Avis n° 112 (2014-2015) de Mme Colette MÉLOT , fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, déposé le 20 novembre 2014

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N° 112

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2014-2015

Enregistré à la Présidence du Sénat le 20 novembre 2014

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (1) sur le projet de loi de finances pour 2015 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE ,

TOME IV

Fascicule 3

MÉDIAS, LIVRE ET INDUSTRIES CULTURELLES :

LIVRES ET INDUSTRIES CULTURELLES

Par Mme Colette MÉLOT,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : Mme Catherine Morin-Desailly , présidente ; M. David Assouline, Mme Corinne Bouchoux, M. Jean-Claude Carle, Mme Marie-Annick Duchêne, M. Louis Duvernois, Mmes Brigitte Gonthier-Maurin, Françoise Laborde, Claudine Lepage, Colette Mélot, M. Jean-Marc Todeschini , vice-présidents ; Mmes Françoise Férat, Dominique Gillot, M. Jacques Grosperrin, Mme Sylvie Robert, M. Michel Savin, secrétaires ; MM. Pascal Allizard, Maurice Antiste, Dominique Bailly, Mmes Marie-Christine Blandin, Maryvonne Blondin, MM. Philippe Bonnecarrère, Gilbert Bouchet, Jean-Louis Carrère, Mme Françoise Cartron, MM. Joseph Castelli, François Commeinhes, René Danesi, Jean-Léonce Dupont, Mme Nicole Duranton, MM. Jean-Claude Frécon, Jean-Claude Gaudin, Mme Samia Ghali, M. Loïc Hervé, Mmes Christiane Hummel, Mireille Jouve, MM. Guy-Dominique Kennel, Claude Kern, Pierre Laurent, Jean-Pierre Leleux, Mme Vivette Lopez, MM. Jean-Jacques Lozach, Jean-Claude Luche, Jacques-Bernard Magner, Christian Manable, Philippe Marini, Mmes Danielle Michel, Marie-Pierre Monier, MM. Philippe Nachbar, Jean-Jacques Panunzi, Cyril Pellevat, Daniel Percheron, Mme Christine Prunaud, MM. Stéphane Ravier, Bruno Retailleau, Abdourahamane Soilihi, Hilarion Vendegou.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 14 ème législ.) : 2234, 2260 à 2267 et T.A. 420

Sénat : 107 et 108 à 114 (2014-2015)

AVANT-PROPOS

CHASSER LES DOUTES

Mesdames, Messieurs,

L'ère du temps est marquée par le doute. Les modifications profondes des pratiques culturelles des Français sur fond de disruptions technico-économiques avec le déferlement de la vague numérique fragilisent les représentations traditionnelles de l'identité culturelle française qui fondent « l'exception culturelle ».

S'impose une quête de sens qui passe par des réactions collectives auxquelles on cherche à donner un fondement réaliste. On entend montrer que l'aspiration culturelle est compatible avec les prescriptions économiques : elles auraient une valeur économique.

Cette dernière observation qui, malgré quelques précautions qui ne sont pas toujours prises, n'apparaît pas infondée, manque l'essentiel qui fonde une politique publique culturelle. La visibilité culturelle, c'est-à-dire son accessibilité et sa diversité, est un bien public que l'économie ne produit pas spontanément. Sans intervention collective, des signes disparaîtraient et la culture s'appauvrirait.

C'est la conviction de votre rapporteur pour avis, conviction encore renforcée par les menaces d'un ordre culturel planétaire, globalisé, affadi par les grandes tendances à l'oeuvre dans l'économie marchande des industries culturelles.

La culture est aussi une activité économique

Un rapport d'une mission commune de l'inspection générale des finances (IGF) et de l'inspection générale des affaires culturelles (IGAC) consacré à l'apport de la culture à l'économie en France 1 ( * ) a connu un réel retentissement médiatique en cours d'année par le message réconfortant pour les défenseurs de la politique culturelle et de l'exception culturelle française selon lequel la culture, outre sa contribution « civilisationnelle », exercerait des effets très positifs sur l'économie nationale.

En filigrane, on lit que le PIB culturel ferait beaucoup plus qu'autofinancer les soutiens publics consacrés à la culture.

L'ensemble des valeurs ajoutées des productions culturelles, le « PIB culturel », atteindraient 57,8 milliards d'euros, soit 3,2 % du PIB français. Cette estimation est mise en rapport avec celle de la contribution d'autres secteurs à la création de richesse en France : équivalente à la valeur ajoutée agricole - 60,4 milliards d'euros - elle atteint deux fois celle des télécommunications, quatre fois la contribution de l'industrie chimique ou de l'assurance et sept fois la valeur ajoutée de l'industrie automobile.

Ces comparaisons, frappantes, sont toutefois biaisées par des choix de méthode avec une conception très extensive de la filière culturelle et, à l'inverse, une prise en compte restrictive, par branche, des autres activités.

Mais demeure l'évaluation du « PIB culturel » elle-même qui, même très extensive, situe l'importance des activités de la culture dans la production nationale.

Un agrégat de valeur ajoutée encore plus large est proposé par le rapport qui additionne la valeur ajoutée des activités culturelles et les effets induits par la culture sur les secteurs économiques non culturels en France (consommations intermédiaires d'origine nationale mais aussi activités liées n'entrant pas dans le champ, conventionnel, des activités spécifiquement culturelles). Cette valeur ajoutée culturelle augmentée s'élèverait à 5,8 % du PIB (104,5 milliards d'euros).

Quant à la production culturelle qui comprend les valeurs ajoutées des secteurs spécifiquement culturels et la totalité de leurs consommations intermédiaires, nationales ou d'origine étrangère, elle atteindrait 129,8 milliards d'euros. Elle est principalement marchande (111,7 milliards d'euros, soit 86 % du total), la part du non-marchand se situant à 14 milliards d'euros.

D'un point de vue temporel, la part du « PIB culturel » aurait augmenté entre 1995 et 2005 pour reculer de 0,3 point depuis.

En ce qui concerne l'emploi, les activités culturelles (spécifiquement et indirectement culturelles) mobilisent 670 000 personnes. Cela représente 2,5 % de l'emploi total soit une proportion deux fois inférieure à celle du PIB culturel élargi dans le PIB national.

Les activités culturelles ressortent ainsi comme faiblement intenses en emplois, constat qui contraste sans doute avec certaines intuitions susceptibles en particulier de fonder des vocations professionnelles que le secteur ne peut pas nécessairement satisfaire.

Le rapport de l'IGF et de l'IGAC repose sur des choix de méthode qui identifient onze secteurs spécifiquement culturels : spectacle vivant, patrimoine, arts visuels, presse, livre, audiovisuel, publicité, architecture, cinéma, industries de l'image et du son, accès au savoir et à la culture.

Trois d'entre eux sont couverts par le présent rapport : le livre, les industries de l'image et du son, l'accès au savoir, même si, sous certains angles, les méthodes suivies dans l'étude des deux inspections en offrent un champ élargi par rapport à celui des interventions budgétaires qu'il envisage.

Le total de leurs valeurs ajoutées - cf. graphique ci-dessous - atteint 11,2 milliards d'euros dont 3,7 milliards apportés par des activités indirectement culturelles.

L'évolution des valeurs ajoutées de ces secteurs sur 16 ans entre 1995 et 2011 a été très différenciée.

Dans l'ensemble, le PIB culturel a progressé entre 1995 et 2005 plus vite que le reste de l'économie (de sorte qu'il est passé de 3,3 à 3,5 % du PIB total) pour connaître au-delà une moins bonne fortune et se replier à 3,2% du total en 2011.

Si la part des industries de l'image et du son a augmenté au cours de la période, celles du livre et de l'accès aux savoirs ont décru.

L'étude des deux inspections est centrée sur la contribution du PIB culturel à l'économie nationale. Elle mérite d'être complétée pour appréhender plus complètement les évolutions des secteurs. Il faut alors envisager la dynamique des secteurs culturels en tant que telle, en dehors de toute référence à leur poids relatif dans le PIB.

Il est également utile de considérer l'évolution respective de leurs volumes et de leurs prix 2 ( * ) .

Les données de valeur ajoutée en prix constants comparées aux données en prix courants permettent de différencier les effets prix des effets volume, ce qui offre une vue approximative des conditions d'accès du public aux biens produits.

Bien sûr, les évolutions de valeur ajoutée en prix courants ne sont en rien négligeables, ni pour les producteurs puisqu'elles traduisent leur capacité à valoriser leurs produits, ni pour les consommateurs puisqu'elles sont un indicateur de leur pouvoir d'accès auxdits produits.

Or, force est de constater que, sous cet angle, les trois secteurs concernés par le présent rapport ont connu des évolutions très variables.

À partir de 2004, le livre a connu une baisse de sa valeur ajoutée nominale mais aussi en volume, la seconde ayant été un peu plus marquée que la première .

La baisse de la création de richesses en volume du secteur a été un peu atténuée par des effets prix qui ont permis d'en limiter l'incidence sur les revenus nominaux du secteur.

Pour les industries de l'image et du son , l' augmentation de la valeur ajoutée depuis 2004 a été plus forte en valeur qu'en volume , témoignant d'une capacité du secteur à élever et le volume de sa valeur ajoutée et sa valorisation, ce qui constitue un indice de bonne santé relative. Il est évident que ce constat doit être fortement nuancé pour certains sous-secteurs (la musique en particulier).

Enfin, pour l'accès aux savoirs, la valeur ajoutée en volume a baissé quand la valeur ajoutée en valeur a fortement progressé sous l'effet de prix particulièrement dynamique (+ 70,6 % contre 23, 9 % pour les prix du PIB culturel total). Autrement dit, ce secteur a dégagé des revenus nominaux en forte hausse dans un contexte de réduction de sa valeur ajoutée réelle.

On peut appréhender les diverses évolutions sectorielles par une comparaison des valeurs ajoutées entre 1995 et 2011 et 2004 et 2011 respectivement, tant pour la valeur ajoutée à prix constants que pour la valeur ajoutée nominale.

Dans tous les cas, la valeur ajoutée nominale est supérieure en 2011 à ce qu'elle était en 1995 dans des proportions très inégales (+ 16 % pour le livre mais + 58 % pour les industries culturelles et + 66% pour l'accès aux savoirs).

Cependant, depuis 2004, une forte décroissance est intervenue pour le livre au point que la valeur ajoutée nominale du secteur est inférieure désormais à ce qu'elle était alors (- 8 points). Pour les deux autres secteurs, on relève une décélération plus marquée pour les industries culturelles, dont la valeur ajoutée ne progresse que de 10 points, que pour l'accès aux savoirs pour laquelle elle gagne encore 23 points.

Appréhendée en volume , la valeur ajoutée du livre est un peu supérieure en 2011 à son niveau de 1995 (de 8 %), celle des industries culturelles nettement plus élevée (45 %) mais celle de l'accès aux savoirs s'inscrit en retrait (- 3 points). Les évolutions depuis 2004 sont défavorables : c'est depuis cette année que les accès aux savoirs ont vu leur valeur ajoutée en volume décliner, tandis que, pour le livre, le repli de la valeur ajoutée en volume est encore un peu plus fort que pour la valeur ajoutée en valeur (- 11 points). Seules les industries culturelles enregistrent une appréciation mais modérée (+ 8 points).

Vue à travers la création de valeur en euros courants, la situation est contrastée selon le secteur considéré et selon la période envisagée.

Comparé à la situation de 1995, chaque secteur a dégagé de la valeur : 2,929 milliards en tout, dont environ la moitié pour les industries de l'image et du son. Cependant, depuis 2004, le secteur du livre détruit de la valeur ajoutée et pour un montant considérable : 447 millions d'euros, soit à peu près 10 % de la valeur ajoutée de 1995. La croissance des deux autres secteurs ralentit, mais, pour le livre, il s'agit bien d'une destruction de valeur.

Ces évolutions ont des incidences sur l'emploi. L'emploi culturel a progressé de 2 % entre 2008 et 2010. L'accès aux savoirs et à la culture a gagné de l'ordre de 3 000 à 4 000 emplois, mais le livre et les industries de l'image et du son en ont perdu. Ce dernier secteur, dont la valeur ajoutée a progressé, à l'inverse du livre, a réalisé des gains de productivité du travail importants (- 800 emplois), en lien avec une modification de sa composition. Les industries à forte intensité capitalistique ont renforcé leur place par rapport aux activités plus riches en main d'oeuvre.

Dans ce contexte, la comparaison entre les différents secteurs conduit à quelques observations plus qualitatives.

Une première remarque un peu technique doit être faite, dans la mesure où elle entretient un lien avec l'évolution de la valeur ajoutée du secteur concerné. Le secteur de l'accès aux savoirs et à la culture possède une particularité au regard des deux autres secteurs, qui tient à sa nature de service à caractère essentiellement non marchand (la production totale du secteur atteint 2,8 milliards d'euros dont 2,3 correspondent à une production non marchande). Or, en comptabilité nationale, il est d'usage d'évaluer la valeur ajoutée de tels services aux coûts de production, faute de trouver dans les prix de marché une référence effectivement exploitable. Ce secteur, on l'a vu, a connu une évolution paradoxale avec une attrition de sa valeur ajoutée en volume mais une forte augmentation de sa valeur ajoutée en valeur. Celle-ci ne doit pas être interprétée comme elle pourrait l'être pour un secteur où les prix jouent un rôle traditionnel. La hausse nominale de la valeur ajoutée du secteur résulte en réalité d'une élévation de ses coûts de production et non d'une augmentation de ses capacités à valoriser ses produits.

Or, il se trouve que ce secteur est parmi les secteurs culturels identifiés par l'IGAC et l'IGF, hors audiovisuel, le plus massivement soutenu par l'intervention publique. L'étude estime que celle-ci représente 35,7 % de la valeur ajoutée du secteur, mais cette estimation semble sous-estimer l'ampleur des soutiens publics effectifs par manque d'exhaustivité (en particulier, elle n'inclut pas les interventions des collectivités territoriales).

Ainsi, le paradoxe du secteur de l'accès à la culture semble pouvoir être attribué à la résilience que lui a offerte un soutien public qui, pour avoir alloué des moyens à ses unités, n'en a pas pour autant réussi à élever le niveau d'offre au cours de la période considérée.

Il faut cependant assortir cette observation d'une considération, au demeurant de portée générale, qui s'applique à des études comme celle ici envisagée.

L'estimation économique de la contribution de la culture au PIB, pour ne pas manquer d'intérêt, est une mission quasiment impossible dans l'état de développement de la comptabilité nationale . Celle-ci n'estime pas encore les externalités positives, c'est-à-dire tous les effets, éventuellement marchands d'ailleurs, qu'une activité déploie mais que le système économique ne sanctionne pas par une valorisation tangible et individualisable. Des travaux sont en cours en ce sens pour apprécier la production effective de secteurs comme l'éducation ou la santé qui, en l'état, n'intègre pas les effets d'élévation du capital humain ou tout simplement du bien-être. Mais ces travaux demeurent largement expérimentaux. Il va de soi que la « culture » mériterait d'être incluse dans ces réflexions puisqu'aussi bien, en dépit de certains doutes sur les évolutions en cours, l'accès à ses productions exerce plus que probablement des effets favorables que ne valorisent pas les méthodes de comptabilité nationale.

Ce rappel vaut également pour les secteurs du livre et des industries culturelles. Ceux-ci bénéficient d'un soutien financier public bien inférieur et semblent surtout influencés par les évolutions des préférences de consommation des Français. Parmi les variables en jeu, la dimension proprement culturelle de ces préférences doit à l'évidence être envisagée. Elle porte à s'interroger tant sur l'offre de contenus que sur les réseaux d'accès aux productions culturelles. C'est tout l'objet du présent rapport.

S'il est sans doute fécond de sortir de la spirale d'anomie que recèleraient des points de vue seulement pessimistes, il est encore meilleur d'avoir un projet.

L'exception culturelle française, l'exception culturelle en général, est menacée par la capture du champ de la création, par des groupes transnationaux, jouant à plein la logique du retour sur investissement et qui, forts de leur position dominante, tendent à exercer une souveraineté de plus en plus complète sur l'économie de la culture, sur la culture tout court.

Espace de l'individu et du collectif, la culture court le risque de se désagréger dans cette révolution des médiateurs qui la détache de ses origines et de ses destinataires.

Les groupes culturels (États, unions d'États...) doivent réagir à ces tendances. Ils doivent faire mieux en retrouvant la force d'exprimer leur(s) cultures(s).

On connaît les dangers du scénario qui est en voie de réalisation.

L'hypothèse de voir certains grands acteurs du numérique acquérir des positions dominantes n'est déjà plus une hypothèse d'école.

D'un point de vue culturel, l'instauration d'un système en sillon, qui favorise l'enfermement et ferme les fenêtres ouvertes à des réalités nouvelles, voire s'accompagne de censures et de paupérisation des créateurs, serait une catastrophe.

D'un point de vue économique, cette configuration signerait la fin des solidarités, la délocalisation des sources de production et de distribution, des pertes fiscales et sociales.

Il faut donc lutter contre cette tendance par tous les moyens appropriés : par les moyens du droit de la concurrence et de la lutte contre l'optimisation fiscale abusive, en bref par les moyens visant à restaurer l'ordre public économique ; par les moyens de l'exception culturelle en obligeant à des engagements d'autolimitation les géants du net, mais aussi et surtout par une politique offensive d'offre numérique.

Elle suppose une série de mesures entraînant une dynamique de la production et de la distribution.

Votre rapporteur pour avis regrette que l'ampleur des enjeux ne semble pas trouver d'écho dans l'ampleur des ambitions de la politique culturelle que révèle le projet de budget ici examiné.

Par ailleurs, certains dossiers déterminants pour la souveraineté culturelle semblent au point mort.

Le Gouvernement a reçu, il y a déjà près de deux ans, un rapport sur la fiscalité de l'économie numérique 3 ( * ) qui, bien au-delà de son thème, envisageait la question de la restauration d'un ordre juste de répartition de la valeur, capturée par des firmes échappant à toute régulation.

On sait que la régulation d'Internet requiert des conditions héroïques, en particulier l'accès à l'extraterritorialité que seule une coordination internationale des régulations peut offrir. On sait aussi que la régulation est tenue au respect des droits et libertés fondamentaux, en particulier de ces nouveaux « droits du net ».

Mais la difficulté de l'action ne doit pas la dissuader. Au contraire, elle lui impose d'être forte.

Or, ni les recommandations du rapport mentionné, ni d'autres projets essentiels, comme celui visant à instaurer en Europe des mesures contre le pillage de la valeur économique (le projet ACCIS en particulier), ne semblent prospérer.

À cet égard, le Sénat a de longue date pris les devants en examinant une feuille de route pour une fiscalité numérique neutre et équitable. Hélas, ses propositions tardent à se traduire dans les faits.

Le dossier de la TVA sur l'e-commerce est exemplaire. Le régime en vigueur affecte la portée de la loi sur le prix unique du livre numérique. Un calendrier trop progressif de substitution du principe du pays d'achat à celui du pays de provenance a été fixé. Mais, la directive sur la TVA reste très incomplète. Des territoires proches, dotés de la reconnaissance de leur appartenance au territoire douanier de l'Union européenne (UE), bénéficient d'une exemption du régime commun. Il peut exister un doute sur l'applicabilité à ces territoires du nouveau dispositif. Autrement dit, la concurrence fiscale déloyale risque de perdurer alors même que la directive est présentée comme un levier pour la combattre.

La politique culturelle en son volet financier ne s'est jamais si peu résumée qu'aujourd'hui à la seule composante du budget national ; elle doit être jugée en considération d'un équilibre d'ensemble influencé par des éléments hétérogènes.

Quand chacun d'eux manque à satisfaire aux impératifs du moment, il faut souhaiter retrouver le chemin de la détermination.

I. PRÉSENTATION GÉNÉRALE DU PROJET DE BUDGET DU PROGRAMME

A. UN PROJET DE BUDGET QUI MARQUE UN FAIBLE SOUTIEN À L'AMBITION CULTURELLE

Le programme 334 « livre et industries culturelles » comporte deux « actions » incommensurables par leur poids financier : plus de 96 % des masses budgétaires sont consacrés à la première « livre et lecture », le reliquat, à la seconde, « industries culturelles ».

Les crédits du programme 334 pour 2015 connaissent des évolutions contrastées avec, d'un côté, une baisse pour les autorisations d'engagement (AE) qui passent de 315,6 millions d'euros (en loi de finances initiale pour 2014) à 271,5 millions d'euros (soit une diminution de 44 millions d'euros et moins 14 %) mais, d'un autre côté, une progression des ouvertures de crédits de paiement (CP). Ceux-ci s'accroissent de 2,5 % ; ils gagnent 6,7 millions d'euros en passant de 261,8 à 268,5 millions d'euros.

La contraction des autorisations d'engagement, qui traduit les modestes moyens d'avenir et, par conséquent, en pratique, les ambitions portées par le programme, est concentrée sur les dépenses d'investissement. Les AE du titre 5 (dépenses d'investissement) passent à 6,2 millions d'euros contre 63,5 en loi de finances initiale pour 2014. Une partie de cette réduction est compensée par l'augmentation des provisions prévues au titre des opérations financières qui s'accroissent de 13,4 millions d'euros ce qui traduit un choix de gestion consistant à renforcer les dotations en fonds propres des opérateurs. Toutefois, même si elle peut correspondre au rythme de réalisation des opérations, la baisse des dépenses d'investissement du programme est notable .

De son côté, l'accroissement des crédits de paiement est dû aux dépenses d'investissement, le total des CP du titre 5 et du titre 7 (dépenses d'opérations financières) atteint 31,64 millions d'euros marquant une progression de 6,9 millions qui excède la variation des CP totaux du programme d'une année sur l'autre. Autrement dit, les moyens prévus pour les autres chefs de dépenses sont un peu moins que stabilisés en valeur, ce qui implique des gains de productivité, des économies de dépenses courantes et des bouclages financiers particulièrement contestables.

B. UNE GESTION BUDGÉTAIRE QUI HYPOTHÈQUE L'AVENIR

L'effet de ciseaux entre les AE et les CP consacrés aux opérations d'investissement n'est pas une anomalie dès lors que des programmes d'investissement passés, et non renouvelés, s'achèvent.

Mais force est d'observer que l'évolution, en 2014, des écarts entre la consommation des AE et leur couverture par des crédits de paiement, recèle quelques motifs d'inquiétude pour les budgets futurs. Les restes à payer, qui atteignaient 12,2 millions d'euros fin 2013, suivent une trajectoire « explosive » en 2014, avec en perspective un niveau de 63,7 millions d'euros, soit près d'une année de CP budgétés au titre des dépenses d'investissement, d'intervention et d'opérations financières. Ce reliquat ne sera pas résorbé en une année budgétaire. Il pèsera sur les budgets à venir tant que des normes strictes de progression des dépenses publiques seront appliquées. Dans ce contexte, il faudra procéder à des arbitrages au détriment d'autres postes du budget du programme 334.

Le tableau ci-dessous fournit des indications sur la programmation des CP destinés dans le futur à couvrir des engagements déjà pris qui incluent les AE ouvertes en 2015.

Source : projet annuel de performances pour 2013

On observe que l'essentiel de l'effort d'apurement est envisagé pour la période postérieure à 2017 .

Ces évolutions préoccupantes traduisent largement le poids budgétaire du réaménagement du quadrilatère Richelieu de la Bibliothèque nationale de France sur le programme. On pourrait s'étonner qu'à l'heure de la dématérialisation des réseaux culturels la pierre joue un rôle si central dans les contraintes financières que subissent des politiques culturelles supposées soutenir la création et l'accès de la population aux oeuvres qui en découlent. Mais, outre que les préoccupations patrimoniales méritent d'être considérées -ce qui ne signifie pas qu'elles doivent être financées à partir d'un programme consacré à des actions non patrimoniales-, on doit espérer que l'opération en question contribuera avec une pleine efficacité, quand elle sera finalisée, aux objectifs du programme 334.

C. UN DÉSENGAGEMENT BUDGÉTAIRE QUI EXERCE UNE PRESSION CONSIDÉRABLE SUR LES OPÉRATEURS CONFRONTÉS À UN PROBLÈME DE SOUTENABILITÉ

Les dotations budgétaires proposées pour 2015 manifestent un désengagement de l'État qui met en danger nombre d'opérateurs en affectant leurs équilibres financiers et la pérennité de leurs missions.

Le projet de budget propose une réduction des crédits de paiement en euros courants, hors ceux consacrés à l'apurement des programmes d'investissement passés. Exprimée en euros constants, la baisse devrait être sensiblement plus conséquente, à la hauteur de l'inflation supportée effectivement par les opérateurs et de l'évolution spontanée de leurs coûts (notamment de personnels).

Ces dernières années, la raréfaction de la ressource budgétaire a été compensée par une série de prélèvements sur les fonds de roulement des opérateurs (détaillée dans la suite du présent rapport).

Cette année devrait voir se poursuivre cette tendance alors que les réserves des structures en cause sont à l'étiage.

En bref, leur situation financière est telle que désormais ce sont des restructurations, d'organisations ou de missions, qui sont d'actualité alors même que les contrats de performance négociés avec l'État détaillent l'ambition culturelle affichée par un Gouvernement qui n'assume pas ses responsabilités.

En outre, la restriction budgétaire appliquée aux opérateurs tend à créer des risques. Elle exerce quelques effets dont on ne peut garantir qu'ils soient suffisamment maîtrisés.

Ainsi en va-t-il du recours à des contrats de partenariat dont l'économie structurelle devrait être soigneusement analysée dans un contexte où les écarts de coûts de financement entre le secteur public et le secteur privé sont considérables.

D'autres évolutions peuvent également être en cause comme la suspension de certains projets à des cofinancements plus au moins aléatoires.

L'année dernière, votre rapporteur pour avis avait relevé, à ce titre, les péripéties rencontrées pour financer le programme de numérisation des livres indisponibles du XX e siècle. Bien d'autres actions sont concernées (soutien aux librairies, expansion de l'offre de la BnF, éventuellement poursuite des missions de la Hadopi...).

La recherche de financements alternatifs peut être un stimulant. Elle ne doit pas devenir une contrainte telle que l'exécution d'un budget insuffisamment calibré s'ajoute, en pratique, aux contraintes que ce sous-dimensionnement occasionne.

II. LA POLITIQUE DU LIVRE CONFRONTÉE AU DÉFI DU NUMÉRIQUE

On s'interroge traditionnellement sur les leviers de la politique du livre, leur nature et leur efficacité. Les objectifs de cette politique sont moins souvent mis en perspective. Ils apparaissent de leur côté comme consistant à favoriser la création littéraire et la diffusion de la lecture, si bien que, plutôt que d'une politique du livre, il conviendrait d'évoquer une politique de la lecture, en ses deux branches, celle de l'offre (la création littéraire) et celle de la demande (l'accès au livre comme support de la lecture). C'est au demeurant le choix de l'intitulé budgétaire de l'action 1 du programme 334.

D'emblée, des conflits d'objectifs apparaissent puisqu'aussi bien la diffusion du livre peut, par exemple, supposer une forme de gratuité alors que l'encouragement de la création implique une reconnaissance sociale et de marché de la valeur de la création. De la même manière, si la constitution d'ensembles atteignant une taille critique suffisante peut être vue, sous certaines réserves importantes, comme un gage de diversité culturelle, elle risque de déséquilibrer le jeu de la négociation entre les différents acteurs du livre en conférant aux grandes entreprises un avantage qu'elles peuvent mobiliser à leur profit. L'écosystème économique du livre peut s'en trouver modifié au détriment des autres parties prenantes, auteurs mais aussi divers métiers du livre (imprimeurs, etc...).

Ce contexte de contradictions d'objectifs force à des conciliations difficiles d'autant que des considérations concrètes s'imposent avec l'existence d'acteurs de plus en plus diversifiés, configuration qui en soi pose des problèmes aigus de soutenabilité.

Le secteur connaît des mutations accélérées qui sont le propre des situations de crise. Un modèle meurt, l'avènement de son successeur reste une virtualité.

C'est à cette situation d'entre-deux qu'il faut aujourd'hui faire face et il n'est pas sûr que l'action publique, à l'image de certains acteurs privés, soit tout à fait sortie d'ambiguïtés peut-être inévitables mais peu optimales.

D'un point de vue macroscopique, la politique du livre apparaît comme mobilisant d'importants moyens budgétaires, que le programme 334 est très loin de retracer dans leur totalité.

Dans leur dimension individuelle, ces moyens sont d'une efficacité qu'il conviendrait d'évaluer plus strictement et qui d'emblée semble devoir être fortement nuancée.

De leur côté, les contraintes réglementaires et les ambitions auxquelles la politique du livre se réfère sont quelque peu iréniques compte tenu de l'état des forces des assujettis et d'un contexte propice à des arbitrages réglementaires de grande envergure.

Au total, une plus grande agilité serait souhaitable dans un contexte mouvant où l'action publique, dans sa contribution à un maintien, voire à une extension, de la diversité culturelle, doit pouvoir s'imposer avec le soutien bien compris des professionnels intéressés à sa réussite.

A. DES MOYENS BUDGÉTAIRES IMPORTANTS QUE LE PROGRAMME 334 EST LOIN DE RETRACER EN TOTALITÉ

1. Un « programme BnF » ?

Dans le programme n° 334, c'est l'action n° 1 qui est consacrée au livre.

Celle-ci est dotée de 261,2 millions d'euros d'autorisations d'engagement (AE) et de 258,3 millions d'euros de crédits de paiement (CP).

Elle est composée de quatre « sous-actions » présentant elles-mêmes des enjeux très disparates sur le plan budgétaire.

L'essentiel des dépenses publiques se concentre sur la Bibliothèque nationale de France (BnF) à travers deux sous-actions : la sous-action « Bibliothèque nationale de France », avec 206,8 millions d'euros de crédits de paiement, regroupe 80 % des moyens de l'action n° 1 quand la sous-action n° 2 « quadrilatère Richelieu » est dotée de 13,2 millions d'euros en CP (5,1 % du total).

La BnF concentre ainsi 85,1 % des CP de l'action n° 1 et 81,9 % des crédits budgétaires du programme 334 qui pourrait presque être nommé « programme BnF ».

Les deux sous-actions correspondant au développement de la lecture et des collections pour l'une, à l'édition, librairie et professions du livre pour l'autre, avec 19,4 et 17,7 millions d'euros en CP respectivement, mobilisent 7,5 % et 7,2 % des crédits de l'action n° 1 (7,2 % et 7 % des CP totaux du programme 334).

2. Un programme qui est loin de retracer la totalité des soutiens financiers publics consacrés au livre et à la lecture

La politique du livre et de la lecture passe par d'autres instruments que les soutiens publics et ceux-ci ne sont pas entièrement retracés par les moyens budgétés dans le cadre du programme 334.

a) La politique de décentralisation

Une partie importante des dépenses publiques consacrées par l'État à cette politique est logée dans la mission « Relations avec les collectivités territoriales » du ministère de l'intérieur avec le concours particulier « bibliothèques » de la dotation générale de décentralisation qui a représenté 78,3 millions d'euros en 2013, soit presque 30 % des CP du programme 334, et qui dépasserait désormais les 80 millions d'euros.

b) Les actions des collectivités territoriales, actrices majeurs de la politique du livre et de la lecture

Les dépenses des collectivités territoriales consacrées à la lecture dépassent de beaucoup l'effort de l'État.

En 2013, les communes de plus de 10 000 habitants consacraient 837,7 millions d'euros aux bibliothèques et médiathèques. Près de 90 % de ces dépenses allaient au fonctionnement dont 853,6 millions de dépenses de personnel.

Une part importante des dépenses culturelles des groupements de communes (1,1 milliard d'euros en 2010) était consacrée à ces mêmes établissements : 242,7 millions dont 175,6 pour le budget de fonctionnement.

Quant aux départements, ils avaient dépensé 193,6 millions d'euros pour les bibliothèques et les médiathèques.

Au total, les collectivités territoriales avaient consenti en 2010 un effort de 1,274 milliard d'euros au fonctionnement et à l'investissement de ces entités, soit 4,7 fois l'effort de l'État hors dépenses fiscales.

c) Des faveurs fiscales

Le « bleu budgétaire » ne récapitule pas les dépenses fiscales alors même que la politique publique du livre et de la lecture repose sur une fiscalité favorable à travers l'application d'un taux réduit de TVA.

Il est vrai que la mission de l'Inspection générale des finances (IGF) sur les niches fiscales et sociales n'avait pas identifié ce régime comme devant être compris dans son champ (alors que l'application du taux réduit de TVA à la presse y avait été incluse).

Il n'empêche que, sur la base d'une estimation un peu comptable passant par l'application du différentiel de taux au chiffre d'affaires du marché du livre, le coût de la dépense fiscale dépasse 500 millions d'euros, soit près de deux fois les crédits du budget de l'État consacrés à la politique du livre.

Au total, un compte simplifié des soutiens publics consacrés au livre et à la lecture fait ressortir une charge pour les finances publiques de 2 milliards d'euros dont 61 % à la charge des collectivités territoriales pour un total de crédits budgétés au sein du programme 334 n'atteignant que 12 % des transferts publics bénéficiant au secteur.

La dépense nationale pour le livre approche de son côté 5,6 milliards d'euros si l'on tient compte des importations de livres et qu'une part du chiffre d'affaires national est le résultat d'exportations.

B. LA BNF, UN GRAND ÉTABLISSEMENT PUBLIC SOUS TENSION

1. De grandes ambitions mais des moyens comptés
a) Une progression des crédits consentis à la BnF mais une baisse programmée de la valeur réelle de la subvention pour charges de service public

Que ce soit par la subvention pour charge de service public dotée de 188,8 millions d'euros en 2015, par la dotation en fonds propres fixée à 18 millions d'euros, ou par les moyens prévus pour la rénovation du « quadrilatère Richelieu » avec 13,2 millions d'euros, la BnF est, de loin, le premier destinataire des soutiens de l'État récapitulés au titre du programme « livre et industries culturelles ». Elle absorbe donc 82 % des crédits du programme, soit 220 millions d'euros.

Les crédits qui lui sont réservés représentent près de trois fois les ressources apportées par l'État aux autres bibliothèques actives dans l'hexagone (4 390 bibliothèques publiques environ). Les concours apportés par la BnF aux bibliothèques décentralisées, pour leur être très utiles, sont évidemment très loin de compenser cet écart d'attention porté par l'Etat à l'une et aux autres.

La dotation budgétaire de la BnF progresserait globalement de 6,4 millions d'euros en 2015 sous l'effet de l'augmentation de la dotation en fonds propres et des crédits consacrés à « l'opération Richelieu ». Au total, les moyens accordés par le budget ministériel à la BnF augmenteraient de 3 %.

L'augmentation globale des dotations attribuées à la BnF ne doit pas faire illusion . Seules les dotations capitalistiques progressent, mais cette évolution n'est que l'effet d'un renforcement des exigences financières de l'État, qui souhaite que l'établissement contribue davantage au financement des opérations immobilières concernant son patrimoine. Il s'agit ainsi tout au plus d'une restructuration concernant les financements afférents.

De son côté, la subvention pour charges de service public serait stabilisée par rapport à la loi de finances initiale pour 2014. Mais, cette stabilisation en euros courants implique une dégradation du soutien ministériel en euros constants.

