L'arrivée de Google sur ce marché, à l'été 2013, devrait prochainement raviver la concurrence.

En outre, l'exploitation numérique peine à assurer sa rentabilité et ne compense pas, à ce jour, la diminution du chiffre d'affaires des ventes physiques : artistes, producteurs et distributeurs tirent, en proportion, des revenus moins élevés des ventes numériques.

La substitution des revenus

(en millions d'euros)

Évolution 2012/2011

En 2012, la perte du marché physique a été compensée par la hausse des autres revenus (ventes numériques et droits voisins) à hauteur de 43 %

Marché physique

- 49

Marché numérique

+ 14

Droits voisins

+ 7

Taux de substitution de la perte du marché physique

43 %

Source : Syndicat national de l'édition phonographique

De fait, la concurrence des plateformes internationales est particulièrement virulente et l'accès aux oeuvres pas toujours aisé. 12 % des plateformes labellisées par la Hadopi disposent d'un catalogue supérieur à dix millions de titres, à l'instar de Deezer, Amazon mp3, Spotify, Orange Musicstore ou Starzic, mais 76 % d'entre elles, en raison du coût d'investissement élevé de l'acquisition des catalogues des majors , en proposent moins de 100 000, ce qui rend fragile leur équilibre économique.

La consommation de musique en streaming

Janvier 2013

En nombre de visites
(millions)

Evolution (Janv2013/Janv2012)

En part d'audience (pourcentage)

YouTube/Vevo

33,5

+ 27 %

78 %

Deezer

4,7

+ 20 %

11 %

Spotify

1,1

+ 100 %

3 %

Autres

3,4

+ 30 %

8 %

TOTAL

42,7

+ 27 %

Source : Syndicat national de l'édition phonographique

Certains services de moindre importance misent toutefois sur la qualité de leur offre et leur plus-value éditoriale , comme 7Digital et Qobuz. Cette dernière plateforme de téléchargement et de streaming de musique classique prépare d'ailleurs une levée de fonds de 20 à 25 millions d'euros, afin de financer son développement dans huit pays européens, dont l'Allemagne et le Royaume-Uni, puis aux États-Unis en 2014. Son modèle économique, vertueux, prévoit une meilleure rémunération des labels, comme Harmonia Mundi, en échange d'exclusivité sur leurs catalogues. Qobuz compte aujourd'hui 10 000 abonnés en streaming et réalise près de sept millions d'euros de chiffre d'affaires, soit les deux tiers du total, en paiement à l'acte. La plateforme prévoit d'être rentable en France en 2015.

À titre de comparaison, comme ses responsables l'ont indiqué en audition à votre rapporteur pour avis, Deezer, leader français sur le marché, n'espère pas l'être avant plusieurs années, notamment si les règles de partage de la valeur n'évoluent pas à l'issue des « treize engagements ».

Signés en janvier 2011, les « treize engagements pour la musique en ligne » ont pour objectifs de développer une offre légale innovante et rentable, mais également de garantir l'accès des éditeurs aux catalogues des producteurs et d'améliorer le partage de la valeur avec les artistes interprètes. Chargée du suivi de l'accord, la Haute Autorité a confié à Jacques Toubon, membre de son collège, le soin de convier en février et mars 2013 l'ensemble des signataires en vue d'évaluer les actions mises en oeuvre, afin de permettre à la ministre de la culture et de la communication d'envisager les suites à donner à cette initiative.

La synthèse de ces rencontres fait état des bénéfices de l'accord sur l'économie du secteur de la musique en ligne : les plateformes sont désormais considérées comme des partenaires naturels des producteurs dans l'objectif de ramener le consommateur vers une offre légale assurant la rentabilité des oeuvres et leur diffusion.

En revanche, le désaccord persiste entre les parties sur les modalités de création et de partage de la valeur . S'agissant de la création de valeur, il n'y a pas d'accord entre les éditeurs et les producteurs sur les modèles de commercialisation en ligne, la place du gratuit ou du payant ou encore le financement de l'innovation.

Les analyses sont également opposées sur le partage de la valeur, sauf en ce qui concerne la place croissante des intermédiaires de l'Internet. Alors que les éditeurs dénoncent des conditions défavorables imposées par les producteurs qui ne leur permettent pas d'assurer la viabilité du modèle économique de la musique en ligne, ces derniers appellent la définition d'un modèle de répartition de la valeur correspondant aux coûts, moins élevés que ceux des supports physiques, de la diffusion numérique des oeuvres. Les relations entre producteurs et artistes interprètes sur le sujet ne sont guère meilleures : les artistes pâtissent de la diminution de la valeur du secteur de la musique et souhaitent la création d'une gestion collective des droits de la musique en ligne, ce qui n'enchante pas les producteurs.

S'agissant du financement de la création, qui se pose tout particulièrement dans le secteur de la musique en ce qu'il est à la fois le plus avancé dans la transition numérique et le moins régulé , la mission confiée à Pierre Lescure préconise la conclusion d'accords collectifs , étendus à l'ensemble du secteur par arrêté, pour déterminer le taux minimum et l'assiette de la rémunération. Les sociétés de gestion collective d'artistes devraient ensuite être mandatées par les producteurs afin de percevoir et de répartir les revenus, en contrepartie d'obligations relatives à l'efficacité de la répartition et à sa transparence.

Un tel système aurait pour avantage de calculer les rémunérations dues aux artistes sur des assiettes correspondant au prix réellement payé par le public ou aux recettes réellement encaissées par le producteur, c'est à dire selon un mode de calcul lisible et transparente, que la gestion individuelle échoue parfois à assurer.

À cet effet, la ministre de la culture et de la communication vient de confier à Christian Phéline, conseiller maître à la Cour des comptes, une mission visant à analyser en détail la chaîne de rémunération, de la plateforme à l'artiste interprète, afin de proposer une solution viable en termes de partage de la valeur. Le résultat de ces réflexions devrait être rendu public à la fin de l'année.

À l'issue de ces différentes missions et compte tenu de la situation économique peu florissante des plateformes indépendantes comme des artistes interprètes, votre rapporteur pour avis appelle de ses voeux la mise en place d'un cadre réglementaire et fiscal incitatif et adapté pour le secteur de la musique en ligne , traitant de la transparence des relations commerciales et de l'équilibre des rémunérations des acteurs de la filière. Soucieux du maintien de l'exception culturelle, il rappelle également combien la préservation des plateformes françaises doit constituer un objectif prioritaire : elles sont, en effet, seules à promouvoir la création francophone.

B. UNE FILIÈRE PEU BÉNÉFICIAIRE DES CRÉDITS PUBLICS

1. Un financement symbolique du ministère de la culture et de la communication

L'action n° 2 « Industries culturelles » ne rassemble, en 2014, que 3,3 % des moyens du programme 334 « Livre et industries culturelles », soit 10,48 millions d'euros.

Après une augmentation significative de 6,7 % en 2013, 2014 s'annonce moins faste pour le développement des industries culturelles et le renouvellement de la création avec une diminution de 16,16 % des crédits alloués, baisse intégralement portée sur le budget de la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits du Internet (Hadopi) à laquelle votre rapporteur pour avis consacre un développement spécifique.

En revanche, l'enveloppe demeure stable à 2,6 millions d'euros pour le soutien aux manifestations cinématographiques régionales destinées à promouvoir des oeuvres peu diffusées et/ou produites localement.

La musique souffre elle-même peu de l'effort de maîtrise des dépenses publiques portées sur l'action n° 2 du programme 334. Il faut cependant reconnaître que les crédits dont le secteur bénéficie à ce titre sont de l'ordre de l'anecdotique, avec 1,88 million d'euros , contre 1,9 million d'euros en 2013, en faveur des nouveaux talents. Ces crédits correspondent notamment au soutien de l'État aux Allumés du jazz, aux Victoires de la musique, ainsi qu'au Fonds pour la création musicale.

2. Un crédit d'impôt indispensable

L'article 36-I de la loi n° 2006-961 du 1 er août 2006 relative aux droits d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information (DADVSI) a instauré un crédit d'impôt au titre des dépenses de production et de développement d'oeuvres phonographiques (dit « crédit d'impôt phonographique ») applicable depuis le 1 er janvier 2006 à des productions concernant de nouveaux talents . Lorsque les albums sont chantés, le bénéfice du crédit d'impôt est, en outre, subordonné au respect d'une condition de francophonie.

