EXAMEN EN COMMISSION

Mardi 28 janvier 2014

M. Félix Desplan , rapporteur pour avis . - Nous sommes saisis pour avis d'une proposition de loi paradoxale. Dans le contexte du choc de simplification voulu par le Président de la République et au lendemain de l'annonce d'un pacte de responsabilité avec les entreprises, elle crée, sous un intitulé ronflant, de nouvelles obligations pour les entreprises, sans offrir les garanties d'un impact réel sur l'économie. Les nombreuses auditions que j'ai menées ont établi que l'efficacité économique de certaines dispositions du texte restait douteuse, tandis qu'un doute juridique voire constitutionnel pesait sur d'autres.

Cependant, cette proposition de loi émane de nos collègues députés et il nous faut l'examiner dans un esprit constructif, d'autant que nous souscrivons à son objectif principal : contribuer au maintien sur notre territoire des activités industrielles et des emplois et défendre les entreprises françaises pouvant faire l'objet d'offres publiques d'acquisition qui conduiraient, par le jeu des délocalisations, à affaiblir le tissu industriel de notre pays.

Cette proposition de loi a été élaborée sous l'égide de notre collègue François Brottes, président de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale. Elle a été déposée le 15 mai 2013 et adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale le 1 er octobre 2013, la procédure accélérée ayant été engagée le 30 août. Au Sénat, cette proposition de loi a été envoyée au fond à la commission des affaires sociales, en raison du nombre de ses dispositions modifiant le code du travail : de nouvelles prérogatives sont notamment données au comité d'entreprise en cas de reprise d'un site et en cas d'offre publique d'achat. La commission des finances et la commission des affaires économiques se sont également saisies pour avis.

Le coeur historique de cette proposition de loi est l'obligation de recherche d'un repreneur en cas de projet de fermeture d'un site, qui figure à l'article 1 er . Notre président se souvient sans doute de la proposition de loi dite « Florange », déposée en mars 2012 par François Hollande, alors simple député, parallèlement à la proposition de loi dite « Petroplus », relative aux mesures conservatoires en matière de procédures collectives, dont il fut rapporteur pour notre commission dans un délai record. La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui trouve son intention initiale dans cette proposition de loi « Florange ».

L'article 1 er fixe dans le code du travail une obligation de rechercher un repreneur, en associant le comité d'entreprise, lorsqu'une entreprise envisage la fermeture d'un établissement qui pourrait entraîner un licenciement collectif. Cette partie relative au code du travail sort de notre champ de compétence et ne fera pas l'objet d'amendement.

En l'absence de reprise de l'établissement, le texte institue une procédure de contrôle, à la demande du comité d'entreprise, devant le tribunal de commerce. Le tribunal vérifie que l'entreprise a respecté l'obligation de rechercher un repreneur, qu'elle a reçu des offres de reprise sérieuses et qu'elle disposait d'un motif légitime pour les refuser. Si l'entreprise a manqué à ces obligations, le tribunal peut prononcer une sanction pécuniaire ainsi qu'une injonction de rembourser les éventuelles aides financières publiques perçues.

L'un des problèmes majeurs de cette procédure est l'interrogation constitutionnelle qu'elle suscite au regard de la liberté d'entreprendre et du droit de propriété, même s'il existe un motif d'intérêt général pour restreindre ces principes constitutionnels, à savoir la sauvegarde de l'emploi. Peut-on instituer une sanction à l'encontre d'une entreprise qui a refusé de céder un établissement dont elle est propriétaire ? Ce doute a conduit à accentuer la singularité juridique du dispositif, en donnant un caractère facultatif au prononcé de cette sanction par le tribunal.

Je précise que, même si cette procédure s'inspire beaucoup, dans sa rédaction, des procédures collectives, elle n'a pas vocation à concerner les entreprises en difficulté, pour lesquelles il existe le plus souvent des règles particulières de cession des actifs.

Mes auditions ont montré que les représentants des tribunaux de commerce n'étaient pas favorables à un tel dispositif de contrôle et de sanction, préférant développer les mécanismes de prévention des difficultés des entreprises. L'effectivité du dispositif reste douteuse, dès lors que le mécanisme de sanction n'est qu'une simple faculté laissée à l'appréciation des tribunaux de commerce et non une obligation. La chancellerie a également émis des doutes et des réserves. Il conviendra donc de clarifier le régime procédural, mieux protéger les droits de la défense et renforcer le rôle du ministère public, de façon à limiter les risques constitutionnels et donner plus de cohérence et de lisibilité au dispositif.