Ainsi la valeur réelle du soutien budgétaire accordé à la BnF en 2015 se déprécierait si le projet de budget était voté.

b) Une situation financière qui se tend

La BnF est le premier opérateur du ministère de la culture par le nombre d'emplois (2 287) et par le budget (256 millions d'euros, soit davantage que la subvention versée par l'État).

Malgré l'importance relative du soutien budgétaire, la situation budgétaire de l'établissement n'en est pas moins tendue.

Le budget de la BnF avait été multiplié par dix en vingt ans selon les constatations du rapport que l'IGF avait consacré à la Bibliothèque en 2009. Il représentait alors environ 250 millions d'euros.

Depuis, il s'est encore un peu étoffé puisque le budget prévisionnel pour 2014 totalisait 256,8 millions d'euros dont 223,4 millions pour le fonctionnement et 33,4 millions pour l'investissement.

Malgré cette aisance apparente, le budget de l'établissement est confronté à des tensions.

Les données suivantes qui ont structuré le contrat de performance pour la période 2009-2011 et son avenant pour les années 2011-2013 en témoignent.

Pour les années 2009-2011 :

- un budget global passant de 222,5 millions d'euros à 228,08 millions d'euros, soit une progression de 2,5 % ;

- un budget d'investissement en baisse (de 33,7 à 32,8 millions d'euros) ;

- la suppression de 64 emplois ;

- une subvention de fonctionnement en hausse de 185,75 millions d'euros en 2009 à 189,3 millions d'euros en 2011 ;

- une subvention d'investissement constante, autour de 15,2 millions d'euros.

L'avenant pour les années 2011-2013 a légèrement revu à la baisse les prévisions du contrat de performance pour 2011 et a inscrit la trajectoire financière de la BnF sur une pente baissière.

Le budget global pour 2011 a été fixé à 224,1 millions d'euros (contre 228,08 millions prévus) avec une cible pour 2013 à 216,93 millions d'euros, soit un ajustement de 11,15 millions d'euros par rapport à la programmation budgétaire du contrat de performance initial pour 2011 et une réduction de la voilure budgétaire de 5 % en trois ans.

Le niveau des suppressions d'emplois a été porté à 101, dans le cadre du maintien de la subvention de fonctionnement au niveau atteint en 2011 (185,4 millions d'euros, soit 4 millions de moins qu'initialement envisagé) et d'une subvention d'investissement de 14,67 millions d'euros légèrement en retrait par rapport aux prévisions.

L'analyse de la structure des dépenses fait ressortir des évolutions. Pour la période du contrat de performance, la progression des dépenses immobilières (+12,2 %) avait été le fait marquant. L'avenant voit les sommes consacrées à ces dépenses baisser. En revanche, il poursuit l'effort destiné aux actions de diffusion et de valorisation tandis que les financements alloués aux collections sont globalement stabilisés au cours de la période 2009-2013

Au total, les évolutions des dépenses de la BnF au cours de la période 2008-2013 auront été marquées par des redéploiements traduisant l'inertie des dépenses de personnel et un effort de diffusion et de valorisation au détriment des autres objectifs de la BnF, en particulier de son action de numérisation des documents.

Sur la période 2008-2013, les grands postes de dépenses auront évolué comme suit selon ces perspectives pour 2013 au regard des chiffres du compte financier de 2008 :

- dépenses de personnel : +7,8 %

- dépenses de fonctionnement : -6 %

- amortissements : -15,8 %

- investissements : -3,7 %.

L'évolution des dépenses par destination (du budget primitif de 2009 aux prévisions pour 2013 inscrites à l'avenant du contrat de performance) aura été la suivante :

- pour le patrimoine immobilier : -5,2 %

- pour les collections : -1,1

- pour la diffusion et la valorisation : + 6,58 %

- pour les fonctions support : -9,7 %.

D'autres données confirment le resserrement des contraintes subies par l'établissement.

Les « restes à payer » sur l'opération Richelieu ne cessent de croître et ils pèseront à l'avenir sur les ressources budgétaires mobilisables pour répondre aux nécessitées associées aux priorités de la BnF telles qu'énoncées au nouveau contrat de performance conclu pour la période 2014/2016. Par ailleurs, la BnF semble devoir s'attendre à être de plus en plus sollicitée pour financer cette opération à laquelle elle a consacré 12 millions d'euros.

La BnF est obligée de ponctionner son fonds de roulement pour assurer son financement. Le compte financier 2013 fait état d'un prélèvement limité, de 1,5 millions d'euros. Mais, pour 2014, ce sont 7,9 millions d'euros qui auront été ôtés aux réserves de l'établissement.

Enfin, si elle rencontre des succès ponctuels, la politique de diversification des ressources est aléatoire.

Dans ce contexte, les efforts réalisés pour dégager des marges de manoeuvre par une réduction des dépenses de fonctionnement sont décrits comme non négligeables par le management mais leur effet pratique mériterait d'être mieux quantifié et leur prolongation risque de se heurter à des planchers de besoins, sans compter les nécessités du climat social.

Les dépenses de fonctionnement sont pour 61 % des dépenses de personnel (135,7 millions d'euros dont 28 millions de charges de pensions). Les dépenses de personnel sont tributaires d'une série de variables que la tutelle s'efforce de piloter notamment à travers l'évolution du plafond d'emplois autorisé à l'opérateur. De 2 335 en loi de finances initiale pour 2014 (LFI), il passerait à 2 267 en LFI pour 2015 soit - 68 emplois (- 3 %). Mais, de leur côté, les emplois hors plafond augmenteraient de douze unités, passant de 8 à 20, si bien que les gains de productivité portés par les décisions relatives au plafond d'emploi seraient ramenés au total à 2,4 %.

La capacité de la BnF à faire face à ses besoins d'investissement se pose d'autant plus que la qualité du patrimoine immobilier de la bibliothèque inquiète. Il serait utile de cerner plus précisément le souhaitable et le possible en la matière. Des ajustements du périmètre immobilier de l'établissement ont été évoqués par son président au cours de son audition par votre commission de la culture 4 ( * ) . Ils devront être conduits en concertation avec l'ensemble des parties prenantes, au service d'une rationalisation des implantations. Mais, il faut bien considérer qu'une certaine urgence entoure la mise à niveau tant des capacités de stockage de la BnF que de la sécurité de certaines implantations. La proximité de la Seine fait encourir à la bibliothèque des risques d'inondation potentiellement catastrophiques, illustrant la tendance à la déréalisation qui accompagne parfois les grands projets.

En bref, la BnF ne navigue plus sur le long fleuve tranquille de la sérénité budgétaire.

2. « Être bibliothèque nationale » à l'heure du numérique
a) Diagnostics

Sur un plan plus fondamental, la question qui se pose est celle des orientations stratégiques qui peuvent être données à une bibliothèque nationale dans un monde numérique . Le précédent contrat de performance s'est achevé en 2013. Il a fait l'objet d'une évaluation conjointe par l'Inspection générale des bibliothèques (IGB) et l'Inspection générale des affaires culturelles (IGAC). Celle-ci fait état d'un bilan globalement positif. Conseil a toutefois été donné de resserrer les priorités de la BnF.

Dans son rapport de 2009, l'inspection générale des finances (IGF) avait déjà abouti à une telle conclusion. Elle avait formulé 22 propositions (principales) qu'il est possible de regrouper en deux catégories : la gestion des moyens et des « process », d'une part, les orientations stratégiques, d'autre part.

Les recommandations formulées par l'IGF dans ces deux domaines étaient globalement empreintes de la préoccupation d'augmenter l'efficience de la BnF en combinant une rationalisation des moyens et un ajustement des ambitions réorientées vers des objectifs plus qualitatifs.

Les principales propositions du rapport de l'IGF relatif à la BnF

Gestion des moyens et des process

- Mieux piloter les recettes et les dépenses par la mise en place d'une comptabilité analytique et d'un contrôle de gestion

Accélérer le versement de la subvention en tenant compte des besoins réels de l'établissement

Aller au terme de la logique de déconcentration de la gestion des ressources humaines

Définir une cible et une structure d'emplois afin de mieux intégrer l'impact du numérique

Se doter d'un schéma directeur immobilier avec une stratégie de resserrement des implantations en visant un objectif de trois à cinq sites à l'horizon 2010 en se désengageant de l'Opéra Garnier et du site de Sablé-sur-Sarthe voire d'Avignon et de l'Arsenal et en rassemblant les activités de conservation et de numérisation sur les sites de Bussy-Saint-Georges et François-Mitterrand

Lancer rapidement les travaux de rénovation du quadrilatère Richelieu en réduisant le besoin de financement par cession de bâtiments annexes

Se doter d'une gestion dynamique des espaces et des collections et mieux exploiter les capacités du centre technique de Bussy-Saint-Georges

Externaliser tout ou partie des fonctions pouvant être réalisées à moindre coût par un prestataire extérieur : la reproduction, activité structurellement déficitaire (quelles activités ne le sont-elles pas), le catalogage des ouvrages étrangers, le courrier

Améliorer les conditions d'accueil du public

Rationaliser le circuit du livre en mutualisant les fonctions de magasinage, de service au public, en réorganisant la filière des acquisitions à titre onéreux, en centralisant la fonction catalogage

Réduire le taux d'encadrement

Optimiser certaines dépenses de fonctionnement courant : véhicules, nettoyage, ascenseurs...

Permettre un dépôt légal sous forme numérique

Orientations stratégiques

Revoir à la baisse l'ambition du dépôt légal d'Internet et encadrer juridiquement la consultation des archives du Web

Réorienter la politique de numérisation vers une stratégie plus qualitative et partenariale et diversifier les sources de financement, notamment en développant le mécénat mais aussi le volet commercial de Gallica 2 afin d'en faire un site patrimonial privé de référence

Se doter des outils de pilotage des investissements informatiques de la BnF

Assurer la réussite du projet SPAR (système de préservation et d'archivage réparti) « tiers archivage » en étendant l'offre de location d'espace numérique avec une juste tarification et l'adaptation des capacités à la demande effective

Rendre gratuit l'accès à la bibliothèque du Haut-de-jardin

Améliorer la qualité de service

Adopter une politique ambitieuse de levée de fonds en matière de mécénat, de location d'espaces et de location d'expositions itinérantes

Envisager la cession de pièces détenues en plusieurs exemplaires

Fixer un objectif d'équilibre financier pluriannuel de la politique d'expositions et développer la culture du résultat dans la politique éditoriale

Ces recommandations semblent avoir été partiellement prises en considération dans le cadre de la formalisation du nouveau contrat de performance de l'établissement.

Pour la BnF, les trois grandes priorités stratégiques pour la période 2014-2016 sont de :

- garantir l'accès aux collections nationales, aujourd'hui et demain ;

- partager ses richesses et savoir-faire ;

- optimiser les ressources au service de ses missions fondamentales.

Le nouveau contrat de performance de la BnF 2014-2016

Le nouveau contrat de performance de la BnF affiche une volonté de resserrement de ses objectifs à horizon 2016 autour de trois axes :

- garantir l'accès aux collections de la Bibliothèque aujourd'hui et demain ;

- partager les richesses et les savoir-faire de la Bibliothèque ;

- optimiser les ressources de la Bibliothèque au service de ses missions fondamentales.

Ces ambitions se veulent intégrer les préoccupations suscitées par l'exécution du précédent contrat : « la capacité à poursuivre l'enrichissement des collections dans toute leur diversité ; l'amplification de la gestion dynamique des espaces et des collections ; l'amélioration du signalement des ressources numériques et de la visibilité des catalogues ; la mise en oeuvre d'un projet d'ampleur de numérisation de la presse ; la relance de la fréquentation et la diversification des publics à travers l'action pédagogique et éditoriale ».

L'élargissement de l'accès aux collections passe par plusieurs axes d'actions .

1) L'enrichissement des collections dans toute leur diversité annonce la poursuite d'une politique d'acquisition patrimoniale soutenue qui suppose une recherche de mécénat et l'affectation prioritaire des recettes tirées de la participation de la BnF au projet Le Louvre-Abou Dhabi. Une croissance raisonnée des acquisitions courantes sous forme numérique devrait contribuer à cet objectif. La politique de numérisation sera actualisée et mieux communiquée aux publics ; elle devra tenir compte des conclusions de la mission d'évaluation sur la politique publique de numérisation des ressources culturelles conduite au titre de la Modernisation de l'action publique.

2) La collecte et l'accessibilité des documents devront être améliorées . Le champ du dépôt légal sera étendu aux publications numériques ce qui suppose une réforme de la partie réglementaire du code du patrimoine. Parallèlement, une concertation avec les éditeurs est en cours pour réduire le nombre d'exemplaires imprimés à déposer. Les oeuvres numériques feront l'objet d'un catalogage identique à celui des documents imprimés.

3) La dimension de signalement du catalogage sera améliorée et les données bibliographiques de la BnF seront ouvertes dans le cadre du service data.bnf.fr.

4) Les conditions de conservation doivent être réunies . La numérisation des ouvrages tiendra compte des exigences de conservation. Le magasin numérique SPAR sera développé. De même, alors que la saturation des sites François-Mitterrand et Bussy-Saint-Georges devrait intervenir en 2017, il faudra augmenter leurs capacités. Une extension du dernier site pourrait intervenir pour un coût estimé de 36 millions d'euros.

Un meilleur partage des richesses et les savoir-faire de la Bibliothèque par sept champs d'action .

1) Un service aux lecteurs d'excellence et une ouverture à de nouveaux publics, avec, en particulier, une perspective d'ouverture de la bibliothèque de recherche à des communautés élargies . L'objectif est de faire passer la fréquentation de cette bibliothèque de 390 000 à 410 000 entrées entre 2014 et 2016. De même la bibliothèque du Haut-de-jardin devrait être ouverte à tous. Elle devra accueillir 560 000 visiteurs en 2016 contre 505 000 en 2014 par une amélioration de son potentiel (équipement en wifi, amplitude horaire, places disponibles...). Enfin, l'accès à distance des collections sera amélioré par le développement des offres numériques. Au total, l'objectif est d'augmenter la fréquentation d'ensemble (physique et services en ligne) de 25 % en deux ans .

2) Un enrichissement de l'offre culturelle nationale et une contribution à l'éducation culturelle et artistique . L'objectif est de réussir chaque année à organiser une exposition pouvant attirer de 50 à 60 000 visiteurs, de valoriser le patrimoine graphique au moyen d'événements récurrents et de mieux « éditorialiser » les collections. De même les actions pédagogiques devront être développées, en particulier dans le cadre du site de « l'Arsenal » destiné à devenir la Maison des métiers du Livre.

3) Le renforcement de Gallica comme outil de partage des richesses de la Bibliothèque et de ses partenaires . L'enrichissement de Gallica est un objectif majeur qui devra mobiliser toute la gamme des financements accessibles : fonds propres, subventions du Centre national du livre, mécénats, projets de recherche, investissements d'avenir du commissariat général à l'investissement. L'objectif est de couvrir la totalité des 3 millions de documents imprimés du fonds français libre de droits avec une double optique, quantitative et qualitative. Un nouveau marché de numérisation de masse pluriannuel sera lancé en 2014 ouvert à 30 % aux bibliothèques partenaires. Un marché de numérisation de la presse sera lancé en 2015 et le nombre de pages numérisées passera dès 2014 à 500 000 contre 350 000 pages aujourd'hui. Le programme de numérisation et de diffusion des livres indisponibles du XX e siècle mobilisera la BnF pour une partie des process nécessaires : la prise de vue numérique. L'éditorialisation de Gallica progressera et la mutualisation des coûts sera améliorée dans le cadre des partenariats conclus par la Bibliothèque avec le développement de « Gallica marque blanche ».

4) Le renforcement des partenariats avec les territoires . Les bibliothèques de dépôt légal imprimeur seront associées au dépôt légal de l'Internet codifié à l'article R.132-23-2 du code du patrimoine. Les programmes de signalement et de valorisation numérique des fonds patrimoniaux seront développés notamment dans le cadre de Gallica Territoires et la numérisation partenariale sera renforcée. Pour répondre à la demande des bibliothèques, une diversification de l'offre d'outils numériques mutualisés interviendra en particulier avec les services liés au Catalogue collectif de France.

5) La mise à disposition de l'expertise de la BnF à des communautés professionnelles sera étendue dans le cadre de SPAR et de son offre de tiers archivage, du projet PLATON (Plateforme de transfert des ouvrages numériques) pour la réception des dépôts, par la publication annuelle des références des livres indisponibles à destination des éditeurs, auteurs et ayants droit sur le service Internet ReLIRE et par la participation de la BnF à la constitution d'un registre des métadonnées.

6) La consolidation des engagements internationaux de la BnF passera par le développement d'Europeana et des relations avec les établissements analogues. De même dans le cadre du Réseau numérique francophone la BnF enrichira le portail dédié et développera par ailleurs sa contribution à la francophonie. Une ambitieuse politique de coopération internationale s'appuiera sur l'expertise de la BnF.

7) La participation aux programmes de recherche nationaux et internationaux sera développée. En particulier, la BnF entend progresser sur la connaissance des usages en ligne du patrimoine numérique.

L'optimisation des ressources de la Bibliothèque devra mobiliser des gains d'efficacité .

1) Les ressources humaines devront être adaptées au nouveau contexte. Une cartographie des emplois et un état prévisionnel des besoins seront dressés alors que les métiers des agents sont appelés à évoluer.

2) Les ressources propres devront être accrues . À ce titre est curieusement mentionnée l'extension des partenariats, mais les objectifs chiffrés portent sur le développement du mécénat (un maintien à 13,6 millions d'euros pour la période) et les recettes d'exploitation avec une cible à 9,3 millions d'euros en 2016 contre 7,52 millions en 2014.

3) Une évaluation des modes de gestion qui devrait permettre des économies, en particulier dans les fonctions de maintenance et de logistique.

4) L'adaptation des actifs immobiliers et informatiques avec, en particulier, l'achèvement de la phase 1 du chantier « Richelieu » et l'actualisation du schéma immobilier.

5) Une contribution aux impératifs de développement durable.

Source : Confiance, partage, innovation ; contrat de performance 2014-2016 : BnF, Ministère de la culture

Ces « priorités » ne révolutionnent pas l'objet social de la BnF.

b) Pour une ambition

À la BnF s'impose de répondre à la question, identitaire, de son sens. Elle ne trouvera d'issue heureuse que dans la « désinhibition » de la BnF et le retour à de grandes ambitions.

Celles-ci supposent des choix d'identité autour de sa vocation communicationnelle . Quelle doit être la destination précise de ses sites physiques (ouvrir ou spécialiser), c'est toute la question ? L'audition du président de la BnF par votre commission de la culture s'est révélée, sur ce point, rassurante. La BnF va faire des efforts d'ouverture, notamment vers les jeunes publics. Il faut s'en féliciter et l'encourager.

Par ailleurs, la grande affaire de la BnF est évidemment devenue l'adaptation de ses activités (le dépôt légal) et de ses propriétés (son patrimoine) au numérique.

Sur ce point, des critiques avaient pu être formulées dans le cadre du rapport mentionné de l'IGF. L'ambition numérique de la BnF, pour avoir alors été consacrée comme pertinente n'en avait pas moins été « égratignée ».

Elle avait été qualifiée « d'encyclopédique » par la mission confiée par le conseil de modernisation des politiques publiques en octobre 2008 à l'IGF. Celle-ci avait considéré que cette orientation était peu adaptée dans le contexte du développement très rapide de la bibliothèque numérique universelle du moteur de recherche Google. Elle avait fait valoir que la numérisation « productiviste » conduite par la BnF ne découlait pas de choix raisonnés de valorisation patrimoniale alors même que la perspective de concurrencer le géant américain était illusoire.

De fait, le projet de bibliothèque numérique de Google se déploie irrésistiblement, malgré les péripéties qu'il rencontre.

Google et le livre, une conquête brutale et ambiguë

Déjà doté d'un catalogue de 7 millions d'ouvrages numérisés en 2008, Google avait numérisé 20 millions de livres en 2013. Les livres numérisés par Google proviennent de bibliothèques partenaires dont de nombreuses bibliothèques universitaires (Harvard, Oxford, Stanford...) mais aussi quelques grandes bibliothèques publiques, généralement locales parmi lesquelles la bibliothèque de Bavière, de New York et, en France, la bibliothèque municipale de Lyon.

Cette opération s'est faite à marche forcée et elle a suscité de vives réactions de la part des éditeurs et des auteurs dont les épisodes juridiques, judiciaires ou contractuels, ne sont pas arrivés à leur terme.

Des actions judiciaires ont été engagées contre Google qui n'avait ménagé aux ayants droit qu'une faculté de demander le retrait de leurs ouvrages ( opt-out ) moyennant un accord de dédommagement passé avec quelques représentants nationaux d'éditeurs couvrant les États-Unis, le Canada, le Royaume-Uni et l'Australie.

Un temps invalidé par le juge américain enjoignant les parties à passer à un système d' opt-in , c'est-à-dire d'autorisation préalable, cet accord a finalement été validé au nom du principe d'usage équitable (« fair use ») dès lors que seuls des extraits des livres sous droits sont consultables sur le site.

À côté de ces événements judiciaires, des accords ponctuels ont été conclus avec quelques grands éditeurs, dont Hachette. Leurs termes ne sont évidemment pas tous connus.

Quels que soient les objectifs stratégiques de la firme (certains évoquent une opération de « data mining » destinée à améliorer les performances du moteur de recherche qui en fait la valeur), on peut illustrer la position dominante de Google et celle, relative, de la bibliothèque numérique de la BnF en mentionnant l'expertise de l'IGF selon laquelle, la bibliothèque numérique de la BnF atteindra au mieux la taille du seul fonds ancien de la bibliothèque municipale de Lyon. Or, celle-ci ne représentait à l'époque du rapport de l'IGF que 5 % des ouvrages disponibles sur Google Book Search. Depuis, cette échelle de grandeur a encore chuté.

Ce n'est pas sans raison qu'une inflexion vers des choix plus qualitatifs avait été recommandée par la mission. Toutefois, cette suggestion paraît à votre rapporteur pour avis tomber un peu à plat. La numérisation effectuée par la BnF, quantitativement distancée par Google, la devance sans conteste sur le plan qualitatif.

Il faut y voir une perspective heureuse, sous la condition qu'elle soit pleinement valorisée. La BnF doit imposer son modèle de « good book » versus le « fast book » des géants de l'Internet sans pour autant réserver ses productions numériques à un cercle trop restreint. Mission difficile mais ardente obligation.

La numérisation est évidemment un objectif majeur et justifié de la BnF .

Depuis 2007, le volume des ouvrages concernés est passé de 6 000 à 100 000 ouvrages numérisés par an (objectif). Cet objectif est passé par la conclusion de contrats de numérisation de masse avec des entreprises privées à travers une structure filiale dédiée BnF Partenariats.

Pour mener à bien la numérisation de son patrimoine, la BnF a conclu des contrats via une filiale BnF Partenariats, répondant par-là semble-t-il à une exigence de son financeur public, la Caisse des dépôts et consignations. Ainsi que l'a reconnu le Président de la BnF lors de son audition par votre commission de la culture, le 20 octobre dernier, la préoccupation de diversifier les financements des missions de la BnF a joué un grand rôle dans le montage créé pour procéder aux opérations de numérisation. La BnF a trouvé auprès de la Caisse des dépôts et consignations des financements dans le cadre des fonds gérés par elle pour réaliser le programme d'investissements d'avenir. Ces apports sont conditionnés à la conclusion de partenariats et d'un retour sur investissement.

Quelques éclaircissements sur l'impact financier ultime de ce choix mériteraient d'être apportés à l'heure où les écarts de taux entre emprunteurs publics et privés atteignent des sommets.

Sur un autre plan, on peut mentionner que les deux inspections qui se sont récemment penchées sur la BnF (voir supra ) font valoir que la formule du partenariat permet à la numérisation de se faire plus rapidement que si elle était traitée en propre par la BnF. Les moyens techniques des entreprises partenaires permettent ainsi une accélération bienvenue. Pour autant, des difficultés sont apparues dans l'exécution de certains contrats, les documents du fonds de la BnF ayant de fortes singularités. Par ailleurs, les effets sur les lecteurs des documents ainsi numérisés créent un trouble. Bousculant les habitudes des usagers, la consultation et l'utilisation des documents concernés est désormais onéreuse, même lorsque les oeuvres sont libres de droit. Il est souhaitable que le consentement à payer soit favorisé par une pratique subtile de « l'onéreux ».

En toute hypothèse, la BnF semble progresser sur la voie de la numérisation mais il serait souhaitable de dépasser certaines inerties.

Il faut relever d'abord que le dépôt légal numérique a connu d'heureux progrès. La Hadopi a su protéger la BnF, en luttant efficacement contre les mesures de protection techniques excessives dont certains assujettis ont indûment accompagné l'observance de leurs obligations.

La BnF a su mobiliser le concours du Centre national du livre pour contribuer efficacement au plan de numérisation des livres indisponibles du XX è siècle (voir infra ). Il reste que sa contribution est limitée par le rôle de teneur de liste que lui a conféré la loi et dont il s'acquitte avec la base ReLire. En revanche, la BnF ne peut numériser les livres sous droits qu'à la condition d'obtenir une licence le lui permettant. Un choix alternatif aurait pu donner un rôle moins secondaire à la BnF dans l'opération de numérisation en question.

Par ailleurs, la BnF a considérablement développé sa bibliothèque numérique en ligne Gallica à partir tant de son fonds propre que des fonds des éditeurs ou des bibliothèques partenaires. À la fin 2013, le nombre des documents en ligne, qui s'élevaient à 531 157 en décembre 2008, est de 2 890 030, soit à peu près la cible fixée.

En 2013, 788 900 documents ont été mis en ligne, soit une progression de 37,5 % auxquels s'ajoutent 347 232 documents sous droits accessibles via le site intra-muros . Les performances de fréquentation de Gallica s'améliorent. Celle-ci progresse avec + 30 % de visites en 2013 à 14,2 millions. Par ailleurs, la durée moyenne de visite est jugée satisfaisante (plus de 14 minutes). Cependant, par rapport à la cible du contrat de performance, l'objectif initial n'a été atteint qu'à hauteur de 75 %, obligeant à une réduction des ambitions en cours de route.

Enfin, la BnF est le premier contributeur au projet de bibliothèque européenne Europeana, la France fournissant près de la moitié de son contenu depuis son ouverture au public.

Cependant le paysage n'est pas seulement idyllique.

Le coût de la numérisation est élevé. Elle engage un coût direct, celui du processus de numérisation lui-même, et des coûts connexes, de stockage et de conservation à long terme, qui sont récurrents. Les coûts directs de numérisation s'élevaient à 43,7 euros par ouvrage à l'époque de la rédaction du rapport. Étant donné les objectifs de numérisation de la BnF, 300 000 documents sur trois ans, le coût direct annuel s'en déduit (4,37 millions d'euros). Les coûts indirects sont nettement supérieurs. En toute hypothèse, les moyens disponibles semblent avoir été insuffisants dans le passé pour aboutir aux objectifs sélectionnés par la bibliothèque. En particulier, le programme de numérisation de la presse aurait dû être ralenti ainsi que l'archivage numérique des fonds audiovisuels.

Bien entendu, les opérations de conservation et de mise en valeur de son patrimoine écrit (monographies, journaux...) sont une contrainte forte en même temps qu'un défi pour un établissement dont la fréquentation, au mieux, stagne.

Toutefois, les arbitrages fonctionnels auxquels a conduit la situation financière de la BnF dans le passé peuvent apparaître paradoxaux puisque la réduction des moyens consacrés aux collections qu'ils ont entraînée a été considérable, supposant une forte diminution de la part des dépenses consacrées aux opérations de numérisation (de 44 % en 2009 à 24 % en 2011). Des opérations portant sur des documents fragiles ont été reportées, les productions d'e-pub ont été bien inférieures aux objectifs et la numérisation des journaux anciens a pris un retard préoccupant au vu des enjeux de conservation.

S'il est regrettable que la contrainte budgétaire soit ainsi reportée sur ce qui est une grande priorité de l'établissement, il faut nuancer cette remarque. Des raisons techniques en lien avec le recours par la BnF à des contrats de partenariat qui peuvent demander un assez long temps d'élaboration ont sans doute joué et la baisse des prix de certaines opérations est alléguée par les deux inspections pour expliquer la diminution observée.

Si la numérisation a progressé à un rythme globalement satisfaisant, il faudra entre deux et trois décennies au rythme actuel pour numériser le fonds ce qui n'est guère acceptable. C'est en ce sens qu'on peut admettre l'utilité de choix plus ciblés. Ils permettraient d'optimiser le programme de numérisation placé sous une contrainte budgétaire qui risque de se renforcer à l'avenir compte tenu des observations exprimées sur les hypothèques budgétaires auxquelles la BnF est confrontée.

Mais, il ne faut pas exclure une « sortie par le haut ». À cet égard, la situation d'Europeana est consternante . Il appartient aux bibliothèques publiques de l'Union européenne de contribuer à promouvoir un projet ambitieux dans la perspective de structurer une offre de lecture de qualité dont les impacts sont susceptibles d'aller bien au-delà des murs des bibliothèques. Il faut encourager la BnF à porter un tel dessein qu'inexplicablement la programmation budgétaire européenne a complètement délaissé.

C. LE LIVRE, UN CHEF D'oeUVRE EN PÉRIL ?

L'année 2013 a été la troisième année de baisse consécutive du revenu des éditeurs. Après un pic à 2,898 milliards d'euros en 2007, le revenu net des éditeurs a été, en 2013, inférieur de 211 millions d'euros, pour s'établir à 2,687 milliards (-7,3 %).

Le nombre d'exemplaires vendus a décliné de 59,8 millions d'unités (de 486 599 000 à 426 815 000 exemplaires), soit un repli de 12,3 %.

La hausse des prix a donc compensé partiellement la baisse des volumes.

La production de titres a pourtant connu une bonne dynamique, les nouveautés s'élevant d'une production de 37 899 à 46 619 titres de date à date.

Mais la production nouvelle s'est effondrée (de 750 millions d'exemplaires à 572 millions) sous l'effet d'une baisse prononcée du nombre moyen des tirages.

Sur cette production, le taux d'exemplaires vendus s'élève à 74,6 % si bien que les stocks tendent à grossir.

Cette situation n'est pas satisfaisante puisqu'un quart de leurs produits ne trouvant pas preneurs, les coûts de cette surproduction, difficilement évaluables, constituent une charge pour les différents acteurs de la filière.

Mais cet état de fait est en partie inéluctable et traduit la capacité de l'édition à prendre et assumer (certains) risques.

Plus préoccupantes sont les tendances qui semblent à l'oeuvre du côté du lectorat. Une étude récente montre que celui-ci suit une lente érosion, le nombre des « grands lecteurs » déclinant tout particulièrement. Au nombre des facteurs de ce déclin, la profession fait ressortir la concurrence des écrans. D'autres variables sont certainement à l'oeuvre, quantitatives (le prix du livre paraît assez inélastique à certaines données), ou plus qualitatives - peut-être faudrait-il s'interroger sur les conditions dans lesquelles le livre se fait connaître dans les médias ou à partir de campagnes publicitaires dont le moins qu'on puisse dire est qu'elles ne reflètent pas la diversité de la production.

Pour l'heure, l'édition de livres demeure, à égalité avec le secteur des jeux vidéo, la première industrie culturelle en France.

Elle bénéficie d'un contexte réglementaire favorable et de soutiens financiers utiles.

Le livre n'en apparaît pas moins fragile et s'il est un vecteur fécond et singulier de culture collective et individuelle, comme en a la conviction votre rapporteur pour avis, il est indispensable de mieux défendre cette « exception dans l'exception culturelle française ».

Cette année, votre rapporteur pour avis souhaite tout particulièrement mettre en lumière l'objectif de popularisation du livre numérique, la nécessité de soutenir les points de vente physiques du livre, la défense des éditeurs et des auteurs contre des déséquilibres croissants qui les pénalisent particulièrement, étant la toile de fond des préoccupations de votre rapporteur.

Compléter le contrat d'édition numérique

L'accord-cadre relatif au contrat d'édition du 21 mars 2013 a représenté une étape importante de l'adaptation des relations entre auteurs et éditeurs au numérique. Des compléments doivent être apportés à cet accord. Comme dans d'autres domaines - la musique en particulier - la question de la rémunération des auteurs n'a pas été résolue.

Elle engage tous les problèmes classiques : la détermination des droits, le sort des avances, le régime des cessions de droits, les revenus annexes...

Les éditeurs font valoir que la rémunération des auteurs, en parts du chiffre d'affaires, augmente. Ils admettent qu'appréciée individuellement elle se réduit.

Par ailleurs, doit être pris en considération le sort de la « rente numérique » dont l'ampleur n'est pas connue avec précision et se trouve encore limitée par le sous-développement du marché du livre numérique.

Une réflexion est en cours sur cet ensemble de questions. Votre rapporteur pour avis souhaite vivement qu'elle connaisse le sort heureux des négociations passées dans le secteur du livre et qu'elle échappe à l'enlisement constaté dans d'autres secteurs.

1. L'émergence contrariée du livre numérique
a) Une pénétration hésitante

Le chiffre d'affaires du livre numérique représente autour de 40 % du chiffre d'affaires net des éditeurs (105,3 millions d'euros en 2013).

Il a connu une forte progression l'année dernière (+ 28,6 %).

Les achats de livres numériques concernent encore majoritairement la demande professionnelle. On observe pourtant une augmentation du poids de l'édition numérique grand public dans le chiffre d'affaires des éditeurs de 1 à 2,3 %.

Mais le livre numérique est loin de la part qui lui revient aux États-Unis (aux alentours du quart du chiffre d'affaires) ou au Royaume-Uni (entre 15 à 20 %), qui constituent des exceptions dans les pays d'ancienne diffusion du livre.

Les progrès de la diffusion du livre numérique que les éditeurs souhaitent manifestement sont hypothéqués par une évolution notable du lectorat qui voit la population des grands lecteurs diminuer. Or ce sont ces lecteurs qui recourent aujourd'hui plus particulièrement à la lecture numérique.

Ces dernières années, le législateur a pris des initiatives importantes pour favoriser l'essor du livre numérique.

Il a créé les conditions d'un déploiement de l'offre.

Il a adapté le régime fiscal du livre numérique.

De leur côté, les professionnels ont réalisé des progrès dans l'adaptation du contrat d'édition à l'exploitation numérique.

Cet ensemble améliore le contexte du développement du livre numérique, mais il n'équivaut pas à une stabilisation complète qui requiert l'attention du législateur.

b) La numérisation des livres du XXe siècle

Le développement du livre numérique suppose que le catalogue disponible soit suffisamment large.

C'est à cet effet que le Parlement a adopté, à l'unanimité, dans les deux assemblées, la loi n° 2012-287 du 1 er mars 2012 sur la numérisation des livres indisponibles du XX e siècle.

Il s'agissait aussi de prévenir la constitution d'un monopole de diffusion numérique des oeuvres de l'esprit, Google ayant procédé à la numérisation de livres en s'affranchissant de la considération et des principes du droit d'auteur.

Le dispositif adapté émane des ouvrages dont les perspectives de diffusion numérique ne pourraient être envisagées au moment de la conclusion du contrat d'édition, les technologies correspondantes n'étant pas constituées.

Cette situation créait une sorte de vide juridique qu'il fallait combler. Le choix de recourir à la formule du mandat légal, entouré de précautions destinées à assurer le respect de l'esprit du droit d'auteur était utile et judicieux et juridiquement impeccable.

Saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a jugé, le 28 février 2014, que la loi ne portait pas atteinte aux droits et libertés fondamentaux des auteurs ni des autres ayants droit.

Le dispositif est particulièrement respectueux de ces droits.

Il prévoit un transfert de l'exercice des droits numériques des livres indisponibles à une société de perception et de répartition des droits - la société française des intérêts des auteurs de l'écrit (SOFIA) -, gérée de façon paritaire par des représentants des auteurs et des éditeurs et agréée par le ministère de la culture et de la communication.

Mais ce transfert ne peut intervenir qu'au terme d'un délai de six mois après l'inscription des livres dans une base de données publique réalisée par la BnF (ReLIRE) , et sauf opposition des titulaires de droits. Après l'entrée en gestion collective, les titulaires de droits conservent la possibilité de se retirer, sans contrepartie, du dispositif dès lors que les droits d'exploitation numérique de l'oeuvre n'ont pas été cédés à un éditeur.

Le mécanisme préserve la liberté des éditeurs. Il encourage, en effet, l'éditeur originel du livre, s'il est encore en activité, à assumer l'exploitation numérique des livres concernés . D'une part, comme l'auteur, l'éditeur du livre peut s'opposer pendant le délai de six mois à l'entrée du livre en gestion collective. En revanche, contrairement à l'auteur, il doit assumer les conséquences de cette opposition et se trouve contraint de rendre de nouveau le livre disponible sous forme imprimée ou numérique. D'autre part, lorsque les droits numériques sont exercés par une société de gestion collective, cette dernière doit prioritairement proposer une licence exclusive à l'éditeur historique. Si celui-ci l'accepte et si l'auteur ne s'y oppose pas, il est là encore tenu d'exploiter le livre indisponible concerné.

Il reste que le dispositif est complexe. En cas de non-levée d'option par l'éditeur ou pour les oeuvres orphelines, celles dont l'ayant droit a disparu, les droits sont exercés par la SOFIA, société de gestion collective de l'édition de livres, celle-ci devant faire son affaire de la numérisation. En pratique, elle recourt à cet effet à une société créée par la profession, la Fenix, en échange de l'attribution à cette dernière d'une licence d'exploitation valable 5 ans.

La BnF a publié, le 21 mars 2013, une première liste de 60 073 livres sur son Registre des livres indisponibles en réédition électronique (ReLIRE), dont les droits d'exploitation numérique sont entrés en gestion collective le 21 septembre 2013 à défaut d'opposition de leurs éditeurs, de leurs auteurs ou des ayants droit de ces derniers. À ce jour, seuls 4,1 % des titres ont fait l'objet d'un retrait de ReLIRE par l'auteur ou par l'éditeur.

Le 21 mars 2014, une deuxième liste de 35 200 titres a été publiée.

S'agissant du financement de la phase de numérisation , la situation est longtemps restée critique, faute d'accord sur la participation des éditeurs et du commissariat général à l'investissement (CGI) au capital de la société de projet. Depuis, un montage financier a pu être trouvé grâce à l'engagement des éditeurs et du commissariat général à l'investissement.

Il n'en reste pas moins que la situation financière de la société chargée des opérations de numérisation peu t être considérée comme tendue.

c) Le « prix unique » étendu au livre numérique

Étendant au livre numérique la logique à l'oeuvre dans la loi de 1981 sur « le prix unique du livre » (loi n° 81-766 du 10 août 1981 relative au prix du livre), le législateur a souhaité attribuer aux éditeurs la faculté de déterminer le prix de vente des livres numériques par la loi n° 2011-590 du 26 mai 2011 relative au prix du livre numérique.

À ce jour, le dispositif n'a fait l'objet d' aucune restriction de la part des autorités européennes. D'autres pays ont d'ailleurs adopté des législations similaires (Allemagne, Espagne et Italie).

Ailleurs, les éditeurs avaient réussi à maintenir une pluralité de réseaux de diffusion, via un contrat de mandat leur permettant également de fixer le prix du livre. Toutefois, la validité de ce type de dispositif a été récemment mise à mal par les décisions des autorités de régulation de la concurrence américaines et européennes , convaincues de l'entente de certains groupes d'édition en matière de fixation du prix du livre numérique.

Les éditeurs incriminés se sont alors engagés, pour éviter de trop coûteuses condamnations, à résilier leurs contrats de mandat avec les revendeurs pour leur permettre à nouveau de fixer librement le prix de vente des livres numériques aux consommateurs. L'entrée en vigueur de ces accords, à partir de la fin de l'année 2012, a donc signé le terme d'une période inédite pour les pays ne possédant pas de système de prix fixe du livre, où le prix des livres numériques était fixé par les éditeurs.

La Commission européenne précisait cependant, dans sa communication de septembre 2012 relative auxdits accords, que les engagements des éditeurs étaient « sans préjudice des législations nationales qui autorisent ou obligent les éditeurs à fixer le prix de vente au détail des livres numériques à leur propre convenance (législations sur les prix de vente imposés) ».

Ces procédures sont lourdes de conséquence pour la structuration du marché du livre numérique dans les pays où il n'est pas régulé par un prix fixe : l'interdiction, pour les principaux éditeurs, d'exercer un contrôle sur le prix de revente de leurs ouvrages pendant plusieurs années, devrait permettre à Amazon, soupçonné d'avoir largement contribué à l'ouverture de ces procédures, de retrouver la position très dominante qu'il exerçait sur ces marchés. De fait, la période d'application du contrat de mandat a ouvert significativement le marché du livre numérique en permettant à de nouveaux acteurs de s'y développer. Aux États-Unis, il est ainsi estimé que, durant cette période, la part de marché d'Amazon était passée de 90 % à 65 % des ventes de livres numériques.

Votre rapporteur pour avis estime que la fragilisation extrême du principe du contrat de mandat plaide, plus que jamais, pour une législation fixant un prix unique pour le livre numérique, telle qu'adoptée par la France.

Cependant, il faut veiller à ce que la loi ne soit pas contournée, comme elle semble l'être, par des pratiques commerciales frauduleuses. Plusieurs plateformes accueillent désormais des « Marketplace » - « Places de marché » - à l'égard desquelles elles ne jouent qu'un rôle d'hébergement. Les offres publiées sur ces comportements semblent s'affranchir des régulations mises en place.

Il convient d'être particulièrement vigilant sur de tels développements qui pourraient aboutir à une neutralisation des dispositifs de préservation des équilibres nécessaires à la vitalité de la création.

Votre rapporteur pour avis souhaite qu'une analyse approfondie de ces pratiques intervienne au plus vite et que les conséquences qui sembleront s'imposer soient toutes tirées.

d) La TVA sur le livre numérique

Ainsi la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 précitée a instauré, au 1 er janvier 2012, un parallélisme fiscal avec le livre physique en matière de TVA . Cette mesure a conduit la France au contentieux avec la Commission européenne, dont votre rapporteur pour avis, favorable au taux unique, appelle de ses voeux la résolution rapide.

L'alignement du taux de TVA du livre numérique
sur le taux réduit du livre : un contentieux européen

À la suite de l'adoption, par la France, d'un taux réduit de TVA sur les livres numériques applicables au 1 er janvier 2012, la Commission européenne a lancé une procédure en manquement contre la France et le Luxembourg, qui applique une législation similaire, le 3 juillet 2012, dont les conclusions devraient être connues en 2015.

La France a fait valoir que l'harmonisation du taux de TVA sur l'ensemble des livres est favorable à la diffusion de la culture et aux consommateurs et respecte le principe de neutralité fiscale , jugeant que le livre est avant tout une oeuvre de l'esprit, quel que soit son support.

En parallèle de cette procédure, la Commission européenne a toutefois lancé une consultation sur les taux réduits de TVA et envisage une modification de la directive concernée. Si le signal est encourageant, toute réforme fiscale requiert cependant l' unanimité des États membres.

À la suite de la Journée de Berlin du 9 septembre 2013 « Avenir du Livre, avenir de l'Europe », l'Allemagne, qui était l'un des principaux opposants à l'application du taux réduit sur le livre numérique, s'est ralliée à la France. Une majorité solide d'États membres est désormais favorable à cette réforme . Seuls quatre pays demeurent opposés à l'alignement des TVA « papier » et « numérique » : le Royaume-Uni (qui craint la remise en cause du taux zéro qu'il applique sur les livres papier), le Danemark, l'Estonie et la Bulgarie (pour des raisons d'orthodoxie économique).

Dans le cadre du Conseil Européen du numérique des 24 et 25 octobre 2013, la France a envoyé une contribution aux chefs d'État et de Gouvernement, à Herman Van Rompuy et à la Commission appelant à mettre en place une réforme de la TVA, afin de permettre l'application d'un taux réduit sur l'ensemble des biens et services culturels .

En définitive, l'avenir du taux réduit de TVA sur le livre numérique dépend d'une course de vitesse entre, d'une part, un processus judiciaire, qui suit son cours, certes lent mais inexorable, et, d'autre part, un processus législatif, qui évolue positivement mais nécessitera l'unanimité des États membres pour aboutir.

Source : Réponses au questionnaire budgétaire de votre rapporteur

L'argumentaire de la France qui plaide la neutralité fiscale du net pour le livre mais aussi pour les autres services culturels tend à gagner des suffrages. Le Parlement européen, avant son renouvellement, semble s'y être rallié, de même que l'Allemagne jusqu'ici très opposée à cet alignement fiscal.

Pour autant, la Commission européenne a saisi la Cour de justice de l'Union Européenne le 6 septembre 2013, ouvrant la perspective d'une condamnation aux prolongements budgétaires incertains mais susceptibles de peser au vu de l'écart de taux existant.

2. L'avenir inquiétant des librairies

L'un des leviers de la politique du livre réside dans le soutien aux librairies dans la perspective d'assurer la présence sur le territoire de petites librairies comme autant de noeuds d'accès à la lecture mais aussi comme acteurs de la chaîne économique du livre.

Différents instruments sont mobilisés à cet effet. Financiers ou réglementaires, ils apportent une contribution utile mais leur efficacité semble de plus en plus remise en cause par la structuration d'un pôle de distribution dominant aux avantages comparatifs sans commune mesure avec ceux des petits distributeurs, sur fond de déclin du chiffre d'affaires du secteur.

De fait, la situation des petits libraires est devenue alarmante malgré les mesures de protection destinées à les soutenir. Le taux de mortalité des petites librairies pourrait bien être à la veille de connaître un accroissement fatal aux équilibres qui règlent encore, mais de façon très précaire, la création de valeur économique et son partage entre les différents acteurs du livre. Les effets de telles évolutions sur les buts profonds de la politique du livre pourraient être dévastateurs, préoccupation à laquelle il faut ajouter la perspective d'une attrition de la valeur ajoutée nationale du secteur avec ses incidences fiscales et sociales hautement indésirables.

En bref, une réaction très vigoureuse s'impose, qui passe par l'exploration de mesures plus audacieuses que celles qui s'appliquent aujourd'hui.

a) La préservation des librairies physiques de petite ou moyenne dimension est une composante importante de la politique du livre

La préservation d'un réseau de librairies implantées sur le territoire répond à une double préoccupation : maintenir une bonne capillarité de l'accès au livre avec tous les effets socio-culturels qu'on en attend ; instaurer un contexte économique favorable à un certain équilibre des positions de négociation des différents acteurs du livre afin que le partage de la valeur préserve les moyens de la création et de la production littéraires.

• L'existence d'un réseau de distribution physique du livre est vue comme une condition essentielle d'un bon accès au livre et à la lecture

D'un point de vue commercial , la fréquentation d'une librairie recèlerait un effet multiplicateur en ménageant la possibilité d'achats d'impulsion moins probables lors de l'acquisition auprès de sites d'e-commerce ou des rayons librairie des grandes surfaces alimentaires aux fonds moins diversifiés.

Cet effet multiplicateur serait renforcé par l'éventail des échanges intersubjectifs, entre clients et libraires et entre clients eux-mêmes qui approfondissent l'horizon d'attente des lecteurs, à travers la communication d'expériences variées de lecture.

On trouve d'ailleurs là un fait social qui dépasse le camp de la seule lecture, les petits commerces offrant un espace de socialisation, qui, à soi seul, représente une « externalité », certes non marchande, mais très précieuse.

Le professionnalisme des libraires ne doit pas être négligé. Ils apportent une forme d'expertise, de sorte que, généralement, les librairies fournissent un service qui va bien au-delà de la fourniture de livres présents au catalogue du point de vente.

À tous égards, enfin, la gestion des espaces des petites librairies diffère de celle d'une grande surface où les gondoles font l'objet d'une gestion inspirée de contraintes d'optimisation. Si les grandes librairies électroniques ne peuvent se voir opposer ce constat, il n'est pour autant pas certain que la logique d'accès à leurs catalogues n'aboutisse pas à distordre les choix ouverts de leur clientèle avec des effets de concentration des demandes effectives sur certains titres bénéficiant d'une promotion commerciale particulière.

En bref, pour faire image, il y a entre le réseau des petits libraires et les autres canaux de distribution du livre des différences de logique assez semblables à celles qui séparent les pôles industriels des unités artisanales.

• Il faut encore envisager la contribution des librairies indépendantes à des conditions structurelles du marché du livre propices aux éditeurs et aux créateurs.

L'atomicité de la distribution à laquelle conduit la diversité des points de vente est ici la composante principale, par contraste avec des circuits de distribution hyper concentrés dont les positions commerciales tendent à dominer les négociations sur la formation et le partage de la valeur quand elles existent. Les contestations récurrentes des agriculteurs et des producteurs de l'agro-alimentaire face aux pratiques commerciales de la grande distribution sont trop connues pour qu'on s'étende sur un phénomène qui tend à réduire les revenus des unités d'amont des filières au profit des logiques de maximisation des marges des grands distributeurs.

Comme on l'indiquera à l'occasion de l'examen des mesures de protection des petites librairies, en particulier avec le « prix unique du livre », ces problématiques sont loin d'être absentes du domaine du livre.

b) Les instruments mobilisés apportent une contribution utile mais dont l'efficacité est de plus en plus remise en cause du fait des bouleversements du contexte de la distribution du livre

• Des soutiens financiers bienvenus mais qui suscitent quelques interrogations

Les soutiens financiers aux entreprises de librairie empruntent différents canaux et bénéficient d'une petite partie des crédits de la sous-action n° 4 du programme 334 sous revue. Ces dispositifs dont la gestion mériterait quelques éclaircissements ont été renforcés mais sans que soit comblé le fossé entre les moyens et les défis à relever.

Les crédits budgétaires consistent, pour l'essentiel, en des crédits déconcentrés confiés aux directions régionales des affaires culturelles (DRAC) qui subventionnent des projets de librairies avec une vocation d'aménagement du territoire tandis qu'au niveau central, le syndicat de la librairie française, qui regroupe 600 librairies de toutes tailles, bénéficie d'un soutien. La subvention versée au SNL sur les crédits centraux s'élève à 215 000 euros à comparer avec des cotisations comprises selon les années entre 250 000 et 280 000 euros. Elle est justifiée par les services de conseil rendus par le syndicat.

Le soutien financier aux librairies ne mobilise ainsi qu'une faible proportion des crédits ministériels.

La sous-action est dotée de 15,7 millions d'euros de crédits d'administration centrale et de 3 millions d'euros de crédits déconcentrés dans le projet de loi de finances pour 2015. Les soutiens procurés par les DRAC en 2011 s'étaient élevés à environ 1 million d'euros.

En réalité, l'opérateur central des soutiens financiers aux librairies est le Centre national du livre (CNL), l'action conduite par l'association pour le développement de la librairie de création (ADELC) créée en 1988 apportant à cette politique une contribution importante. Dans le cadre du plan librairies annoncé le 25 mars 2013, le rôle primordial du CNL a été encore accru.

Conforter le Centre national du livre (CNL)

Le CNL conduit bien d'autres actions que celles destinées aux librairies. Il est un acteur central de la politique du livre par la diversité des soutiens qu'il met en oeuvre.

Établissement public, opérateur de l'État, le CNL est financé par deux taxes, aux produits très inégaux : la taxe sur les services de reprographie et d'impression (29,4 millions d'euros au budget initial du centre en 2014) et la taxe sur l'édition (5,3 millions d'euros en 2014).

Ces deux recettes subissent la discipline budgétaire de l'écrêtement. Celle-ci a été appliquée, malencontreusement, ces dernières années, alors même que le CNL a pu se trouver sollicité pour financer des interventions exceptionnelles, se voulant structurantes, comme ce fut le cas avec le plan-librairie. Mais les difficultés budgétaires du centre pourraient résulter dans un proche avenir de l'accentuation de la tendance à la baisse du produit de la première taxe mentionnée quand la taxe sur l'édition dépend, de son côté, de la vitalité économique d'un secteur qui est fragile.

L'inquiétude porte donc principalement sur le produit de la taxe « reprographie » Il baisse régulièrement sous l'effet du recul de la consommation de papier, notamment dans les entreprises.

La perspective d'une moins-value de recettes de 4 millions d'euros paraît désormais crédible dès le bouclage financier de l'exercice à venir du CNL. Elle aurait des effets sur l'ampleur des actions du CNL ou sur leur périmètre.

Cette évolution invite à se pencher sur des financements alternatifs qui devront intervenir tôt ou tard afin de compenser la réduction structurelle de la recette.

En effet, les prélèvements sur le fonds de roulement de l'établissement, largement sollicité ces dernières années, atteint sa limite. Ne restent disponibles que 2 millions d'euros sur le fonds de réserve, soit un mois à peine de fonctionnement du CNL.

Dans le passé récent, 20 millions d'euros ont été prélevés sur les réserves de l'établissement pour financer le plan-librairie (9 millions d'euros en 2013) puis le projet ReLire de la BnF rendu nécessaire par le plan de numérisation des ouvrages indisponibles du XX e siècle (9 millions d'euros à nouveau).

À ce niveau de contrainte financière, il faut s'inquiéter de la perspective de l'abandon par le CNL de certaines de ses interventions dont le détail est précisé ci-après.

Bilan annuel des aides 2013

Source : Centre national du livre

Sans doute est-il toujours possible de procéder à des choix, les interventions du CNL ressortant comme particulièrement foisonnantes. Mais leur diversité est pour une bonne part le reflet de celle des relais de la lecture et ce qui apparaît marginal dans le budget du CNL est souvent essentiel pour le bénéficiaire.

Les progrès de gestion pourront être plus conséquents s'agissant des interventions substantielles du centre.

À cet égard , il est étonnant que des deniers publics puissent être délégués à des entités extérieures sur lesquelles le contrôle de leur emploi est des plus réduits . De la même manière , certaines actions, la promotion du livre français à l'exportation dont les résultats sont médiocres (100 millions d'euros de déficit nouveau), mériteraient sans doute une réévaluation d'ensemble pour les optimiser en les coordonnant plus étroitement avec les missions analogues d'autres organismes.

Enfin, la conditionnalité des soutiens du CNL pourrait être enrichie de certaines considérations, comme les recours à des moyens techniques de fabrication du livre, satisfaisant les normes de qualité que la France a toujours su promouvoir, mais dont les savoir-faire tendent à s'effacer sous l'effet de la fragmentation internationale de la chaîne de production.

Hors les deux taxes affectées, le CNL ne perçoit aucune subvention de la part de l'État mais celui-ci prend en charge 16 équivalents temps plein annuel travaillé (ETPT) financés sur les crédits du ministère de la culture complétant les 50 emplois rémunérés par l'opérateur.

Les recettes de l'établissement sont complétées par quelques recettes d'investissement qui reflètent principalement le placement de sa trésorerie de sorte que le budget prévisionnel pour 2014 atteignait 36 millions d'euros.

Les dépenses du CNL sont principalement des dépenses d'intervention (environ 26 millions d'euros au budget prévisionnel pour 2014, soit près des trois quarts des charges). En 2011, les interventions directes du CNL au profit des librairies s'étaient élevées à 1 634 000 euros auxquels il convenait d'ajouter une subvention de 260 000 euros au bénéfice de l'ADELC. Le soutien aux librairies était ainsi loin de prendre la première place dans les interventions du CNL. Rapportées au budget 2014, les interventions effectuées en 2011 à ce titre représentaient à peine 7,3 % du total. Avec le « plan-librairie », cette situation devrait fortement évoluer.

Les aides individuelles du CNL relèvent classiquement de trois catégories :

- les subventions pour la mise en valeur des fonds en librairie (subventions VAL) auxquelles sont éligibles les librairies labellisées LIR et désormais LR (ces librairies doivent satisfaire à des critères d'indépendance plus ou moins stricts, de diversité de l'offre, d'animation culturelle et de capital humain). Les subventions VAL sont décrites dans le rapport consacré par l'IGAC, au soutien aux librairies comme des subventions de fonctionnement parfois structurelles. Elles ont bénéficié à 220 librairies en 2011, soit 40 % des entreprises éligibles pour un montant moyen de 4 343 euros, une trentaine de librairies bénéficiant de subventions plus importantes pouvant atteindre 10 000 euros ;

- les subventions aux stocks concernent les lancements de projets correspondant à des qualités comparables à celles des librairies labellisées. En 2011, 18 librairies ont reçu à ce titre un montant d'aide de 178 500 euros moyennant une dispersion des soutiens unitaires entre 5 000 et 20 000 euros.

- des prêts à taux zéro financent des projets structurants, en particulier de numérisation. Ils sont consentis pour une durée de 7 ans et ont été accordés en 2011 à 19 librairies pour un montant total de 493 500 euros avec une forte dispersion là également puisque les prêts unitaires vont de 7 500 à 80 000 euros.

L'ADELC agit par apports non rémunérés de fonds en compte courant (exceptionnellement par des subventions) à partir d'un fonds de soutien doté de 16 millions d'euros au fil de donations successives, de contributions des adhérents et de fonds dédiés. Elle regroupe plusieurs éditeurs et se veut l'instrument d'une solidarité intra-filière. En 2011, ses interventions avaient atteint un peu plus de 1 million d'euros au bénéfice de 32 librairies pour une somme unitaire moyenne comparativement élevée de 34 568 euros. Par ailleurs, l'ADELC gère un fonds spécifique d'aide à la transmission des librairies constitué par une dotation du ministère de la culture et de la communication de 3 millions d'euros. Il s'agit essentiellement d'assurer la présence de librairies dans les centres urbains.

Il arrive que l'ADELC intervienne au profit de librairies situées en dehors du territoire national, ce qui n'est pas illogique au vu de l'objet de l'association, mais les 28 millions d'euros qu'elle a mobilisés depuis sa création en 1988 au profit de 412 librairies ont été presque exclusivement attribués à des entités sises en France.

Il faut encore relever l'intervention de l'Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC) à travers son fonds « industries culturelles » qui peut garantir les emprunts effectués par les librairies auprès des banques. Mais cette intervention était restée très résiduelle et avait décliné puisqu'alors qu'elle concernait une dizaine de nouveaux dossiers par an à la fin des années 2000, elle était tombée à trois ou quatre depuis trois ans.

Le « plan librairies » annoncé en mars 2013 a fait l'objet d'une présentation complète dans le rapport pour avis de votre commission à l'occasion du projet de loi de finances pour 2014. 5 ( * )

Il comporte plusieurs volets :

la mobilisation des ressources du CNL à hauteur de 9 millions d'euros partagées entre l'IFCIC, pour faciliter le financement des besoins de trésorerie des librairies (5 millions d'euros) et l'ADELC dans une perspective de financement de la transmission (4 millions d'euros).

un doublement des aides classiques du CNL ;

l'instauration d'un « Médiateur du livre », autorité administrative indépendante chargée de rechercher la conciliation pour les conflits pouvant opposer les différentes unités de la filière avant un recours au juge ;

l'assermentation d'agents du ministère pour constater les infractions aux lois concernant les prix uniques du livre (papier et numérique).

Votre commission avait salué cette initiative, regrettant toutefois que quatre points de vigilance n'aient pas été alors suffisamment abordés :

Le relèvement du seuil de la procédure d'appel d'offres de 15 000 à 50 000 euros dans le cadre des achats des collectivités publiques qui représentent entre 15 et 25 % du chiffre d'affaires des librairies ;

La limitation de l'augmentation des loyers ;

l'amélioration des marges commerciales ;

l'adaptation de la conditionnalité des aides à des moyens d'aménagement du territoire.

Votre rapporteur pour avis s'associe largement à des regrets auxquels quelques éléments de préoccupation doivent être ajoutés ;

la sollicitation du budget du CNL intervient dans un contexte tendu par le plafonnement des recettes de l'établissement et devrait obliger à des arbitrages qui peuvent avoir des effets négatifs sur ses autres missions ;

le « plan librairies » ressort comme largement en retrait par rapport aux recommandations établies par le rapport consacré à l'aide aux librairies par l'IGAC (v. infra) ;

il convient de déplorer avec force que le régime de la conditionnalité des soutiens publics n'ait pas été clarifié à l'occasion de cette initiative ;

de même (v. infra ), il aurait été à tous égards souhaitable d'engager une concertation afin que les paramètres de partage de la valeur économique de la filière livre ressortent clarifiés et modernisés de sorte que les équilibres atteints soient cohérents avec l'objectif d'un maintien du réseau de librairies sur le territoire ; à cet égard, il faut cependant saluer l'initiative du CNL de conclure des conventions territoriales avec les régions pour intégrer à ses dispositifs de soutien ceux accordés localement aux librairies de qualité qui ne réunissent pourtant pas des conditions usuelles de soutien par le CNL ;

enfin, les conditions de gouvernance des aides posent un problème de principe. Votre rapporteur s'interroge sur la cohérence existant entre la provenance du financement du plan - une contribution du CNL - et la gouvernance des interventions ainsi financées confiée à l'IFCIC et à l'ADELC.

• Les librairies bénéficient de mesures réglementaires destinées à préserver leur position compétitive menacée par les grands réseaux de distribution mais l'efficacité de ces protections est de plus en plus incertaine.

(1) Le régime du prix unique du livre et son extension au livre numérique

Depuis 1981, le régime du prix unique du livre est vu comme une protection majeure des librairies indépendantes.

La loi oblige les distributeurs à appliquer le prix fixé par les éditeurs. Elle ménage cependant une marge de modulation de 5 % de ce prix. Elle s'applique aux livres neufs.

La loi a effectivement protégé les librairies tant que le numérique était dans les limbes. Depuis, le développement des plateformes de vente à distance semble s'accompagner d'une multiplication de contournements, difficiles à maîtriser en dépit du système de la Hadopi et de l'existence d'un corps de contrôle des pratiques commerciales.

L'essor des « market-places » 6 ( * ) illustre les difficultés rencontrées.

Par ailleurs, même si elle a une dimension internationale, la loi sur le prix unique du livre est confrontée, en pratique, aux limites de contrôles sur des sites de fait peu accessibles. Handicap d'autant plus sérieux que la volonté de contrôle des administrations théoriquement compétentes ne s'est jusqu'à présent pas suffisamment manifestée.

(2) La réglementation de la vente à distance

L'année en cours a vu l'adoption définitive de la proposition de loi 7 ( * ) tendant à encadrer les conditions de la vente à distance des livres. Celle-ci s'accompagnait jusque-là de pratiques commerciales, qu'il s'est agi de combattre faussant la portée de la loi sur le prix unique du livre, adoptée en 1981, afin de défendre le réseau des librairies indépendantes contre la puissance commerciale de certaines enseignes et ses menaces sur la pérennité de ces librairies.

Cette loi qui a interdit toute concurrence par les prix entre les distributeurs, à quelques exceptions près (voir infra , les développements consacrés à exposer quelques interrogations sur l'impact du dispositif), a entendu prévenir une situation qui aurait nécessairement tourné aux dépens des « petites » librairies dans une position concurrentielle les empêchant de participer à une éventuelle guerre des prix. Le prix unique du livre a été d'emblée contesté ou, plus sournoisement, contourné par une série de pratiques commerciales qui ont fait l'objet d'une jurisprudence constamment réprobatrice sanctionnant, notamment, les remises illicites, les ventes à prime et autres circuits d'exportation-réimportation constitutifs de fraudes à la loi.

Cependant, le régime appliqué aux frais de port par quelques enseignes du commerce en ligne a posé problème dès les années 2000. Un contentieux a été ouvert sur ce point par le Syndicat de la librairie française qui a soutenu, un temps avec succès, que la gratuité des frais de port était constitutive d'une vente à prime. Cette bonne fortune judiciaire a cessé avec l'arrêt de la Cour de Cassation du 6 mai 2008 quand celle-ci a jugé que c'était à tort que cette gratuité avait pu être qualifiée de prime susceptible de contrevenir aux dispositions de la loi de 1981.

C'est dans ces conditions que le législateur est intervenu en complétant la loi de 1981 par un dispositif qui a évolué au cours de la discussion parlementaire pour aboutir à un équilibre dont il faudra s'assurer de l'efficacité.

La faculté ménagée aux détaillants de ristourner jusqu'à 5 % du prix unique fixé par les éditeurs ou les importateurs est fermée dans l'hypothèse où le livre, expédié à l'acheteur, n'est pas retiré dans un commerce de vente au détail de livres, situation qui vise les ventes à distance réalisées sans intermédiation d'un libraire physique.

Toutefois, le détaillant peut pratiquer une décote à hauteur de 5 % du prix appliqué au tarif de livraison qu'il établit, mais sans pouvoir offrir ce service à titre gratuit.

Ce dispositif doit être interprété au vu des intentions du législateur, qui sont claires. Il s'agit d'assurer un avantage de prix aux librairies physiques par rapport au commerce électronique de livres. Ainsi la notion d'offre à laquelle le texte se réfère doit être prise non seulement au sens d'une proposition commerciale mais encore à celui d'une prestation concrètement fournie. Toute autre interprétation permettrait aux vendeurs à distance d'établir un tarif de service de livraison très bas et d'appliquer la décote de 5 %, de sorte que le prix du livre pourrait avoisiner celui des librairies physiques à un centime d'euro près.

Ainsi deux acquis ressortent de la loi :

- l'interdiction de remiser 5 % sur le prix du livre vendu à distance qui confère aux librairies physiques un avantage de prix insusceptible d'être concurrencé ;

- l'interdiction de recourir à des annonces commerciales vantant la gratuité des frais de port, inaccessibles à la plupart des librairies traditionnelles.

Par ailleurs, le dispositif adopté conduit à un équilibre concurrentiel différent pour les sites de vente en ligne. Ils pourront toujours se concurrencer sur les tarifs de frais de port, mais la plage de leur concurrence ressort réduite du texte puisqu'elle ne comportera plus la remise sur le prix unique.

Au total, la portée de l'unicité du prix du livre, condition d'une concurrence moins déséquilibrée entre les différentes structures commerciales, est confortée par la loi. Elle devrait notamment permettre aux librairies physiques de développer leurs ventes à distance, développement inaccessible si la loi n'avait pas été adoptée du fait des barrières à l'entrée opposées par les grandes entreprises de vente à distance.

Toutefois, la tendance à la concentration des commerces du livre et celle d'un renforcement des parts de marché des distributeurs numériques restent deux hypothèses fortes d'un horizon prospectif.

Les conditions d'application de la loi sont en cause mais d'autres considérations apparaissent encore plus décisives.

Du premier de ces points de vue, il apparaît d'ores et déjà que des pratiques du commerce électronique visant à fournir le service de livraison à un prix très modique soient intervenues de sorte que les enseignes peuvent désormais communiquer sur une quasi-gratuité avec les effets qu'une telle communication peut exercer en termes d'attractivité.

Par ailleurs, la loi n'ôte rien à l'attractivité d'une formule de commercialisation utile aux zones de « désert de librairies ». Au demeurant, la volonté de concilier les initiatives de tous les acteurs du e-commerce a joué : le système d'incitations n'a finalement pas été profondément modifié.

Enfin, dans l'avenir, il est à envisager que les entreprises de distribution du livre développent leur activité éditoriale, comme c'est déjà le cas pour des biens de consommation courante. En ce sens, Amazon a déjà constitué une fonction d'édition qui passe pour l'heure par une offre d'autoédition sur son site d'oeuvres numériques. D'ores et déjà, sur les 100 meilleures ventes de livres homothétiques réalisées par Amazon, dix-sept concernent des ouvrages autoédités.

c) Une politique confrontée à un désastre économique ?

Le réseau des libraires structurellement très fragile semble à la veille de subir une vague puissante de destructions nettes d'entreprises.

Les contours du secteur de la librairie peuvent être appréciés diversement selon qu'on en retient une conception très large renvoyant à la notion de « point de vente de livres » ou une définition plus étroite, celle privilégiée par les organismes professionnels ou par les organisations en charge du soutien aux libraires.

Dans tous les cas, le secteur de la librairie apparaît menacé mais les fragilités touchent plus particulièrement la distribution du livre envisagée dans son acception la plus large, de commerces de détail.

Pour les librairies considérées sous un angle plus restrictif, c'est-à-dire les 2 500 à 3 000 librairies disposant d'un fond suffisamment étoffé, les inquiétudes, pour être moins prégnantes, ne manquent pas davantage.

Le commerce des biens culturels, aperçus tendanciels

En 2011, selon l'INSEE, la vente au détail de biens culturels représente un marché de 8 milliards d'euros, dont 3,5 milliards pour le livre, 2,7 milliards pour la presse, et 1,9 milliard pour la musique et la vidéo.

Entre 1996 et 2011, les ventes de livres ont été dynamiques, passant de 2,2 milliards à 3,5 milliards d'euros. L'augmentation atteint 57 % en valeur dans un contexte où les prix n'ont cru que de 18 %. Les volumes ont donc progressé de 33 % au cours de la période.

De leur côté, le marché de la musique et de la vidéo a été peu porteur. Par rapport à 1996, les ventes au détail ont augmenté, passant de 1,7 à 1,9 milliard d'euros. Compte tenu d'un repli des prix de 30 %, cette évolution ménage une croissance des volumes acquis. Mais, les années 2000 ont vu se produire un retournement spectaculaire du marché. Entre 2007 et 2011, le recul des CD physiques atteint 38 %.

La structure de la distribution des biens culturels a considérablement évolué sous l'effet de la percée de deux modes de commerce : les grandes surfaces alimentaires et l'Internet.

Source : INSEE Première n° 1517 Octobre 2014

Source : INSEE Première n° 1517 - Octobre 2014

Pour le livre, si le commerce spécialisé demeure majoritaire, il a perdu 19 points de parts de marché depuis 1996. Les grandes surfaces alimentaires ont gagné 5 points de parts de marché mais l'e-commerce des livres a fait mieux avec un gain de 17 points. Nulle en 1996, sa part de marché ne cesse de progresser. Les sites français ne captent qu'une part minoritaire de ce chiffre d'affaires (32 %) quand les sites des entreprises installées à l'étranger réalisent 68 % des ventes via Internet.

Des évolutions semblables s'appliquent à la musique et à la vidéo. La part de marché des grandes surfaces alimentaires a gagné 10 points depuis 1996 ; la vente à distance par Internet, 28 points. Ce sont les sites étrangers accessibles en France qui concentrent le plus cette progression (79 % des ventes par Internet).

Dans ce contexte, les magasins spécialisés subissent un profond recul de leur influence. C'est particulièrement le cas pour la musique et la vidéo avec une division de leur part de marché par deux (de 40 à 20 %).