Il est égal à 20 % du montant total des dépenses de production et/ou de postproduction d'un disque ou de vidéomusiques et des dépenses liées au développement de ces productions (scène, émissions de télévision ou de radio, création de site Internet, base de données numérisées, etc.). Les dépenses de développement éligibles au crédit d'impôt sont plafonnées à 350 000 euros par enregistrement mais, dans tous les cas, la somme des crédits d'impôt ne peut excéder 700 000 euros par entreprise et par exercice.

Le dispositif est monté progressivement en puissance : il est passé de 3,5 millions d'euros bénéficiant à 64 entreprises en 2007, à 6,2 millions d'euros pour 179 entreprises en 2011, puis à près de 6,8 millions d'euros en 2012. Environ 36 millions d'euros ont été consommés entre 2007 et 2012, avec une augmentation de la proportion des petits labels dans l'utilisation du dispositif.

Trop restrictif aux yeux de certains producteurs, son utilité en faveur de la création, du renouvellement des talents et de la francophonie a été saluée par tous. De fait, après une première prolongation de trois ans entre 2009 et 2012, l'article 28 de la loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 de finances pour 2013 a maintenu le dispositif jusqu'au 1 er janvier 2015 et l'a renforcé.

La nouvelle version du crédit d'impôt phonographique a été autorisée par la Commission européenne au titre des aides d'État le 14 février 2013, pour une durée de quatre ans, soit du 1 er janvier 2013 au 31 décembre 2016.

Le renforcement du dispositif se traduit par :

- la revalorisation du taux de crédit d'impôt (de 20 à 30 % du montant total des dépenses éligibles) en faveur des entreprises qui répondent à la définition de la PME européenne ;

- la création d'un plafond unique (somme des crédits d'impôt calculés au titre des dépenses éligibles par entreprise et par exercice) à hauteur de 800 000 euros, contre 700 000 précédemment.

Votre rapporteur pour avis avait à l'époque salué la prolongation du dispositif, qui, même insuffisamment tourné à son goût vers la promotion de la francophonie, a le grand mérite d'aider un secteur peu dispendieux des crédits publics. Il avait, en revanche, estimé que, compte tenu des délais de versement du crédit d'impôt, la possibilité d'accorder des avances remboursables devrait compléter le dispositif et que les procédures pourraient utilement être allégées. À défaut d'avoir été entendu l'an passé, il réitère ses propositions, convaincu que de tels aménagements permettraient au dispositif d'être pleinement efficace au profit des petits labels.

Quoi qu'il en soit, les aides publiques sont très majoritairement destinées à la production et trop peu à la distribution. On peut, à cet égard, regretter l'abandon du projet de création du Centre national de la musique (CNM), qui aurait permis, grâce à de nouvelles ressources, un financement renforcé et plus équilibré de la filière musicale.

C. L'EXPOSITION DE LA DIVERSITÉ MUSICALE DANS LES MÉDIAS : UNE ÉVOLUTION INQUIÉTANTE

1. Un constat sans appel

L'exposition de la diversité musicale dans les médias constitue un sujet de préoccupation et de revendication récurrent pour la filière musicale, compte tenu du rôle prescripteur essentiel joué par les médias et de la dégradation du temps d'exposition de la musique sur les écrans depuis dix ans.

À contrario , les diffuseurs continuent de plaider en faveur d'un assouplissement des règles qui encadrent leur activité. Les groupes M6 et Canal + réclament notamment que les obligations musicales établies dans les conventions de leurs chaînes, respectivement W9 et D17, soient révisées.

En réponse à l'insistance des diffuseurs, le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) a lancé, au début de l'année 2013, un cycle d'auditions relatif à l'offre musicale à la télévision, dont les conclusions ont été rendues publiques au mois de juin. Cette étude examine l'évolution, entre 2007 et 2012, de la programmation de l'offre musicale sur les chaînes nationales de la télévision gratuite, dans les émissions qui lui sont consacrées (exclusivement ou principalement) et retranscrit les propositions des diffuseurs et de la filière musicale.

Le rapport montre que, si, en 2012, l'offre musicale a représenté en moyenne 12 % de l'offre globale de programmes diffusés sur l'ensemble des antennes de la télévision gratuite en 2012, celle-ci accuse une baisse en volume horaire d'environ 22 % depuis 2007.

Concernant l'offre de programmes musicaux (vidéomusiques, divertissements, concerts, documentaires), le CSA fait le constat d'une diversité globalement assurée, qu'il convient cependant de relativiser au regard des horaires de programmation puisque les programmes musicaux sont généralement diffusés la nuit , à des horaires où le public est peu présent.

De fait, en 2012, aux heures de fortes audiences (entre 20 heures 30 et 23 heures), la musique représentait seulement 3,5 % de l'offre de programmes, en baisse de 66 % par rapport à 2007 . En outre, dans cette tranche horaire, la musique n'est souvent exposée que sous forme d'émissions de variétés ou de divertissements de type concours de talents, ce qui permet peu la représentation d'artistes professionnels, comme le revendique la filière musicale.

Les observations recueillies par le CSA auprès des éditeurs et des producteurs de programmes audiovisuels indiquent que ces derniers s'accordent sur le fait que l'offre musicale est peu satisfaisante, qu'elle fait l'objet d'une programmation trop tardive et qu'elle est trop peu diversifiée. Ils ajoutent en revanche que la musique est difficilement fédératrice en termes d'audience et que la forte concurrence des plateformes de vidéo en ligne (YouTube, Dailymotion, Vevo, etc.) contraint les chaînes à revoir leur programmation à la baisse.

Les représentants de la filière musicale dresse un constat similaire de la dégradation de l'offre et de la diminution de l'exposition musicale à la télévision, en particulier pour les interprétations d'artistes professionnels . Ils appellent de leurs voeux une mise en valeur des nouveautés, des jeunes talents et de la francophonie. Ils préconisent de procéder à des modifications législatives et réglementaires et notamment d'inscrire des obligations d'investissement pour les chaînes, ainsi que des obligations qualitatives de diffusion en termes de genres musicaux, de tranches horaires et de formats.

En synthèse, le CSA insiste sur la nécessité de repenser et de moderniser l'offre de musique à la télévision , sans rejeter les acquis de la programmation musicale télévisuelle. À cet effet, il invite les diffuseurs et les professionnels de la filière musicale à se rapprocher, échanger et travailler ensemble sur l'éditorialisation de la musique à la télévision.

2. Des professionnels dans l'expectative

Dans ce contexte, et pour faire suite aux engagements annoncés en 2013 lors du Marché international du disque et de l'édition musicale (MIDEM) et du Printemps de Bourges, la ministre de la culture et de la communication a fait part de son intention de poursuivre la réflexion et a confié, à cet effet, au mois de septembre, une mission à Jean-Marc Bordes , ancien directeur de l'Institut national de l'audiovisuel (INA).

Selon les informations fournies par le ministère de la culture et de la communication, le missionné doit établir, « en s'appuyant sur une consultation large des professionnels concernés, un état des lieux qualitatif et quantitatif de l'exposition actuelle de la musique sur les différents médias, du secteur privé comme du service public ». Il est également précisé que « des préconisations seront établies afin de conforter la place des médias en tant que prescripteurs privilégiés dans le paysage musical français, qu'il s'agisse des éditeurs de services de communication audiovisuelle traditionnels (télévision et radio) ou des éditeurs de services numériques (services de médias audiovisuels à la demande, sites de vidéo et de musiques en ligne, etc.) ». L'objectif central est d'obtenir des diffuseurs une meilleure exposition de la musique francophone et des jeunes talents.

L'évolution de la présence musicale dans les médias, notamment aux heures de grande écoute, ainsi que la généralisation de la consommation des contenus culturels musicaux via les services numériques constituent le socle à partir duquel la mission mène ses travaux.

Ceux-ci devront être achevés en janvier 2014 ; ils s'inscrivent dans la continuité des propositions formulées par le rapport Lescure . Il propose, en effet, de mettre en place un mécanisme novateur de conventionnement avec les éditeurs de services audiovisuels en ligne, reposant sur une logique « donnant-donnant » : les acteurs vertueux acceptant de prendre des engagements volontaires au-delà de leurs obligations légales en faveur de la diversité culturelle (exposition de la diversité, financement de la création, tarifs réduits et ciblés) se verraient ainsi octroyer diverses contreparties en termes d'accès aux aides publiques ou encore d'accès anticipé à la distribution des oeuvres . Ce rôle pourrait être assuré par le CSA, qui deviendrait in fine le régulateur des contenus culturels et l'observateur des pratiques culturelles.