L'article 3 du texte prévoit que l'administrateur d'une entreprise en redressement judiciaire doit informer les salariés de la possibilité de présenter une offre totale ou partielle pour assurer la continuité de l'activité. Cette disposition n'appelle pas d'observation particulière.

Au coeur historique de la proposition de loi ont été ajoutées des dispositions à caractère défensif en matière d'offre publique d'acquisition, destinées à encourager l'actionnariat de long terme. Ces articles ont été largement remaniés et complétés en séance publique à l'Assemblée nationale. Parmi ces dispositions, les articles 5, 7 et 8 relèvent de la compétence de notre commission. Ces dispositions sont loin de faire l'unanimité chez les acteurs économiques concernés - l'Autorité des marchés financiers ou les acteurs représentatifs privés - certaines faisant même l'unanimité contre elles.

L'article 5 prévoit l'application automatique du droit de vote double dans les assemblées générales d'actionnaires des sociétés cotées pour les actions détenues au nominatif depuis deux ans, alors que le droit actuel ne fait qu'autoriser les sociétés à prévoir dans leurs statuts des droits de vote double pour les actions détenues depuis au moins deux ans. Au régime actuel de liberté de dérogation au principe d'égalité entre les actionnaires dans l'exercice collectif de leur droit de propriété, le texte substitue une règle automatique. Il prévoit que les statuts ou l'assemblée générale peuvent écarter cette règle, ce qui en réduit singulièrement la portée, car les investisseurs, en particulier les investisseurs étrangers, qui détiennent près de la moitié de la capitalisation boursière du CAC 40, ne manqueront pas de présenter des résolutions en ce sens. La législation française en matière de droit de vote double est mal perçue par les principaux États européens, ce texte fragiliserait davantage la position française. De plus, l'application de ce mécanisme ouvrirait la voie à des prises de contrôle rampantes. Puisque l'état actuel du droit permet d'encourager l'actionnariat de long terme, l'article 5 n'est pas justifié.

L'article 7 ne prête pas à conséquence mais a peu d'utilité pratique. Il porte à 30 % la part maximale du capital d'une société susceptible d'être distribuée sous forme d'actions gratuites, à la condition que tous les salariés puissent en bénéficier, sans quoi le plafond resterait fixé, comme actuellement, à 10 %. Les cas d'application seront probablement rares.

L'article 8 propose d'abandonner le principe de la neutralité des dirigeants des sociétés faisant l'objet d'une offre publique d'acquisition, de façon à leur permettre d'agir pour faire échouer l'offre, sauf disposition contraire des statuts. Ce principe de neutralité a été retenu en 2006, lorsque nous avons transposé la directive « OPA » de 2004, qui le proposait comme le droit commun. Ce principe veut que les dirigeants s'abstiennent de prendre des mesures susceptibles de faire échouer l'offre, sauf autorisation de l'assemblée générale.

En effet, en situation d'OPA, des conflits d'intérêts peuvent opposer les dirigeants qui craignent d'être évincés si l'offre réussit, et l'entreprise. La neutralité des dirigeants permet d'éviter d'affecter la situation de l'entreprise - salariés, cours de l'action, portefeuille d'épargne des petits actionnaires - en tentant de faire échouer l'offre. Elle permet également aux actionnaires de se prononcer plus librement.

Ce texte fait le pari étrange que les intérêts des dirigeants coïncident avec ceux de leur entreprise. Ce n'est malheureusement pas toujours le cas ! L'idée sous-jacente, en réalité, est que les OPA sont par principe néfastes pour les sociétés françaises et pour l'emploi, de sorte qu'il faut les dissuader. Cette conception est inexacte. Selon l'Autorité des marchés financiers, la grande majorité des OPA sont franco-françaises et on recense moins d'une OPA hostile par an. En pratique, des résolutions seront vraisemblablement présentées en assemblée générale pour imposer le principe de neutralité dans les statuts, en particulier par les investisseurs étrangers, ce qui limitera fortement la portée du texte, comme pour le droit de vote double.