Pour le livre, revues et journaux, le nombre de commerces de s'élève à 14 600 entreprises qui emploient 22 000 salariés et réalisent 5,5 milliards d'euros de chiffre d'affaires. L'INSEE précise qu'il s'agit d'entreprises de petite taille (1,5 salarié en moyenne), réalisant un chiffre d'affaires de l'ordre de 380 000 euros. Les trois plus grandes entreprises réalisent 22 % du chiffre d'affaires et les dix plus grandes 29 %. Même si 3 % des magasins occupent à peu près un tiers de la surface de vente, le secteur peut être qualifié d'encore peu concentré mais les évolutions en cours sont susceptibles de révolutionner cette situation (voir infra). Les enseignes sont relativement peu présentes avec 46 % du chiffre d'affaires du secteur contre 68 % pour le commerce en général.

Le secteur subit un recul très sensible de sa vitalité. Le nombre des commerces a diminué de 23 % depuis 1996. Les effectifs salariés ont quant à eux baissé de 14 % contre une hausse de 24 % dans le commerce de détail. Si le chiffre d'affaires a cru de 14 % en valeur, cette performance est à comparer avec celle de l'ensemble du commerce de détail qui a connu une augmentation de 70 %. Par ailleurs, pour ces commerces, le volume écoulé a baissé de 11 %. Le taux de marge des librairies est faible. : 13 % en 2011. En moyenne pour l'économie générale, il s'élève aux alentours de 33 % en rythme de croisière (la crise s'est accompagnée d'une réduction de l'ordre de 4 à 5 points du taux de marge). C'est dire si les bénéfices dégagés par la valeur ajoutée des entreprises du secteur laissent en moyenne peu de place à la rémunération du risque et au financement propre de l'investissement.

Encore faut-il observer que la dispersion des situations, très significative, laisse le plus grand nombre des commerces de détail dans une situation de plus en plus précaire qui laisse mal augurer de leur devenir et pourrait constituer un indice avancé d'une considérable restructuration du secteur dans les prochaines années.

Si les entreprises pérennes, c'est-à-dire celles qui existaient déjà en 1996, tirent leur épingle du jeu avec un chiffre d'affaires en hausse de 38 % sur la période et des emplois à peu près stabilisés (- 2 %), elles ne représentent que 20 % des entreprises du secteur. Pour le reste, le taux de mortalité des commerces de détail du secteur ressort comme élevé puisque 84 % des entreprises présentes en 1996 ont depuis disparu. Certes, le taux de natalité n'est pas négligeable : 80 % des entreprises actives en 2011 n'existaient pas en 1996. Mais la hausse du chiffre d'affaires du secteur leur a peu profité puisqu'elles ne s'en sont partagées que 10 % soit 68,6 millions d'euros répartis entre 11 680 entreprises soit un gain unitaire moyen de l'ordre de 5 700 euros au cours de leur période d'existence. 20 % des commerces ont capté 90 % de la progression du chiffre d'affaires, soit 617 millions d'euros et un gain unitaire moyen supplémentaire de 211 000 euros.

En outre, depuis 2012, le chiffre d'affaires des entreprises du secteur connaît une chute prononcée avec une baisse de 5,7 % en 2012 accentuée en 2013 (- 8,3 %). Sans que cette observation puisse être étayée par des données encore indisponibles, on peut imaginer que la totalité des gains de chiffre d'affaires des petites entreprises du secteur réalisés depuis leur création a été beaucoup plus qu'effacée au cours de ces deux dernières années. Le taux de marge de nombre d'entreprises doit être aujourd'hui proche de zéro, sinon négatif.

Ainsi, le taux de mortalité des librairies semble devoir s'élever considérablement dans un contexte où les charges ne s'infléchissent pas alors que les revenus, déjà très tendus, se contractent.

d) Un vigoureux sursaut s'impose qui passe par des mesures audacieuses

Un rapport remis par l'Inspection générale des affaires culturelles (IGAC) avait dessiné en 2013 un scénario d'action ambitieux.

Un rapport de M. Serge Kancel 8 ( * ) de janvier 2013 avait avancé plusieurs propositions pour renforcer le soutien aux librairies qu'on trouvera résumées ci-dessous.

Présentation des principales propositions du rapport de l'IGAC
sur le soutien aux librairies (janvier 2013)

Renforcement des soutiens financiers

Renforcer le dispositif de soutien par le nombre des aides accordées comme par leur montant unitaire sous forme de subvention comme de prêts autour de quatre enjeux prioritaires :

. le renflouement et la restructuration de trésorerie ;

. la transmission/rachat de fonds de commerce ;

. l'accompagnement professionnel et la formation continue

. l'adaptation au numérique.

Lutter contre le saupoudrage voire la quasi-automaticité pour certains dispositifs et accroître la sélectivité des subventions quitte à abandonner le dispositif VAL du CNL qui s'est rapproché d'un système d'accompagnement permanent d'un panel de libraires.

Réfléchir à un certain desserrement des critères de labellisation et d'éligibilité à la subvention afin d'augmenter le nombre des bénéficiaires potentiels (ce qui peut apparaître quelque peu paradoxal avec la proposition précédente.

Ménager la possibilité de soutenir la partie « librairie » de projets de diversification commerciale vers une pluriactivité.

Constituer un groupe de référents libraires issus des professionnels retirés afin de transmettre les savoir-faire.

Concrétiser au Centre national du livre un portail Internet et téléphonique de conseil et d'accompagnement aux libraires.

Offrir la possibilité d'une prise en charge en tout ou partie, en fonction du chiffre d'affaires, pour les nouveaux libraires la cotisation d'adhésion à Datalib et à Dilicom.

Même proposition s'agissant de l'abonnement à Electre.

Restructurer le dispositif de subventionnement du CNL autour d'un effort supplémentaire de l'ordre de 1 à 2 millions d'euros par an avec l'octroi d'une cinquantaine de subventions structurelles entre 15 et 25 000 euros en moyenne, une centaine de prises en charge ponctuelles (jusqu'à 5 000 euros) et une centaine de journée d'accompagnement in situ (2 000 euros par unité). Ces mesures pourraient être financées soit par redéploiement à partir du budget hors librairie du CNL, soit par accroissement des taxes affectées, soit par subvention du ministère de tutelle, soit, transitoirement par mobilisation du fonds de roulement.

Créer à l'IFCIC un Fonds additionnel et spécifique de contre-garantie de prêts bancaires à 70 % jusqu'à 1 million d'euros en finançant le capital initial par prélèvement sur le fonds de roulement du CNL pour un enjeu de 2 millions d'euros.

Créer au sein de l'IFCIC un Fonds d'avances directes en trésorerie la mise de fonds initiale étant financée pour 2 millions d'euros par le Cercle de la librairie.

Mobiliser les ressources et dispositifs de la Banque publique d'investissement.

Amélioration de l'efficacité du soutien à la librairie par des outils de concertation, d'observation et d'alerte

Mettre rapidement en synchronisation les tableaux de subventions et instruments de suivi du service du livre et de la lecture (SLL) et du CNL afin de constituer un outil d'aide à la décision en matière de subvention publique.

Confier à un organisme spécialisé un travail méthodologique permettant la mise en place d'indicateurs réactifs aux situations conjoncturelles difficiles.

Organiser sous l'impulsion du SLL une mise à plat interprofessionnelle de la question des remises et des délais et envisager une intervention régulatrice si nécessaire.

Organiser sous l'égide du SLL une réflexion globale sur le prix du livre envisageant une mutualisation des gains structurels dégagés par la distribution sous format numérique.

Mutualiser les données au sein de Datalib dont les adhésions devraient progresser.

Raviver la mise en place par la filière d'un dispositif informatique général sur les ventes sur le modèle du britannique Bookscan.

Constituer une base de données économique des librairies.

Évaluer les formations aux libraires.

Relancer une concertation interministérielle pour la réactivation du FISAC culturel.

Création d'un Fonds de soutien à la librairie face à la dégradation économique du secteur.

Créer un Fonds de soutien qui développera et centralisera l'ensemble des fonctions nationales de soutien aux entreprises du secteur confié au CNL et doté de 10 à 15 millions d'euros. Il pourrait être financé par une taxe participative sur le chiffre d'affaires des libraires, par une contribution des éditeurs pour un montant équivalent à celui à la charge des libraires, par une taxe sur le livre et une mise à contribution des acteurs de l'économie numérique.

Même si le « plan librairies » s'est étroitement inspiré de ces propositions, des impasses ont été faites sur certaines d'entre elles, pourtant importantes. Par ailleurs, d'autres pistes pourraient être explorées.

(1) Pour une mise à niveau du soutien public aux librairies, en cohérence avec le maintien d'un réseau de points de vente physiques sur tout le territoire

Le « plan librairie » a entendu apporter des solutions à quelques-uns des problèmes structurels des entreprises concernées : le financement de la trésorerie, celui de la transmission.

Pour autant, les moyens dégagés appellent quelques observations à la fois sur leur niveau et sur leur nature.

Le rapport de l'IGAC mentionné précédemment avait préconisé la constitution d'un fonds de soutien à hauteur de 10 à 15 millions d'euros. En juillet 2013, le syndicat de la librairie française avait de son côté mentionné que 18 millions d'euros seraient mobilisés dans le cadre du « plan librairie », faisant notamment état d'un engagement des éditeurs de procurer à un fonds chargé de restructurer les fonds de roulement des librairies 7 millions d'euros.

Cet engagement paraît être en attente de traduction effective.

En toute hypothèse, un exercice de clarification des besoins s'impose, d'autant que les données économiques et démographiques indiquent que de nombreux commerces de livres sont menacés.

Cet exercice devrait être conduit au plus vite sur la base d'une redéfinition de la conditionnalité des interventions publiques qui diversifie les approches et puisse mieux promouvoir la dimension territoriale du problème.

Le bilan quantitatif des aides dressé par la mission de l'IGAC fait ressortir une contribution effective du système de soutien financier décrit plus haut. Les tableaux ci-après récapitulent les données disponibles pour apprécier l'intervention des différents guichets.

Source : Rapport de Serge Kancel « Le soutien aux entreprises de librairie »

La mission de l'IGAC conclut que pour 2011, 600 décisions de soutien avaient été prises se répartissant entre l'octroi de subvention dans les deux tiers des cas et de prêts pour le reste pour une masse financière totale de 4,655 millions d'euros. Compte tenu du cumul des soutiens, 458 librairies auraient été aidées. La moitié des aides va à des entreprises dégageant un chiffre d'affaires compris entre 250 000 et 850 000 euros et proposant entre 7 500 et 25 000 références sur des surfaces de vente comprises entre 75 et 200 m 2 où travaillent entre deux et sept personnes. Il s'agit d'établissements de dimension moyenne (et non de petits établissements) au vu de la population générale des librairies. L'IGAC estime encore qu'au total, « une part essentielle du tissu des entreprises potentiellement concernées a probablement été impactée » au cours de ces dernières années. « Entre 500 et 1 000 librairies indépendantes ont pu se trouver aidées par un canal ou par un autre » , affirme-t-elle.

Cette appréciation gagnerait en crédibilité si cette fourchette d'estimation, qui ne témoigne pas d'une connaissance réellement précise du fonctionnement du système d'aides, était moins large et avait pu être rapportée à un échantillon des commerces du livre plus représentatif que celui nécessairement étroit des librairies éligibles. Par ailleurs, l'appréciation quantitative du dispositif suppose quelques observations complémentaires.

De ce point de vue, une forme de sélectivité des aides qui se concentrent sur des entreprises d'une taille relativement importante doit être relevée. Certaines grandes librairies avec un chiffre d'affaires supérieur à 20 millions d'euros et proposant jusqu'à 300 000 références avec un personnel nombreux sont également aidées comme l'observe l'IGAC. De fait, la confrontation de l'aide moyenne avec l'aide médiane indique l'existence d'une concentration des aides autour des soutiens importants, dont il faut imaginer qu'ils bénéficient plus spécifiquement aux unités relativement développées. C'est tout particulièrement le cas pour le dispositif géré par l'ADELC mais les prêts consentis par le CNL confirment cette situation.

Cette sélectivité contraste avec le constat fait par le rapport de l'IGAC sur le saupoudrage des aides. En la matière, il est difficile de trancher. La structuration du système d'aides peut suivre deux logiques qui ont chacune leur cohérence : une logique de soutien à des établissements présentant des perspectives économiques crédibles qui va plutôt vers la concentration des aides ; une logique de présence des unités de distribution du livre sur le territoire, qui peut s'accommoder d'une forte dispersion des soutiens. En réalité, le système d'aides financières paraît poursuivre ces deux logiques, le CNL distribuant davantage ses interventions que l'ADELC qui semble plus sensible à des contraintes de viabilité économique.

Cette observation macroscopique appelle à une analyse à un niveau microscopique du fonctionnement du système de soutien financier. La gestion des interventions au profit des librairies implique des décisions concernant des unités individuelles. Un certain encadrement intervient à travers le filtre de la labellisation évoqué plus haut. Pour autant, les critères de soutien devraient être plus transparents. Au-delà, il convient de s'interroger sur les critères d'éligibilité. Ils ne favorisent pas l'orientation du système d'aides vers une diversification de la présence des librairies sur le territoire. Il est sans doute excellent de conditionner les soutiens à des critères de qualité, mais ce type de conditions exerce des effets discriminants qui peuvent aller à l'encontre du but recherché. Par ailleurs, il faut relever l'aspect quelque peu statique de la conditionnalité telle qu'elle est posée. Une redéfinition des conditions autour d'une conception plus soucieuse des projets qui déterminent le succès d'une librairie et de l'apport des commerces concernés en termes d'accessibilité au secteur du livre pourrait être recommandée.

Enfin, la récurrence des aides mériterait un examen particulier. Le bilan dressé par l'IGAC n'apporte pas d'informations à ce sujet si bien que le degré de concentration des aides dans le temps n'est pas identifiable. Sans doute faut-il observer que certaines interventions publiques suivent une logique de ponctualité des soutiens, autour d'événements singuliers de la vie des entreprises de librairie. Mais, au niveau individuel de chaque entreprise, ceux-ci peuvent être plus ou moins fréquents de sorte que des phénomènes d'abonnement peuvent concerner ce type d'aides comme d'autres. L'état des commerces du livre montre que les situations critiques concernent près de 90 % des unités. Selon toute apparence, celles-ci ont peu de chance d'être aidées, du moins avec récurrence. Des clarifications sur la significativité de la population des librairies effectivement soutenues, dans le temps, s'imposent.

Le rapport de l'IGAC conclut en ce sens. Le ciblage des aides lui paraît devoir être révisé. Votre rapporteur pour avis souhaite qu'une réflexion intervienne rapidement à ce sujet et qu'à cette occasion le déploiement des librairies sur le territoire ainsi que des conditionnalités dynamiques conçues en fonction des facteurs qui, aujourd'hui, conditionnent le succès durable des librairies physiques (l'accès aux TIC notamment) soient pleinement pris en compte.

En toute hypothèse, le niveau des soutiens accessibles est aujourd'hui beaucoup trop contraint pour qu'on puisse juger que les moyens de la politique en faveur des librairies sont réunis.

Par ailleurs, il faudrait veiller à ce que la modernisation des commerces physiques, autour des enjeux bien compris de la diffusion numérique du livre, soit mieux prise en compte . De ce point de vue, une mobilisation de l'outil fiscal pourrait être envisagée. Compte tenu de l'ampleur des questions fiscales que pose l'économie numérique, cette dimension fait l'objet de développements à part entière dans le présent rapport.

On se contentera ici d'évoquer pour le futur une modulation éventuelle des taux de TVA selon la réalité économique des distributeurs ainsi que l'impérieuse nécessité d'une contribution effective de certaines grandes entreprises multinationales à l'imposition.

(2) Pour une pratique des remises commerciales adaptée aux objectifs de la politique du livre

La loi sur le prix unique du livre encadre les remises que peuvent consentir les éditeurs aux distributeurs.

Pourtant, la pratique semble s'accommoder de ristournes systématiques, plus ou moins élevées selon la distribution du pouvoir de négociation entre des intérêts en présence.

On évoque des marges commerciales pour certains grands distributeurs beaucoup plus importantes que pour les librairies de plus petite dimension. Dans son rapport pour avis sur la loi de finances pour 2014, votre commission de la culture avait regretté que le « plan librairies » n'ait pas été l'occasion de traiter cette question qui pose quelques problèmes aigus :

• combinées avec les dispositions relatives au prix unique du livre, l'inégalité des remises accordées a pour effet de renforcer les marges commerciales des grands distributeurs qui sont déjà les plus confortables, si bien que leur disposition à ristourner aux clients une partie du prix du livre s'en trouve encore favorisée, accentuant l'inégalité de concurrence entre points de vente ;

• le pouvoir de négociation des grands distributeurs leur permet de prélever une portion conséquente de la valeur économique créée par la filière, au détriment des acteurs de l'amont (éditeurs et auteurs) et sans effet appréciable pour les consommateurs au vu de la situation économique et réglementaire qui gouverne les prix pratiqués ;

• les libraires indépendants tendent à considérer qu'en deçà d'une marge commerciale donnée (de l'ordre de 36 %), une unité ne peut subsister.

S'il faut, à cet égard, saluer la concertation intervenue entre Editis et Gallimard et un groupe de 500 librairies qui a débouché sur des engagements de remise minimale, il conviendrait d'aller plus loin et envisager les actions propres à adapter le régime des ristournes commerciales aux objectifs de la politique du livre et de la lecture.

(3) Assurer une meilleure surveillance des pratiques commerciales

La création d'une nouvelle autorité administrative - le médiateur du livre - a été saluée par la profession ainsi que l'assermentation de certains agents du ministère de la culture et de la communication pour constater les infractions aux prescriptions légales.

Les dispositifs de surveillance des pratiques commerciales sortent ainsi sensiblement renforcés des initiatives législatives adoptées récemment.

Il est évidemment regrettable que les problèmes envisagés n'aient pu trouver leur solution dans le fonctionnement ordinaire des administrations qui ont la mission générale de surveillance du respect des règles commerciales et de consommation.

Il faudra veiller à l'avenir à une coordination des actions désormais partagées entre les différents intervenants.

Relevons également qu'un médiateur n'a pas vocation à procéder aux enquêtes approfondies qui seules permettent de constater des infractions graves si bien que le défaut de résolution à faire prévaloir l'ordre public économique, s'il devait perdurer, laisserait entier le vide de l'action collective observé en ce domaine et qu'il faut déplorer.

Par ailleurs, certaines dispositions du décret n° 2014-936 du 19 août 2014 relatif au médiateur du livre font naître un embarras. Il est cohérent que les informations recueillies lors d'une médiation ne puissent être utilisées dans le cadre d'un litige. Le succès de la médiation est à ce prix. Pour autant, un tel dispositif fait peser un risque sur les parties en conflit, celui d'un « désarmement juridique » par le crible de la médiation. Ce risque est d'autant plus sérieux que la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 impose une médiation aux parties comme un préalable obligé pour toute action hors l'action publique.

Dans ces conditions, l'impossibilité où elles se trouvent de produire devant une juridiction les informations échangées lors de la médiation pourraient exercer des effets désastreux. Nul doute que les juridictions saisies sauront faire valoir les principes supérieurs qui garantissent l'accès au juge et le bon déroulement des procédures.

En toute hypothèse, l'étendue des missions du médiateur du livre, la diversité des modes de sa saisine et le sens de défense de l'intérêt général qu'il est souhaitable qu'il imprime à son action, au-delà de son rôle de conciliateur entre les acteurs de la filière, et qui justifie la faculté d'auto saisine à lui reconnue, invitent à le doter des moyens d'exercer sa mission. Or, sur ce point, rien de substantiel ne semble vraiment organisé.

Si le médiateur du livre a accès aux services ministériels pertinents, c'est tout autre chose que de disposer de moyens propres. Il est regrettable que des autorités administratives indépendantes puissent voir le jour sans que les moyens de leur mission, et de leur indépendance, ne soient réunis. Il faut que ces conditions aujourd'hui manquantes pour le cas du médiateur du livre soient rapidement créées.

III. L'INDUSTRIE MUSICALE, UNE INDUSTRIE SINISTRÉE
EN ATTENTE D'UN RENOUVEAU QUE L'ACTION PUBLIQUE DOIT MIEUX FAVORISER

C'est l'industrie musicale qui a le plus souffert du choc du numérique. Depuis, graduellement, des réponses sont apportées à la crise qu'elle a subie.

Mais les besoins de régulation insatisfaits demeurent considérables. On en aborde quelques-uns dans ce chapitre. Mais il va de soi que l'urgence de parvenir à une régulation internationale d'Internet débouchant sur la suppression des rentes du numérique vaut tout particulièrement pour l'industrie musicale.

A. L'EXPLOITATION MUSICALE TRADITIONNELLE AFFECTÉE PAR UNE CRISE...

Si selon les chiffres fournis par le Syndicat national des éditeurs phonographiques (SNEP), l'année 2013 a vu pour la première fois depuis 12 ans le chiffre d'affaires de la musique enregistrée en France progresser, de 0,8 % par rapport à 2012, ce résultat ne vient pas remettre en cause le constat d'un effondrement tendanciel de cette industrie.

Hors droits voisins (copie privée, radio, télévision,..), le chiffre d'affaires de la musique enregistrée qui atteignaient 1,3 milliard d'euros en 2002 ne s'élevait plus qu'à 489 millions d'euros en 2012, soit une chute de 60 % en dix ans et une perte de recettes de 811 millions.

La dégringolade semble inexorable même si pour les seules années comprises entre 2007 et 2012, le marché de la musique enregistrée a légèrement ralenti ses pertes avec un recul de ses recettes de 224 millions d'euros, soit 32 % de sa valeur initiale, mais avec des effets amplifiés sur le nombre des emplois puisqu'au cours de de cette période les maisons de disque ont licencié 50 % de leurs effectifs.

En six ans, le marché français a perdu près du tiers de sa valeur

Source : Syndicat national de l'édition phonographique

Dans ces conditions, les données fournies par le SNEP pour 2013 qui ne sont pas exhaustives et sont influencées par des succès populaires exceptionnels ne sauraient être vues comme le témoignage d'une reprise, ni même d'une inversion de la courbe descendante du chiffre d'affaires de la musique enregistrée. Au demeurant, l'année 2014 semble à nouveau défavorable.

B. ... DONT LES PROGRÈS DE L'EXPLOITATION NUMÉRIQUE SONT LARGEMENT RESPONSABLES

Si la demande adressée aux biens culturels tend à se dévitaliser sous l'effet de variables générales liées aux modes de vie (le temps contraint progresse), à des circonstances économiques (la faible dynamique du pouvoir d'achat oblige à des arbitrages qui pénalisent les « biens supérieurs ») et à une déformation de la structure démographique, la diffusion du numérique ressort comme un phénomène purement « disruptif » qui a bouleversé l'économie musicale.

1. L'offre numérique légale ne compense pas le déclin des supports traditionnels

Un constat s'impose : la baisse des ventes physiques qui constituent encore entre 70 % et 80 % des ventes du secteur n'a pas été compensée par la croissance du chiffre d'affaires engendrée par l'augmentation de l'exploitation numérique des oeuvres musicales.

Malgré le sursaut des ventes physiques en 2013 (+ 1 %), la concurrence des autres accès ne devrait pas cesser d'exercer ses effets, d'autant que le réseau des disquaires a connu des déboires majeurs (fermeture du magasin Virgin en 2013, difficultés d'Harmunia Mundi, la FNAC ayant de son côté annoncé un plan social concernant 180 disquaires) ces dernières années dans un contexte marqué de longue date par la disparition des petits commerces de disques.

Par ailleurs, la logique économique 9 ( * ) veut que les offreurs et les demandeurs s'orientent davantage vers une musique numérisée, moins coûteuse à produire et susceptible d'une modulation des actes d'achats dans le contexte des progrès de « l'économie des usages » en complément à celle des achats de consommation.

L'exploitation numérique revêt quant à elle plusieurs modalités avec des dynamiques différenciées.

Globalement, le chiffre d'affaires de la musique accessible par voie numérique représente désormais 25 % des recettes de l'industrie musicale (125 millions d'euros en 2012). Sa croissance a été longtemps soutenue mais l'année 2013 a été marquée par une quasi-stagnation des produits (+ 0, 6 %).

Ses différentes composantes sont en phase d'évolution avec une montée en puissance du streaming tandis que le téléchargement paraît subir une débâcle.

Structure du marché de gros numérique

Source : Rapport de M. Christian Phéline

En 2013, si le téléchargement a subi un recul de 1 %, le streaming légal a encore progressé de 3,9 %, marquant, il est vrai, un net ralentissement par comparaison avec la progression observée entre 2011 et 2012 (+ 32 %). Le téléchargement demeure encore le premier pourvoyeur de recettes. Mais certains sites où il était particulièrement développé enregistrent à l'étranger des replis considérables qui pourraient bientôt toucher la France.

Le streaming , qui, contrairement au téléchargement, n'implique pas de possession définitive du titre a donc fait une percée notable.

En dépit du niveau relatif élevé du streaming en France par rapport à la situation des autres pays développés, il est généralement jugé vraisemblable que son ascension ne s'arrête pas, cette perspective représentant un souhait, sans doute un peu résigné, des professionnels.

Résigné en ce sens que le modèle économique du streaming , pour apparaître attractif pour les consommateurs, n'offre pas toutes les garanties de « monétisation » de la création musicale attendues par les producteurs et les créateurs.

Les plateformes de streaming se financent soit par achats des consommateurs, soit par des recettes publicitaires. Par ailleurs, il faut tenir compte de l'existence d'offres gratuites en « freemium ».

Or, outre que ces offres confortent le déclin du consentement à payer des consommateurs, leur vulnérabilité aux choix publicitaires est un élément de préoccupation qui aboutit à déstabiliser l'économie du secteur et les relations contractuelles entre acteurs de la filière.

2. Un phénomène massif d'attrition de la valeur économique aux composantes complexes

L'attrition de la valeur du secteur ne provient pas seulement de la concurrence des usages illicites mais également des logiques portées par la numérisation des usages.

À cet égard, le rapport de M. Christian Phéline insiste sur la « captation massive de valeur par l'aval ».

Avant que d'en exposer les termes, sans doute est-il nécessaire d'évoquer la responsabilité de variables économiques plus concrètes que celles, « conventionnelles » 10 ( * ) , qui viennent à l'esprit lorsqu'on se réfère à des processus de répartition.

La numérisation s'inscrit dans une façon de produire et de distribuer qui rompt radicalement avec celle qui prévaut dans le champ du « physique ».

Les fonctions de production diffèrent, et les coûts avec, des modalités de diffusion sont, elles aussi, entièrement différentes et la génération de revenus avec. Les logiques économiques appliquées aux jeunes sont évidemment sans commune mesure.

Il n'est pas certain que l'analyse économique de la production numérique soit arrivée à son terme.

Mais quelques traits distinctifs peuvent être mis en évidence pour construire l'identité économique du numérique : des coûts fixes massifs, une vocation à la diffusion universelle, la patrimonialisation de l'actif, c'est-à-dire l'inscription de la valorisation des firmes dans le temps (et, du coup, l'existence d'erreurs sur les anticipations et de bulles d'actifs).

Ces traits donnent une certaine vraisemblance à l'idée que, même sans se référer à des problèmes de rapports de force dans la négociation des contrats qui structurent le partage de la valeur des « objets » numérisés, l'économie numérique déclenche par là-même et pour un temps encore indéfini, une réduction du prix de ces objets.

Dans ce contexte, les phénomènes de dévalorisation observés ces dernières années sont d'une interprétation difficile.

Deux propositions peuvent en être tirées :

- une marche aurait été descendue une fois pour toutes en lien avec la baisse des coûts de production permise par le numérique, si bien que la désinflation qui a touché la musique serait structurelle ;

- le niveau actuel des prix n'est que transitoire, en lien avec des stratégies de firmes occupées à atteindre des positions d'oligopoles, sinon monopolistiques, et non à maximiser leurs recettes d'exploitation, de sorte que la monétisation de la musique reprendra, à terme, une certaine dynamique.

Quoi qu'il en soit, il existe bien un risque que les barrières à l'entrée dressées par les grandes entreprises de l'Internet ne se traduisent par une réduction de la diversité musicale et par un effondrement du « surplus » revenant aux autres acteurs de la chaîne : consommateurs, producteurs indépendants et artistes.

C. UN SECTEUR TUMULTUEUX

Sur fond de réduction des recettes du secteur se jouent une série de conflits entre ses différents protagonistes.

1. Un bouleversement des conditions de négociation

Globalement, les plateformes dominantes ainsi que les fournisseurs d'accès à Internet (FAI) sont les acteurs dominants de la filière.

Cependant, les principaux producteurs semblent contester de plus en plus efficacement cette position.

Leurs réactions passent d'abord par une sortie du système de négociation collective qui fragilise les sociétés qui en ont la charge. Les filiales d'édition des majors recourent de plus en plus à des sociétés ad hoc qui négocient directement avec les plateformes.

Elles obtiennent, semble-t-il, des résultats, le rapport de M. Christian Phéline mettant en relief les effets inflationnistes s'exerçant sur les taux de rémunération obtenus en échange des autorisations d'exploitation mais aussi la perspective d'un effondrement du système de gestion collective.

En ce sens, le rapport mentionne le sentiment d'un acteur de la filière et l'évocation, par lui, d'un risque « létal » pour la musique en ligne.

La réaction des producteurs emprunte également la voie de pratiques commerciales, à géométrie variable selon le poids des diffuseurs numériques, qui imposent des conditions très exigeantes à certaines plateformes. Elles semblent devoir s'engager sur des garanties de recettes qui transfèrent les risques sur les acteurs les plus vulnérables.

De leur côté, les relations avec les artistes paraissent s'être tendues. L'objectif d'une extension de leurs sources de revenus par les producteurs paraît s'accompagner d'un élargissement des abattements qu'ils pratiquent et de préemption de droits voisins du droit d'auteur. Cette évolution intervient sur la toile de fond d'une diminution très sensible de la rémunération des artistes en lien avec la perte de valeur subie par le secteur. Il est vrai que sur ce point des incertitudes existent puisque la génération de revenus pour les créateurs s'inscrit dans un modèle de flux qi peut supposer de simples retards de perception. L'extension de la durée du droit d'auteur et des droits voisins pourrait constituer un aménagement bienvenu dans ce contexte.

Une clarification des pratiques contractuelles serait utile. L'autorité de la concurrence pourrait être sollicitée en ce sens.

2. Un âpre débat sur la régulation du numérique

L'année dernière, votre commission avait rappelé le rôle du processus nommé des « treize engagements » pour développer une offre légale innovante et rentable, mais également garantir l'accès des éditeurs aux catalogues des producteurs et d'améliorer le partage de la valeur avec les artistes-interprètes.

L'ensemble des signataires ont été réunis en février et mars 2013 en vue d'évaluer les actions mises en oeuvre, afin de permettre à la ministre de la culture et de la communication d'alors d'envisager les suites à donner à cette initiative.

La synthèse de ces rencontres a fait état des bénéfices de l'accord sur l'économie du secteur de la musique en ligne : les plateformes sont désormais considérées comme des partenaires naturels des producteurs dans l'objectif de ramener le consommateur vers une offre légale assurant la rentabilité des oeuvres et leur diffusion.

En revanche, le désaccord persistait entre les parties sur les modalités de création et de partage de la valeur .

S'agissant de la création de valeur , il n'y avait pas d'accord entre les éditeurs et les producteurs sur les modèles de commercialisation en ligne, la place du gratuit ou du payant ou encore le financement de l'innovation.

Les analyses étaient également opposées sur le partage de la valeur , sauf en ce qui concerne la place croissante des intermédiaires de l'Internet. Alors que les éditeurs dénonçaient des conditions défavorables imposées par les producteurs qui ne leur permettent pas d'assurer la viabilité du modèle économique de la musique en ligne, ces derniers appelaient la définition d'un modèle de répartition de la valeur correspondant aux coûts, moins élevés que ceux des supports physiques, de la diffusion numérique des oeuvres.

Les relations entre producteurs et artistes-interprètes sur le sujet ne sont guère meilleures : les artistes pâtissent de la diminution de la valeur du secteur de la musique et souhaitent la création d'une gestion collective des droits de la musique en ligne, ce qui n'a pas les faveurs des producteurs.

Sur le problème de la rémunération de la création, il faut mentionner les recommandations de la mission confiée à Pierre Lescure. Elle préconise la conclusion d'accords collectifs , étendus à l'ensemble du secteur par arrêté, pour déterminer le taux minimum et l'assiette de la rémunération. Les sociétés de gestion collective d'artistes devraient ensuite être mandatées par les producteurs afin de percevoir et de répartir les revenus, en contrepartie d'obligations relatives à l'efficacité de la répartition et à sa transparence.

Un tel système aurait pour avantage de calculer les rémunérations dues aux artistes sur des assiettes correspondant au prix réellement payé par le public ou aux recettes réellement encaissées par le producteur, c'est à dire selon un mode de calcul lisible et transparent, que la gestion individuelle échoue parfois à assurer.

L'ensemble de ces problématiques a été repris récemment. La ministre de la culture et de la communication a confié à M. Christian Phéline , conseiller maître à la Cour des comptes, une mission visant à analyser en détail la chaîne de rémunération, de la plateforme à l'artiste interprète, afin de proposer une solution viable en termes de partage de la valeur.

Les « treize engagements »

Les « treize engagements » sont une liste d'accords entre plateformes et fournisseurs, mais aussi artistes-interprètes portant sur des pratiques contractuelles potentiellement conflictuelles. Les problèmes couverts concernent :

- la publication par les producteurs des conditions générales de vente (engagement n° 1) ;

- le bon renouvellement des contrats (engagement n° 2) ;

- la justification économique des avances (engagement n° 3) ,

- la transparence des minima garantis (engagement n° 4) ;

- la prise en compte des parts réelles des marchés pour l'exposition de divers catalogues sur les plateformes (engagement n° 5) ;

- une définition conjointe de la classification des modes d'exploitation numériques (engagement n° 6) ,

- la simplification des obligations de compte rendu (engagement n° 7) ;

- la mise en commun des données relatives à l'économie du secteur et sur le partage de la valeur (engagement n° 8) ;

- le versement des redevances dans un délai inférieur à 12 mois (engagement n° 10) ;

- une exposition significative et diversifiée par les plateformes des oeuvres d'expression originale française (n° 12).

Par ailleurs, s'agissant plus spécifiquement des artistes-interprètes :

Les engagements 3 et 4 sur les avances et minima garantis prévoyaient que soient définies « les modalités de répartition et de paiement » à cette catégorie d'ayants droit des avantages obtenus à ce titre par certains des producteurs ;

L'engagement n° 9 voulait assurer la transparence pour les artistes des informations sur l'exploitation numérique de leurs prestations ;

L'engagement n° 11 visait à la complète mise en oeuvre des rémunérations prévues à l'annexe 3 de la CCNEP et à « envisager l'évolution de cet accord collectif en fonction notamment des nouveaux modèles économiques de la musique numérique » ;

Enfin l'engagement n° 13 liait les issues recherchées à plusieurs négociations entre l'ADAMI, société de gestion collective des droits d'artistes principaux, et les producteurs : les conditions d'accès aux bases de données de ces derniers, les barèmes de rémunération des artistes pour le webcasting et le webcasting semi-interactif, exploitations mises en gestion collective volontaire par les producteurs.