En ce qui concerne plus particulièrement le service public, le ministère de la culture et de la communication s'est engagé à ce que la musique conserve une place de choix dans les contrats d'objectifs et de moyens de France Télévisions et de Radio France.

Votre rapporteur pour avis se penchera avec attention sur les propositions qui seront faites dans les mois à venir, notamment en faveur des productions musicales francophones.

II. LES JEUX VIDÉO : UNE INDUSTRIE CULTURELLE EN MAL DE RECONNAISSANCE

A. LE PREMIER LOISIR CULTUREL DES FRANÇAIS ENCORE DÉCONSIDÉRÉ

1. La France : un pays de joueurs

Les jeux vidéo constituent l'industrie culturelle la plus récente. Née aux États-Unis en 1962 avec l'invention du jeu Space War au Massachusetts Institute of Technology (MIT), elle revient populaire dix ans plus tard avec le jeu d'arcade Pong . Le succès est immédiat et, progressivement, la production de jeux s'industrialise, donnant naissance à de puissants studios et à des jeux mythiques ( Pac-Man en 1980, Tetris en 1984, Super Mario en 1989, Tomb Raider en 1996, Les Sims en 1999 ou encore Call of Duty en 2003) de plus en plus performants grâce à l' apparition de nouvelles technologies , notamment la 3D et Internet à la fin des années 90.

La multiplication des supports (PC, consoles de salons, consoles portables, mobiles et tablettes) et la popularisation du jeu vidéo comme loisir ont conduit les industriels à diversifier à l'extrême leur offre de produits : jeux d'aventure, de course, de tir, de stratégie, de rôle, de simulation, de sport ou encore de réflexion.

Désormais, à chacun son jeu et son support de jeu : la pratique du jeu vidéo, autrefois réservé à un public d'initiés et de passionnés s'est élargie et démocratisée . On estime, en France, à environ 60 % la proportion de joueurs 2 ( * ) , ce qui en fait la première pratique culturelle des Français.

De fait, des catégories de population, fort peu consommatrices de jeux il y a encore quelques années, en constituent aujourd`hui un public privilégié : il s'agit notamment des séniors -pour un âge moyen des joueurs établi à 34,7 ans, près de 23 % sont âgés de plus de cinquante ans -, et des femmes (46 % des joueurs). L'apparition des jeux de mémoire et des jeux de cartes a attiré des joueurs plus âgés, tandis que le développement des pratiques féminines du jeu vidéo s'explique par celui des jeux sur réseaux sociaux popularisés par Facebook et le succès de l'iPhone.

2. Un mépris du monde culturel ?

Le jeu vidéo est, à n'en pas douter, une industrie à mi-chemin entre culture et technologie . Ce constat a d'ailleurs conduit les commissions de la culture et des affaires économiques du Sénat à en traiter conjointement les problématiques dans le cadre d'un groupe de travail confié à nos collègues André Gattolin, pour la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, et Bruno Retailleau pour la commission des affaires économiques, dont les conclusions ont été rendues publiques en septembre 3 ( * ) . Une stratégie identique a été adoptée par le Gouvernement avec l'installation, le 4 avril 2013, d'un groupe de travail commun aux ministères de la culture et de l'économie numérique et comprenant des représentants du secteur. Cinq thèmes de travail ont été identifiés : le financement de la production, celui des entreprises, les moyens donnés à l'innovation, l'emploi et la formation, enfin, l'attractivité et la promotion de l'industrie française du jeu.

Exception faite de ce groupe de travail, dont on ne sait encore combien son action sera ou non décisive, la double tutelle à laquelle est soumise l'industrie du jeu vidéo conduit à ce qu' aucun ministère responsable ne la considère finalement comme une priorité . Il est notamment visible que le ministère de la culture ne l'envisage pas au même niveau que les autres industries culturelles.

Philippe Chantepie, dans son étude sur « La création dans l'industrie du jeu vidéo » réalisée pour le ministère de la culture et de la communication en 2009 4 ( * ) , remarquait ainsi le contraste « entre la maturité économique du jeu vidéo, la croissance de ses marchés mondiaux et la méconnaissance dont il souffre au plan culturel. »

Si certains pays, comme le Royaume-Uni ou la Finlande, limitent, dans leurs politiques publiques, le jeu vidéo à sa définition industrielle, d'autres lui offrent une reconnaissance institutionnelle comme produit culturel . Ainsi, le Museum of Modern Art (MoMA) de New York a-t-il récemment acquis plusieurs succès historiques de l'industrie du jeu, à l'instar de Pac-Man , Tetris, Super Mario Bros et Donkey Kong , exposés au sein de la collection permanente de son département de design. Les jeux vidéo possèdent, en outre, un musée dédié à Londres et à Berlin.

En raison du peu d'appétence des instances culturelles pour le jeu vidéo, la France entame à peine une démarche de patrimonialisation des jeux . La première marque d'intérêt officielle est à porter au crédit du musée des Arts et Métiers en 2010, avec son exposition Museogames , suivi par le Grand Palais à la fin de l'année 2011 avec Game Story , qui a retracé quarante ans d'histoire du jeu vidéo en développant une approche « esthétique et culturelle » . Enfin, a été inaugurée, le 22 octobre dernier, une exposition sur les jeux à la Cité des Sciences et de l'Industrie.

Fort de la généralisation de sa pratique et de la qualité artistique croissante de ses contenus, le jeu vidéo gagne progressivement en légitimité culturelle. Dans quelques universités, il est même devenu un objet de recherche sociologique et philosophique. La Cour de cassation elle-même semble se ranger à cette approche en considérant, dans son arrêt Cryo du 25 juin 2009, que le jeu vidéo « est une oeuvre complexe, qui ne saurait être réduite à sa seule dimension logicielle, quelle que soit l'importance de celle-ci » et reconnaissant, à cette occasion, la dimension graphique, narrative et musicale - c'est-à-dire artistique - du produit .

B. QUEL SOUTIEN POUR UNE INDUSTRIE EN CRISE ?

1. Un dispositif insuffisamment ambitieux au regard de la concurrence

Pays de consommation de jeux vidéo, la France est aussi historiquement un territoire de production . Elle a même figuré parmi les pays précurseurs sur ce marché, dans les années 70 , durant lesquelles elle a commercialisé ses premiers jeux vidéo, avant que cette industrie ne connaisse un « âge d'or » dans les années 90 , avec des studios comme Infogrames et Ubisoft, dont les productions concurrencent les succès américains et japonais.

Pourtant, dix ans plus tard, le secteur, victime de la crise de la nouvelle économie, est à l'agonie et de grands noms font faillite. Après une embellie de quelques années, la crise de 2008 replonge l'industrie française du jeu vidéo, et notamment les studios de moindre envergure, dans d'immenses difficultés . L'aval de la filière souffre tout autant que l'amont. Au tout début de l'année 2013, le distributeur de jeux vidéo Game, qui emploie 750 salariés et totalise 200 boutiques, dépose le bilan. De 15 000 emplois à son apogée dans les années 90, le secteur ne compte plus que 5 000 personnes. Avec un chiffre d'affaires de trois milliards d'euros, Il représente désormais environ 6 % de la production mondiale .

Aux abois, l'industrie du jeu vidéo n'en dispose pas moins, en France, d' atouts considérables qui justifient que les pouvoirs publics se penchent à son chevet.

Les professionnels du jeu vidéo de toutes nationalités s'accordent ainsi à reconnaître unanimement la qualité des formations françaises (Supinfogames à Valenciennes ou Les Gobelins à Paris, parmi d'autres), dont est issue en grande partie l'élite mondiale des programmateurs et des designers de jeux. Les Français auraient, dans ce domaine, une marque de fabrique, équilibre efficace entre créativité artistique et maîtrise technologique , tout en faisant état d'un niveau de culture générale rare dans ce milieu et fort apprécié en matière de narration.

La reconnaissance internationale du talent des salariés français conduit les studios étrangers à rechercher activement à les recruter. De fait, l'industrie française du jeu vidéo est aujourd'hui directement menacée par une « fuite des cerveaux », attirés par des politiques fiscales particulièrement incitatives en faveur des studios comme des salariés des entreprises vidéoludiques mises en oeuvre notamment par le Canada, mais également certains pays d'Asie du Sud-Est.

Les régimes d'imposition et de subvention proposés par les pouvoirs publics sont déterminants dans la décision des acteurs de demeurer sur le sol français ou de se délocaliser. En l'absence quasi totale d'une offre de capital risque en France, les entreprises du secteur du jeu vidéo, comme plus généralement celles du numérique, souffrent d'une sous-capitalisation chronique. Elles se développent donc avec des fonds propres réduits, quand leurs concurrentes étrangères mobilisent des millions d'euros.