Enfin, l'article 9 prévoit, avec beaucoup de légèreté, de préserver la vocation des implantations industrielles existantes de plus de 2000 mètres carrés. Cette disposition qui suscite une large réprobation, notamment de la part de l'Association des maires de France, peut conduire au gel des friches industrielles et au blocage des projets locaux de reconversion de sites industriels et de développement local, en empêchant par exemple l'utilisation de terrains industriels pour construire des logements.

En conclusion, cette proposition de loi laisse sceptique quant à sa capacité à soutenir significativement l'économie réelle. Les intentions sont louables, mais les moyens employés ne sont pas tous pertinents.

Sous réserve des amendements que je vais vous présenter, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption de cette proposition de loi.

M. Jean-Pierre Sueur , président . - Monsieur le rapporteur, vous avez mené de très nombreuses auditions, et je vous en remercie. Votre rapport témoigne d'une grande indépendance d'esprit : vous avez recherché des mesures qui soient efficaces sans souscrire d'emblée à des idées impraticables.

M. Jean-Jacques Hyest . - Certains devraient approfondir leur connaissance du monde de l'entreprise avant de faire des propositions ! Il faudrait notamment savoir faire la différence entre le rôle d'un comité d'entreprise et celui d'un conseil d'administration. Même sur des sujets où nous pourrions nous accorder, les propositions sont insatisfaisantes. Au sujet de l'urbanisme, c'est tout le contraire qu'il faut faire. Concernant la reprise des entreprises, c'est la prévention qui compte, comme l'a rappelé M. le rapporteur. Le projet du Gouvernement est de développer la prévention des entreprises en difficultés.

Quant au titre de cette proposition de loi pour «  reconquérir l'économie réelle », il n'est pas judicieux : ce n'est pas ainsi que l'on avancera ; au contraire, nous ferons fuir les investisseurs. Je rappelle que le dividende majoré, dont peuvent bénéficier les actionnaires stables, est très utilisé par certaines grandes entreprises pour avoir un actionnariat large. J'en connais au moins une, la société Air Liquide. Lorsque l'actionnariat est très diversifié, il n'y a pas d'OPA possible.

M. René Vandierendonck . - Le titre même de cette proposition de loi me fait réagir. Le fameux article 9 n'est qu'un exemple parmi d'autres de ce qui me préoccupe. Je ne discute pas les intentions du législateur qui veut sanctuariser la destination économique des territoires pour garantir la réindustrialisation. Cependant, dans la pratique - prenons l'exemple du traitement des anciens sites industriels pollués - il faut laisser la liberté d'appréciation à l'intercommunalité qui a en charge l'accompagnement de la réindustrialisation. Laissons à la collectivité le soin de déterminer où, quand et comment on réindustrialise. Pourquoi l'établissement public foncier d'Île-de-France s'intéresse-t-il aux cent hectares d'Aulnay ? Parce que la valorisation du foncier libéré et la prise en compte de la problématique de la pollution renvoient à la collectivité territoriale ou à l'EPCI le soin de déterminer quelle est l'affectation optimale. Cet article est aux antipodes de la réalité !

Le texte ne suscite pas mon enthousiasme.

M. Félix Desplan , rapporteur pour avis . - Je confirme à M. Hyest que le dividende majoré existe toujours.

Je partage le point de vue de M. Vandierendonck : l'article 9 n'est pas à sa place dans un projet de loi consacré à reconquérir l'économie réelle. J'en demanderai la suppression.

M. Jean-Pierre Sueur , président . - Tous ces amendements du rapporteur aboutissent à une véritable réécriture du texte.

EXAMEN DES AMENDEMENTS DU RAPPORTEUR

Article 1 er

M. Félix Desplan , rapporteur pour avis . - L'amendement n° 1 supprime la faculté, pour le comité d'entreprise, de participer directement à la recherche d'un repreneur.

M. Jean-Jacques Hyest . - Les syndicats de salariés sont-ils demandeurs d'une telle mission ? Je n'en suis pas sûr.

M. Félix Desplan , rapporteur pour avis . - Nous n'avons pas eu l'occasion de les entendre.

L'amendement n° 1 est adopté.

M. Félix Desplan , rapporteur pour avis . - L'amendement n° 2 limite aux seules entreprises in bonis l'obligation de rechercher un repreneur en cas de fermeture d'un établissement. Il exclut celles qui se trouvent en procédure de conciliation et en procédure collective, afin d'éviter toute ambiguïté dans l'interprétation du champ d'application de ce dispositif.