Le rapport de M. Christian Phéline a été remis à la ministre en novembre 2013.

Il met en évidence le bilan mitigé du processus des « treize engagements » et la persistance de conflits entre les différents acteurs de la filière sur des conditions essentielles de l'exploitation musicale sur Internet.

Il relève le défaut de tout constat partagé sur la dimension quantitative de l'économie musicale numérique, sur les problèmes pendants ainsi que sur leur appréciation, sur la nature des déséquilibres, et sur leur devenir.

Malgré cette toile de fond conflictuelle, le rapport avance plusieurs recommandations dont le texte figure dans l'encadré ci-après.

Les recommandations de la mission « musique en ligne et partage de la valeur »

La mission a formulé deux catégories de recommandations, la première devant concerner prioritairement les différents acteurs de la filière et leurs négociations, la seconde, le législateur.

Les recommandations concernant le processus de négociation
entre acteurs de la filière :


• Le rapport Lescure dans sa proposition 80 recommandait de « conditionner toute aide publique à la production et à la numérisation à la fourniture des métadonnées respectant le format proposé par le gestionnaire du registre ». Ce type de sanction incitative pourrait être étendu à la non-publication par les producteurs de leurs conditions générales de ventes pour le marché numérique.


• Le rétablissement d'une relation plus confiante entre les artistes et leurs producteurs appelle l'établissement concerté de normes propres à simplifier les contrats et les relevés de redevances comme à faciliter une compréhension sans équivoque de l'incidence des clauses discutées et un contrôle effectif de la sincérité de leur application.


• À défaut de pouvoir opérer une contre-expertise sur les abattements pratiqués ou non par les divers types de producteurs indépendants, il est recommandé que, dans un souci d'objectivité et d'apaisement et avec toutes précautions d'anonymisation des données, l'UPFI et l'ADAMI rapprochent leurs échantillons de contrats et procèdent de manière contradictoire à une évaluation de l'étendue de ces pratiques en matière numérique et de leur impact sur le taux net de rémunération des artistes.


• L'incertitude demeurant sur le degré d'application de la convention collective de l'édition phonographique (CCNEP) et son incidence réelle sur la rémunération des artistes non principaux justifierait que les partenaires sociaux fassent conjointement conduire une enquête évaluant la réalité et l'incidence de sa mise en oeuvre par les différentes catégories de producteurs.


• Au vu des spécificités des exploitations numériques, il y a lieu de se demander si la transposition du taux de rémunération des artistes en usage sur le marché physique, sous réserve du jeu des abattements, qui a prévalu jusqu'à présent pour la musique en ligne, y est une référence suffisante.

La pratique contractuelle devrait plutôt tendre à ce que le partage final de la valeur sur les nouvelles exploitations s'opère en référence à une justification objective et transparente de la part de charges fixes mise à la charge de ce segment du marché et des frais spécifiques qui lui sont objectivement imputables, et en prenant dûment en compte dans son assiette les aides à l'édition phonographique ainsi que les avances et minima garantis propres à l'exploitation numérique.

Il serait en outre souhaitable que le partage ainsi visé s'exprime directement dans le taux de rémunération, en limitant strictement les clauses d'abattements à des dépenses additionnelles, distinctes de ces charges et frais normaux, et dûment vérifiables.

Quelles que soient leurs divergences sur les modalités de régulation propres à atteindre cet objectif, l'ensemble des représentants des artistes paraissent au demeurant admettre qu'un équilibre légitime des rémunérations entre ayants droit ne saurait procéder de la simple transposition, plus ou moins adaptée, au numérique des pratiques préexistantes.

Si les taux traditionnellement en vigueur pour la gestion des droits exclusifs (autour d'un pivot de l'ordre de 10 %) comme ceux propres aux actuelles licences légales (50/50) doivent sans doute éclairer cette évaluation, l'objectif serait de rechercher une rémunération des artistes qui soit spécifiquement redéfinie en référence aux conditions réelles d'exploitation des utilisations numériques.

Bien que les principaux producteurs indépendants expriment leur préoccupation à l'égard de pratiques qu'ils jugent inégalitaires, leurs représentants comme ceux des majors ont pour l'instant opposé une fin de non-recevoir à l'ensemble des propositions recherchant la régulation du marché et des modes de rémunération par la voie de la négociation professionnelle (« code des usages ») ou sociale (réouverture de la convention collective notamment).

Par ailleurs des écarts majeurs subsistent dans la conception que les divers acteurs de la filière se font de ce que devrait être la norme d'un équitable partage des revenus issus de la musique en ligne et de l'évolution en régime de croisière des charges respectives à prendre en compte dans une telle norme.

Cela vaut tant pour la répartition entre producteurs et plateformes (pour lesquels cette clé prospective varie, selon les points de vue, de 15/85 à 50/50) que pour le taux net de rémunération auxquels les artistes pourraient légitiment aspirer.


• S'il se confirmait, le refus par les producteurs de toute autorégulation face aux contestations et revendications exprimées tant par les représentants des plateformes, notamment locales, que par ceux des diverses catégories de la production indépendante, renforcerait par ailleurs l'opportunité d'un examen circonstancié et objectif qui, sans être arrêté par le secret des affaires, établisse la réalité des situations capitalistiques, des positions commerciales, des marchés pertinents, de la pratique des contrats et de la justification des prix.

Il est à rappeler de ce point de vue que, même en l'absence d'une saisine contentieuse par un tiers, le Parlement et le Gouvernement peuvent saisir pour avis l'Autorité de la concurrence.

Celle-ci dispose également d'une large capacité pour se saisir elle-même, examiner le fonctionnement d'un marché et édicter en tant que de besoin, soit des avis ou recommandations, soit des injonctions, en vue d'en préserver ou restaurer la vitalité concurrentielle.


• Devant la réticence des organisations de producteurs à répondre positivement à la demande d'un réexamen de la convention collective de l'édition phonographique prenant en compte les développements récents du marché numérique, il appartient aux pouvoirs publics d'encourager fermement ces partenaires à adopter une attitude plus ouverte au dialogue social.

Dans le même temps, ils devraient envisager toutes mesures, législatives si nécessaire, propres à éviter que le bon aboutissement d'une telle négociation soit mis en péril par des attitudes dilatoires.


• Par ailleurs, la mission invite l'ensemble des syndicats et sociétés de gestion collective représentant les artistes-interprètes à se rapprocher, sans exclusive ni préalable, pour explorer les objectifs qu'ils peuvent respectivement poursuivre en vue de mieux encadrer la rémunération des différentes catégories d'artistes et débattre à nouveau du rôle respectif qu'ils assignent aux différents cadres de négociation (convention collective, gestion collective, accords tripartites etc.) pour y parvenir ;


• Les interrogations sur l'affectation des aides publiques ou collectives dont bénéficie aujourd'hui la production phonographique pourraient d'autant moins être éludées que les représentants des principaux producteurs, tout en réaffirmant leur opposition de principe à toutes extensions de la gestion collective dans le domaine de la musique en ligne, continueraient à repousser toutes propositions de régulation négociée de leurs relations avec les éditeurs de service ou les artistes-interprètes ;


• Enfin la mission attire l'attention des sociétés d'auteurs et de producteurs sur l'intérêt qu'il y aurait pour certains projets de services atypiques susceptibles de renouveler et diversifier l'offre musicale en ligne, à ce qu'elles s'accordent pour mettre en place un système spécifique de gestion collective volontaire, assorti de règles adaptées de tarification et de garanties contre le risque, destiné à faciliter le lancement de telles expérimentations.

Les recommandations adressées au législateur :

Les propositions tendant à un recours plus ou moins étendu à la gestion collective obligatoire des exploitations en ligne de la musique connaissent une importante gradation allant d'un «guichet unique» d'autorisation des exploitations en ligne géré paritairement par les sociétés civiles de producteurs et d'artistes-interprètes à une formule ne portant que sur la gestion d'une rémunération garantie pour ces derniers.

Leurs défenseurs les promeuvent le plus souvent comme ultime recours face à l'échec d'une régulation négociée des relations entre plateformes et producteurs ou des rémunérations des artistes-interprètes.

Les mesures de portée législative visant à mieux réguler les pratiques contractuelles de la musique en ligne, qui ont été proposées à la mission ou dont celle-ci croit devoir recommander l'insertion dans le projet de loi d'orientation sur la création.


• Transcrire au plan législatif les principes posés par les « 13 engagements » issus de la mission Hoog en vue d'encadrer les négociations entre fournisseurs de catalogues et services en ligne, en ce qui concerne notamment la durée des autorisations, la pratique des avances et garanties diverses, les obligations de compte-rendu ;


• Assurer aux droits des artistes-interprètes des protections comparables à celles reconnues aux auteurs ou en matière audiovisuelle, notamment en ce qui concerne l'obligation d'exploitation effective et la distinction des exploitations ;


• Fixer des principes relatifs à la définition de l'assiette des rémunérations des artistes-interprètes pour les exploitations numériques, aux recours aux abattements et aux obligations de compte-rendu ;


• Encadrer le recours aux clauses de prélèvement sur des ressources des artistes-interprètes extérieures à l'exploitation phonographique et les assortir de contreparties réelles ;


• Inciter à une rapide solution négociée du différend opposant les sociétés de gestion collective d'artistes-interprètes et prévoir, à défaut, la soumission à agrément, pour des « raisons impérieuses d'intérêt général » au sens du droit européen, d'une société chargée d'assurer une répartition équitable des ressources de licence légale aux associés des sociétés existantes d'artistes-interprètes comme à tous autres ayants droit pouvant légalement y prétendre ;


• Inciter à une négociation conventionnelle entre partenaires sociaux tendant, au vu des évolutions du marché de la musique en ligne, à encadrer les conditions de rémunération des artistes-interprètes de ces exploitations et prévoir, à défaut d'aboutissement de cette négociation dans un délai raisonnable, un régime de gestion collective obligatoire de ces mêmes rémunérations qui pourrait s'inspirer de propositions voisines avancées par l'ADAMI comme par la SPEDIDAM ;


• Mettre en place une procédure précontentieuse de médiation spécialisée, doté d'un pouvoir d'injonction aux parties, propre à favoriser la solution des conflits dans la négociation ou l'application de tous contrats relatifs à l'exploitation de la musique en ligne entre producteurs et artistes comme entre producteurs et plateformes ;


• Préciser en tant que de besoin les objectifs et critères auxquels doivent obéir l'utilisation au bénéfice des ayants droit les aides à la création des sommes prévues à l'article L. 321-9 du CPI afin de ne pas simplement reproduire la répartition directe qui leur est faite par ailleurs de l'essentiel des ressources des licences légales ;


• Étendre aux webradios non interactives le régime de la rémunération équitable.

Votre rapporteur pour avis prend acte de la densité des propositions de la mission qui ont suscité des réactions pour le moins contrastées.

Ces questions devraient donner lieu à des arbitrages gouvernementaux à l'occasion du projet de loi tant attendu sur la création que le Parlement devrait examiner au printemps prochain.

Il est évidemment souhaitable que la (courte) période intercalaire soit l'occasion d'un rapprochement des points de vue des acteurs, mais aussi que le Parlement prenne toute sa place dans un processus qui recèle des enjeux stratégiques pour l'industrie musicale française dans toutes ses composantes.

IV. L'INDUSTRIE DES JEUX VIDÉO, UN SECTEUR À MIEUX SOUTENIR

A. UNE BRANCHE D'ACTIVITÉ IMPORTANTE MAIS FRAGILE, BRIDÉE PAR LA MODESTIE DES SOUTIENS

Avec trois milliards d'euros de chiffre d'affaires et 6 % de la production mondiale, le jeu vidéo est de fait la première industrie culturelle avec le livre. Il devance le cinéma.

Mais après une apogée dans les années 90 où le secteur employait jusqu'à 15 000 personnes, un déclin s'est produit. Désormais, le secteur n'emploie plus que 5 000 personnes.

Par ailleurs, il subit des phénomènes de délocalisation des unités de production, des créateurs ou techniciens.

Cet exil qui conduit à une évaporation des talents formés en France est favorisé par des politiques d'attractivité très agressives de la part de certains pays.

Les actions conduites en faveur du secteur du jeu vidéo

Le secteur du jeu vidéo bénéficie de deux types d'aides spécifiques : le Fonds d'aide au jeu vidéo (FAJV) et le Crédit d'impôt pour les dépenses de création de jeux vidéo (CIJV).

1. Le Fonds d'aide au jeu vidéo (FAJV)

Cofinancé par le ministère de l'économie et des finances et le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) et doté en moyenne de 3 millions d'euros par an, le FAJV, géré par le CNC, a pour objectifs de soutenir la recherche et développement, l'innovation et la création dans le secteur du jeu vidéo, à travers trois dispositifs d'aides : l'aide à la pré-production (a), l'aide à la création de propriétés intellectuelles (b) et l'aide aux opérations à caractère collectif (c).

a) L'aide à la pré-production

Créée en 2003, cette aide apporte aux studios de jeux vidéo un accompagnement financier à l'innovation dans la phase de pré-production d'un jeu, en vue de la réalisation d'un prototype non commercialisable. Elle vise à soutenir le travail d'études sur les composantes nécessaires à la mise en place d'un jeu vidéo et à identifier toutes les contraintes techniques à lever, jusqu'à la réalisation d'un prototype.

Le montant de l'aide est plafonné à 35 % des dépenses de pré-production du jeu jusqu'à la réalisation d'un prototype non commercialisable. L'aide est attribuée sous forme d'avance remboursable pour 50 % du montant de l'aide, le reste étant attribué sous forme de subvention.

b) L'aide à la création de propriétés intellectuelles

L'aide à la création de propriétés intellectuelles de jeux vidéo est une aide sélective à la production mise en place fin 2010. Dans le contexte d'une évolution des modes de distribution dématérialisée qui bouleversent la chaîne de valeur, ce dispositif favorise de nouvelles créations et incite les entreprises à créer une valeur patrimoniale autour des jeux vidéo qu'elles produisent en les engageant à conserver les droits de propriété intellectuelle.

L'aide à la création de propriétés intellectuelles est attribuée sous forme de subvention. Elle est plafonnée à 50 % du coût du projet et ne peut dépasser 200 000 euros sur trois ans par entreprise bénéficiaire, conformément au règlement dit de minimis 11 ( * ) .

c) L'aide aux opérations à caractère collectif

Cette aide est destinée à l'accompagnement de colloques, journées d'études, journées professionnelles, festivals de portée nationale ou internationale et qui relèvent de la promotion de l'ensemble de la profession du jeu vidéo. L'aide est plafonnée à 50 % du budget de l'opération envisagée. L'aide est attribuée sous forme de subvention et conformément au régime dit de minimis .

2. Le Crédit d'impôt pour les dépenses de création de jeux vidéo (CIJV)

Le dispositif de CIJV a pour finalité de préserver et accroître la productivité des entreprises de création de jeu vidéo. Il permet aux entreprises de création de jeux vidéo installées en France de déduire 20 % des dépenses éligibles 12 ( * ) de leur impôt dû pour la production de jeux vidéo contribuant à la diversité de la création française et européenne.

Le 25 avril 2012, la Commission européenne a autorisé la France à prolonger de six ans son régime de crédit d'impôt pour la création de jeux vidéo. Bruxelles a conclu que ce régime contribue à orienter la production de jeux vidéo vers des projets à contenu culturel, en accord avec les règles de l'Union européenne relatives aux aides d'État.

L'an dernier, votre commission avait regretté que le soutien au secteur des jeux vidéo soit trop modeste au regard des enjeux et des opportunités que recèle ce secteur d'activité important et dynamique mais soumis à une intense concurrence.

Le Canada est, ainsi, devenu avec certains pays d'Asie du Sud-Est le pays de prédilection des développeurs. La politique publique conduite au Canada et plus particulièrement au Québec mérite à ce titre quelques développements. Elle est autrement plus déterminée que celle mise en oeuvre en France.

B. POUR UNE POLITIQUE PLUS AMBITIEUSE

1. Une politique déterminée, l'exemple du Canada

Le Canada a instauré une politique fiscale attractive pour inciter les développeurs de jeux vidéo à s'y installer. Il se positionne aujourd'hui comme le troisième employeur mondial du secteur derrière les États-Unis et le Japon. Au cours des deux dernières années, et malgré la récession économique, ce secteur a affiché une croissance annuelle de 11 %.

Selon les données de l'Association canadienne du logiciel de divertissement (ACLD), 329 studios de développement employaient en 2012 16 500 personnes, chiffre en hausse de 5 % par rapport à 2011. À ce chiffre peuvent être ajoutés les emplois indirects générés par cette industrie (10 500). Le Québec est en tête du secteur canadien du jeu vidéo, avec plus de la moitié des emplois du secteur dans le pays.

Plus d'un tiers des emplois y sont occupés par des Français .

Ces dernières années ont vu le marché des jeux vidéo évoluer vers le mobile, cette évolution méritant d'être mieux prise en compte dans la conception des interventions publiques qu'elle ne l'est en France.

En effet, 84 % des studios canadiens travaillent sur des jeux pour mobile. Derrière, l'ordinateur est la cible de 66 % des studios, les consoles de 48 %, les jeux par navigateur de 46 %, et, enfin, les jeux sociaux de seulement 29 % des studios.

Parallèlement aux crédits d'impôt mis en place par les différentes provinces du Canada (v. infra ), le gouvernement fédéral a établi le programme « SR&ED » ( Scientific Research and Experimental Development ), qui propose aux sociétés des incitations fiscales sous forme de crédits d'impôt ou de remboursements des dépenses liées à la recherche et au développement. Il propose aussi des services de conseil en matière de définition de modèles économiques, développe des produits financiers adaptés, soutient les exportations et la recherche de nouveaux marchés. L'état fédéral incite par ailleurs le secteur privé à innover via des leviers financiers de tous niveaux. La Fondation canadienne pour l'innovation (FCI) a ainsi investi 3,6 milliards d'euros depuis sa création en 1997.

Sur le plan international , le gouvernement fédéral a souhaité faciliter les investissements étrangers en appuyant plusieurs dizaines de propositions d'investisseurs étrangers chaque année. Ces investisseurs étrangers s'engagent en contrepartie à créer des emplois au Canada, à soutenir des projets de recherche avec le concours de l'industrie et des programmes de développement artistique novateurs.

Cet arsenal est efficace.

Depuis 1997 et l'ouverture d'un premier studio Ubisoft à Montréal, le Québec est devenu une destination de choix pour de nombreux développeurs du monde entier.

En effet, alors qu'il y avait 500 professionnels en 2000, la province francophone du Canada a connu une croissance de 600 % depuis 2003 et on comptait en 2012 plus de 500 entreprises employant au total plus de 12 000 personnes dans l'industrie du jeu vidéo québécoise, dont une importante population de Français émigrés.

Cette évolution provient d'une politique fiscale très attractive du gouvernement québécois, qui soutient le secteur des jeux vidéo grâce à un certain nombre de dispositifs.

Par exemple, le Programme titres multimédias (PTM) consiste en un crédit d'impôt remboursable couvrant jusqu'à 37,5 % des dépenses de main d'oeuvre admissibles. En 2010, ce sont 56 millions d'euros qui ont été octroyés, soit une augmentation de 122 % en cinq ans.

À l'occasion du budget 2010-2011, le gouvernement du Québec a assoupli les règles d'admissibilité au crédit d'impôt pour la production de titres multimédias. Le coût des travaux de production d'un film d'animation numérique qui est issu d'un jeu vidéo développé par une société pourra en effet désormais être admissible au crédit. De plus, la période d'admissibilité des travaux relatifs à un titre multimédia, qui était auparavant de 24 mois, est maintenant prolongée à 36 mois afin de tenir compte de la complexité grandissante des nouvelles générations de titres multimédias. Enfin, les travaux relatifs à l'architecture de système sont aujourd'hui également admissibles au crédit.

Par ailleurs, « Investissement Québec » permet aussi d'obtenir des prêts sans intérêts , si les nouvelles entreprises qui souhaitent s'implanter proposent des garanties sur l'emploi.

Néanmoins, à la suite d'une décision du gouvernement québécois le 5 juin dernier, le secteur se verra amputé d'une part significative des crédits d'impôts jusqu'alors accordés aux studios de développement.

Mais cette mesure devrait épargner certaines grandes sociétés - à vrai dire les deux plus grandes qui concentrent une majorité du chiffre d'affaires du secteur - qui ont conclu pour des durées longues des rescrits fiscaux avec l'administration des impôts.

2. Pour une politique plus active en France inspirée par les recommandations du Sénat

Les transferts financiers réalisés en France sont sans commune mesure avec ceux que consentent les pouvoirs publics au Canada et, plus largement, l'action publique est insuffisamment diversifiée.

Avec un total de 3 millions d'euros par an, l'intervention du FAJV est utile mais ne peut être décisive. De même, le crédit d'impôt dont le déclenchement dépend de l'existence de projets ne peut pas être considéré comme un levier décisif.

Il faut cependant noter qu'en 2012 trois importants projets ont pu être agréés par le CNC pour un montant cumulé de 29,8 millions d'euros, supposant une dépense fiscale prévisionnelle de l'ordre de 2 millions d'euros par an pendant toute la phase de développement.

Votre rapporteur pour avis se réjouit par ailleurs que la préconisation d'abaisser le seuil d'éligibilité du crédit d'impôt à une somme de 100 000 euros ait été suivie d'effet en 2014.

Il faut espérer qu'elle permette d'aider des projets plus modestes, comme ceux en développement très rapide à vocation mobile.

Il conviendra d'analyser si cette mesure sera suffisamment mobilisée par ses bénéficiaires et si une marche supplémentaire ne devrait pas être franchie.

Les propositions du groupe de travail sénatorial des commissions de la culture et des affaires économiques constitué en 2013 méritent ici un rappel.

Il s'agit notamment de :

- la création d'une plateforme de valorisation et de distribution de la production française

Sur le modèle de la plateforme américaine Steam , cet instrument, ouvert à l'ensemble des studios, aurait pour vocation de faire connaître et de commercialiser, sans commissionnement prohibitif, la production française de jeux vidéo, mais également d'assurer aux consommateurs la qualité de la production proposée grâce à une sélection exigeante et originale ;

- la mise en place d'un fonds participatif

Il s'agit ici de permettre aux studios de renforcer leurs fonds propres nécessaires aux investissements mais également au maintien de leur indépendance vis-à-vis des éditeurs. À cet effet, pourrait être créé un fonds d'octroi de prêts participatifs financé par la banque publique d'investissement (BPI), sur le modèle du prêt participatif innovation. Cet outil pourrait être logé au sein de l'Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC) ;

- la création d'un guichet unique au sein du CNC pour l'ensemble des demandes de soutien

- un renforcement du FAJV et une simplification des critères d'octroi du CIJV

- la création d'une nouvelle ressource sous la forme d'une taxe sur la vente de jeux sur supports physiques

Sur le modèle du financement des productions audiovisuelles et cinématographiques françaises grâce à la perception d'une taxe sur les entrées en salles, une telle ressource, de quelques centimes d'euros par jeu, alimenterait un fonds géré par le CNC à destination des productions vidéoludiques françaises ;

- enfin, une meilleure articulation entre formations et création d'entreprises

Cet objectif passerait notamment par l'introduction d'une formation à la gestion dans les écoles de jeu vidéo, tant il est vrai que la faiblesse managériale des professionnels du jeu est source de nombreux échecs de création de studios. Afin d'aider les jeunes diplômés à développer leur propre projet et de renforcer l'ancrage territorial de l'industrie du jeu vidéo, il serait également judicieux de développer localement des pépinières d'entreprises dans le sillon des écoles.

Votre rapporteur pour avis souhaite que les excellentes recommandations formulées par le Sénat soient pleinement considérées.

Par ailleurs, à l'heure où, dans le cadre de l'OCDE, des progrès sont recherchés pour restaurer la sincérité fiscale, il serait bon que le Gouvernement se préoccupe de l'existence d'éventuelles pratiques de concurrence fiscale abusive de la part de certains pays concurrents.

V. LA HADOPI, UNE STRUCTURE EN PÉRIL ?

Le principe de protection du droit d'auteur est posé par l'article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle (CPI) et le régime des droits liés est précisé dans la première partie du CPI.

On rappelle que le droit d'auteur confère à son titulaire une propriété privative lui permettant de déterminer les conditions d'exploitation de son oeuvre, le Conseil Constitutionnel ayant dans sa décision n° 2006-540 du 27 juillet 2006 fortement rappelé ce statut juridique.

Les infractions aux droits d'auteur sont sanctionnées pénalement selon un régime propre codifié aux articles L. 335-1 à L. 335-10 du CPI. L'action pénale n'est évidemment pas exclusive d'une action civile. La violation des droits d'auteur est constitutive d'un délit, le délit de contrefaçon. Il est puni d'une peine de 300 000 euros d'amende et de 3 ans d'emprisonnement, des peines complémentaires pouvant être prononcées.

Une procédure préventive, la saisie-contrefaçon, est ménagée. Elle permet à des officiers de police judiciaire mais aussi à des personnes assermentées, parmi lesquelles, fait rarissime, certains personnels des sociétés de perception et de répartition des droits, qui sont de statut privé, de constater la matérialité des infractions.

D'autres procédures non spécifiques peuvent être mobilisées pour assurer la protection juridique du droit d'auteur, en particulier, les actions pour concurrence déloyale et les actions de défense des droits personnels relevant du droit civil.

Par ailleurs, des formules nouvelles se développent pour faire face aux problèmes soulevés par la conciliation entre le numérique et la protection des droits d'auteur.

Reposant sur le pari de l'apprentissage sans préjudice de « l'usage du bâton », elles sont supposées, enrichies d'une action promotionnelle, assurer la conciliation du numérique et du respect du droit d'auteur.

La Hadopi illustre cette tendance à la diversification des vecteurs de protection suscitée par les défis du numérique.

Même si certains de ses résultats conduisent à s'interroger sur les orientations suivies, l'existence de la Hadopi suppose une logique de choix budgétaires que le projet de budget pour 2015 ne respecte pas.

Si le débat sur l'avenir institutionnel de la Hadopi a été successivement ouvert puis clos par les deux ministres dernièrement en charge de la culture, dans une confusion regrettable, il convient d'être cohérent avec le dernier stade des décisions annoncées

Votre rapporteur pour avis prend acte des derniers états du débat institutionnel sur la Hadopi.

Il est certainement justifié que le numérique unifiant les problématiques dans lesquelles se trouvent prises les industries culturelles, un organisme unifie la conduite de l'action publique en ce domaine.

Cette observation n'exclut en rien de poursuivre la réflexion sur les priorités d'un tel organisme et, à partir des résultats de son action, sur les instruments à lui confier.

C. UNE ÉPÉE DE DAMOCLÈS BUDGÉTAIRE ?

1. Tensions financières

Lors de son audition par votre commission de la culture, de l'éducation et de la communication, tenue le mercredi 2 juillet 2014, la présidente de la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) avait indiqué « pour (nous) permettre d'accomplir nos missions, son montant (celui de la subvention du ministère) devra être sensiblement supérieur en 2015 ».

La subvention inscrite au budget pour 2014 s'élevait à 6 millions d'euros. Le projet de loi de finances pour 2015 présenté par le Gouvernement comporte un maintien de ce montant. Il n'a donc pas fait droit aux voeux de la présidente.

Lors de la présentation du rapport d'activité de l'autorité, le 28 octobre 2014, il fut ainsi question « d'asphyxie budgétaire » et, en conséquence, d'une menace pour l'indépendance de la Hadopi.

La présidente avait précisé lors de son audition que, jusque-là, les besoins financiers de la Hadopi avaient pu être couverts par une sollicitation du fonds de roulement, qui avait pu compenser la réduction tendancielle des crédits ministériels versés à elle.

De fait, la subvention de l'État a subi une diminution constante dans le passé. De 11,4 millions en exécution en 2011, elle est passée à 6 millions d'euros en 2014 avec deux étapes intermédiaires, à 10,3 millions d'euros en 2012 (en exécution) une dotation de 8,4 millions d'euros étant inscrite en loi de finances initiale pour 2013, réduite en exécution, compte tenu des mesures d'économies, à 7 millions d'euros.

Ce n'est que grâce aux excédents dégagés lors des années précédentes et qui ont un temps épaissi le fonds de roulement que la Hadopi a pu faire face à ses dépenses effectives. Ainsi, le prélèvement sur le fonds de roulement a atteint successivement en 2011 et 2012 1,264 et 1,204 million d'euros et, fin 2014, le fonds de roulement disponible devrait être ramené à 3,1 millions d'euros, compte tenu d'un nouveau prélèvement effectué pour équilibrer le budget à hauteur de 2,5 millions d'euros.

Étant donné l'évolution des dépenses réelles de la Hadopi, qui ont suivi une courbe nettement descendante, passant de 14,2 millions en 2011 à une programmation à 10, 5 millions en 2013 (- 3,7 millions en deux ans) et à environ 9 millions en 2014, le fonds de roulement de la Hadopi s'élève encore à près de quatre mois de ses dépenses, ce qui, en soi, peut être inconfortable, mais n'est pas une situation alarmante.

Il n'en reste pas moins que le niveau du fonds de roulement paraît difficilement compressible, alors même que l'écart entre la subvention versée par l'État et les dépenses effectives de la structure, s'il est stabilisé, ne s'est trouvé tel que grâce à des ajustements sur les dépenses, ajustements naturels après le temps des investissements initiaux, mais dont on peut douter qu'ils soient toujours renouvelables.

Doit par ailleurs être prise en considération la séquence du versement de la subvention ministérielle qui oblige l'instance à disposer d'une réserve de trésorerie pour acquitter ses charges.

Autrement dit, les économies réalisées dans le passé combinées avec les prélèvements sur le fonds de roulement ont jusque-là assuré un équilibre financier selon des conditions qui ne sont pas soutenables à terme.

Dans ces conditions, votre rapporteur pour avis souhaite qu'une évaluation approfondie de la cohérence entre les missions de la Hadopi et ses moyens intervienne au-delà des arbitrages quelque peu comptables dont semble témoigner la programmation budgétaire de la Hadopi depuis quelques années. À tout le moins, il est indispensable que le rythme de versement de la subvention ministérielle soit respectueux de la nécessité où se trouve la Hadopi de payer ses charges à bonne date .

Il conviendrait peut-être d'aller plus loin dans la réflexion que suscitent les tensions budgétaires qui s'exercent sur la Hadopi .

En posant l'hypothèse d'une pérennité de la structure, il faudrait s'interroger sur les modalités de son financement .

Il n'existe pas une concordance totale entre la logique des missions de la Hadopi - voir infra - et les conditions dans lesquelles elle est financée.

D'un point de vue abstrait, on peut considérer que la Hadopi est une structure dédiée à des intérêts mixtes, d'ordre public et privé. Pratiquement, compte tenu du régime et du déroulement de la procédure de riposte graduée ainsi que de la nature de ses autres missions, sa pratique relève davantage d'une action au bénéfice des ayants droit.

Or, par son financement exclusivement ministériel, cette caractéristique n'est nullement prise en compte.

Il ne serait pas anormal que les ressources de la Hadopi soient diversifiées en considérant la valeur particulière que ses missions présentent pour les titulaires de droits.

Votre rapporteur pour avis n'ignore pas les questions pratiques mais aussi de principe que suscite une telle suggestion.

Parmi celles-ci, on peut imaginer que certains financeurs, venant à être sollicités, s'interrogeraient sur la nécessité de la haute autorité.

Votre rapporteur pour avis observe que celle-ci a réalisé ce qui ne l'avait pas été par les bénéficiaires de son action et qu'à ce titre, elle a produit des gains de coordination qui, sans elle, ne seraient pas advenus.

2. Responsabilité sociale

Avec les questions que pose l'hypothèque budgétaire sur l'exercice des missions de la Hadopi, il faut évoquer la dimension sociale du problème .

Les effectifs de la Hadopi sont pour la plupart contractuels avec une pyramide des âges très marquée. Au 31 décembre 2012, la moyenne d'âge des agents était de 34 ans contre 41 ans dans la fonction publique. Près de la moitié des effectifs a moins de 30 ans de sorte que l'engagement auprès de la Hadopi constitue pour beaucoup leur première expérience professionnelle. Étant observé qu'on peut s'étonner de cette situation au vu des missions particulièrement délicates exercées par la Hadopi, tout en reconnaissant que le champ de l'Internet est souvent plus immédiat aux jeunes générations qu'à leurs antécédentes, on doit aussi s'interroger sur la politique suivie à l'égard des personnels.

Dans un contexte où le modèle de la Hadopi ne peut pas être considéré comme stabilisé, la pratique consistant à pérenniser les emplois, pour généreuse qu'elle apparaisse, ressort comme peu prudente. Que la majorité des contrats arrivant à leur terme soit reconduits pour une durée indéterminée a pour effet de préjuger de l'avenir de la structure alors même que des incertitudes planent sur elles depuis l'origine, ce dont témoigne assez la récurrence des débats sur son devenir et sur les modalités que doit prendre la protection des droits de propriété contre les atteintes suscitées par l'Internet.

Cette politique aboutit à rigidifier les charges de la Hadopi avec des dépenses de personnel (4,7 millions de masse salariale) qui en représentent déjà plus de la moitié et devraient à l'avenir voir leur poids relatif se renforcer significativement une fois les investissements d'entrée effectués. Par ailleurs, des promesses ont été faites à des personnels alors même que leur base n'était pas solidement constituée.

Ainsi, aux yeux de votre rapporteur, quel que soit l'avenir de la Hadopi, la responsabilité sociale de l'État se trouve engagée de sorte que les personnels auprès desquels des engagements, implicites au moins, ont été pris doivent pouvoir bénéficier de la protection d'emploi qu'on leur a promise.

D. QUELLES MISSIONS ?

Une fois dit que l'existence d'une autorité de régulation transversale dédiée à la protection des droits d'auteur contre leur violation par les dispositifs numériques obéit au simple bon sens, il faut admettre que des débats pourraient se dérouler sur les missions de La Hadopi et sur ses résultats.

1. Des missions unifiées avec l'objectif d'une lutte proportionnée contre les usages illicites

La Hadopi doit mettre en oeuvre plusieurs missions combinées pour aboutir à une conciliation entre la protection du droit d'auteur et le développement des technologies numériques susceptible d'y porter atteinte.

Elle a charge de favoriser l'essor de l'offre légale vue comme une alternative aux usages illégaux et dont le défaut serait comme une sorte d'excuse absolutoire à ceux-ci.

Elle remplit un rôle de régulation des mesures techniques de protection en recherchant une conciliation entre protection des oeuvres et protection des usages. Elle a une mission de recherche sur les usages.

Enfin, bien sûr, elle met en oeuvre le volet répressif ou pédagogique si l'on préfère des usages illégaux via la procédure de réponse graduée.

Plus précisément, la procédure de réponse graduée est mise en oeuvre par la Commission de protection des droits de la Hadopi, qui est en soi une autorité indépendante, afin de satisfaire aux exigences constitutionnelles de séparation organique des instances d'instruction et de sanctions.

2. La réponse graduée à l'épreuve des faits

La réponse riposte graduée comprend quatre phases distinctes : l'envoi d'une première recommandation, puis d'une deuxième et enfin, après délibération et notification, la saisine ou l'absence de saisine du procureur de la République. Après ce stade, qui est quasi judiciaire, s'applique encore le principe d'appréciation de l'opportunité des poursuites.