Pour répondre en partie à ses besoins de financement, le secteur du jeu vidéo bénéficie de deux types d'aides qui lui sont spécifiquement destinées : le fonds d'aide au jeu vidéo (FAJV) et un soutien à la production via le crédit d'impôt pour les dépenses de création de jeux vidéo (CIJV).

Les aides publiques à l'industrie du jeu vidéo

1/ Le fonds d'aide au jeu vidéo

Cofinancé par le ministère du redressement productif et le centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) et doté de 2,7 millions d'euros en 2013, le FAJV, géré par le CNC, a pour objectif de soutenir la recherche et le développement, l'innovation et la création dans le secteur du jeu vidéo, à travers trois dispositifs d'aides : l'aide à la pré-production, l'aide à la création de propriétés intellectuelles et l'aide aux opérations à caractère collectif.

En 2012, la commission a examiné 101 projets, dont 50 ont été retenus pour un montant total d'aides de 2,8 millions d'euros. 80 % des aides attribuées concernent la création de propriété intellectuelle.

L'aide à la pré-production

Créée en 2003, cette aide apporte aux studios de jeux vidéo un accompagnement financier à l'innovation dans la phase de pré-production, en vue de la réalisation d'un prototype non commercialisable. Le montant de l'aide est plafonné à 35 % des dépenses de pré-production. L'aide est attribuée sous forme d'avance remboursable pour 50 % de son montant, le reste étant attribué en subvention.

L'aide à la création de propriétés intellectuelles

Il s'agit d'une aide sélective à la production mise en place en 2010. Dans le contexte d'une évolution des modes de distribution dématérialisée, ce dispositif favorise de nouvelles créations et incite les entreprises à créer une valeur patrimoniale autour des jeux vidéo qu'elles produisent en les engageant à conserver les droits de propriété intellectuelle.

L'aide à la création de propriétés intellectuelles, attribuée sous forme de subvention, est plafonnée à 50 % du coût du projet et ne peut dépasser 200 000 euros sur trois ans conformément à la réglementation européenne.

L'aide aux opérations à caractère collectif

Cette aide est destinée, par des subventions, à l'accompagnement de colloques, journées d'études, journées professionnelles, festivals de portée nationale ou internationale et qui relèvent de la promotion de l'ensemble de la profession du jeu vidéo. L'aide est plafonnée à 50 % du budget de l'opération envisagée.

2/ Le crédit d'impôt pour les dépenses de création de jeux vidéo

Ce dispositif vise, depuis 2008, les jeux vidéo contribuant à la diversité de la création par la qualité et l'originalité de leur concept et l'innovation qu'ils véhiculent. En sont exclus les jeux interdits aux mineurs.

Le crédit d'impôt correspond à 20 % des dépenses de création. Ces dépenses comprennent la rémunération des auteurs et les dépenses de personnels, les dotations aux amortissements des immobilisations, les dépenses de fonctionnement directement affectées à la création de jeu vidéo, ainsi que les dépenses de sous-traitance européenne, ces dernières étant plafonnées à un million d'euros par jeu. Le montant du crédit d'impôt est plafonné par entreprise à trois millions par exercice fiscal.

Pour bénéficier du crédit d'impôt, les jeux doivent être agréés par le CNC. Trois projets ont obtenu un agrément provisoire en 2012 pour un montant de dépenses éligibles prévisionnelles de 29,8 millions d'euros, occasionnant une dépense fiscale prévisionnelle de 2 millions d'euros sur plusieurs exercices compte tenu des temps de fabrication des jeux vidéo.

Votre rapporteur pour avis estime que si les aides au bénéfice des entreprises du jeu vidéo ont le mérite d'exister , leur montant et leurs conditions d'octroi limitent leur efficacité.

Ainsi, les trois millions d'euros du FAJV semblent bien peu au regard des besoins, d'autant que la subvention accordée ne peut couvrir les dépenses, pourtant essentielles au succès des productions, de publicité et de communication. Le CIJV, pour sa part, est régulièrement critiqué pour la limitation et la complexité de ses critères de sélection. De plus, il ne finance que des jeux ayant un coût de développement supérieur ou égal à 150 000 euros, ce qui conduit, paradoxalement, à une sous-consommation de l'enveloppe dédiée.

Outre les aides publiques, une charte export du jeu vidéo entre le syndicat national du jeu vidéo (SNJV) et l'État a été signée en 2012. Elle vise à soutenir la vente à l'international de la production française, sous l'action concertée et coordonnée des différentes administrations intéressées -ministères des affaires étrangères, de la culture et de la communication, de l'industrie et du commerce extérieur-, des opérateurs publics -Institut français, CNC, Ubifrance, OSÉO, Coface, etc.- et des entreprises. Les actions menées sous cette bannière ont été fédérées sous une nouvelle marque baptisée Le Game.

Par ailleurs, le groupe de travail interministériel précité proposera prochainement des mesures en vue de garantir l'innovation et la compétitivité des entreprises de jeu et de rendre le territoire français attractif pour les acteurs étrangers . Il est d'ores et déjà question de renforcer la compétitivité du CIJV et d'améliorer le financement du haut de bilan des studios de petite taille en mobilisant des fonds de la banque publique d'investissement.

2. Les propositions du groupe de travail sénatorial : des pistes intéressantes

Le groupe de travail des commissions de la culture et des affaires économiques a, à l'issue de ses travaux, proposé une série de mesures en faveur de l'industrie vidéoludique, dont le Gouvernement pourrait utilement s'inspirer.

Il s'agit notamment de :

- la création d'une plateforme de valorisation et de distribution de la production française

Sur le modèle de la plateforme américaine Steam , cet instrument, ouvert à l'ensemble des studios, aurait pour vocation de faire connaître et de commercialiser, sans commissionnement prohibitif, la production française de jeux vidéo, mais également d'assurer aux consommateurs la qualité de la production proposée grâce à une sélection exigeante et originale ;

- la mise en place d'un fonds participatif

Il s'agit ici de permettre aux studios de renforcer leurs fonds propres nécessaires aux investissements mais également au maintien de leur indépendance vis-à-vis des éditeurs. À cet effet, pourrait être créé un fonds d'octroi de prêts participatifs financé par la BPI, sur le modèle du prêt participatif innovation. Cet outil pourrait être logé au sein de l'Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC) ;

- la création d'un guichet unique au sein du CNC pour l'ensemble des demandes de soutien ;

- un renforcement du FAJV et une simplification des critères d'octroi du CIJV ;

- la création d'une nouvelle ressource sous la forme d'une taxe sur la vente de jeux sur supports physiques

Sur le modèle du financement des productions audiovisuelles et cinématographiques françaises grâce à la perception d'une taxe sur les entrées en salles, une telle ressource, de quelques centimes d'euros par jeu, alimenterait un fonds géré par le CNC à destination des productions vidéoludiques françaises ;

- enfin, une meilleure articulation entre formations et création d'entreprises

Cet objectif passerait notamment par l'introduction d'une formation à la gestion dans les écoles de jeu vidéo, tant il est vrai que la faiblesse managériale des professionnels du jeu est source de nombreux échecs de création de studios. Afin d'aider les jeunes diplômés à développer leur propre projet et de renforcer l'ancrage territorial de l'industrie du jeu vidéo, il serait également judicieux de développer localement des pépinières d'entreprises dans le sillon des écoles.

III. 2014 : L'ANNÉE DU CHANGEMENT ?

A. ADAPTER LE FINANCEMENT DES INDUSTRIES CULTURELLES À LA RÉVOLUTION NUMÉRIQUE

1. La concurrence déloyale des « géants » de l'Internet

La transformation structurelle de l'économie permise par la révolution numérique a conduit à l'émergence de nouveaux concurrents spécialisés, les « pure players » , désormais à la tête de véritables empires. Innovants et efficaces, ils génèrent des chiffres d'affaires colossaux et possèdent des capacités d'investissement inégalées. Exploitant les avantages inhérents à leurs activités, et notamment le caractère dématérialisé des échanges commerciaux, les « GAFA » (Google, Apple, Facebook et Amazon) ont développé des stratégies fiscales et juridiques d'évitement avec des implantations à l'étranger et des flux croisés de transferts de valeur . Ils échappent, in fine , en grande partie à l'assujettissement à la TVA comme à l'impôt sur les bénéfices.

