V. LA HADOPI, UNE STRUCTURE EN PÉRIL ?

Le principe de protection du droit d'auteur est posé par l'article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle (CPI) et le régime des droits liés est précisé dans la première partie du CPI.

On rappelle que le droit d'auteur confère à son titulaire une propriété privative lui permettant de déterminer les conditions d'exploitation de son oeuvre, le Conseil Constitutionnel ayant dans sa décision n° 2006-540 du 27 juillet 2006 fortement rappelé ce statut juridique.

Les infractions aux droits d'auteur sont sanctionnées pénalement selon un régime propre codifié aux articles L. 335-1 à L. 335-10 du CPI. L'action pénale n'est évidemment pas exclusive d'une action civile. La violation des droits d'auteur est constitutive d'un délit, le délit de contrefaçon. Il est puni d'une peine de 300 000 euros d'amende et de 3 ans d'emprisonnement, des peines complémentaires pouvant être prononcées.

Une procédure préventive, la saisie-contrefaçon, est ménagée. Elle permet à des officiers de police judiciaire mais aussi à des personnes assermentées, parmi lesquelles, fait rarissime, certains personnels des sociétés de perception et de répartition des droits, qui sont de statut privé, de constater la matérialité des infractions.

D'autres procédures non spécifiques peuvent être mobilisées pour assurer la protection juridique du droit d'auteur, en particulier, les actions pour concurrence déloyale et les actions de défense des droits personnels relevant du droit civil.

Par ailleurs, des formules nouvelles se développent pour faire face aux problèmes soulevés par la conciliation entre le numérique et la protection des droits d'auteur.

Reposant sur le pari de l'apprentissage sans préjudice de « l'usage du bâton », elles sont supposées, enrichies d'une action promotionnelle, assurer la conciliation du numérique et du respect du droit d'auteur.

La Hadopi illustre cette tendance à la diversification des vecteurs de protection suscitée par les défis du numérique.

Même si certains de ses résultats conduisent à s'interroger sur les orientations suivies, l'existence de la Hadopi suppose une logique de choix budgétaires que le projet de budget pour 2015 ne respecte pas.

Si le débat sur l'avenir institutionnel de la Hadopi a été successivement ouvert puis clos par les deux ministres dernièrement en charge de la culture, dans une confusion regrettable, il convient d'être cohérent avec le dernier stade des décisions annoncées

Votre rapporteur pour avis prend acte des derniers états du débat institutionnel sur la Hadopi.

Il est certainement justifié que le numérique unifiant les problématiques dans lesquelles se trouvent prises les industries culturelles, un organisme unifie la conduite de l'action publique en ce domaine.

Cette observation n'exclut en rien de poursuivre la réflexion sur les priorités d'un tel organisme et, à partir des résultats de son action, sur les instruments à lui confier.

C. UNE ÉPÉE DE DAMOCLÈS BUDGÉTAIRE ?

1. Tensions financières

Lors de son audition par votre commission de la culture, de l'éducation et de la communication, tenue le mercredi 2 juillet 2014, la présidente de la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) avait indiqué « pour (nous) permettre d'accomplir nos missions, son montant (celui de la subvention du ministère) devra être sensiblement supérieur en 2015 ».

La subvention inscrite au budget pour 2014 s'élevait à 6 millions d'euros. Le projet de loi de finances pour 2015 présenté par le Gouvernement comporte un maintien de ce montant. Il n'a donc pas fait droit aux voeux de la présidente.

Lors de la présentation du rapport d'activité de l'autorité, le 28 octobre 2014, il fut ainsi question « d'asphyxie budgétaire » et, en conséquence, d'une menace pour l'indépendance de la Hadopi.

La présidente avait précisé lors de son audition que, jusque-là, les besoins financiers de la Hadopi avaient pu être couverts par une sollicitation du fonds de roulement, qui avait pu compenser la réduction tendancielle des crédits ministériels versés à elle.

De fait, la subvention de l'État a subi une diminution constante dans le passé. De 11,4 millions en exécution en 2011, elle est passée à 6 millions d'euros en 2014 avec deux étapes intermédiaires, à 10,3 millions d'euros en 2012 (en exécution) une dotation de 8,4 millions d'euros étant inscrite en loi de finances initiale pour 2013, réduite en exécution, compte tenu des mesures d'économies, à 7 millions d'euros.

Ce n'est que grâce aux excédents dégagés lors des années précédentes et qui ont un temps épaissi le fonds de roulement que la Hadopi a pu faire face à ses dépenses effectives. Ainsi, le prélèvement sur le fonds de roulement a atteint successivement en 2011 et 2012 1,264 et 1,204 million d'euros et, fin 2014, le fonds de roulement disponible devrait être ramené à 3,1 millions d'euros, compte tenu d'un nouveau prélèvement effectué pour équilibrer le budget à hauteur de 2,5 millions d'euros.