Lors de son audition par votre commission au mois de juillet 2014, la Présidente de la Commission a dressé un bilan de la procédure. Trois millions de premiers avertissements avaient été adressés et 300 000 deuxièmes recommandations après récidive. 1 500 dossiers avaient été constitués au titre de la troisième phase de la riposte graduée, dont une centaine avait été suivie par une saisine du Parquet. Depuis, ce bilan qui s'appuie sur des données cumulées n'a que peu évolué.

Le rapport d'activité de la Hadopi 2013-2014 mentionne au 1 er juin 2014 :

3 249 481 premières recommandations,

333 723 secondes recommandations,

1 289 délibérations,

116 transmissions au Parquet.

On peut apprécier très diversement ces données.

Une lecture favorable fait valoir l'écart considérable entre le nombre des premières recommandations et celui des secondes qui témoignent d'un effet dissuasif de l'intervention de la Commission.

Pourtant, la forte croissance des premières notifications, passées d'environ 1,9 million à fin 2013 aux 3 millions, évoquée lors de l'audition de votre commission, invite à un constat moins favorable. La réponse serait éventuellement efficace individuellement mais ne le serait guère macroscopiquement.

Quant à l'écart entre la constitution de dossiers de troisième phase et les transmissions assurées au Parquet, il témoigne d'une forme de déperdition de l'action et suscite quelques interrogations relatives à la motivation des décisions de saisine.

Le pouvoir d'appréciation de la Commission paraît mobilisé très largement, si bien que la lecture de sa « jurisprudence » n'est pas aisée. Il est vrai que l'encombrement des juridictions peut faire naître quelques doutes sur les suites concrètement réservées aux saisines du Procureur, de sorte qu'un filtrage répondant à des considérations réalistes, plutôt que de principe, puisse être pratiqué par la Commission. De fait, à la date de l'audition de votre commission, la Présidente de la Commission n'avait connaissance que de vingt-et-une décisions de justice et de treize condamnations.

Les dernières phases de la réponse graduée ressortent ainsi comme assez largement virtuelles. Aux 300 000 secondes recommandations correspondent treize condamnations, ratio particulièrement modeste et qui le reste lorsqu'on compare les condamnations intervenues avec les dossiers (1 500) constitués par la Commission 13 ( * ) .

Il faut ajouter que le taux de poursuite des dossiers transmis au Parquet apparaît lui-même assez faible.

En bref, la réponse graduée semble s'arrêter aux deux premières phases de son processus sans qu'on puisse en tirer la conclusion, qui serait réconfortante, de son efficacité dissuasive (et encore moins pédagogique). Plus encore, cet état de fait pose problème au regard des exigences d'équité de la procédure. Seule une formalisation très claire des motivations des décisions de la Commission et de l'appareil judiciaire permettrait d'écarter le soupçon d'un fonctionnement trop « existentiel » de celle-ci.

Il est possible que l'orientation, désormais envisagée, visant à privilégier la lutte contre la contrefaçon commerciale plutôt qu'individuelle soit, de longue date, à l'oeuvre dans l'application de la réponse graduée, mécanisme dont on sait qu'il fut particulièrement ardu à conceptualiser et plus encore à imposer aux publics d'un « net » vu comme espace libertaire de gratuité.

La question que pose l'orientation consistant à s'attaquer à la contrefaçon commerciale, qui, remarque incidente, démasque avec bonheur la vision par trop « mythifiante » de la logique de gratuité du « net », est celle de son efficacité.

Un rapport a été confié à la Présidente de la Commission sur la prévention et la lutte contre la contrefaçon commerciale en ligne comme axe complémentaire d'action.

Quatre orientations ont été envisagées dans ce cadre : la formulation d'outils pédagogiques simples d'usage, la confirmation du rôle déclencheur des ayants droit, la distinction des sites contrefaisants d'avec les sites légaux dans la procédure, la promotion de l'autorégulation et de la régulation plutôt que de la sanction.

Une liste des sites massivement contrefaisants pourrait être publiée (une sorte de « liste noire » comme il en fleurit tant sous l'influence de la soft-law anglo-saxonne), une injonction prolongée en cas de notification de retrait des oeuvres par les ayants droit non suivie d'effets pourrait être prononcée, la lutte contre les « sites miroirs » serait renforcée .

Ces orientations s'inspirent du processus lancé par « les 13 engagements pour la musique en ligne » pour leur volet d'autorégulation. Or, le bilan des « 13 engagements » ressort comme mitigé du fait de désaccords persistants entre les acteurs de la chaîne de la musique en ligne.

Par ailleurs, un certain nombre d'orientations affichées dans certains pays ne font pas l'objet d'une mention particulière. Il s'agit des mesures destinées à peser sur les financeurs des sites contrevenants.

Les concepteurs de la régulation peuvent avoir une conscience aigüe des possibilités d'arbitrage réglementaire accessibles aux entités subissant la régulation. Dans un monde où les distances sont réduites, sinon annulées, le numérique permet de situer les centres de production de la valeur dans des espaces de souveraineté étrangers à celui où la régulation élaborée par une autorité nationale s'applique. Autrement dit, des considérations de « compétitivité réglementaire » peuvent intervenir dans le cadre de processus comparables à ceux à l'oeuvre dans la concurrence fiscale. À noter que cette dimension du problème vaut autant pour les règles que pour leur application.

Du côté des contributeurs à la régulation, le système Hadopi laisse aux ayants droit le monopole du déclenchement de la procédure, à défaut de celui des poursuites. Sans doute la Hadopi a-t-elle déployé ses efforts pour mieux donner à connaître les situations litigieuses afin que les ayants droit soient mieux à même de faire valoir leurs droits, il n'en reste pas moins que sans une intervention initiale de ceux-ci, la puissance publique demeure désarmée dans la lutte contre la contrefaçon et le piratage dans la procédure Hadopi.

En matière de droits de propriété, l'ordre privé l'emporte sur une considération d'ordre public qui pourrait être mieux défendue dans le cadre de cette procédure. Deux observations s'imposent :

- il semble que l'empressement des ayants droit à saisir la Hadopi soit variable selon la conception qu'ils se font de leurs intérêts ; certaines situations contrevenantes semblent être tolérées quand d'autres, peut-être jugées moins « porteuses », ne le sont pas. De toute façon, la Hadopi n'a déjà pas les moyens de traiter les signalements adressés par les ayants droit qui s'élèveraient à 125 000 par jour (le taux de traitement étant bien supérieur à 50 % selon des sources internes).

- la puissance publique a des intérêts légitimes à défendre en ce domaine dans la mesure où le droit d'auteur est aussi la garantie d'une diversité culturelle qui dépend de la protection des créateurs et où les activités illicites s'accompagnent fréquemment d'autres infractions liées, par exemple dans le domaine fiscal, directement attentatoire à l'ordre public.

Dans ces conditions, des propositions plus fermes pourraient être bienvenues, passant par un renforcement des prérogatives de la puissance publique dans le cadre de la procédure de réponse graduée et par une pénalisation des « facilitateurs » des fraudes.

Des considérations pratiques doivent également être mentionnées : la lutte contre la contrefaçon se doit d'être très réactive ; le temps joue contre elle. Il faut se donner les moyens de stopper très vite la diffusion des objets contrefaits sans quoi le mal est irrémédiable.

Par ailleurs, on pourrait imaginer de compléter les responsabilités de la Hadopi en lui confiant une compétence semblable à celle confiée au « Médiateur du livre ».

Il n'en reste pas moins que la question de la coopération internationale dans la lutte contre le piratage est essentielle.

À ce titre, on doit déplorer le défaut d'une « Europe de la protection des droits de propriété » .

La diversité des régimes à l'oeuvre (voir l'encadré ci-dessous), l'existence de failles dans les législations connexes d'intérêt, comme les législations fiscale ou sociale, témoignent d'une absence d'unité qui semble opposer deux visions polaires. D'un côté, la défense du droit d'auteur comme variable essentielle de « l'externalité culturelle » ; de l'autre, une forme de libertarisme numérique qui couvre parfois des intérêts plus prosaïques.

Quelques régimes étrangers de lutte contre le téléchargement illégal

La lutte contre le piratage du droit d'auteur est une affaire domestique mais elle réclame aussi une coopération internationale sans laquelle les efforts d'un pays sont appelés à manquer leur cible. C'est donc une affaire d'intérêt mondial. À ce jour, la communauté internationale ne paraît pas près d'aboutir à une communauté d'action au vu des différences observées dans la sensibilité au problème et dans les dispositifs concrètement mis en oeuvre par chaque pays.

Il serait souhaitable qu'une convention internationale de protection du droit d'auteur vienne compléter les coordinations entreprises au niveau régional, dont la directive DAVDSI (droit d'auteur et droits voisins dans la société de l'information) constitue un exemple intéressant mais encore trop limité.

Les régimes de protection contre le piratage numérique dans quelques pays étrangers significatifs ressortent comme très variés avec quelques points saillants de différenciation : l'existence ou non d'une autorité spécialisée du type Hadopi, le recours au droit commun ou, au contraire, la mise en oeuvre d'une procédure particulière, la plus ou moins forte judiciarisation du dispositif, la prise en compte plus ou moins grande des délais, le type d'actions accessibles, autrement dit les choix de stratégie, avec plus ou moins une orientation économique ou des sanctions plus classiques, l'équilibre entre la protection des droits lésés et les principes qui peuvent gouverner le recours à l'Internet.

L'Australie

Le piratage par Internet semble important dans le pays malgré le frein qu'y constitue la quasi-inexistence d'offres Internet illimitées.

Une étude limitée au secteur du cinéma et de l'audiovisuel évalue les enjeux à 1,37 milliard de dollars australiens avec un manque à gagner fiscal de 193 millions de dollars et des pertes directes pour le circuit légal de 575 millions.

Les actions conduites contre le piratage sont jusqu'à présent principalement issues de l'initiative privée ou découlent de la jurisprudence. Une association a été créée (l'AFACT) par les industriels du film et de la télévision qui a conduit une action judiciaire contre les fournisseurs d'accès pour leur responsabilité dans le piratage. La Haute Cour, qui est la juridiction suprême du pays, a débouté l'AFACT de sa demande.

Mais certains fournisseurs d'accès ont accepté d'entrer dans une logique coopérative en collaborant à un système de riposte graduée qui doit encore trouver un prolongement concret.

Par ailleurs, des mesures techniques sont mises en place pour généraliser l'utilisation du HDCP ( High-bandwidth Digital Content Protection ) encodé qui limite les possibilités de téléchargement.

Enfin, une commission a été réunie afin d'engager un processus du Copyright Act de 1968 qui règle dans le pays les questions de propriété intellectuelle.

Sa proposition principale est d'introduire une exception de copyright autour de la notion de « fair use », utilisation équitable s'inspirant de la coutume prévalant dans certains pays dont les États-Unis.

L'Allemagne

En Allemagne, la lutte contre le piratage s'inscrit dans le cadre de la jurisprudence sur la protection du droit d'auteur. Comme d'habitude cette approche conduit à une conciliation entre cette préoccupation et d'autres principes susceptibles d'en limiter la portée.

Le tribunal de Hambourg dans l'affaire Rapidshare a jugé en mars 2012 que ce service était légal mais qu'il était pénalement responsable dès lors que des liens étaient accueillis dirigeant vers des contenus illégaux. Cependant, pour le tribunal, la mise en ligne d'oeuvres n'est pas constitutive en soi d'une contrefaçon dès lors qu'elle peut être réalisée à des fins privées. Dans ce contexte, les fournisseurs d'accès n'ont pas d'obligation de filtrage a priori des contenus mais ils doivent les retirer suite à une notification des ayants droit et prendre toutes dispositions afin d'en empêcher la réapparition.

Une décision originale de la Cour fédérale du 11 mai 2010 contraint les internautes à sécuriser leur réseau WI FI pour éviter que leur réseau ne soit utilisé pour des téléchargements illégaux. La sanction est une amende de 100 euros. En 2012, la Cour fédérale a par ailleurs prescrit que les fournisseurs d'accès à Internet (FAI) délivrent l'identité de leurs clients à la demande des ayants droit que la contrefaçon alléguée soit à des fins commerciales ou non.

Le Canada

Le Canada a adopté le 29 juin 2012 un projet de loi sur le droit d'auteur. Celui-ci encadre la mise en place des mesures techniques de protection, élargit les exceptions au droit d'auteur et précise les contours du régime de la rémunération pour copie privée.

Une exception au titre du mash up (c'est-à-dire de la créativité des internautes fondée sur des oeuvres existantes) a été introduite qui permet l'exploitation des contenus non commerciaux ainsi créés par les utilisateurs. Une condition d'absence de préjudice anormal à l'exploitation de l'oeuvre originale a été posée. Elle demandera une construction jurisprudentielle qui en déterminera la portée. En toute hypothèse, cette exception est susceptible de couvrir des accès comme You Tube en raison des caractéristiques de l'utilisation de cette plateforme. La loi paraît ne pas avoir réellement considéré la totalité des enjeux économiques en cause et, en particulier, le gain des propriétaires de ce type de sites.

S'agissant de la copie privée, la loi a élargi un peu le périmètre des dispositifs techniques qui en constituent l'assiette. Mais les dispositifs d'enregistrement interne sont toujours exempts de contribuer au mécanisme.

À noter également que la protection opérationnelle du droit d'auteur a été renforcée par l'attribution d'une autorité en la matière aux fonctionnaires des douanes, dans un pays où déjà la surveillance du piratage est prise en charge par des sociétés privées.

Reste que la loi C-ll y limite à 5 000 dollars canadiens les pénalités pour violation non commerciale d'un droit.

L'Espagne

Selon les enquêtes, le téléchargement illégal est très répandu en Espagne.

L'Espagne a pourtant durci sa législation en 2011 avec la loi SINDE relative à l'économie durable adoptée le 4 mars 2011 qui permet de bloquer ou de suspendre rapidement l'accès aux sites depuis lesquels des contenus protégés peuvent être téléchargés illégalement. Elle institue une procédure accélérée qui permet aux ayants droit de saisir la Commission de la propriété intellectuelle du ministère de la culture aux fins que celle-ci saisisse le juge pour autoriser le FAI à dévoiler l'identité de l'internaute contrevenant. Si cette autorisation est donnée la Commission demande au site de bloquer l'accès au contenu et, en cas de non-exécution de la demande, elle peut saisir le juge pour qu'il ordonne la fermeture du site sous deux jours.

Toutefois, la procédure n'est pas applicable aux sites de pair-à-pair et sa conformité à la directive européenne est discutée, notamment, sous l'angle de la responsabilité des FAI.

Cependant, un nouveau durcissement visant les sites de liens, qui à proprement parler n'hébergent pas de contenus, est en cours de même qu'une réflexion sur les rétorsions à exercer contre les facilitateurs des sites incriminés (publicitaires, banquiers, sociétés de cartes de crédit...).

La voie d'une asphyxie économique des sites contrevenants est clairement privilégiée dans le projet de loi sur la contrefaçon présenté en conseil des ministres en avril 2014. S'y ajouterait le recours à des sanctions administratives avec des amendes alourdies (entre 30 000 et 300 000 euros).

Dans le même temps, une réforme du système de la copie privée et de la gestion collective des droits est envisagée.

Les États-Unis

Aux États-Unis, c'est le Digital Millenium Copyright Act de 1998 qui gouverne la lutte contre la violation de la propriété intellectuelle sur Internet.

Celle-ci est organisée à travers une réponse graduée, le Copyright Alert System. Les industries de production culturelle ont signé un accord avec les principaux FAI prévoyant l'envoi de messages pédagogiques aux internautes. Après 5 ou 6 messages ceux-ci s'exposent à l'une des mesures suivantes :

- limitation temporaire du débit ;

- redirection vers une page invitant à entrer en contact avec son FAI ;

- ou toute autre mesure jugée nécessaire par le FAI.

Il n'existe pas de disposition contraignant les FAI à suspendre l'accès Internet et ceux-ci ont déclaré refuser de couper l'accès aux services de téléphonie, aux messageries et autres services essentiels (santé ou sécurité).

La lutte contre les sites de téléchargement

La lutte contre les sites de téléchargement prend des formes variées qui connaissent des fortunes diverses.

Le train législatif est fourni, mais les diverses propositions qui ont pu être formulées ces dernières années n'ont pas prospéré. Le Stop Online Piracy Act (SOPA) n'a pas dépassé le stade de la commission juridique de la Chambre des représentants : elle regroupait la criminalisation du visionnage en continu de contenus à des fins commerciales de contenus en streaming illégal et la possibilité de bloquer par nom de domaine des sites reconnus porter atteinte au droit d'auteur.

Sur le terrain judiciaire, les poursuites pénales se multiplient contre des créateurs-administrateurs de sites de streaming , 150 sites ayant été impliqués par une vaste enquête coordonnée. Les enquêtes peuvent concerner des sites situés à l'étranger avec la coopération des justices partenaires et un cas d'extradition peut être cité. Le cas le plus retentissant a été celui de MegaUpload . Ces actions ont généralement impliqué plusieurs services dont le National Intellectual Property Rights Coordination Center (IPR Center).

Enfin, sur le plan des initiatives décentralisées, mi-juillet 2013 les plus grandes sociétés de l'Internet ont annoncé une série de bonnes pratiques visant à priver de leurs revenus publicitaires les sites proposant du contenu piraté. Il s'agit, lorsqu'un ayant droit identifie une publicité sur un site pirate et notifié cette situation au réseau publicitaire en cause, de contraindre celui-ci à enquêter, en prévoyant que, postérieurement à son enquête, celui-ci puisse refuser de vendre de la publicité au site à moins que celui-ci n'ait régularisé sa situation.

L'annonce des géants du Net n'a pas réellement convaincu puisqu'aussi bien la question de la responsabilité des agences publicitaires n'est pas résolue tandis que le dispositif leur offre des marges de manoeuvre considérables, si tant est que les ayant droit soient en mesure de les toucher concrètement. Par ailleurs, le mécanisme semble exonérer les sites légaux abritant du piratage et ne concerner que les sites exclusivement voués au piratage. De là à s'interroger sur l'intention réelle des GAFA à lutter contre le piratage il n'y a qu'un pas.

Le Royaume-Uni

Le Digital Economy Act (DEA) adopté le 8 avril 2010 a mis en place un mécanisme à deux temps pour lutter contre le piratage. Toutefois, à défaut de l'adoption du code de bonne conduite qui est une condition suspensive à l'entrée en vigueur du dispositif, celui-ci n'est nullement contraignant, tradition des pays de soft law. La responsabilité de l'établissement de ce code a été confiée à l'organe de régulation des communications, l'OFCOM.

Une première phase exclusivement pédagogique passe par l'obligation faite aux FAI d'envoyer sur demande des ayants droit des messages d'avertissement au titulaire de l'adresse IP. Au bout de 12 mois et de trois lettres reçues le nom de l'internaute peut être communiqué aux ayants droit après autorisation d'un juge. Les ayants droit peuvent alors engager des poursuites.

Une seconde phase est envisagée mais elle n'est pas encore adoptée par le Parlement. Des mesures supplémentaires pourraient accorder aux FAI la possibilité d'imposer des sanctions à l'abonné (suspension d'accès, ralentissement du débit).

Le DEA prévoit d'ores et déjà des mesures de filtrage ou de blocage de sites contrevenant. Dans les faits, leur dimension opérationnelle paraît faible. En particulier, la nécessité d'emprunter la voie judiciaire ménage aux contrevenants des délais leur permettant de délocaliser leur activité ou d'en modifier les caractéristiques techniques.

Cependant, la décision rendue par la Haute Cour le 28 juillet 2011 visant à bloquer l'accès de 6 millions de clients de British Telecom à un moteur de recherche référençant des sites de téléchargement illégal semble avoir eu quelque efficacité.

Par ailleurs, la lutte contre le piratage emprunte les voies plus traditionnelles de la lutte contre la contrefaçon et le Royaume-Uni a créé une entité de police spécialisée, la « Police Intellectual Property Crime Unit », la PIPCU. Elle peut demander la neutralisation des noms de domaine des sites incriminés et engager des actions visant à tarir les recettes publicitaires par des procédures de naming and shaming , consistant en la stigmatisation des sites contrevenants.

L'Italie

Le 31 mars 2014 une nouvelle loi sur la lutte contre la contrefaçon est entrée en vigueur en Italie. Elle s'appuie sur une autorité indépendante (l'autorité pour les garanties dans les communications- AGCOM) créée en 1997.

La procédure est confiée à l'initiative de l'ayant droit et passe par un recours à l'AGCOM en cas de poursuite de l'infraction. Elle implique l'utilisateur, le gestionnaire de la page Internet et les prestataires de services. L'autorité peut exiger le retrait des oeuvres, la désactivation de l'accès à ces dernières mais doit respecter les principes de proportionnalité et de gradualité.

La procédure est plus ou moins longue selon la gravité des infractions : de 45 à 10 jours, élément évidemment essentiel de la capacité à répondre aux atteintes aux droits d'auteur. L'autorité peut prononcer des sanctions pécuniaires allant jusqu'à 258 000 euros.

Enfin, le dossier de l'européanisation de la protection des droits d'auteur dans la société numérique appelle une vigilance particulière.

3. La promotion de l'offre légale, une activité utile ?

La promotion de l'offre légale a progressé. Elle consiste essentiellement à signaler les sites sur lesquels les différentes oeuvres culturelles peuvent être trouvées et consultées ou acquises légalement. Par ailleurs, la Hadopi entreprend d'inviter les sites à compléter leurs catalogues lorsque lui est notifié un manque.

Cette action est justifiée par la volonté de communiquer au public l'existence de ressources légales et, ainsi, de contribuer à créer un contexte favorable à l'essor d'une demande respectueuse des droits.

La procédure de labellisation mise en oeuvre a été complétée par l'application de critères moins exigeants. Elle tendait à plafonner tant en nombre de plateformes labellisées (autour d'une soixantaine depuis 2 ans) que du point de vue de sa notoriété (autour de 6 % des internautes). Le nouveau site offrelegale.fr est plus riche.

Source : Hadopi

Il est intéressant de relever la structure des domaines concernés. En contraste avec la structure des usages, le livre numérique ressort comme le champ privilégié des sites légaux. Le crible de la Hadopi aboutit à mettre en évidence des secteurs qui ne sont pas les plus utilisés.

De même, la catégorisation par les modes d'accès, selon qu'ils sont gratuits ou payants, montre que le recensement réalisé par la Hadopi n'a pas pour effet de faire reculer la gratuité des usages. Dans près de 60 % des cas, les contenus sont accessibles gratuitement, les sites mentionnés se finançant, sans doute, par des ressources publicitaires.

Source : Hadopi

Pour autant, la Hadopi n'est évidemment pas à l'initiative du développement de l'offre légale et, au vu de la stabilité des usages illicites, qu'elle indique dans son rapport d'activité, il est difficile de peser sa contribution d'autant que d'autres intervenants (les sites eux-mêmes mais aussi des régulateurs sectoriels) s'efforcent de la promouvoir.

Enfin, il ne faut pas négliger les risques juridiques et de réputation pris dans cette activité.

Le monde de l'Internet particulièrement mouvant et des incertitudes entourent systématiquement certains aspects de sa conformité avec les lois, fiscales notamment. Il serait particulièrement dommageable pour la réputation de la Hadopi qu'elle puisse mettre en valeur des opérateurs indélicats sur d'autres points que la conformité avec la protection des droits d'auteur. Ajoutons que, même en ce domaine, le développement de pratiques innovantes (« les market places » par exemple) peut rendre caducs des « classements » un temps justifiés.

Ainsi, malgré son utilité présumée, cet axe de travail appelle une réévaluation.

4. La mission de régulation des MTP

La mission de régulation des mesures techniques de protection (MTP) consiste quant à elle à concilier la protection du droit d'auteur avec l'exercice des exceptions à ce droit ménagées par le législateur. Le droit national assure la protection des MTP aux articles L.331-5 à L.331-11 du CPI, les sanctions pénales encourues étant définies aux articles L.335-3-1 et suivants du même code. Une attention particulière est portée à l'interopérabilité et à l'exercice de l'exception pour copie privée. La BnF a ainsi pu recevoir le soutien de la Hadopi contre des MTP qui dénaturaient le dépôt légal.

Il faut espérer que les restrictions considérables apportées à la copie privée des programmes télévisés passant par un FAI soient enfin surmontées. Elles sont d'autant plus choquantes que la copie privée est en France rémunérée.

Plus largement, on peut attendre de la Hadopi qu'elle contribue pleinement à prévenir les situations de capture des consommateurs par segmentation des offres réalisée avec le concours des MTP, qui constituent une composante importante de la stratégie commerciale des firmes du numérique.

Cette action difficile pourrait passer par une analyse systématique des contrats proposés par ces firmes afin d'en éliminer les clauses les plus léonines. La Hadopi démontrerait par là qu'elle peut aussi être, pleinement, un bras armé du consumérisme numérique.

*

* *

Votre commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles » du projet de loi de finances pour 2015.

EXAMEN DES ARTICLES RATTACHÉS

Article 56 quinquies ( nouveau)

Commentaire : Le présent article a pour objet de reporter la date d'entrée en vigueur du I de l'article 27 de la loi de finances rectificative pour 2013 (n° 2013-1279 du 29 décembre 2013) élargissant les conditions d'éligibilité au crédit d'impôt dont bénéficient les créateurs de jeux vidéo.

I - Le droit concerné

Les créateurs de jeux vidéo bénéficient d'un crédit d'impôt au titre de certaines dépenses qu'ils exposent en vue de la création de jeux vidéo agréés.

Ce dispositif, qui constitue une aide d'État, est conditionné en tant que tel à un agrément de la Commission européenne dans le cadre du régime de notification des aides imposé aux États afin de préserver les conditions d'une concurrence libre et non faussée.

Le régime en vigueur, avant son élargissement par la loi de finances rectificative pour 2013 (LFR 2013) avait été validé par la Commission européenne.

La LFR 2013, en son article 27, a assoupli les conditions d'éligibilité au crédit d'impôt en étendant cet avantage fiscal à des jeux supportant un coût de développement supérieur ou égal à 100 000 euros inférieur au seuil prévu jusqu'alors (150 000 euros) et en élargissant l'assiette des dépenses considérées à certaines dépenses de personnel (des techniciens et personnels administratifs) jusqu'alors exclues du calcul du crédit d'impôt.

La LFR 2013 avait prévu que le nouveau dispositif entrerait en vigueur à une date fixée par décret et au plus tard le 1 er janvier 2015.

C'est cette perspective qui pose problème, la procédure de notification à la Commission européenne ne pouvant produire ses effets à la date envisagée.

Il est donc proposé de reporter la date d'entrée en vigueur de cette disposition à une date fixée par décret mais sans pouvoir être postérieure de six mois à la date de réception par le Gouvernement de la validation de la Commission européenne.

II - Observations

Votre rapporteur pour avis déplore que le Gouvernement n'ait pas été diligent s'agissant d'une aide indispensable à un secteur créateur d'emplois et de richesse.

On peut également s'interroger sur le délai désormais envisagé et souhaiter que le Gouvernement adopte immédiatement après réception de la validation souhaitable du nouveau dispositif le décret fixant la date d'entrée en vigueur du dispositif au plus près dans le temps.

Décision de la commission :

Votre commission de la culture, de l'éducation et de la communication vous propose d'adopter cet article sans modification .

Article 56 sexies ( nouveau)

Commentaire : le présent article a pour objet de reporter la date d'entrée en vigueur du III de l'article 28 de la loi de finances rectificative pour 2013 (n° 2013-1279 du 29 décembre 2013).

I - Le droit concerné

L'article 28 de la LFR 2013 a étendu sous certaines conditions le bénéfice du crédit d'impôt applicable aux créateurs de jeux vidéo aux oeuvres à destination d'un public adulte.

Le même problème que celui signalé dans le commentaire de l'article 56 quinquies ( nouveau) s'est posé.

II - Observations

Elles sont strictement identiques à celles produites pour l'article 56 quinquies (nouveau).

Décision de la commission :

Votre commission de la culture, de l'éducation et de la communication vous propose d'adopter cet article sans modification .

EXAMEN EN COMMISSION

Sous la présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente, la commission a examiné le 25 novembre 2014, le rapport pour avis de Mme Colette Mélot sur les crédits « Livre et industries culturelles » de la mission « Médias, Livre et industries culturelles » et sur les articles 56 quinquies et 56 sexies rattachés du projet de loi de finances pour 2015.

Mme Colette Mélot, rapporteur pour avis du programme « Livre et industries culturelles » de la mission « Médias, livre et industries culturelles » . - Avant d'envisager le projet de budget 2015 lui-même, je souhaiterais formuler quelques observations liminaires sur l'action publique dans les domaines qui nous occupent.

En premier lieu, j'indiquerai que les pouvoirs publics - et le Sénat a pris toute sa place dans ce processus - ont entrepris de poser l'architecture d'une régulation qui est vite apparue nécessaire mais en respectant les initiatives des acteurs. Nous avons voté une série de textes très structurants. J'en mentionne quelques-uns : les textes relatifs au prix du livre numérique, TVA comprise si j'ose dire, la législation sur la vente de livres à distance, la loi Hadopi... Mais nous avons aussi laissé aux acteurs le soin de se concilier. Je mentionnerai les négociations sur un nouveau contrat d'édition du livre à l'heure numérique ou, dans le secteur de la musique, le processus dit des « 13 engagements ». Sans doute devons-nous nous attendre à retrouver quelques-unes des problématiques qui restent pendantes dans le futur projet de loi sur la création. Dans le rapport que je vous présente, je n'ai pas mené une étude exhaustive de ces problèmes mais je me suis attachée à les exposer et à rendre compte des réflexions en cours. Ce qui est sûr, c'est que nous devrons faire des choix et je crois qu'il serait souhaitable que notre commission suive très attentivement l'amont de l'élaboration déjà avancée de ce projet de loi.

En deuxième lieu, je voudrais rappeler que tous les secteurs culturels sont pris dans des évolutions liées au numérique. Je voudrais juste faire part d'une certaine perplexité devant l'adaptation de l'action publique dans sa dimension la plus opérationnelle à cette donne.

Tout d'abord, il me semble que le numérique unifie les problématiques auxquelles sont confrontées les industries culturelles et qu'on n'a pas tiré les conséquences de cette transversalité. Les réponses continuent d'être apportées secteur par secteur. Il est bien possible que chaque secteur repose sur des équilibres singuliers. Cependant, je m'étonne que des régulations mises en oeuvre ici ne soient pas envisagées là. Le secteur le mieux régulé est incontestablement le livre. Pourquoi donc n'envisage-t-on pas d'appliquer à la musique ce qui fonctionne pour le livre ? Le secteur musical est-il si prospère qu'il puisse se passer d'une régulation plus ferme ? On crée un médiateur du livre. Très bien ! Pourquoi ne pas créer un médiateur de la musique ? A-t-on vraiment enterré l'idée de mieux réguler les pratiques commerciales de la musique numérique ? Autant de sujets de réflexion... Cette unification des problématiques s'est traduite par la création de la Hadopi. Je m'inquiète que cet organisme soit constamment remis en question. Ses performances peuvent être diversement appréciées et je formule quelques interrogations dans mon rapport écrit. Mais l'existence d'un protecteur dédié à la défense des droits de propriété intellectuelle mis à mal par le numérique me semble ne pas devoir être contestée en son principe. Et pourtant n'est-ce pas ce qui se produit subrepticement avec un projet de dotation incertain en ses effets ?

Unifiant les problématiques, le numérique les étend aussi largement et, à ce propos, c'est bien la force de la régulation qui doit être envisagée. Avons-nous fait tout le travail législatif qu'il faut ? Sans doute pas et nous devrons compléter l'édifice. Des problèmes nouveaux adviennent chaque jour, il faut s'y adapter et même, ce serait mieux, les anticiper. Mais que, déjà, on s'applique à mettre en oeuvre ce que nous avons voté ! Qu'on surveille activement les pratiques commerciales dans tous les domaines de diffusion des biens culturels ! Qu'on construise cette offre numérique que la France a choisi de développer ! Nous avons en partie manqué les stades du hardware et des réseaux. Ne manquons pas l'épisode des contenus !

Enfin, l'action publique est évidemment confrontée par le numérique au problème de ses frontières nationales. Que la France s'active sans relâche pour lutter contre l'évaporation hors de nos frontières de la valeur des créations et des consommations culturelles du pays ! Soyons présents sur le front de l'harmonisation fiscale et sociale et sur celui de la lutte contre l'évasion fiscale ! Qu'a fait notre pays ces dernières années pour faire progresser le projet d'unification des assiettes de l'impôt sur les sociétés ? Pourquoi n'avons-nous pas davantage avancé sur le problème de la TVA numérique alors que le Sénat avait été précurseur ? Disposons-nous aujourd'hui de toutes les garanties sur ce sujet ? En tout cas soyons très attentifs à ce que projette l'Europe en matière de droits d'auteur.

J'en viens au projet de budget.

Il pose plusieurs problèmes.

D'abord quelques éléments quantitatifs. Le programme « Livre et industries culturelles » comporte deux actions incommensurables : l'action 1 consacrée au livre absorbe 96,1 % des crédits du programme avec 258,2 millions d'euros de crédits de paiement. L'action 2 « industries culturelles » n'est dotée que de 10,3 millions d'euros de crédits.

Par ailleurs, les crédits prévus pour la politique du livre sont concentrés sur la Bibliothèque nationale de France avec au total plus de 220 millions d'euros.

En bref, on pourrait dire que le budget du programme est un budget BnF puisque celle-ci se voit consacrer 82 % des crédits du programme.

Les crédits du programme 334 pour 2015 connaissent des évolutions contrastées avec, d'un côté, une baisse pour les autorisations d'engagement (AE), qui passent de 315,6 millions d'euros - en loi de finances initiale pour 2014 - à 271,5 millions d'euros, soit une diminution de 44 millions d'euros et moins 14 %. D'un autre côté, les crédits de paiement (CP). Ceux-ci s'accroissent de 2,5 % ; ils gagnent 6,7 millions d'euros, passant de 261,8 à 268,5 millions d'euros.

L'effet de ciseaux entre les AE et les CP consacrés aux opérations d'investissement n'est pas une anomalie dès lors que des programmes d'investissement passés et non renouvelés, s'achèvent. Mais l'évolution, en 2014, des écarts entre la consommation des AE et leur couverture par des crédits de paiement recèle quelques motifs d'inquiétude pour les budgets futurs. Les restes à payer, qui atteignaient 12,2 millions d'euros fin 2013, suivent une trajectoire « explosive » en 2014, avec en perspective un niveau de 63,7 millions d'euros, soit près d'une année de CP budgétés au titre des dépenses d'investissement, d'intervention et d'opérations financières. Ce reliquat ne sera pas résorbé en une année budgétaire. Il pèsera sur les budgets à venir tant que des normes strictes de progression des dépenses publiques seront appliquées. Dans ce contexte, il faudra procéder à des arbitrages au détriment d'autres postes du budget du programme 334.

Seconde observation générale. Malgré l'augmentation des crédits de paiement, la gestion budgétaire se traduit par une exploration systématique des fonds de tiroir. Le bouclage des budgets des grands opérateurs du programme que sont le Centre national du livre, la Hadopi et la BnF repose sur une sollicitation souvent excessive et, en toute hypothèse, non soutenable de leurs fonds de réserve. Autrement dit, le Gouvernement ne budgète pas ses ambitions et celles que le Parlement valide lors de l'examen de la loi de finances ou dans les textes législatifs qu'il adopte.