Les industries culturelles nationales sont les premières à souffrir de cette inégalité fiscale , notamment s'agissant de leur activité de commerce physique de biens culturels. Libraires, disquaires mais également enseignes spécialisées comme la Fnac se trouvent en difficulté et nombre d'entre eux sont acculés à la fermeture.

En outre, leur situation est aggravée par le bouleversement qu'induit Internet sur la consommation de biens culturels avec le développement de l'achat à l'acte, de la location et de la vente à distance.

Or, comme cela a été mentionné par votre rapporteur pour avis dans le cas de la musique, même lorsque les acteurs nationaux tentent de conserver des parts de marché en matière de biens et services culturels en adaptant leur offre à la révolution numérique, le nouveau modèle économique ainsi créé ne compense en aucun cas la diminution structurelle des marchés traditionnels de commerce physique.

Les industries culturelles françaises sont enfin déstabilisées par l' absence de contribution des GAFA à leur financement, malgré une incroyable création de valeur, à leur profit, générée par les contenus culturels en ligne.

Les dispositifs traditionnels de partage de la valeur entre diffuseurs et créateurs, comme les règles fiscales, ne sont plus opérants et il est désormais urgent, avant qu'il ne soit trop tard pour nos industries, de les adapter aux règles de l'économie numérique.

2. Le sursaut tardif des pouvoirs publics français

En réaction à la captation de richesses réalisée par les GAFA au détriment des créateurs et aux difficultés financières croissantes des industries culturelles françaises, les pouvoirs publics ont engagé une réflexion sur le financement de la création à l'heure du numérique, en vue d'assurer la pérennité d'une offre culturelle riche, variée et accessible au plus grand nombre. À cet effet, une mission a été confiée en août 2012 à Pierre Lescure par le ministre de la culture et de la communication. Remis le 13 mai 2013, le rapport de la mission présente, autour de quatre-vingt propositions, des pistes d'évolution des outils de protection de l'exception culturelle autour de trois axes :

- l'offre légale en ligne et l'accès des publics à cette offre

Il s'agit tout d'abord d' améliorer la disponibilité numérique des oeuvres, toujours insuffisante au regard des attentes des internautes. La promotion de l'exploitation en ligne reposerait sur le renforcement de l'obligation d'exploitation des oeuvres reposant sur les producteurs. À cet égard, l'accord-cadre relatif au contrat d'édition à l'ère du numérique conclu le 21 mars 2013 pourrait servir de précédent, notamment pour l'édition musicale.

Pour élargir l'offre de contenus disponible, le rapport préconise également des mesures liées à la numérisation des oeuvres et, plus particulièrement, à son financement avec la combinaison de deux soutiens : la mobilisation de l'Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC) sous la forme d'avances remboursables lorsque l'exploitation offre des perspectives de rentabilité (les livres indisponibles par exemple) et, en cas de potentiel commercial limité, des subventions. En outre, la mission plaide pour une accélération raisonnée de la chronologie des médias.

Afin de favoriser le développement de services culturels numériques sur le territoire national, est rappelée l'importance d'appliquer, dès 2015, la règle du pays consommateur en matière de TVA , ainsi que la nécessité que ce taux soit identique que le service culturel soit numérique ou physique ;

- la rémunération des créateurs et le financement de la création

Outre les moyens de garantir la rémunération des ayants droit au titre de l'exploitation numérique de leurs oeuvres grâce à un meilleur partage de la valeur entre auteurs et producteurs et la rénovation du dispositif de rémunération pour copie privée (extension de l'action artistique et culturelle des sociétés de gestion de droits à la diffusion numérique des oeuvres et prise en compte du développement de l'informatique en nuage), le rapport Lescure propose de renforcer la contribution des acteurs numériques au financement de la création.

Dans ce cadre, la mission propose la création d'une taxe sur les ventes d'appareils connectés permettant de lire ou de stocker des contenus culturels, avec un taux faible (de l'ordre de 1 %) et une assiette large. Le produit en serait versé à un compte d'affectation spéciale, géré par le ministère de la culture et de la communication, visant à encourager et à accompagner la transition numérique des industries culturelles ;

- l'adaptation du droit de la propriété intellectuelle au numérique

Il s'agit ici de moderniser les exceptions au droit d'auteur et de mieux reconnaître les licences libres en clarifiant leur régime juridique.

De nombreuses mesures préconisées appellent des modifications législatives, qui, selon les informations fournies à ce jour par le ministère de la culture et de la communication, pourraient intervenir dans le courant de l'année 2014.

Parallèlement à la nécessaire modernisation de la législation et de la réglementation nationales, votre rapporteur rappelle l'urgence de poursuivre les négociations aux niveaux communautaire et international .

Au niveau communautaire d'abord, il convient de cibler les négociations sur une accélération du calendrier relatif au changement de régime de la TVA sur les services de télécommunication et de e-commerce, notamment s'agissant de la durée du régime transitoire prévu jusqu'au 1 er janvier 2019 . Chaque mois passé sous le régime de distorsion de concurrence actuel renforce en effet la position, déjà quasi hégémonique, des entreprises du numérique basées dans des pays européens à faible TVA, à l'instar d'Amazon au Luxembourg, tandis que se meurent les acteurs français les plus fragiles. Au-delà, s'impose une harmonisation fiscale européenne en matière d'impôt sur les sociétés, dont l'horizon semble malheureusement bien lointain.

Au plan international ensuite, les propositions de l'OCDE en matière d'économie numérique se font attendre malgré la mise en oeuvre d'une réflexion dès 1999 en vue d'adapter les règles de taxation au contexte du commerce électronique, notamment par la création de la notion d'établissement virtuel stable afin de remédier à l'érosion des bases fiscales imposables et aux transferts de bénéfices. Pourtant, en marge du G20 de novembre 2012, la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni ont à nouveau appelé à une action cordonnée en vue de renforcer et d'adapter les normes fiscales internationales aux stratégies de contournement des GAFA.

B. NE PAS SACRIFIER LES OUTILS PERFORMANTS DE PROTECTION DES oeUVRES

1. La Hadopi : la valeur n'attend pas le nombre des années

Le piratage d'oeuvres protégées a longtemps relevé de la seule lutte contre la contrefaçon et, de fait, des condamnations pénales applicables à ce type de délit aux termes du code de la propriété intellectuelle. Puis, au regard de la massification des pratiques de téléchargement, s'est progressivement imposée l'idée d'une réponse plus systématique, mais également moins sévère , à ces comportements avec l'installation, en janvier 2010, de la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) et de sa mission la plus symbolique : la réponse graduée. Les missions de la Haute Autorité sont triples :

- encourager le développement de l'offre légale et observer l'utilisation licite et illicite des oeuvres auquel est attaché un droit d'auteur ou un droit voisin sur Internet.

Aux termes de l'article L. 331-13 du code de la propriété intellectuelle, il s'agit ici de publier des indicateurs du développement de l'offre légale, d'attribuer un label permettant aux internautes de l'identifier, d'en gérer un portail de référencement, d'évaluer les expérimentations conduites dans le domaine des technologies de reconnaissance de contenus et de filtrage, mais également d'identifier et d'étudier les modalités techniques permettant un usage illicite des oeuvres protégées ;

- protéger ces mêmes oeuvres par le biais de la réponse graduée.

Confiée à la Commission de protection des droits, la réponse graduée constitue un outil pédagogique d'avertissement destinée à rappeler aux titulaires d'un abonnement à Internet utilisé pour télécharger ou mettre à disposition une oeuvre protégée leur obligation de surveillance à cet accès. En cas de manquement réitéré, après l'envoi, par courrier électronique puis par courrier recommandé, de deux recommandations , la Commission de protection des droits peut saisir le procureur de la République au titre de la contravention de 5 ème classe de négligence caractérisée . Pour un particulier, l'amende encourue peut s'établir à 1 500 euros, mais le juge peut également prononcer une peine complémentaire de suspension de l'accès Internet pour une durée maximale d'un mois.

Il convient toutefois de préciser que cette peine complémentaire a été supprimée par le décret n° 2013-596 du 8 juillet 2013 , limitant la sanction à son seul aspect pécuniaire ;

- enfin, réguler et assurer une veille dans le domaine des mesures techniques de protection et d'identification des oeuvres protégées par un droit d'auteur ou un droit voisin.

Pour mener à bien ses missions, la Hadopi emploie 61 agents , contractuels ou fonctionnaires détachés, dont six magistrats et fonctionnaires de l'ordre judiciaire. Rapidement, les résultats de son action ont été encourageants.