L'amendement n° 2 est adopté.

M. Félix Desplan , rapporteur pour avis . - L'amendement n° 3 vise à améliorer la cohérence de la codification.

L'amendement n° 3 est adopté.

M. Félix Desplan , rapporteur pour avis . - Par cet amendement de clarification n° 4, nous précisons la procédure de contrôle de l'obligation de rechercher un repreneur.

L'amendement n° 4 est adopté.

M. Félix Desplan , rapporteur pour avis . - L'amendement n° 5 clarifie le déroulement de la procédure en distinguant une première procédure de vérification du respect des obligations, ouverte par le tribunal à la demande du comité d'entreprise et devant se conclure par un jugement, et une seconde procédure éventuelle en vue du prononcé d'une sanction.

L'amendement n° 5 est adopté, ainsi que l'amendement n° 6.

M. Félix Desplan , rapporteur pour avis . - L'amendement n° 7 précise les conditions dans lesquelles intervient le jugement d'ouverture de la procédure de vérification du respect des obligations de recherche d'un repreneur, en permettant à l'entreprise de présenter ses observations, au nom de la protection des droits de la défense.

L'amendement n° 7 est adopté.

M. Félix Desplan , rapporteur pour avis . - L'amendement n° 8 établit que le tribunal, pour recueillir les informations sur la situation de l'entreprise et ses actions en vue de la recherche d'un repreneur, peut s'appuyer sur un juge commis à cette fin, lui-même assisté d'un expert de son choix.

M. Jean-Jacques Hyest . - Qui est cet expert ?

M. Félix Desplan , rapporteur pour avis . - Le tribunal en décide.

M. Jean-Pierre Sueur , président . - Le tribunal est libre de faire appel à un expert ou d'imposer son expertise à l'entreprise.

L'amendement n° 8 est adopté.

M. Félix Desplan , rapporteur pour avis . - L'amendement n° 9 ouvre la possibilité au tribunal de désigner un administrateur judiciaire afin d'établir un bilan économique et social de l'entreprise, pour éclairer le tribunal, comme c'est le cas en matière de procédures collectives.

L'amendement n° 9 est adopté.

M. Félix Desplan , rapporteur pour avis . - Par cet amendement n° 10, nous clarifions la procédure de vérification du respect des obligations de recherche d'un repreneur par l'entreprise et nous en précisons la rédaction en prévoyant que le tribunal doit recueillir au préalable l'avis du ministère public.

L'amendement n° 10 est adopté, ainsi que l'amendement n° 11.

M. Félix Desplan , rapporteur pour avis . - L'amendement n° 12 supprime la définition univoque du motif légitime de refus d'une offre sérieuse de reprise de l'établissement dont la fermeture est envisagée, telle qu'elle est fixée par la proposition de loi. En effet, si le tribunal reconnaît l'existence d'un motif légitime de refus, l'entreprise ne peut pas faire l'objet d'une sanction.

L'amendement n° 12 est adopté, ainsi que les amendements n os 13 et 14.

M. Félix Desplan , rapporteur pour avis . - L'amendement n° 15 clarifie et précise la procédure de sanction de l'entreprise, lorsqu'elle n'a pas respecté ses obligations de recherche ou a refusé sans motif légitime une offre de reprise sérieuse. Il contribue à garantir le caractère équitable et contradictoire de la procédure avant le prononcé d'une sanction par un tribunal.

L'amendement n° 15 est adopté.

M. Félix Desplan , rapporteur pour avis . - L'amendement n° 16 précise la rédaction de l'alinéa 69, en indiquant que le produit de l'amende est affecté à l'établissement public BPI-Groupe pour financer, par priorité, des projets dans le bassin d'emploi de l'établissement.

M. Jean-Jacques Hyest . - Je suis contre l'affectation du produit de l'amende à la BPI. Je proposerai un amendement en ce sens.

M. Philippe Bas . - C'est surtout une disposition inconstitutionnelle.

L'amendement n° 16 est adopté.