J'en viens à quelques remarques particulières.

Notre commission a auditionné le président de la BnF et je me contenterai de souhaiter que l'établissement se libère un peu de son passé pour entrer dans un avenir que nous espérons tous brillant. C'est d'ailleurs ce à quoi il s'emploie et il est vraiment souhaitable que la numérisation en cours puisse progresser à un meilleur rythme, tout en laissant à la BnF tous les moyens de développer en ce domaine une offre d'excellence. Celle-ci est le vrai avantage comparatif d'un projet comme Gallica. Il faut soutenir ce projet et, je dirais même, lui donner toute l'ampleur qu'il mérite à l'heure où la francophonie doit être un atout pour la France mais aussi pour ses partenaires de langue. Tout cela mérite des investissements publics. Ils ne sont pas au rendez-vous du projet de budget, qui n'affiche qu'une progression purement optique des moyens de la BnF, due à des transferts financiers entre budgets ministériels pour couvrir les coûts du programme immobilier en cours de la bibliothèque.

Le Centre national du livre (CNL) accomplit, de son côté, une mission essentielle à la diversité de la création et des circuits de diffusion. Il a été sollicité ces deux dernières années dans des conditions tout à fait excessives. Son fonds de roulement est réduit à un petit mois de fonctionnement. Pèse en plus sur lui la menace d'un épuisement de ses ressources, mises à mal par les écrêtements pratiqués par Bercy et par la régression de leurs assiettes. Il faut souhaiter très vivement que les problèmes de financement du CNL soient résolus. À cet égard, je voudrais souligner la part essentielle prise par le CNL dans la politique de soutien à la numérisation et aux librairies. Celles-ci sont dans un état souvent critique. Nous les avons aidés, au printemps dernier, en adoptant la loi sur la vente à distance de livres. Ne détruisons pas, par un rationnement budgétaire à courte vue, ce que nous avons fait en cette occasion. Il y va des équilibres sans lesquels tout le secteur du livre risque de passer sous la domination des géants d'Internet.

Le dossier le plus symbolique du projet de budget, c'est, chacun le sait, le sort réservé à la Hadopi. D'un point de vue budgétaire, les enjeux sont raisonnables. C'est affaire de 1 à 2 millions d'euros, soit tout au plus 0,7 % des crédits demandés pour le programme 334 pour 2015. Mais l'asphyxie financière qu'a évoquée la présidente de la Hadopi lors de son audition par notre commission, le mercredi 2 juillet dernier, pose un problème de principe. Apparemment il n'est plus question d'une évolution institutionnelle, ou, pour le dire autrement, d'un rapprochement avec le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA). Certes les choix de la Hadopi peuvent être discutés. La contribution de la structure au développement de l'offre légale n'a peut-être pas toute l'efficacité qu'on lui prête. Les effets pédagogiques de la réponse graduée sont sans doute réels mais difficiles à prouver. Par ailleurs, le taux de sanctionnement judiciaire des usages illicites est d'une faiblesse insigne, ce qui peut désencombrer les tribunaux mais ne conforte pas la dimension dissuasive du dispositif.

Il n'empêche que cette autorité existe avec des missions qu'il faut respecter. Par ailleurs, même si certaines imprudences ont été commises, le personnel de la Hadopi, qui s'est vu offrir des contrats longs, doit être respecté. Enfin, l'effort bienvenu de moderniser les moyens de lutte contre la contrefaçon commerciale doit être soutenu. Il serait bon de se demander si certaines orientations ne devraient pas être rééquilibrées, mais aussi si les voies de saisine de la Hadopi ne pourraient pas être élargies, à l'État notamment. En tout cas, il n'est pas sain de créer des organismes et de leur refuser les moyens d'exercer leurs attributions.

Ce même problème existe d'ailleurs avec le médiateur du livre, dépourvu de tout moyen propre.

Ces tendances sont regrettables.

Je conclurai en abordant deux industries culturelles, l'une quasi sinistrée, la musique, l'autre, qui risque de le devenir si nous ne prenons pas conscience de la dimension de ses enjeux, le jeu vidéo.

La musique est un secteur qui a perdu 60 % de ses revenus depuis dix ans. Une forme de suspension de cette descente aux enfers peut être relevée ces dernières années. Mais les modèles d'offre légale qui ont émergé demeurent fragiles. En toute hypothèse, ni la captation de la valeur par les grands intervenants de l'aval, ni les questions aiguës des relations entre les grands producteurs et les plateformes ou entre producteurs et artistes ne sont réglées. La loi sur la création pourrait comporter des avancées. Il faudra suivre cela de près et nous pourrons nous reposer sur les contributions utiles de chacun, en particulier celles proposées par le rapport Phéline, du nom de son auteur, avec lequel j'ai eu des échanges utiles. On peut se féliciter que le crédit d'impôt phonographique sorte conforté du projet de loi de finances rectificative. Il conviendrait sans doute que la réponse graduée soit plus vigoureuse. En toute hypothèse, la proposition de créer une injonction prolongée de retrait des oeuvres devrait permettre d'éviter la situation ubuesque actuelle qui voit les ayants droit devoir adresser plus de 220 millions de notifications à Google. Le nombre des notifications quotidiennes en France est, du reste, déjà impressionnant, puisqu'il atteint le seuil des 50 000. Il faudra également se pencher sur les suites données aux recommandations d'exposition de la chanson française dans les médias afin que l'esprit des quotas soit mieux respecté.

Sur les jeux vidéo, première industrie culturelle du pays, du moins sous l'angle du chiffre d'affaires, avec plus de 3 milliards d'euros, je serai brève. Le risque est ici celui d'une délocalisation des studios et d'une fuite des talents vers des cieux où règne une clémence fiscalo-sociale sans égale sous nos latitudes. Le Gouvernement pourrait sans doute s'inspirer de certains dispositifs, afin, en particulier - car cela ne coûte pas très cher - de faciliter les financements accessibles aux jeunes unités de production. Il est excellent d'avoir abaissé le seuil d'éligibilité au fonds d'aide au jeu vidéo (FAJV) comme l'avait recommandé le groupe de travail sur les jeux vidéo du Sénat en septembre 2013. Les autres propositions de ce groupe de travail mériteraient d'être mieux prises en considération.

Madame la présidente, compte tenu de mes observations sur la soutenabilité budgétaire des crédits du programme 334 et de l'absence de décisions dont la programmation budgétaire pour 2015 devrait être accompagnée relativement aux missions confiées aux opérateurs, je recommande à la commission de donner un avis défavorable à l'adoption des crédits du programme.

Mme Françoise Cartron . - Je trouve que le secteur du livre a besoin de notre attention et de crédits. Rejeter les crédits n'est pas la bonne solution. On peut les considérer insuffisants. Ils sont indispensables pour entretenir la vitalité culturelle du pays.

Mme Marie-Annick Duchêne . - La position de Mme Cartron se défend, mais la recommandation du rapporteur pour avis ne vise pas à priver les secteurs de leurs crédits. Au contraire, il s'agit, compte tenu des limites imposées au pouvoir d'amendement des parlementaires, de refuser un budget insuffisant.

M. David Assouline. - Le rapport soulève des sujets légitimes mais adopte une posture outrancière dans la noirceur du tableau que vous avez dressé. Bien sûr nous devrons encore travailler pour maîtriser le numérique. Il est vrai que le livre est mieux régulé, mais la tâche est beaucoup plus difficile pour la musique, du fait des technologies employées et des acteurs concernés. Ce budget n'est pas si différent de ceux que vous souteniez il y a quelques années. Vous avez fait un choix politique respectable mais vous avez mésestimé l'engagement du Premier ministre de sanctuariser les lignes budgétaires concernant la culture. Il ne faut pas faire fi d'un effort qui est globalement apprécié.

Je finis sur la Hadopi. Cette institution est mal née. Depuis, elle a développé des missions dans des conditions qui méritent un examen. Il me semble qu'avec les crédits proposés la Hadopi a parfaitement les capacités d'accomplir ce pour quoi elle est faite. Si elle veut étendre ses missions, le législateur devra auparavant intervenir. Au demeurant, il faudra sûrement s'interroger sur la désignation de l'institution que nous chargerons de défendre la propriété intellectuelle et artistique. Le groupe socialiste votera les crédits sans manquer de faire les propositions qui s'imposent.

Mme Maryvonne Blondin . - Les crédits du programme sont de toute évidence absorbés par la BnF. Cette situation est en partie due à la rénovation du quadrilatère Richelieu qui mobilise d'autres moyens et représente un coût total considérable. Par ailleurs, le coût de fonctionnement de l'établissement dépasse 500 000 euros par jour, cette situation n'étant pas sans lien avec la dispersion des sites de la BnF. Nos territoires aimeraient bénéficier d'un tel soutien. Je m'intéresse, en particulier, au financement des contrats territoriaux de lecture. Sous cet angle, j'insiste pour que l'intervention déconcentrée du Centre national du livre soit préservée.

Mme Marie-Christine Blandin . - Madame le rapporteur pour avis a mis en évidence que la protection du livre contre les débordements par le numérique était plus avancée que pour les autres industries culturelles. Il faut cependant nuancer cette appréciation par la considération des pertes de droits du consommateur-lecteur qui, par exemple, se voit privé de la possibilité de prêt à son entourage immédiat. Cela étant, les membres du groupe écologiste préfèrent adopter les crédits en exprimant leur déception plutôt que d'exprimer leur déception en ne les adoptant pas.

Mme Françoise Férat . - L'examen du rapport permet d'envisager la totalité des questions auxquelles nous devons répondre. Le projet de budget n'apporte malheureusement pas les réponses qu'il faudrait. C'est notre rôle de prendre nos responsabilités et d'alerter, par notre position de vote, sur la situation très fragile du secteur des industries culturelles.

M. Michel Savin . - Je voudrais dire que je n'ai pas entendu de propos outranciers ni exagérés. Le projet de budget est inquiétant. Il faut alerter le Gouvernement.

Mme Colette Mélot, rapporteur pour avis . - Il ne me semble pas que le diagnostic du rapport fasse vraiment débat. Je veux saluer le travail accompli par les acteurs des secteurs culturels dont j'ai la charge. Ils ne sont pas suffisamment soutenus. Par ailleurs, je crois qu'il faut considérer l'action publique sous tous ses angles et les aspects budgétaires sont à l'image du reste. D'ailleurs, je voudrais bien savoir où en sont les projets de retour à la maîtrise de la valeur culturelle de la France. Quel niveau l'évaporation atteint-elle ? Que faisons-nous pour lutter contre le détournement de la valeur hors de nos frontières ? Quelles suites ont-elles été données au rapport Colin et Collin ? La sanctuarisation des crédits me semble quelque peu optique. Il y a des transferts entre budgets. Les opérateurs sont obligés de ponctionner leurs réserves déjà à l'étiage. La Hadopi n'a pas la réponse graduée pour seule compétence. D'autres missions sont très importantes comme la régulation des mesures techniques de protection.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Le contrôle de l'application des lois nous incombe. Quelques années après la création de la Hadopi, il serait utile de réunir des informations objectives et approfondies sur cette institution. Je vous propose de créer une mission d'information en ce sens. Elle nous sera utile pour préparer la loi création et la loi numérique. Je propose que nous passions maintenant à l'examen des deux articles rattachés à la mission.

Mme Colette Mélot, rapporteur pour avis . - L'Assemblée nationale a adopté deux amendements du Gouvernement, ajoutant ainsi deux articles au projet de loi de finances - articles 56 quinquies et 56 sexies - rattachés à la mission « Médias, livre et industries culturelles ».

La commission des finances en a préconisé l'adoption, recommandation que je partage.

Ce sont des dispositions purement formelles qui visent à décaler la date d'entrée en vigueur des mesures adoptées dans la loi de finances rectificative de décembre 2013, relatives à l'extension et au renforcement du crédit d'impôt jeux vidéo. Aux termes de la loi, les mesures votées en décembre 2013 devaient entrer en vigueur au plus tard le 1 er janvier 2015.

Ces dispositions correspondent à une aide d'État qui procure un avantage concurrentiel et doivent, à ce titre, préalablement, être notifiées à la Commission européenne ; elles requièrent son autorisation pour être appliquées.

Or, le Gouvernement ne les a notifiées que cet été. Ce manque de diligence est évidemment choquant, sachant que la loi a été adoptée fin décembre 2013. La Commission n'a pas encore statué, ce qui rend difficilement envisageable l'entrée en vigueur de ces dispositions dès le 1 er janvier 2015. Les deux articles rattachés tirent les conséquences de cette situation. Je voudrais me borner à formuler une observation et un souhait. Nous sommes trop souvent conduits à adopter des dispositions qui ne passent pas l'épreuve de l'examen européen, avec pour effet ce scénario bien déplaisant que constitue le prononcé contre la France de sanctions éventuellement coûteuses. Il faut être prudent.

Par ailleurs, je souhaite que, comme le régime de soutien précédemment en vigueur, le nouveau dispositif soit validé par la Commission.

M. Bruno Retailleau . - Je voudrais appuyer vos propos, madame la présidente, sur Hadopi. Bien peu d'entre nous s'étaient exprimés sur Hadopi pour refuser le dispositif. J'en faisais partie car il fallait défendre certaines libertés. Le Conseil Constitutionnel nous a donné raison. Les missions de la Hadopi sont claires. Le CSA a souhaité reprendre la main. Je l'aurais regretté car il faut au numérique un régulateur du numérique. Aujourd'hui, on étrangle l'institution financièrement. Cela nuit à la création française. Ainsi que l'a souligné notre rapporteur pour avis, ce n'est pas responsable.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente - Nous abordons maintenant les crédits du programme « Presse ».

(...)

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente - Nous allons maintenant émettre un avis sur l'ensemble de la mission « Médias, livre et industries culturelles ». Je rappelle les avis que nos rapporteurs proposent de donner : M. Jean-Pierre Leleux nous propose de donner un avis défavorable à l'adoption des crédits de l'audiovisuel, Mme Claudine Lepage de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de l'audiovisuel extérieur, Mme Colette Mélot de donner un avis défavorable à l'adoption des crédits du livre et des industries culturelles et M. Pierre Laurent de donner un avis défavorable à l'adoption des crédits de la presse.

La commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles » du projet de loi de finances pour 2015.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des articles 56 quinquies et 56 sexies du projet de loi de finances pour 2015 .

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

Hadopi

M. Éric WALTER, secrétaire général

Mme Pauline BLASSEL, secrétaire générale adjointe

M. Damien COMBREDET, responsable des relations institutionnelles

Centre national du livre

M. Vincent MONADÉ, président

Mme Véronique TRINH- MULLER, directrice générale

M. Luc DERAI, chef du département des relations extérieures

Syndicat de la librairie française

M. Mathieu de MONTCHALIN, président

M. Guillaume HUSSON, délégué général

Syndicat national de l'édition

Mme Christine de MAZIÈRES, déléguée générale

Syndicat national de l'édition phonographique

M. Guillaume LEBLANC, directeur général

M. Christian PHÉLINE, conseiller maître à la Cour des comptes, auteur du rapport « Musique en ligne et partage de la valeur - État des lieux, voies de négociation et rôles de la Loi ».

ANNEXE

Audition de Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication

Le 12 novembre 2014

Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication. - Madame la présidente, mesdames et messieurs les sénateurs, je veux remercier votre commission pour son invitation à venir présenter devant elle le budget de la culture pour 2015. Permettez-moi, puisqu'il s'agit de ma première audition au Sénat, de vous féliciter, madame la présidente, pour votre élection à la présidence de cette commission. Nous avons travaillé ensemble par le passé sur les questions d'équité fiscale en matière de numérique, aujourd'hui une ambition majeure nous réunit à nouveau : la culture.

Venons-en à ce budget qui est l'objet de nos débats.

Après deux ans de baisse et de rationalisation en 2013 et 2014, le budget du ministère de la culture et de la communication est conforté pour les trois prochaines années. Il connaît même une légère augmentation de 0,33 % en 2015 s'agissant de l'ensemble des crédits budgétaires pour s'élever à 7,08 milliards d'euros.

Cette stabilisation est bien le signe d'une priorité donnée par le Gouvernement à la culture et aux médias, dans le contexte de finances publiques que l'on connaît.

C'est un signe fort donné à l'égard de l'ensemble des professionnels, des artistes, des hommes et des femmes qui oeuvrent au quotidien pour notre patrimoine et notre création. C'est un engagement puissant aussi vis-à-vis des collectivités locales : l'État ne se désengage pas et reste à leurs côtés pour porter les politiques culturelles sur l'ensemble des territoires C'est un enjeu essentiel pour moi puisque, comme vous le savez, la culture est un champ de responsabilité éminemment partagé entre l'État et l'ensemble des niveaux de collectivités locales. À l'heure où les débats à venir dans le cadre de la loi relative à la nouvelle organisation territoriale de la République (loi NOTRe), de même que ceux qui ont eu lieu lors du vote de la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (MAPTAM), réinterrogent les modes de partenariat entre les collectivités et l'État et, à l'heure où la contrainte sur les finances publiques locales induit des retraits ou l'abandon de certains projets, il était indispensable de montrer que l'État continuera à prendre toute sa part.

Cette stabilisation du budget demandera de poursuivre les efforts, de maintenir des équilibres délicats. Mais elle permettra, en les hiérarchisant, de financer les priorités de mon action. Ces priorités transversales, j'ai déjà eu l'occasion de les évoquer lors de mon audition devant la commission des affaires culturelles il y a quelques semaines.

Il s'agit d'abord de repenser l'accès à la culture, en partant des pratiques culturelles des Français, et particulièrement des jeunes. Je suis heureuse aujourd'hui de pouvoir vous dire que le budget 2015 poursuit résolument l'effort en faveur de l'éducation artistique et culturelle qui aura vu ses moyens spécifiquement dédiés augmenter d'un tiers entre 2015 et 2012.

Il s'agit ensuite de renforcer l'excellence française pour en faire un instrument au service du rayonnement culturel de notre pays : le budget 2015 prévoit ainsi les moyens nécessaires à l'ouverture de la Philharmonie. Au-delà des questions, légitimes, sur le coût et l'avancement des travaux, c'est surtout un magnifique équipement d'excellence et de rayonnement qui permettra à notre pays de trouver une place sur la carte européenne et internationale des métropoles « qui comptent » en matière musicale. Engager, après deux années d'efforts importants, le processus de consolidation de nos opérateurs muséaux et patrimoniaux, c'est aussi leur permettre de poursuivre ou accélérer leurs initiatives comme le Centre Pompidou à Málaga ou le Louvre Abou Dhabi en faveur du rayonnement de nos collections et de nos savoir-faire à l'étranger.

Je souhaite enfin encourager le renouveau créatif, celui de nos artistes, de nos auteurs, de toutes nos industries culturelles. C'est pourquoi le budget 2015 préserve les crédits dédiés à la création dans son ensemble et met aussi l'accent sur les moyens dédiés aux écoles d'enseignement supérieur qui accueillent chaque année plus de 36 000 étudiants qui sont les créateurs de demain.

Ces grandes orientations se déclinent dans l'ensemble des politiques culturelles, multiples, que porte le ministère et que je souhaite vous présenter en commençant par les crédits de la mission culture.

Priorité à la jeunesse, il me semble important de pouvoir commencer mon propos par le programme transmission des savoirs et démocratisation de la culture qui permet de concrétiser deux priorités. La première, c'est la poursuite du plan en faveur de l'éducation artistique et culturelle. Il verra ses moyens augmenter pour atteindre 40 millions d'euros afin que les directions régionales des affaires culturelles (DRAC) - puisque cet argent, vous le savez, est déconcentré - puissent en particulier accompagner les collectivités locales et proposer des projets culturels de qualité sur le temps libéré par la réforme des rythmes scolaires : un tiers des activités proposées aux enfants concerne en effet une activité culturelle. C'est une véritable mobilisation de tous les acteurs de terrain, associations, bibliothèques, écoles de musiques, théâtres et compagnies, qui s'organise. Je souhaite que les DRAC soient encore plus présentes à leurs côtés. C'était un engagement : plus d'un tiers de ces crédits sont consacrés aux territoires issus de la cartographie prioritaire. C'est un choix politique que le Gouvernement assume. Car la culture joue un rôle majeur pour recréer du lien social et lutter contre les inégalités. C'est au fondement de la mission de ce ministère.

La seconde priorité est celle de l'enseignement supérieur, à commencer par les étudiants eux-mêmes, dont on connaît les conditions économiques parfois difficiles. J'augmenterai ainsi de plus de 14,5 % les bourses sur critères sociaux et les aides pour les étudiants, afin de ne pas fragiliser le recrutement des écoles parmi des populations à faible revenu. Il y va de notre responsabilité sociale. S'agissant des écoles elles-mêmes, le budget 2015 permettra de poursuivre la structuration des formations professionnalisantes. Pour mener à bien cet enjeu de structuration, j'ai dû faire le choix difficile de concentrer désormais les moyens sur les seuls conservatoires à rayonnement départemental et régional adossés à des pôles supérieurs d'enseignement du spectacle vivant, mission qui relève de la responsabilité de l'État. 2015 verra aussi, et j'en suis particulièrement heureuse, le lancement de nouveaux projets d'investissement, qu'il s'agisse de la création d'une école de la photographie à Arles ou de la modernisation nécessaire des écoles d'architecture de Marseille puis de Toulouse.

Des créateurs de demain aux créateurs d'aujourd'hui il n'y a qu'un pas. Le Premier ministre s'y était engagé dès le mois de juin dernier, les crédits du programme création sont consolidés, en 2015 mais aussi pour les trois années à venir. À l'heure où la mission tripartite de MM. Gille, Combrexelle et de Mme Archambault travaille avec l'ensemble des acteurs concernés sur des solutions viables et pérennes s'agissant du régime de l'intermittence, c'était un signe indispensable pour tous les professionnels de l'engagement de l'État en faveur de la création. Les moyens budgétaires alloués au spectacle vivant participent du reste à la structuration de l'économie de ce secteur et à l'amélioration des conditions d'emplois des artistes. On l'oublie trop souvent, mais ces moyens budgétaires représentent avant tout de l'emploi : l'aide aux compagnies, c'est la garantie de leur activité et de leur capacité à salarier les artistes. La commande publique est une source de revenus pour les auteurs et les plasticiens. Les subventions aux labels nationaux comme les centres dramatiques incluent des moyens de production qui, tout simplement, permettent de payer des artistes et des techniciens !

Je le disais en introduction, le budget de 2015 permet l'ouverture de la Philharmonie, un nouvel équipement de référence pour la diffusion musicale mais aussi pour la sensibilisation de nouveaux publics grâce à son programme éducatif ambitieux. Au-delà des vicissitudes de la fin du chantier, ce que marque ce budget 2015 est bien l'ouverture de l'établissement. Les crédits de l'État sont bien prévus, en matière de fonctionnement, la Philharmonie étant appelée à travailler, et c'est bien normal, dans un souci de synergie avec la Cité de la Musique et les structures musicales qu'elle accueillera.

D'un mot, j'évoquerai les arts plastiques, avec la rénovation des hôtels de Montfaucon et de Caumont qui accueilleront à Avignon la collection Lambert, plus grande donation faite depuis 20 ans en France, dont l'ouverture est prévue en juillet 2015.

Voilà, à grands traits, les points saillants des crédits budgétaires alloués au secteur de la création. Mes propos ne seraient pas complets si je n'évoquais pas avec vous la richesse des secteurs des patrimoines.

En matière d'archéologie, une subvention pour charge de service public de 5 millions d'euros sera mise en oeuvre pour l'Institut de recherches en archéologie préventive (INRAP). Il ne s'agit pas de modifier le régime de financement de cet opérateur dont nous aurons peut-être l'occasion de reparler - le ralentissement de l'économie, associé à la fin des difficultés dans les circuits de recouvrement, rend toujours l'équilibre financier de l'établissement fragile, mais bien de reconnaître pleinement l'existence des missions de service public qui lui sont confiées en matière scientifique comme territoriale.

Mais, plus généralement, en matière de patrimoines, l'État répondra aussi présent avec un maintien des crédits déconcentrés, soit plus de 224 millions d'euros s'agissant des monuments historiques, dont on sait l'importance pour les monuments, mais aussi pour l'emploi et l'activité économique de nos territoires. Du reste, et c'est un point saillant du budget 2015, grâce aux marges dégagées par la fin de grands chantiers décidée dès 2012, l'effort d'investissement peut aujourd'hui reprendre tout en s'accompagnant d'une vision plus structurée et plus rationnelle. Et ce grâce à l'élaboration de schémas directeurs d'entretien et de restauration qui se substituent progressivement à une logique d'opérations au coup par coup : l'État joue ainsi plus pleinement son rôle de contrôle scientifique et technique en se dotant d'outils plus efficaces et plus rationnels. Le schéma directeur de Versailles se poursuit, celui de Fontainebleau prend une nouvelle dimension opérationnelle alors que s'engagent les schémas du centre Pompidou et du Grand Palais.

L'amélioration de l'accueil du public sera également au coeur de nos priorités, avec la rénovation de l'accueil du musée de Cluny, la restitution au public de l'hôtel de la Marine grâce à la mobilisation des moyens et de l'expertise du Centre des monuments nationaux et de la Caisse des dépôts, le projet Pyramide du Musée du Louvre ou encore l'expérimentation de l'ouverture 7 jours sur 7, à l'horizon 2017, de trois grands musées nationaux très fréquentés que sont Versailles, le Louvre et le musée d'Orsay.

Même s'il s'agit d'un projet dématérialisé, c'est bien la meilleure accessibilité du public au patrimoine archivistique qui est aussi à l'oeuvre avec le projet interministériel de plateforme d'archivage électronique, dit VITAM. Grâce à la mobilisation des moyens des investissements d'avenir et suite à un travail de large coopération avec les ministères de la défense et des affaires étrangères, il permettra d'assurer la conservation des archives électroniques, de plus en plus importantes compte tenu de la dématérialisation croissante des décisions administratives. On aurait bien tort - c'en est un bel exemple - d'opposer patrimoine et modernité !

M. Philippe Nachbar, rapporteur pour avis des crédits du programme patrimoines . - Je vous remercie, madame la ministre, pour cette présentation, ainsi que pour l'annonce que vous avez faite d'une augmentation des crédits consacrés au patrimoine, qui revêt une grande importance pour notre pays, s'agissant de notre mémoire collective, mais aussi des emplois qu'il crée et maintient.

Je souhaiterais que vous nous donniez des informations sur les situations respectives de l'Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP) et du Centre des monuments nationaux.

M. David Assouline, rapporteur pour avis des crédits du programme création . - Même si, dans un contexte contraignant, le budget de la culture est inférieur à ce qu'il devrait être, force est de constater qu'il est stabilisé, en principe pour les trois ans à venir.

S'agissant du programme 131, les promesses ont été tenues et hors crédits alloués au chantier de la Philharmonie, nous aurions même pu observer une légère augmentation.

Le système de la taxe sur les spectacles, dont les recettes viennent principalement des grosses structures, telles que les Zénith ou le Palais omnisport de Bercy et qui alimente le Centre national de la chanson, des variétés et du jazz (CNV), est économiquement vertueux, dans la mesure où les sommes sont réemployées au bénéfice de lieux plus modestes. Je souhaitais vous interroger sur l'écrêtement actuel, fixé à 29 millions d'euros et que l'on peut considérer comme acceptable, sinon dans son principe, du moins dans son montant : pouvez-vous nous garantir un maintien à ce niveau dans les années qui viennent ?

La taxe sur la valeur ajoutée (TVA) appliquée aux oeuvres d'art importées est de 5 %, alors que celle imposée aux oeuvres créées en France est de 10 %. Ce protectionnisme inversé m'apparaît tout à fait anormal et je déposerai un amendement sur cette question.

De même, dans le secteur du cinéma, le crédit d'impôt proposé aux sociétés étrangères étant plus important que celui accessible aux entreprises françaises, celles-ci sont tentées de passer par l'international pour obtenir des conditions plus avantageuses : le plafond appliqué aux entreprises françaises devrait être relevé.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - En l'absence de notre collègue Jean-Claude Luche, rapporteur pour avis sur les crédits du programme Transmission des savoirs et démocratisation de la culture, je souhaiterais aborder la question de l'éducation artistique et culturelle et vous interroger sur l'articulation des actions respectives de votre ministère et du ministère de l'éducation nationale, ainsi que sur la cartographie des priorités susceptibles de se mettre en place en ce domaine, telles que la ruralité ou les activités péri-scolaires.

Par ailleurs, j'aimerais avoir des précisions sur l'avancée de la politique des pôles supérieurs d'enseignement du spectacle vivant, ainsi que sur la situation des conservatoires, dont certains pourraient être menacés par les diminutions de leurs subventions.

Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication . - M. Nachbar m'a interrogée sur la redevance d'archéologie préventive (RAP) qui s'applique aux travaux soumis à une étude d'impact et sur les travaux soumis à permis de construire et alimente l'Institut de recherches archéologiques préventives (INRAP), les collectivités agréées, ainsi que le fonds national d'archéologie préventive. La refonte de la RAP a été adoptée en deux temps, en loi de finances rectificative pour 2011 puis en loi de finances pour 2012 : effective à partir de 2013, elle n'atteindra son plein rendement qu'en 2016, après résorption des difficultés de liquidation rencontrées en 2014, qui ont quelque peu menacé l'équilibre financier de l'INRAP, au point que le ministère de la culture a dû lui consentir à des avances de trésorerie. Aujourd'hui les circuits d'ordonnancement et de liquidation fonctionnent.

La double mission du Centre des monuments nationaux consiste à conserver les monuments appartenant à l'État tout en les ouvrant au public - lorsque c'est possible - à l'instar du fort de Brégançon, récemment, ou de l'hôtel de la Marine en 2017. La subvention d'investissement passe de 18 à 18,5 millions d'euros et sa subvention de fonctionnement passe de 6 à 9 millions d'euros.

À M. Assouline qui m'interrogeait sur le CNV, je voudrais préciser que nous préparons un certain nombre de mesures en faveur de la filière musicale pour la diversité culturelle et pour l'émergence de nouveaux talents avec des aides, non pas seulement aux « majors » mais aussi aux petites entreprises du secteur. Le CNV sera un outil essentiel de notre politique et j'ai pu obtenir en réunion interministérielle que la taxe qui lui est reversée ne soit pas écrêtée. Plus précisément, le plafond de la taxe sera déterminé en fonction de son rendement, afin de préserver les ressources des bénéficiaires : en 2014, les recettes attendues se situant entre 28,3 et 28,8 millions d'euros, le plafond sera fixé à 29 millions. Les recettes prévisibles en 2015 s'élevant à environ 30 millions d'euros, le plafond évoluera en conséquence.

Je suis en plein accord avec ce que vous avez rappelé s'agissant de la TVA appliquée aux oeuvres d'art. Je n'ai pas, à ce jour, la possibilité de proposer un amendement sur ce point, ceci d'autant moins que nous ne disposons pas encore de données fiables sur la perte fiscale qu'un retour au taux antérieur représenterait. Mais nous y travaillons.

S'agissant du crédit d'impôt cinéma, et face à la mobilité des tournages, j'ai fait un certain nombre de propositions visant à rendre notre dispositif aussi attractif que les dispositifs mis en place à l'étranger. Elles n'ont pu être prises en compte, pour l'instant, mais cela fait partie de mes objectifs.

En matière d'éducation artistique et culturelle, Mme la présidente, Najat Vallaud-Belkacem et moi-même sommes en train d'élaborer une feuille de route conjointe, qui sera présentée en décembre, visant à réduire les difficultés qui, dans le passé, ont pu nuire à une collaboration fructueuse entre nos deux ministères. Mon action va notamment se concentrer sur le temps péri-scolaire qui m'apparaît être un temps à privilégier pour ce type d'apprentissages.

Vous avez aussi évoqué la cartographie prioritaire, dont nous souhaitons qu'elle accentue les efforts consentis en direction des zones d'éducation prioritaires urbaines, mais aussi des zones rurales : j'assisterai la semaine prochaine aux assises de la ruralité.

Il existe aujourd'hui sept pôles d'enseignement supérieur du spectacle vivant et le prochain sera créé à Aix-Marseille.

J'évoquerai enfin les crédits recentrés des enseignements spécialisés, qui n'ont pas encore pu être attribués aux collectivités comme le prévoyait la loi de 2004, faute d'avoir trouvé un accord sur le niveau de décentralisation pertinent, que ce soit la ville ou la région.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - J'appelle maintenant un orateur représentant chaque groupe à s'exprimer, dans la limite des trois minutes que nous avons fixées ce matin lors de la réunion du bureau de la commission.

Mme Françoise Férat . - Ma question ne porte pas directement sur les crédits, il s'agit davantage d'une question politique.

Nous avions déposé, avec mon collègue Jacques Legendre, une proposition de loi portant sur le patrimoine, qui devait être intégrée et étoffée dans un projet de loi porté par le ministère de la culture. Auriez-vous un calendrier prévisionnel à nous communiquer au sujet de ce projet de loi que l'on annonce depuis longtemps déjà ?

Par ailleurs, la presse s'est faite l'écho d'un possible financement du CMN par prélèvement sur les gains d'un tirage exceptionnel du Loto. Quel est votre sentiment à ce sujet ?

Mme Maryvonne Blondin . - Le budget de la création est préservé et nous en sommes tous heureux. Néanmoins, des interrogations demeurent, notamment en ce qui concerne les intermittents du spectacle, sujet sur lequel notre commission a beaucoup travaillé.

Vous avez évoqué l'augmentation du budget des établissements supérieurs. Avez-vous des informations sur le devenir des étudiants à l'issue de leurs études? Comment les aider dans leurs réalisations concrètes ?

La Philharmonie de Paris a été récemment évoquée dans la presse sous un titre évocateur : « Paris en disharmonie avec sa philharmonie ». Il semblerait que la Ville de Paris ait du mal à compléter le surcoût phénoménal de construction de cette structure. Avez-vous des éclaircissements à nous donner sur ce sujet ?

Les crédits du Fonds de soutien à l'expression radiophonique locale pour l'année 2014 font l'objet d'une mise en réserve à hauteur de 7 % de l'autorisation budgétaire. Cette mise en réserve sera-t-elle levée d'ici la fin de l'exercice ?

En ce qui concerne le projet de loi relatif au patrimoine et à la création, comptez-vous y intégrer les pratiques amateurs, qui sont particulièrement développées dans certaines régions et notamment en Bretagne ?

Enfin, pouvez-vous nous communiquer des informations sur la mise en place des conférences territoriales de l'action publique (CTAP) dans le domaine de la culture ?

M. Pierre Laurent . - Vous nous avez présenté la stabilisation pour les trois années à venir de crédits qui ont pourtant reculé deux années de suite. Je n'y vois pas là un motif de satisfaction. Je suis également préoccupé par la baisse programmée des budgets des collectivités territoriales, qui constituent l'autre pilier du soutien à la politique culturelle, et qui laisse présager une diminution de la dépense globale en faveur de la culture.