S'agissant de sa mission en matière de développement de l'offre légale, la Haute Autorité a mis en place une procédure de labellisation des sites proposant une offre culturelle légale . À ce jour, soixante-et-onze plateformes, répondant à une grande diversité d'offres et de modes de diffusion, ont obtenu ce label.

Un portail de référencement des offres légales a également été créé (www.pur.fr). Son existence reste toutefois confidentielle, puisqu'il ne comptabilise qu'environ 10 000 visites par mois. Des efforts demeurent donc nécessaires pour faire connaître l'offre culturelle légale.

Répartition des plateformes labellisées par secteur culturel

Source : Rapport d'activité 2012-2013, Hadopi

Pour ce qui concerne la réponse graduée, selon les derniers chiffres transmis par la Haute Autorité à votre rapporteur, l'activité de la Commission de protection des droits au mois de septembre 2013 s'établit, depuis sa création à :

- 2 084 847 premières recommandations envoyées ;

- 210 603 secondes recommandations envoyées ;

- 710 délibérations de la Commission de protection des droits ;

- 54 transmissions aux procureurs de la République ;

- 13 décisions de justice.

Recommandations envoyées entre le 1 er juillet 2012 et le 30 juin 2013

Source : Rapport d'activité 2012-2013, Hadopi

Nombre de délibérations relatives à des dossiers de réponse graduée
entre le 1 er juillet 2012 et le 30 juin 2013

Source : Rapport d'activité 2012-2013, Hadopi

Au cours de la procédure, le dialogue avec les internautes est privilégié, méthode qui a, sans conteste, fait la preuve de son efficacité : les réitérations constatées sont très peu nombreuses , comme le prouve le nombre résiduel de dossiers transmis aux procureurs de la République comparé au nombre de recommandations envoyées. En réalité, la très grande majorité des internautes solennellement avertis ne se voient plus reprocher de comportements illicites. Le nombre de téléchargements de pair à pair a d'ailleurs diminué, en trois ans, de 25 %.

Votre rapporteur pour avis estime donc que, bien que certainement encore perfectible, la pédagogie mise en oeuvre par la Commission de protection des droits a fait montre d'une efficacité véritable en matière de lutte contre le téléchargement illégal d'oeuvres protégées.

2. Une institution en sursis financier et institutionnel

Le budget de la Hadopi représente une sous-action de l'action n° 2 « Industries culturelles » du programme 334 « Livre et industries culturelles » de la mission « Médias, livre et industries culturelles ».

La loi de finances pour 2013 a attribué 8 millions d'euros à l'institution afin d'assurer aussi bien ses missions que son fonctionnement. Cette somme était inférieure de 27,3 % à celle allouée en 2012, qui pourtant avait déjà accusé une diminution de 3,5 %. La dotation pour 2013 a en outre connu diverses modulations peu favorables à l'institution : si le ministère de la culture et de la communication s'était engagé à abonder la somme initiale d'un million d'euros supplémentaires en cours d'exercice, un gel budgétaire de 6,36 % puis une nouvelle diminution de 17 % décidée au mois de juillet ont ramené la dotation annoncée à 7 millions d'euros .

Pour assurer un fonctionnement de qualité, la Hadopi a puisé dans son fonds de roulement et affiché un budget en déficit de 1,8 million d'euros. Elle a également pris les mesures nécessaires à la réduction de ses frais de fonctionnement , dans le souci de maintenir parallèlement l'exercice de ses missions : non remplacement ou mutualisation de certains postes, réduction des achats et services extérieurs, report de certains investissements.

Dans ces conditions, on imagine combien le projet de loi de finances pour 2014, avec 6 millions d'euros alloués à la Haute Autorité au lieu des 9 millions d'euros demandés par l'institution, n'est pas à la hauteur des enjeux. Pour maintenir son activité, le fonds de roulement sera ramené à la fin de 2014 à son seuil prudentiel (2,2 millions d'euros) et le déficit prévisionnel devrait s'établir à 3,3 millions d'euros.

Un tel régime ne pourra, en tout état de cause, être maintenu en 2015 , la Hadopi ne pouvant plus guère réguler ses frais de fonctionnement, composés à plus de 50 % des dépenses de personnel, à un rythme aussi soutenu, ni réduire encore ses investissements, qui représentent déjà à peine 1 % de son budget.

L'année 2014 devra donc voir la fin des hésitations gouvernementales relatives à l'avenir de la Haute Autorité , que soient ou non suivies d'effet les propositions de la mission Lescure, chargée de dresser le bilan de la réponse graduée.

S'agissant de l'effet dissuasif immédiat du dispositif sur le téléchargement illégal de pair à pair, la mission a considéré que la réponse graduée constituait un dispositif dissuasif efficace contre les pratiques qu'elle cible . Ce résultat encourageant semble toutefois plus incertain s'agissant des 15-24 ans, qui sont moins nombreux à cesser le téléchargement illicite après réception d'une recommandation de la Hadopi mais également plus enclins à utiliser le streaming .

De fait, sans contester le lien entre la mise en oeuvre, depuis 2010, de la réponse graduée et le recul observé des téléchargements de pair à pair, il serait malhonnête de ne pas rappeler non seulement que cette tendance précède l'entrée en vigueur du dispositif, mais également qu'elle a été pareillement constatée, sur la même période, dans des pays où aucune mesure similaire n'existe, à l'instar des États-Unis. De fait, il convient de garder à l'esprit combien se développent, notamment auprès des jeunes internautes, d' autres techniques de consommation des oeuvres , et notamment le téléchargement direct ou, plus particulièrement pour les oeuvres audiovisuelles et cinématographiques, le streaming .

Par ailleurs, la mission Lescure n'a pas jugé absolument inopérantes les actions menées en faveur du développement d'une offre légale, tant il est incontestable que les usages licites des biens culturels ont connu une louable croissance grâce au développement d'une l'offre légale plus variée et financièrement accessible . C'est en particulier le cas de la musique et, dans une moindre mesure, de l'audiovisuel et du cinéma.

La mission Lescure conclut de ce constat qu' « il serait illogique d'abroger purement et simplement la réponse graduée, alors qu'elle fonctionne depuis moins de trois ans et qu'elle a d'ores et déjà produit, sur le périmètre qu'elle couvre, des effets certes modestes mais non négligeables. En outre, une suppression « sèche » serait perçue par les internautes et par les titulaires de droits comme un signal négatif , pouvant laisser croire que l'État se désintéresse du droit d'auteur. »

Tout en prônant le maintien du dispositif existant, le rapport Lescure appelle de ses voeux un allègement des sanctions. Plus grave pour le renforcement de l'offre légale, il est proposé de ne conserver des missions initialement confiées à l'institution que la réponse graduée. Enfin, la réflexion de la mission s'achève par une proposition proprement assassine consistant à confier le dispositif au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA).

3. Un transfert à risques

Votre rapporteur pour avis est extrêmement dubitatif sur l'intérêt du transfert de la Hadopi au CSA , dans son principe comme dans ses conséquences pratiques.

Dans son principe tout d'abord, il déplore que la réforme envisagée fasse fi inexplicablement des deux autres missions, pourtant essentielles, confiées à la Haute Autorité . Il estime, en outre, que le CSA, en tant que régulateur de l'audiovisuel, ne dispose ni de l'état d'esprit ni des compétences nécessaires pour élargir son champ d'action à l'Internet, qui ne peut ni ne doit être régulé.

La seule solution pour donner ces capacités au CSA consisterait à lui transférer intégralement les personnels de la Hadopi, reconnus pour leurs compétences dans les domaines d'activité très spécialisés qui sont les leurs. Le CSA bénéficierait alors de leur expertise mais, a contrario , tomberait l'argument des défenseurs du transfert relatif aux économies d'échelle engendrées par la suppression de la Hadopi.

Il convient également de réfléchir aux conséquences pratiques d'une telle réforme sur l'efficacité des actions mises en oeuvre . Il est ainsi certain que le transfert ou, plus justement, l'intégration de toute ou partie de la Hadopi au CSA nécessitera des études préalables et un temps d'adaptation nuisible au bon fonctionnement du dispositif de la réponse graduée.

Déjà, l'incertitude du Gouvernement quant à l'avenir de la Hadopi depuis le discours de campagne de François Hollande pèse tant sur la motivation du personnel de l'institution , au risque de voir se perdre des compétences en raison de départs précipités, que sur l'attitude des internautes qui, dans un sentiment d'impunité grandissant, développent leurs pratiques de piratage . Ce constat est partagé par nombre d'acteurs des industries culturelles : auditionné par votre rapporteur pour avis, le SNEP a confirmé une reprise du piratage de musique depuis le printemps.