Étant donné l'évolution des dépenses réelles de la Hadopi, qui ont suivi une courbe nettement descendante, passant de 14,2 millions en 2011 à une programmation à 10, 5 millions en 2013 (- 3,7 millions en deux ans) et à environ 9 millions en 2014, le fonds de roulement de la Hadopi s'élève encore à près de quatre mois de ses dépenses, ce qui, en soi, peut être inconfortable, mais n'est pas une situation alarmante.

Il n'en reste pas moins que le niveau du fonds de roulement paraît difficilement compressible, alors même que l'écart entre la subvention versée par l'État et les dépenses effectives de la structure, s'il est stabilisé, ne s'est trouvé tel que grâce à des ajustements sur les dépenses, ajustements naturels après le temps des investissements initiaux, mais dont on peut douter qu'ils soient toujours renouvelables.

Doit par ailleurs être prise en considération la séquence du versement de la subvention ministérielle qui oblige l'instance à disposer d'une réserve de trésorerie pour acquitter ses charges.

Autrement dit, les économies réalisées dans le passé combinées avec les prélèvements sur le fonds de roulement ont jusque-là assuré un équilibre financier selon des conditions qui ne sont pas soutenables à terme.

Dans ces conditions, votre rapporteur pour avis souhaite qu'une évaluation approfondie de la cohérence entre les missions de la Hadopi et ses moyens intervienne au-delà des arbitrages quelque peu comptables dont semble témoigner la programmation budgétaire de la Hadopi depuis quelques années. À tout le moins, il est indispensable que le rythme de versement de la subvention ministérielle soit respectueux de la nécessité où se trouve la Hadopi de payer ses charges à bonne date .

Il conviendrait peut-être d'aller plus loin dans la réflexion que suscitent les tensions budgétaires qui s'exercent sur la Hadopi .

En posant l'hypothèse d'une pérennité de la structure, il faudrait s'interroger sur les modalités de son financement .

Il n'existe pas une concordance totale entre la logique des missions de la Hadopi - voir infra - et les conditions dans lesquelles elle est financée.

D'un point de vue abstrait, on peut considérer que la Hadopi est une structure dédiée à des intérêts mixtes, d'ordre public et privé. Pratiquement, compte tenu du régime et du déroulement de la procédure de riposte graduée ainsi que de la nature de ses autres missions, sa pratique relève davantage d'une action au bénéfice des ayants droit.

Or, par son financement exclusivement ministériel, cette caractéristique n'est nullement prise en compte.

Il ne serait pas anormal que les ressources de la Hadopi soient diversifiées en considérant la valeur particulière que ses missions présentent pour les titulaires de droits.

Votre rapporteur pour avis n'ignore pas les questions pratiques mais aussi de principe que suscite une telle suggestion.

Parmi celles-ci, on peut imaginer que certains financeurs, venant à être sollicités, s'interrogeraient sur la nécessité de la haute autorité.

Votre rapporteur pour avis observe que celle-ci a réalisé ce qui ne l'avait pas été par les bénéficiaires de son action et qu'à ce titre, elle a produit des gains de coordination qui, sans elle, ne seraient pas advenus.

2. Responsabilité sociale

Avec les questions que pose l'hypothèque budgétaire sur l'exercice des missions de la Hadopi, il faut évoquer la dimension sociale du problème .

Les effectifs de la Hadopi sont pour la plupart contractuels avec une pyramide des âges très marquée. Au 31 décembre 2012, la moyenne d'âge des agents était de 34 ans contre 41 ans dans la fonction publique. Près de la moitié des effectifs a moins de 30 ans de sorte que l'engagement auprès de la Hadopi constitue pour beaucoup leur première expérience professionnelle. Étant observé qu'on peut s'étonner de cette situation au vu des missions particulièrement délicates exercées par la Hadopi, tout en reconnaissant que le champ de l'Internet est souvent plus immédiat aux jeunes générations qu'à leurs antécédentes, on doit aussi s'interroger sur la politique suivie à l'égard des personnels.

Dans un contexte où le modèle de la Hadopi ne peut pas être considéré comme stabilisé, la pratique consistant à pérenniser les emplois, pour généreuse qu'elle apparaisse, ressort comme peu prudente. Que la majorité des contrats arrivant à leur terme soit reconduits pour une durée indéterminée a pour effet de préjuger de l'avenir de la structure alors même que des incertitudes planent sur elles depuis l'origine, ce dont témoigne assez la récurrence des débats sur son devenir et sur les modalités que doit prendre la protection des droits de propriété contre les atteintes suscitées par l'Internet.

Cette politique aboutit à rigidifier les charges de la Hadopi avec des dépenses de personnel (4,7 millions de masse salariale) qui en représentent déjà plus de la moitié et devraient à l'avenir voir leur poids relatif se renforcer significativement une fois les investissements d'entrée effectués. Par ailleurs, des promesses ont été faites à des personnels alors même que leur base n'était pas solidement constituée.

Ainsi, aux yeux de votre rapporteur, quel que soit l'avenir de la Hadopi, la responsabilité sociale de l'État se trouve engagée de sorte que les personnels auprès desquels des engagements, implicites au moins, ont été pris doivent pouvoir bénéficier de la protection d'emploi qu'on leur a promise.

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