M. Félix Desplan , rapporteur pour avis . - Le présent amendement n° 17 supprime la sanction consistant à faire rembourser par les entreprises en défaut tout ou partie des aides financières publiques reçues dans les deux années précédant le jugement. La pertinence d'une telle injonction de remboursement n'est pas assurée alors que les collectivités publiques concernées ne sont pas partie à l'instance et que le tribunal saisi n'est pas en mesure de connaître précisément les aides publiques en cause. En outre, ceci relève du tribunal administratif.

L'amendement n° 17 est adopté, ainsi que les amendements n os 18, 19, 20 et 21.

M. Jean-Pierre Sueur , président . - Avec ces vingt-et-un amendements, le texte est sensiblement différent de sa version initiale : c'est presque la « loi Desplan » !

M. Félix Desplan , rapporteur pour avis . - Ce sera surtout le texte de la commission de lois.

Article 5

M. Félix Desplan , rapporteur pour avis . - L'amendement n° 22 supprime l'application automatique des droits de vote double dans les sociétés cotées, en raison de son absence d'effet réel significatif, voire de ses effets négatifs.

L'amendement n° 22 est adopté.

M. Jean-Pierre Sueur , président . - Le rapporteur a prévu des amendements de repli pour le cas où la commission des affaires sociales ne nous suivrait pas.

Les amendements n os 23, 24 et 25 sont adoptés.

Article 8

M. Félix Desplan, rapporteur pour avis. - L'amendement n° 26 supprime l'abandon du principe de neutralité des organes de direction des sociétés faisant l'objet d'une offre publique d'acquisition, afin de leur permettre d'agir pour faire échouer l'offre.

L'amendement n° 26 est adopté.

M. Jean-Pierre Sueur , président . - Dans un souci de diplomatie, le rapporteur a prévu des amendements de repli dans ce cas également.

Les amendements n os 27, 28 et 29 sont adoptés.

M. Jean-Jacques Hyest . - Il faut convaincre le Sénat que l'article 8 est totalement absurde.

M. Jean-Pierre Sueur , président . - Nous mandatons M. Desplan pour convaincre la commission des affaires sociales de supprimer les articles 5 et 8.

Article 9

M. Félix Desplan , rapporteur pour avis . - L'amendement n° 30 vise à supprimer l'article 9, en raison des difficultés qu'il soulève. En effet, il apparaît sans lien avec l'objectif de cette proposition de loi. De plus, la stimulation du développement industriel repose sur une politique fiscale et économique adaptées aux spécificités territoriales plus que sur l'urbanisme. L'article 9 interdit toute évolution des zones industrielles, alors que de nombreuses collectivités territoriales ont mis en oeuvre des politiques de revitalisation de leur centre urbain, pour reconvertir et développer ces zones et construire des logements. Enfin, l'article soulève des difficultés constitutionnelles en allant à l'encontre du principe de libre administration des collectivités territoriales. Il revient aux élus locaux de définir et de porter un projet politique et non de se voir imposer un schéma d'évolution industrielle inadapté aux spécificités de leurs territoires.

L'amendement n° 30 est adopté.

M. Jean-Pierre Sueur , président . - Je remercie le rapporteur de cet amendement de suppression que je soutiens totalement. L'article 9 va à l'encontre de tous les travaux sur l'urbanisme menés dans les vingt dernières années. Le modèle, dans la seconde partie du XX ème siècle est celui des villes sectorisées, avec une zone d'activités, une zone industrielle, une zone commerciale, un campus universitaire, un secteur de logements horizontaux, un autre pour les logements verticaux. Or, la démarche actuelle est de bâtir une nouvelle urbanité qui mélange les fonctions sur un même site : le sport, la formation, les loisirs et l'habitat se côtoieront. Tout le mouvement d'urbanisme contemporain va dans ce sens : dans des quartiers d'habitat social vertical, on introduira des activités économiques. Dire qu'une zone industrielle va rester telle, c'est refuser l'ensemble de ces travaux qui repensent l'urbanisme dans une pluralité. L'article 9 ne défend pas l'industrie, l'argument est absurde ! Il faut développer l'activité dans notre pays, mais partout. Avec les progrès permis par le numérique, on peut développer de l'activité là où il n'y en avait pas.