Il est donc urgent de trancher ce débat , une fois réfléchies les différentes options relatives au périmètre et au principe même du transfert. Pour ce qui le concerne, votre rapporteur pour avis appelle de ses voeux la conservation de la Hadopi, dotée des moyens convenables de fonctionnement en 2015 et d'outils modernisés.

CONCLUSION

Si le présent projet de budget ne modifie guère les grands équilibres des politiques publiques menées en faveur du livre et des industries culturelles, il est extrêmement défavorable à la Hadopi, opérateur central de l'Internet, qui ne pourra, dès 2015, exercer convenablement ses missions de protection des droits et de soutien à l'offre légale dans de telles conditions budgétaires.

2014 devra dont être l'année du changement en matière d'adaptation du livre et des industries culturelles à la révolution numérique . Si des avancées ont d'ores et déjà été réalisées en la matière, manque encore un cadre commun à l'ensemble de ces industries en matière de financement de la création comme de protection et de rémunération des auteurs.

Votre rapporteur pour avis regrette également les difficultés d'application persistantes de la loi du 1 er mars 2012 relative à l'exploitation numérique des livres indisponibles du XX e siècle et rappelle l'urgence qui s'attache à trouver une solution pour son financement.

À l'issue des travaux de la mission confiée à Pierre Lescure, la ministre de la culture et de la communication a annoncé la traduction législative des dispositions qui le nécessitent, mais ni les délais d'examen d'un tel texte par le Parlement, ni même le type de véhicule législatif, ne semblent à ce jour objets de certitudes.

Votre rapporteur pour avis appelle de ses voeux l'inscription rapide de la réforme annoncée à l'ordre du jour : le livre et les industries culturelles françaises, extrêmement concurrencées ne peuvent plus guère attendre. Il en va de la protection de notre exception culturelle.

En conclusion de l'analyse d'un projet de budget stable mais ne portant guère d'ambition nouvelle, votre rapporteur s'en remet à la sagesse de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication s'agissant de l'avis à porter sur les crédits du programme 334 « Livre et industries culturelles » au sein de la mission « Médias, livre et industries culturelles ».

*

* *

La commission de la culture, de l'éducation et de la communication a donné un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 334 « Livre et industries culturelles » au sein de la mission « Médias, livre et industries culturelles » du projet de loi de finances pour 2014.

EXAMEN EN COMMISSION

_______

JEUDI 21 NOVEMBRE 2013

M. Jacques Legendre, rapporteur pour avis sur les crédits du programme « Livre et industries culturelles » . - Le marché du livre demeure stable, enregistrant en 2012 un chiffre d'affaires de 4,1 milliards d'euros correspondant à 441 millions d'ouvrages vendus.

De fait, si la proportion de « grands » lecteurs, c'est-à-dire qui lisent plus de vingt ouvrages par an, au sein de la population diminue progressivement au gré des évolutions démographiques et sociologiques de notre pays, les Français sont chaque année plus nombreux à lire et à se procurer des ouvrages, en bibliothèque comme à l'achat.

L'attachement de nos concitoyens à l'objet « livre » ne se dément pas : les ventes de livres numériques, malgré une offre chaque année plus abondante, demeurent marginales, à seulement 3 % du chiffre d'affaires des éditeurs, ce malgré l'application au 1 er janvier 2012 d'un taux de TVA réduit identique à celui applicable au livre papier.

Pourtant, la situation économique des librairies indépendantes ne cesse de se détériorer sous l'effet de la concurrence des grandes plateformes de vente en ligne et de l'augmentation continue de leurs charges. Privées des capacités d'investissement nécessaires à leur modernisation, elles constituent aujourd'hui le « maillon faible » du marché du livre, dont il convient tout particulièrement de se préoccuper.

Elles représentent, à cet égard, un axe prioritaire des politiques publiques en faveur du livre et de la lecture. Plus largement, celles-ci visent à favoriser le développement de la création littéraire, ainsi que la diffusion du livre et des pratiques de lecture à travers divers instruments : la valorisation des collections nationales, la protection des auteurs par une réglementation favorable en matière de propriété intellectuelle, ainsi qu'une régulation économique spécifique, comme des actions de soutien ponctuelles ou pérennes, au secteur.

Traduction budgétaire de ces politiques publiques, le programme 334 « Livre et industries culturelles » de la mission « Médias, livre et industries culturelles » est doté, dans le projet de loi de finances pour 2014, de 262,2 millions d'euros en crédits de paiement, ce qui correspond à une diminution de 2 % par rapport à 2013. Au regard de l'effort de maîtrise des dépenses demandé à la majorité des ministères, la contraction budgétaire raisonnable imposée au programme préserve, malgré tout, les politiques publiques en faveur du livre et des industries culturelles.

Toutefois, cet élément de relative satisfaction -ou, à tout le moins, de moindre crainte- cache une grande disparité de situation entre les deux actions du programme en termes tant de périmètre que de moyens.

Ainsi, l'action n° 1 « Livre et lecture », qui regroupe la quasi-totalité des crédits du programme (96,7 %), n'est affectée que d'une diminution de 1,45 %, laissant ainsi aux opérateurs, en échange d'ajustements sur leur fonctionnement, la marge nécessaire à la réalisation des objectifs fixés en 2014 par le ministère de la culture et de la communication, notamment la mise en oeuvre des préconisations du « plan librairies » annoncé le 25 mars 2013 en faveur des librairies indépendantes et la poursuite de l'adaptation aux enjeux du numérique du cadre normatif applicable au livre.

Ces crédits sont répartis en quatre sous-actions d'importance inégale :

- la subvention pour charge de service public de la Bibliothèque nationale de France (BnF) pour 203,5 millions d'euros ;

- le financement des travaux du Quadrilatère Richelieu pour 10,2 millions d'euros ;

- les crédits destinés au développement de la lecture et des collections pour 19,4 millions d'euros, dont 7,1 millions d'euros correspondent à la subvention pour charge de service public versée à la Bibliothèque publique d'information (BPI) ;

- enfin, les aides à l'édition, à la librairie et aux professions du livre pour 18,7 millions d'euros.

Si je salue la quasi stabilité de ce budget, je souhaite attirer votre attention sur les difficultés d'application de la loi du 1 er mars 2012 relative à l'exploitation numérique des livres indisponibles du XX e siècle à laquelle je suis particulièrement attaché, dont l'objectif est de rendre accessibles au public, sous forme numérique, environ 200 000 livres anciens mais toujours sous droits.

La nécessité de contacter individuellement les auteurs ou leurs ayants droit et de négocier des contrats pour l'utilisation numérique des oeuvres rendant l'entreprise fort coûteuse au regard des opportunités commerciales que les éditeurs peuvent espérer en tirer, les pouvoirs publics se sont engagés à y apporter une contribution financière par le biais du Commissariat général à l'investissement (CGI). Les délais contraints d'éligibilité aux projets bénéficiant d'un financement du CGI nous avaient d'ailleurs incité à adopter rapidement ce texte.

Certes, une première liste de 60 000 titres a été rendue publique par la BnF le 21 mars dernier, tandis que, six mois plus tard, les droits d'exploitation numérique sont entrés en gestion collective, mais l'opération de numérisation n'a pas commencé. À l'origine de ce retard fâcheux, le financement est déficitaire de 700 000 euros, que ni les éditeurs ni le CGI ne souhaitent à ce jour combler.

L'enjeu est de taille, mes chers collègues : lorsque le livre numérique entrera véritablement dans les habitudes des Français, ce qui arrivera tôt ou tard, est-il envisageable qu'ils ne disposent alors que d'une offre de livres anciens numérisées sur fonds publics et de livres du XXI e siècle pour lesquels la commercialisation sous forme numérique figurait déjà au contrat d'édition ? Je ne le crois pas.

J'appelle donc de mes voeux un dépassement de ce blocage et, notamment, une prise de conscience des éditeurs en faveur de l'utilité sociale et culturelle de l'application de la loi du 1 er mars 2012 précitée.

Par ailleurs, si les ambitions affichées en matière de soutien au livre et à la lecture sont généreuses, il convient de rappeler que la subvention pour charge de service public de la BnF capte près de 82 % des crédits destinés au livre et à la lecture, ce qui ne laisse que peu de ressources pour d'autres interventions.