M. René Vandierendonck . - La métropole lilloise offre un exemple de choix, celui de la Redoute qui, après les suppressions d'emplois, annonce des réinvestissements grâce à la commercialisation du foncier de ses sites actuels. Cinq ou six grands entrepôts se trouvent à Roubaix et Tourcoing. La dernière implantation est celle d'Amazon, dont l'entrepôt fait 12 mètres sous plafond et 7 hectares d'un seul tenant. On ne peut pas le remettre dans l'urbain. Ce n'est pas en sanctuarisant ou en gelant des sites qu'on recrée l'activité. J'attendais de la proposition de loi des dispositions beaucoup plus précises pour impulser une nouvelle dynamique à l'économie. On aurait pu, par exemple, réfléchir sur l'influence de la fiscalité : il est plus intéressant pour une collectivité de faire de l'habitation que de la zone industrielle.

Aujourd'hui, l'intercommunalité est la mieux à même d'apprécier la manière dont l'on doit valoriser tel ou tel site pour permettre la réindustrialisation. Tout se fait contractuellement et certainement pas par le biais d'une économie administrée, en donnant des gages purement déclamatoires. Ce n'est pas comme cela qu'on fait la loi.

M. Jean-Pierre Sueur , président . - Si on veut reconquérir les entrées de villes, il faut peu à peu y introduire autre chose, de la pelouse peut-être. Certes, il est difficile de mettre de l'habitat entre Kiabi et Auchan, mais petit à petit on pourra introduire de la formation, du sport, puis du logement. Un travail très fin est en cours pour reconquérir l'espace voué à une mono-activité. Le texte va à l'encontre de cette évolution.

Mme Hélène Lipietz . - Je m'étonne que Le Corbusier sévisse encore au XXI ème siècle. Ce qui me choque, c'est que le texte ne mentionne pas le problème des friches industrielles polluées. C'est une grosse lacune. La dépollution des friches industrielles, voilà de l'économie on ne peut plus réelle !

M. Jean-Pierre Sueur , président . - Vous avez une perception inexacte de ce que souhaitait Le Corbusier. Je ne suis pas sûr qu'il soit juste de faire de lui l'apôtre de la spécialisation spatiale.

Mme Esther Benbassa . - C'est une idée utopique de penser remplacer une zone industrielle par une autre, car aujourd'hui on s'approprie l'espace par une « gentrification » naturelle : les gens s'installent dans les zones abandonnées des villes ; au centre de Paris, les parties autrefois vouées à l'industrie sont habitées par les « bobos ». L'article va à l'encontre de ce mouvement naturel.

M. Jean-Pierre Sueur , président . - En somme, l'amendement de M. Desplan va dans le sens de l'histoire.

M. Jean-Jacques Hyest . - Beaucoup d'établissements culturels s'installent dans des établissements industriels transformés : la Cartonnerie, la Fabrique...

M. Jean-Pierre Sueur , président . - Des friches industrielles sont ainsi devenues des lieux dédiés à l'art. Mais mieux vaudrait une industrie qu'un musée de l'industrie ! À Dordives, il y a un musée du verre ; une verrerie serait préférable... Nous sommes tous d'accord sur la nécessité de réindustrialiser, mais certainement pas selon ce concept fixiste et archaïque d'un maintien des zones industrielles.

Mme Esther Benbassa . - Les historiens ne valideraient pas le terme « archaïque ». Au Moyen Âge, la ville était divisée selon les métiers, avec la rue des tanneurs ou la rue des sabotiers.

M. Jean-Jacques Hyest . - C'est une implantation qui a existé à une époque de l'histoire. Saint-Gobain s'est installée à la fin du XVIII ème siècle sur un site en Seine-et-Marne où il y avait de la silice pure à moins de 10 kilomètres, du bois et de l'eau. Il y avait 1800 salariés sur place. Aujourd'hui, ces soucis ne comptent plus, puisque l'on fait venir les matières premières.

M. Jean-Pierre Sueur , président . - Ce n'est pas du tout archaïque. Cela a été une époque de l'histoire. L'idée que les zones industrielles restent immuables est une idée fixiste.

Je rends hommage à l'action de notre rapporteur, qui a rédigé un texte très différent du texte initial, et je propose que l'on lui donne mandat pour défendre notre position devant la commission des affaires sociales et pour redéposer en séance, en cas de besoin, tous les amendements adoptés par notre commission.

Sous réserve des amendements qu'elle a adoptés, la commission donne un avis favorable aux dispositions dont elle s'est saisie pour avis.

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