Dans ce contexte, il convient de saluer les efforts de rationalisation réalisés par l'opérateur pour diminuer ses coûts de fonctionnement et la priorité donnée, en conséquence, à l'investissement. Le succès de la bibliothèque en ligne Gallica et les avancées réalisées en matière de numérisation d'ouvrages, mais également d'oeuvres musicales, en constituent la traduction.

Afin de permettre à la BnF de poursuivre ses ambitions, il conviendra de faire aboutir sans retard le coûteux chantier du Quadrilatère Richelieu, dont les délais d'achèvement et le budget de travaux ne cessent de déborder du cadre fixé initialement, en raison notamment de la découverte de plomb et d'amiante dans le bâtiment. Lors d'une visite effectuée par notre commission, il y a quelques années, sous la conduite de Jacques Valade, nous avions été frappé de l'état de vétusté du lieu, qui contient pourtant des « trésors » tout aussi précieux que ceux de l'Institut national de l'audiovisuel (INA) qu'il convient de protéger.

La situation budgétaire est, en revanche, bien plus critique s'agissant de l'action n° 2 « Industries culturelles », qui, non seulement n'est destinataire, en 2014, que de 10,5 millions d'euros, soit 3,3 % des moyens du programme, mais accuse, de plus, une baisse de 16,2 % par rapport à 2013.

Les aides en faveur de la musique enregistrée et du cinéma (4,4 millions d'euros au total) sont reconduites au sein du programme ; la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) subit l'intégralité de cette restriction budgétaire.

Je suis, mes chers collègues, particulièrement soucieux de l'avenir de la Hadopi et du maintien, dans des conditions budgétaires convenables, de ses différentes missions. Il apparaît, en effet, que les actions menées ont permis de réduire sensiblement le piratage de pair à pair et de développer l'offre légale de produits culturels, même si des efforts demeurent encore à faire dans ce domaine.

Je serai donc particulièrement attentif, dans les mois à venir, au sort qui sera fait à l'opérateur. Seules deux voies s'offrent désormais aux pouvoirs publics : la revalorisation de son budget en 2015 pour faire face à l'épuisement de son fonds de roulement ou le transfert des missions qu'il remplit à un autre opérateur. Sur ce point, nous sommes jusqu'à ce jour demeurés sceptiques quant à la possibilité, pour le CSA, de se charger de ces missions.

En conclusion d'un budget stable mais sans guère d'ambition nouvelle, mes chers collègues, je m'en remets à la sagesse de notre commission s'agissant de l'avis à apporter aux crédits du programme 334 « Livre et industries culturelles » au sein de la mission « Médias, livre et industries culturelles ».

Mme Maryvonne Blondin . - Je souhaite vous interroger sur la situation des librairies indépendantes. À l'occasion d'un déplacement effectué à Brest en mars 2013, Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture, de l'éducation et de la communication, avait énoncé un certain nombre de préconisations devant constituer un « plan librairies ». Pouvez-vous nous informer sur la mise en oeuvre de ce plan ?

Par ailleurs, j'aimerais avoir des informations sur le devenir des contrats « lecture-territoires » conclus par une dizaine de départements, notamment celui du Finistère.

Mme Corinne Bouchoux . - Notre rapporteur pour avis nous a livré un exposé d'une grande clarté, qui offre une vision synthétique de la situation du livre et des efforts budgétaires consentis en faveur du secteur. Comment s'explique la pénétration relativement faible du livre numérique qui, en dépit d'un engouement apparent, ne représente encore que 3 % de l'ensemble du marché ?

M. Pierre Laurent . - Je m'associe à notre rapporteur pour avis lorsqu'il insiste sur le caractère crucial des enjeux de la numérisation. Tout retard en ce domaine aura un effet cumulatif, dans la mesure où certains acteurs, très résolus, ambitionnent de prendre le contrôle de la distribution.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente . - L'utilisation du livre numérique pose encore des difficultés techniques comme des incertitudes légales quant à la possibilité de prêter un ouvrage, ou encore l'obligation de télécharger à nouveau, certes gratuitement, un livre dont on aura interrompu la lecture trop longtemps.

M. Jacques Legendre, rapporteur pour avis sur les crédits du programme « Livre et industries culturelles » . - Il est possible que la relative stagnation du livre numérique évoquée par notre collègue Corinne Bouchoux s'explique par un attachement des Français au support papier pour lequel on ne saurait les blâmer.

Le sort des libraires indépendants constitue bien évidemment un élément essentiel de mon rapport. J'ai reçu en audition M. Mathieu de Montchalin, président du Syndicat de la librairie française (SLF), ainsi que la directrice de la librairie Tirloy, bien connue à Lille, qui incite les libraires de la ville à coordonner leurs actions. Les libraires éprouvent en effet une certaine difficulté à s'organiser, comme l'a montré l'échec de la plateforme « 1001libraires.com », et l'État devrait s'attacher à créer un lien entre les diverses initiatives locales.

Pour ce qui concerne le « plan librairies » dont a fait état Mme Maryvonne Blondin, permettez-moi de vous renvoyer à mon rapport qui indique : « Annoncé à l'occasion du salon du livre au mois de mars puis dévoilé le 3 juin 2013 lors des rencontres nationales de la librairie par la ministre de la culture et de la communication, le « plan librairies », qui s'inspire largement des conclusions de la mission confiée à Serge Kancel sur le soutien aux entreprises de librairie rendues publiques en janvier 2013, prévoit le versement de 9 millions d'aides supplémentaires aux librairies indépendantes. Dans ce cadre, 5 millions d'euros seront consacrés, par l'IFCIC, à des prêts de trésorerie à court terme, et 4 millions d'euros s'ajouteront aux aides à la transmission gérées par l'ADELC. Par ailleurs, le CNL augmentera son soutien aux commerces de 2 millions d'euros. Le SNE accompagnera ce plan en versant des contributions volontaires d'éditeurs en 2014 au profit des librairies via l'ADELC . »

S'agissant de la transition numérique de l'industrie du livre, j'ai toujours insisté sur la nécessité de mettre en application la loi sur la numérisation des oeuvres indisponibles -que nous avions voté à l'unanimité en 2012- afin de favoriser l'accès de tous à quelques pépites écrites au XX e siècle et non encore tombées dans le domaine public. Il est de la responsabilité de la ministre d'inciter fortement les éditeurs et le CGI à respecter leurs engagements sur cette question.

Un accord a également été conclu concernant la numérisation des ressources de la BnF, qui devrait permettre d'éviter la mainmise sur le patrimoine littéraire français, de multinationales telles que Google. Nous devons donc soutenir le projet Gallica mais aussi encourager à la poursuite d'Europeana, son équivalant européen, alors que la volonté de certaines grandes bibliothèques nationales semble fléchir quelque peu.

La commission donne un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles » du projet de loi de finances pour 2014 .

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

Mme Charlotte VALOIS, gérante de la Librairie Tirloy à Lille

Hadopi

- Mme Marie-Françoise MARAIS, présidente

- Mme Mireille IMBERT-QUARETTA, présidente de la commission de protection des droits

- M. Eric WALTER, secrétaire général

- Mme Pauline BLASSEL, directrice du département recherche, études et veille

- M. Damien COMBREDET, responsable des relations institutionnelles

Bibliothèque nationale de France

- M. Bruno RACINE, président

FNAC

- Mme Frédérique GIAVARINI, directrice de l'organisation, de la stratégie et des affaires publiques

- Mme Aurélie ANDRIEUX, responsable des affaires publiques

Centre national du livre

- M. Vincent MONADÉ, président

- M. Xavier BREDIN, secrétaire général

Syndicat de la librairie française

- M. Mathieu de MONTCHALIN, président

- M. Guillaume HUSSON, délégué général

Syndicat national de l'édition phonographique (SNEP)

- M. Guillaume LEBLANC, directeur général

DEEZER

- M. Ludovic POUILLY

- M. Simon BALDEYROU

Syndicat national de l'édition (contribution écrite)


* 1 En vertu de l'accord conclu en 2007 avec le SNE, 128 000 références de littérature contemporaine sous droits sont disponibles sur Gallica.

* 2 Les pratiques de consommation des jeux vidéo des Français (2 e semestre 2011) - Les études du CNC - Octobre 2012.

* 3 Jeux vidéo : une industrie culturelle innovante pour nos territoires - Rapport d'information n° 852 (2012-2013)

* 4 La création dans l'industrie du jeu vidéo - Culture études n° 2009-1 - Janvier 2009.

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