J'ai deux questions à vous soumettre. Premièrement, quid de la grande loi sur la création artistique ? Un calendrier est-il envisagé ? Va-t-on enfin pouvoir parler sérieusement d'ambition culturelle et non plus seulement de rigueur budgétaire ? J'espère que nous pourrons, dès 2015, avoir ce débat qui n'a toujours pas eu lieu. Cela constitue un motif de préoccupation des professions artistiques, en tout cas de tous ceux que j'ai eu l'occasion de rencontrer.

Par ailleurs, l'échéance de décembre prochain, promise pour la remise du rapport de la mission sur les intermittents du spectacle, approche à grands pas. Il s'agit là d'une échéance cruciale, puisque, au cas où elle ne déboucherait pas sur une véritable solution, nous risquons de nous retrouver dans une impasse. Quel est votre sentiment à ce sujet ? Les travaux d'expertise se poursuivent, mais pensez-vous que l'on se dirige vers une solution satisfaisante ?

Mme Marie-Christine Blandin . - J'ai trois courtes questions. Tout d'abord, au sujet de l'évolution des crédits : si l'on ne considère pas les sommes consacrées au fonctionnement de la Philharmonie de Paris, ce budget est-il toujours en augmentation ?

En ce qui concerne l'éducation artistique et culturelle, nous avons bien compris que vous faisiez du développement des activités sur le temps périscolaire votre priorité. Néanmoins, le ministère de la culture financera-t-il encore des activités organisées dans le temps scolaire obligatoire ?

Enfin, en ce qui concerne les intermittents du spectacle, je considère qu'il ne peut y avoir de culture sans artistes. J'ajouterai un sujet qui nous préoccupe particulièrement, à savoir les retraites et la couverture sociale des intermittents et notamment des artistes. En effet, les artistes ont la particularité de cotiser deux fois : tantôt en tant que salariés, mais sans jamais atteindre le plafond nécessaire pour l'ouverture de droits, tantôt auprès de l'association pour la gestion de la sécurité sociale des auteurs (Agessa). Cette double cotisation ne leur rapporte quasiment rien. La loi sur la création devait prévoir une solution à ce problème. De plus, les amendements déposés en ce sens à l'occasion du projet de loi de finances pour 2015 ont tous été déclarés irrecevables au titre de l'article 40 de la Constitution, alors que cela ne coûterait pas un centime aux collectivités et à l'État. Seul le Gouvernement est en mesure de déposer cet amendement en faveur de la retraite des artistes percevant des droits d'auteur.

M. Jean-Pierre Leleux. - J'interviendrai tout à l'heure sur la mission médias, livre et industries culturelles. Ma question porte sur le cinéma et plus particulièrement sur l'évolution de la chronologie des médias. Le débat est ouvert depuis très longtemps sur son éventuelle remise en cause. Quelle est votre position à ce sujet ?

Une demande émane de producteurs de spectacle vivant, visant à créer un droit sui generis afin de tenir compte de la multiplication des captations et des diffusions de leurs spectacles, notamment sur Internet et sur les réseaux sociaux, qui échappent en partie à ce qu'ils considèrent comme un droit à percevoir. Qu'en pensez-vous ?

Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication . - Le projet de loi sur la création devrait être examiné en première lecture au printemps prochain. Il comportera deux grands volets : l'un sur la création, où nous affirmerons notre attachement aux grands principes liés à la liberté de la création, aussi bien qu'au soutien public à la création, à la protection sociale des artistes et à l'accessibilité des oeuvres ; le second volet portera sur l'architecture et le patrimoine, avec des mesures visant la préservation et la valorisation du patrimoine, les espaces protégés. Ce sera également l'occasion de mener un débat sur la place de l'architecture actuelle dans les politiques urbaines.

Je suis très attachée aux pratiques amateurs, parce qu'elles comptent dans la vie de nos concitoyens, pour leur vie quotidienne aussi bien que comme vecteur d'accès à la culture et aux vocations artistiques. À ce stade, le projet de loi ne comporte pas de mesures sur ces pratiques, il n'y a pas eu de concertation avec les professionnels, mais il y a effectivement matière à débat, en particulier pour sécuriser le bénévolat.

Un tirage spécial du Loto pourrait-il abonder les crédits consacrés au patrimoine ? À l'Assemblée nationale, le Gouvernement a accepté un amendement, venu des bancs de l'opposition, pour remettre au Parlement avant mars 2015 un rapport sur la possibilité « d'affecter au Centre des monuments nationaux les bénéfices d'un tirage exceptionnel du Loto réalisé à l'occasion des Journées européennes du patrimoine » : c'est dire que nous ne sommes pas fermés aux propositions utiles de l'opposition, nous y travaillerons, en regardant notamment les expériences de nos voisins britanniques.

La question de l'avenir professionnel des étudiants en écoles d'art et en écoles du spectacle est évidemment centrale ; l'activité artistique et des métiers du spectacle se développe, mais le nombre d'étudiants a progressé plus vite encore depuis une dizaine d'années : le travail est donc à partager entre un nombre toujours plus grand de professionnels ; c'est bien pourquoi nous devons faire connaître les spectacles, soutenir les festivals : la solution est du côté de l'activité.

La fin du chantier de la Philharmonie de Paris rencontre, effectivement, des difficultés. Ce qu'il faut assurer cependant, maintenant que nous ne sommes plus qu'à deux mois de l'échéance, c'est que l'ouverture de cet équipement exceptionnel soit une réussite : les meilleurs acousticiens du monde y ont travaillé, nous avons là de quoi être fiers, Paris est au centre de l'attention comme il l'a été avec l'ouverture de la Fondation Louis Vuitton, du Musée Picasso restauré, de la Foire internationale d'art contemporain (Fiac). Le projet avait été sous-dimensionné, les ultimes dépassements sont évalués à 45 millions : le Gouvernement s'est engagé à les prendre en charge pour tenir les délais et que l'ouverture ait lieu comme prévu.

Le Fonds de soutien à l'expression radiophonique local est effectivement abondé par des crédits budgétaires et non par une taxe affectée. À ce titre, il subit la mise en réserve de 7 % des crédits, dont j'espère, comme vous, un dégel très rapide.

S'agissant des intermittents, la mission de concertation confiée à Hortense Archambault, Jean-Denis Combrexelle et Jean-Patrick Gille poursuit ses travaux. Une première étape a été franchie, chacun s'accordant désormais sur les chiffres, ce qui était nécessaire pour évaluer l'impact de toute mesure portant sur l'indemnisation ; la mission rendra son rapport en décembre, comme prévu.

Les nouveaux moyens consacrés à l'éducation artistique et culturelle hors temps scolaire, ou pendant le temps périscolaire, n'enlèvent rien à ceux des actions conduites pendant le temps scolaire : les options facultatives, l'éducation à l'image, tout ce qui existe actuellement est maintenu.

Le programme 131 est en légère hausse, même hors dépenses exceptionnelles pour la Philharmonie de Paris : c'est bien comme cela qu'il faut lire les chiffres.

La possibilité pour les auteurs de cumuler leur retraite et un emploi est effectivement un sujet, il faut y travailler et nous examinerons l'amendement que vous nous annoncez, monsieur Assouline.

La chronologie des médias relève d'un accord interprofessionnel, je crois pouvoir dire que l'ensemble des professionnels conviennent qu'il faut aménager la chronologie actuelle, pour l'adapter à l'évolution des usages. Les négociations se poursuivent sur un plan très concret et le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) joue le rôle qui doit être le sien, celui de facilitateur.

Enfin, l'Inspection générale des affaires culturelles n'a pas jugé utile de définir un droit sui generis pour les captations vidéos de spectacles : la question n'est pas à l'ordre du jour.

Mme Sylvie Robert . - Quelles conséquences le projet de loi pour une nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) aura-t-il sur l'organisation des politiques culturelles ? Des conférences territoriales de l'action publique se sont-elles saisies de ce sujet ? La culture a-t-elle fait l'objet d'une demande de délégation de compétence ? Comment les services déconcentrés de l'État vont-ils évoluer ?

Mme Françoise Cartron . - Vous évoquez de nouveaux moyens pour l'accompagnement des nouveaux rythmes scolaires : feront-ils l'objet d'une ligne spécifique, par exemple au sein des crédits des DRAC ? Viseront-ils les lieux, ou les compagnies ? Où pourra-t-on s'adresser ? Quelle en sera la répartition dans les territoires ?

Ensuite, quelle conséquence la loi NOTRe aura-t-elle sur les fonds régionaux d'art contemporain (FRAC) : suivront-ils l'évolution des DRAC ?

M. Christian Manable . - Les centres culturels de rencontres (CCR), au carrefour de la création actuelle et de la valorisation du patrimoine, sont des outils tout à fait intéressants pour développer la culture dans les territoires - je pense à celui que j'ai quelque raison de bien connaître, le CCR Saint-Riquier, en baie de Somme. Cependant, les CCR anciens touchent davantage de subventions que les jeunes, alors que les opérations les plus récentes ont besoin le plus de soutien, surtout lorsque les réhabilitations ont été coûteuses : pourquoi cette prime à l'ancienneté dans les subventions ?

M. Jacques Grosperrin . - Les crédits de la culture sont-ils « sanctuarisés », le train de réformes avance-t-il à bon rythme ? En réalité, les crédits n'ont pas cessé de diminuer ces dernières années et les réformes ont été constamment reportées, à l'instar de la loi « création » que vous nous annoncez maintenant pour le printemps prochain... Une question, cependant : pourquoi les crédits reculent-ils pour le spectacle vivant alors qu'ils se maintiennent pour les arts plastiques ? N'est-ce pas le signe que, dans tous les cas, vous comptez sur les collectivités territoriales pour suppléer l'État ?

Mme Nicole Duranton . - Héritières de la décentralisation culturelle et fruit de la coopération entre l'État et les collectivités locales, les quelque 70 scènes nationales forment le premier réseau pour la production et la diffusion de spectacles vivants dans notre pays. Cependant, leurs directeurs - et directrices - s'inquiètent des conséquences de la loi NOTRe : un transfert à la région est-il à l'ordre du jour ? Ce serait la fin pour plusieurs scènes nationales... Que leur répondez-vous ?

Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication . - Le projet de loi NOTRe revient sur la clause générale de compétence, mais la culture y est explicitement inscrite parmi les compétences partagées : l'État et les collectivités territoriales auront à en débattre au sein des conférences territoriales de l'action publique (CTAP), c'est cohérent avec les pratiques en cours depuis de nombreuses années. Des CTAP se sont déjà saisies du sujet : la région Bretagne, par exemple, demande à exercer la compétence Livre et Cinéma, dans le cadre du Pacte d'avenir pour la Bretagne.

Les services déconcentrés de la culture évolueront, je l'ai dit aux préfets et aux directeurs régionaux. Cependant, l'échelon administratif de proximité restera indispensable à la mise en oeuvre des politiques nationales, c'est particulièrement vrai pour la culture. Les services auront donc tout leur rôle à jouer pour cette proximité, autant que pour l'expertise des politiques publiques ; il est possible, aussi, d'adapter les interventions aux territoires : par exemple pour intervenir davantage dans les « zones blanches », peu couvertes par l'offre culturelle, tout ceci fera l'objet de négociations.

Il n'est pas prévu de décentraliser les scènes nationales ; cependant, si une collectivité demande la compétence, il en sera débattu en CTAP.

Les FRAC viennent de fêter leur 30 e anniversaire, c'est un acquis des politiques culturelles de l'État et des régions, en témoignent les quelque 25 000 oeuvres qu'ils ont achetées et qu'ils conservent ; la nouvelle carte régionale les renforcera, en particulier pour la circulation des oeuvres d'art : ce sera un atout, plutôt qu'un affaiblissement.

Les CCR les plus anciens reçoivent effectivement davantage de subventions, parce que l'État les a créés seuls, dans des bâtiments qui lui appartiennent et dont il a la charge - par exemple la chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon.

S'agissant de la mission médias, presse et industries culturelles, l'augmentation est de 0,42 % avec près de 4,4 milliards de crédits. Le CNC pourra quant à lui pleinement utiliser l'ensemble de ses ressources, sans qu'aucune ponction ne soit effectuée sur ses réserves.

Là encore, la mission médias matérialise parfaitement les grandes ambitions politiques que j'ai souhaité mettre en avant avec ce budget.

Un exemple, que j'évoquais en ouverture de mon propos : celui de la nécessité de renforcer l'excellence française pour en faire un instrument au service du rayonnement culturel de notre pays. La mission média illustre parfaitement cette priorité, puisqu'elle comporte de nombreux champions nationaux, si l'on songe à l'Agence France-Presse (AFP) ou à notre modèle de financement cinématographique.

Un mot de chaque secteur de cette mission budgétaire afin de vous en donner les grandes lignes et rappeler nos priorités et l'ambition du Gouvernement.

Dans le secteur audiovisuel, en cohérence avec la loi de novembre 2013 confiant à nouveau au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) le pouvoir de nommer les présidents des sociétés de l'audiovisuel public, le Gouvernement a fait le choix de renforcer l'indépendance financière de ces sociétés en réduisant progressivement la part de leur financement public reposant sur le budget général qui aura disparu en 2017. La diminution de 102,7 millions d'euros de subvention de 2015 sera compensée par la hausse des apports de la contribution à l'audiovisuel public (redevance) qui progressera de 3 euros en 2015 en métropole et de 1 euro en Outre-Mer. Par ailleurs, comme vous le savez, une réintroduction de la publicité en soirée sur les antennes nationales du service public n'a pas été retenue pour l'année 2015 car elle aurait, sans étude d'impact préalable solide, potentiellement déstabilisé un secteur audiovisuel confronté à un marché publicitaire en crise et à l'arrivée de nouveaux acteurs réinterrogeant leur modèle économique. Parallèlement, comme l'a annoncé le Président de la République, une réflexion doit être engagée sur la modernisation du financement de l'audiovisuel public au-delà de 2015, le Parlement y sera évidemment associé.

La stabilisation des crédits de l'audiovisuel public sur les trois prochaines années nécessitera de la part des sociétés un réel effort de maîtrise et d'économies, compte tenu de la progression automatique de certaines de leurs charges. Cependant, il ne remettra pas en cause leur capacité à assurer leurs missions : ainsi, les grands équilibres des contrats d'objectifs et de moyens de France Télévisions et de France Médias Monde sont respectés, les dotations publiques à Radio France et Arte sont stables ou en légère progression, et la dotation de l'Institut national de l'audiovisuel (INA) retrouve un niveau proche de celui de 2013, après la diminution exceptionnelle de 20 millions d'euros de l'an passé compte tenu du prélèvement sur son fonds de roulement. Le Président de la République souhaite, par ailleurs, que l'État clarifie sa vision stratégique du rôle et des missions de France Télévisions à l'horizon 2020, avant que le CSA ne nomme le président ou la présidente du principal opérateur du service public de l'audiovisuel au printemps prochain. Mes services et ceux du ministère des finances engagent ce travail sur lequel vous serez bien entendu consultés.

Dans le secteur du cinéma, le Gouvernement n'affectera pas les capacités d'action du CNC par un prélèvement sur les réserves de l'établissement. De même, il ne sera procédé à aucun plafonnement des taxes prélevées sur le marché de la diffusion cinéma et audiovisuelle, conformément à la décision prise dès son arrivée par la majorité de restaurer l'intégrité du modèle de financement mutualiste du fonds de soutien au cinéma et à l'audiovisuel. Au contraire, afin de prendre en compte le recul prévisionnel de 10 % des recettes attendues du CNC par rapport au budget primitif 2014, l'établissement sera autorisé à puiser dans sa réserve de solidarité pluriannuelle pour amortir l'impact conjoncturel de cette baisse sur les investissements du secteur et éviter ainsi un effet récessif préjudiciable à la diversité de la création et à l'emploi.

L'année 2015 sera pour le CNC l'occasion de poursuivre les actions de modernisation des soutiens cinématographiques et audiovisuels, pour soutenir la création, promouvoir la diffusion sur tous les supports d'oeuvres françaises dans toute leur diversité, consolider les entreprises et renforcer leur compétitivité y compris à l'export, et rendre plus transparentes les relations entre professionnels. 2015 verra aussi la mise en oeuvre effective, après autorisation de la Commission, des dispositifs de soutien automatique et sélectif en faveur de la vidéo à la demande, dont l'objectif est de mieux structurer l'offre légale française, pour favoriser notamment la meilleure visibilité pour le public.

Un autre des enjeux qu'il nous appartiendra collectivement de relever dans les mois à venir est celui de la mutation structurelle du secteur de la presse. Conformément à l'engagement du Président de la République, l'année 2014 a été consacrée à la réforme des dispositifs des aides à la presse élaborée en 2013 : désormais, le fonds stratégique pour le développement de la presse est modernisé en faveur de la transition numérique, par un décret de juillet dernier. Nous ne distinguons plus aujourd'hui entre la presse papier et la presse en ligne car, comme le Gouvernement a eu l'occasion de l'affirmer lors de l'abaissement du taux de TVA aux services de presse en ligne, il n'existe pas de distinction fondamentale entre les supports d'accès à l'information : le principe de neutralité technologique doit s'appliquer. De même, le fonds stratégique privilégie désormais les projets mutualisés - c'est indispensable à l'heure de la contraction des volumes que nous constatons - de même qu'il s'est adjoint des compétences d'experts en matière numérique, afin d'être plus pertinent et plus réactif dans le choix des projets financés. Parallèlement, les critères de l'aide au portage ont été refondus, conformément aux engagements : si l'année 2014 est bien une année de transition, le dispositif créé met fin à la distinction, si souvent critiquée, entre aide au flux et aide au stock. Afin de mutualiser les outils de production, l'aide est désormais versée aux réseaux de portage eux-mêmes, et elle est bonifiée en cas de portage multi-titres. De la même manière, l'aide versée aux éditeurs prend désormais davantage en compte l'évolution des volumes portés, tout en étant plus prévisible : c'est désormais, je crois, une aide plus intelligente et plus efficace pour faire évoluer les comportements économiques.

Il n'en reste pas moins que des enjeux d'ampleur attendent la presse dans les mois qui viennent, notamment dans le domaine de sa diffusion : les travaux d'inspection menés conjointement par l'Inspection générale des affaires culturelles (IGAC), l'Inspection générale des finances (IGF) et le Conseil général de l'économie, de l'industrie, de l'énergie et des technologies (CGIET) sur l'avenir de la diffusion, chargé de faire des propositions de schéma industriel soutenables pour les trois réseaux actuels de diffusion, le portage, le postage et la vente au numéro sont en cours de finalisation. La chute des volumes constatée depuis deux ans, de près de 10 % par an pour la vente au numéro s'agissant de la presse quotidienne nationale (PQN), de 3 à 5 % pour les autres acteurs, ne sera pas soutenable pour la filière si l'ensemble de celle-ci n'engage pas des réformes à la hauteur des enjeux. Car ce sont bien les éditeurs eux-mêmes et les autres acteurs de la filière qui ont en main les conditions de leur mutation. Cela passe par l'ouverture résolue des réseaux de portage, par une mutualisation des moyens à la disposition des messageries - je ne peux qu'insister pour que les travaux engagés entre Presstalis et les Messageries lyonnaises de presse (MLP) autour de leur système d'information commun accélèrent leur résultat afin de générer les économies et les améliorations de services attendues par tous. Cela passe aussi par une recherche de plus grande efficacité économique du postage : les travaux en cours entre La Poste et la presse magazine doivent porter leurs fruits. Dans ce contexte, les moyens en faveur des différents réseaux de diffusion de la presse sont préservés en 2015, dans mon budget ou dans celui de mon collègue en charge de l'économie.

Les moyens en faveur du pluralisme sont également préservés.

Mais dans ce contexte de forte mutation, l'État a souhaité concentrer ses moyens en faveur de la qualité de l'information : c'est le sens de la priorité appuyée du Gouvernement à l'Agence France-Presse (AFP) qui verra ses moyens augmenter de 5 millions d'euros en 2015. Ce soutien budgétaire est un élément d'un soutien plus large à ce champion national que constitue l'AFP, l'une des trois seules agences de presse d'échelle mondiale. Non seulement l'agence participe pleinement du rayonnement de notre pays à l'étranger mais elle permet à l'ensemble de nos journaux, y compris sur les théâtres difficiles d'opération où les éditeurs peinent désormais à envoyer leurs journalistes, de disposer d'une information de qualité. L'année 2014 a ainsi permis de sécuriser le financement public de l'agence au plan communautaire, et d'élaborer, grâce aux travaux du député Michel Françaix, les voies et moyens d'assurer la nouvelle vague d'investissements nécessaires à la complète mutation numérique de l'agence. Le contrat d'objectifs et de moyens de l'AFP qui devra être signé avant la fin de l'année traduira l'ambition que nous avons collectivement pour le devenir de l'agence.

Mes propos ne seraient pas complets si je n'évoquais pas avec vous les crédits en faveur des industries culturelles. Les crédits de la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) sont maintenus cette année au même montant que ceux de l'année dernière, 6 millions d'euros. Ce montant a été retenu, en tenant compte de la situation financière globale de cette autorité administrative qui pourra encore, en 2015, et même s'il s'agit probablement là de la dernière année où cette solution pourra être retenue, prélever sur son fonds de roulement pour assurer le financement de ses missions.

En matière de livre et de lecture enfin, je suis heureuse que ce programme puisse illustrer, après deux années d'efforts très importants, une reprise des capacités d'investissement du ministère de la culture. L'avancement du grand chantier de remise aux normes du site Richelieu de la Bibliothèque nationale de France (BnF) pèse désormais moins sur notre budget. Cette marge de manoeuvre sera redéployée, à la fois pour augmenter la dotation dédiée aux travaux de maintenance, de renouvellement et de mise en sécurité des installations du site de Tolbiac : une enveloppe exceptionnelle de 18 millions d'euros sera dégagée en trois ans. C'est l'un des objectifs importants du contrat de performance signé avec l'établissement cette année. Les autres axes concernent notamment la poursuite des chantiers d'excellence que mène la bibliothèque en matière numérique, l'enrichissement continu de Gallica du fait de la politique de numérisation mais aussi de développement du dépôt légal numérique, l'élaboration des outils de référencement international des métadonnées, capacité d'expertise et de coopération pour l'ensemble des bibliothèques universitaires et de lecture publique de notre pays. Ce budget triennal permettra aussi, j'en suis très heureuse, le lancement du projet de rénovation de la Bibliothèque publique d'information (BPI), afin d'améliorer les conditions d'accueil du public, en lien avec le Centre Pompidou et de redonner à la BPI son rôle central d'animateur du réseau des établissements de lecture publique. Alors que l'année 2013 et le début de l'année 2014 ont pu voir se concrétiser la priorité présidentielle en faveur des librairies indépendantes, l'année 2014 a été consacrée aux bibliothèques : ce budget en est la traduction concrète pour les deux établissements publics de l'État.

Voilà ce que je voulais dire à ce stade avant que nous n'entrions dans le temps de la discussion et des réponses aux questions que vous voudriez me poser.

M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur pour avis des crédits du programme audiovisuel et avances à l'audiovisuel public . - Un débat est aujourd'hui ouvert sur l'élargissement de l'assiette de la contribution à l'audiovisuel public à tous les supports qui permettent de recevoir les émissions de télévision. Que pensez-vous de la réforme adoptée en Allemagne qui, depuis janvier 2013, applique une redevance uniforme à hauteur de 17,98 euros par mois à chaque foyer fiscal ? Une telle évolution serait-elle envisageable en France afin de tenir compte du fait que chacun a aujourd'hui les moyens de recevoir les programmes de l'audiovisuel public ?

Concernant toujours la contribution à l'audiovisuel public (CAP), madame la ministre, Mme la présidente nous avons écrit au ministre en charge du budget le 30 octobre dernier afin d'obtenir de sa part des informations sur le contrôle du recouvrement de la CAP et les moyens mobilisés pour lutter contre la fraude. Or, nous n'avons toujours par reçu de réponse ni même d'accusé de réception. Vous serait-il possible d'intercéder auprès de lui afin d'appeler son attention sur ce sujet ?

Concernant le renouvellement du mandat du président de France Télévisions, pouvez-vous nous préciser quels seront les rôles respectifs de l'État, du CSA et du candidat retenu dans le processus de désignation ? Plus précisément, le CSA sera-t-il libre de choisir le futur président en fonction du projet de chaque candidat ou bien estimez-vous qu'il lui reviendra de désigner le candidat qui lui semblera être le mieux à même de mettre en oeuvre le projet déterminé par l'État à l'issue de la mission de Marc Schwartz ?

Selon le journal Libération du 10 novembre, le Président de la République aurait indiqué la semaine dernière que la législation avait été modifiée par la loi du 15 novembre 2013 « pour permettre au CSA d'ouvrir LCI à l'ensemble des téléspectateurs » et que la question « méritera d'être reposé(e) le moment venu » . Quelles sont les conditions qui pourraient justifier un tel réexamen par le CSA et selon quel délai ?

Mme Claudine Lepage, rapporteure pour avis des crédits de l'audiovisuel extérieur . - France 24 est présente depuis septembre sur la télévision numérique terrestre (TNT) en Île-de-France. Une présence sur l'ensemble du territoire est-elle également envisageable à brève échéance ?

M. Pierre Laurent, rapporteur pour avis des crédits du programme presse . - Le secteur de la presse connaît une transition difficile vers le numérique qui nécessite un volet d'aides publiques important. Il y a eu un conflit dans les messageries de presse. Confirmez-vous les engagements qui ont été pris à la fin du conflit à Presstalis ? Il y a une convergence des systèmes informatiques des deux messageries. Ne serait-il pas temps de promouvoir l'émergence d'un seul acteur ?

La Poste a connu une réduction sensible des aides qu'elle recevait pour la distribution de la presse. Quel sera le calendrier de la renégociation de l'accord État/presse/La Poste ?

Concernant l'AFP, un accord a été trouvé avec la Commission européenne qui a permis de sanctuariser la subvention pour charge de service public. La subvention progresse mais les chiffres pour la trajectoire des années suivantes sont en baisse. Pourquoi ne pas compenser à 100 % la charge de service public ?

Concernant le taux super réduit de TVA applicable à la presse en ligne qui a été adopté par la loi du 27 février 2014 au nom du principe de « neutralité technologique », il semble que le risque de contentieux européen se confirme au regard de ce qui se passe sur le livre numérique. La fiscalité relève du portefeuille du nouveau commissaire français Pierre Moscovici, avez-vous pu le sensibiliser à cette question ? Ne craignez-vous pas une remise en cause du taux super réduit de TVA qui constitue une aide appréciable pour accompagner la transition numérique de la presse ?

Mme Colette Mélot, rapporteur pour avis des crédits du programme livre et industries culturelles . - Je voudrais évoquer la question de la Hadopi. Vous avez choisi, madame la ministre, de reconduire la subvention de 6 millions d'euros après deux années de très forte baisse. La stabilité de la subvention se traduit en réalité par une baisse des ressources de la Hadopi. Vous avez constaté vous-même que le fonds de roulement pouvait permettre un complément budgétaire confortable mais le montant de 6 millions d'euros est tout de même très insuffisant pour permettre à cet organisme de remplir sa mission. Il serait souhaitable d'apporter à la Hadopi, dans le respect de l'indépendance qui est la sienne, une information claire sur les perspectives budgétaires. C'est la dernière fois qu'elle pourra puiser dans son fonds de roulement. Mais qu'en sera-t-il en 2015 ? Y a-t-il un projet de suppression de la Hadopi ou un projet de réforme ? Quelles sont vos intentions ?

Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication .- Monsieur Leleux, concernant l'élargissement de l'assiette de la contribution à l'audiovisuel public, le Président de la République a souhaité qu'une réflexion soit engagée sur la modernisation du financement de l'audiovisuel public au-delà de 2015 qui prenne en compte sans tabou les équilibres de l'exception culturelle française et la situation économique de nos concitoyens. Ce travail a été engagé avec Emmanuel Macron afin de mieux prendre en compte les modes de consommation de nos concitoyens aujourd'hui. Par exemple, de moins en moins de téléspectateurs utilisent le canal hertzien, mais de plus en plus regardent la télévision par l'intermédiaire de l' Asymmetric Digital Subscriber Line (ADSL) ou d'une box. Pour moderniser cet instrument de financement de l'audiovisuel, il est nécessaire de tenir compte des pratiques et usages des Français.

Vous citez, monsieur Leleux, l'exemple de l'Allemagne où le montant de la redevance est plus élevé qu'en France. Il faut trouver un équilibre entre la modernisation de l'assiette et le rendement de la taxe.

En ce qui concerne le recouvrement de la contribution à l'audiovisuel public (CAP), je n'ai pas d'information sur ses modalités ou sur le contrôle effectué par les services du ministère de l'économie et des finances. Mais je transmettrai le message à Michel Sapin pour qu'il réponde au courrier que vous lui avez adressé à ce sujet.

S'agissant de France Télévisions, le Président de la République s'était engagé à ce que le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) nomme le prochain président de France Télévisions. Il a indiqué dans un discours au CSA que l'État actionnaire avait vocation à exprimer sa vision de l'audiovisuel public à un moment où les usages et les attentes des Français vis-à-vis de l'audiovisuel public peuvent changer en matière d'accès à l'information, à des oeuvres culturelles ou créatives et aux propositions des différentes chaînes. Il me semble légitime que l'État actionnaire, tout en respectant les prérogatives du CSA, puisse exprimer les grands défis ou les grandes attentes qui sont les siennes à l'égard de l'audiovisuel public plutôt que d'avoir une approche exclusivement budgétaire, sans s'interroger sur les missions ou les ambitions du service public.

La mission que nous pilotons au sein de mon cabinet en lien avec le ministère de l'économie s'appuie sur l'expertise d'un certain nombre de hauts fonctionnaires qui connaissent bien l'audiovisuel public, et cela dans le plus grand respect de la liberté de choix du CSA.

S'agissant de la chaîne info (LCI), le CSA a pris sa décision à partir d'une étude d'impact prévue dans la loi du 15 novembre 2013. Il y a un contentieux. Il faudra examiner la décision du Conseil d'État. Au-delà, cette décision pourra être probablement réexaminée par le CSA si la situation liée à l'étude d'impact devait évoluer.

En ce qui concerne la lutte contre le piratage, mission confiée à la Hadopi, les crédits ont été fixés à 6 millions d'euros au terme d'une discussion avec les services de Bercy. Cela impliquera, pour fonctionner, de la part de la haute autorité, qu'elle puise dans ses réserves - c'est la dernière année qu'elle pourra le faire - et devrait lui permettre d'assurer l'ensemble de ses missions, définies par la loi et qu'il n'est pas question de remettre en cause.

Le point important est le développement de l'offre légale et la Hadopi n'est pas le seul acteur à intervenir sur ce sujet. Les travaux réalisés par le CNC ont permis de faire avancer la réflexion sur la chronologie des médias. Des progrès sont nécessaires dans l'indexation des offres de films afin de les rendre plus accessibles aux téléspectateurs qui peinent aujourd'hui à s'y retrouver dans les différentes offres de vidéo à la demande (VOD) et de vidéo à la demande par abonnement (SVOD).

L'offre légale, ergonomique, riche, accessible en termes de prix, est le meilleur rempart contre le piratage. Je souhaite également mettre en oeuvre un certain nombre de mesures, à partir des propositions de Mme Mireille Imbert-Quaretta, présidente de la Commission de protection des droits de la Haute autorité, pour lutter contre le piratage commercial, pour une meilleure coordination entre les services de la police, de la justice et du ministère de la culture, pour déjouer la contrefaçon ou empêcher les annonceurs de faire de la publicité sur ces sites.

En réponse à Mme Lepage qui m'a interrogée sur la couverture de l'ensemble du territoire français par France 24, je dirai qu'il faut attendre les résultats de France 24 en Ile-de-France avant de songer à aller au-delà. Par le câble et le satellite, France 24 connaît déjà une diffusion nationale.

Monsieur Laurent, les engagements de l'État concernant Prestaliss ont été tenus s'agissant de l'accord de 2012. La réforme industrielle de la messagerie doit être accélérée en raison de la baisse des volumes diffusés depuis. Il faut accélérer cette convergence des messageries pour mutualiser un certain nombre de charges ou de dépenses.

La baisse des dotations à La Poste correspond au tarif Schwartz défini en 2008. Cela ne met pas La Poste en difficulté. L'accord État/presse/La Poste court jusqu'à la fin de l'année 2015. À cette échéance, le contrat devra être revu. Le rapport de la mission tripartite est en train de s'achever. Le Gouvernement va étudier ses travaux.

Le chantier de la rationalisation de la distribution papier est prioritaire. C'est une étape indispensable pour assurer la soutenabilité et la pérennité de notre système. Vos collègues de l'Assemblée nationale ont du reste fait des propositions pour moderniser la régulation de ce secteur.

S'agissant de la TVA sur la presse en ligne et sur le livre numérique, le Gouvernement avait pour objectif, en défendant le principe de neutralité technologique entre livre numérique et livre imprimé, comme pour la presse en ligne et la presse imprimée, de convaincre au niveau communautaire. Certains pays sont alignés sur nos positions. Les procédures sont en cours. La France va défendre sa position d'une modification de la directive TVA visant à inscrire la presse en ligne parmi les secteurs éligibles aux taux réduit ou super réduit de TVA. Cette modification doit pouvoir être sollicitée par l'ensemble des États membres.

M. Claude Kern . - France 3 propose de belles émissions en langues régionales qui font partie de la diversité et de la richesse culturelles de notre pays. Nous ne pouvons que regretter la régression de leur programmation. Quelles actions comptez-vous mettre en oeuvre pour leur maintien ou leur développement ?

M. David Assouline . - Il semblerait que le projet de loi préparé par M. Macron pour lever certains blocages de notre économie contienne des dispositions que nous attendions plutôt dans un projet de loi consacré à la création. On attend de nous, législateur, que nous soyons cohérents et je considère que ce qui touche au culturel doit être traité par le ministère de la culture et de la communication.

Il semble que le Président de la République soit favorable à l'élargissement de l'assiette de la contribution à l'audiovisuel public : pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ? Quels échanges avez-vous sur cette question avec les services de Bercy ?

Je terminerais en indiquant que je partage votre position s'agissant de l'adaptation de la chronologie des médias.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Je voudrais compléter les interventions de MM. Leleux et Assouline et rappeler que c'est notre commission qui, en 2009, avait été la première à évoquer une adaptation de la chronologie des médias.

S'agissant de la contribution à l'audiovisuel public, je souhaiterais recueillir votre avis sur l'élargissement envisagé de l'assiette à d'autres supports, la mensualisation ou encore la réintégration de la résidence secondaire dans son champ d'application.

Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication . - Le Président de la République est favorable à la modernisation de la CAP et toutes les pistes sont ouvertes, notamment la mensualisation et l'extension de l'assiette, mais nous devons faire en sorte que cet impôt conserve un caractère acceptable pour le contribuable. Rien ne figure dans le projet de loi de finances pour 2015, mais le ministère de la culture et de la communication a commencé les études et les discussions avec le ministère de l'économie et des finances.

La loi relative à l'activité économique préparée par Emmanuel Macron ne contient pas de dispositions qui concerneraient les industries créatives : d'autres véhicules législatifs sont envisagés.

S'agissant des émissions en langues régionales, notamment sur France 3, je pense que les possibilités techniques offertes par le numérique permettront de proposer des services plus fournis tout en en préservant les temps d'antenne.


* 1 L'apport de la culture à l'économie en France - Décembre 2013 - IGF-IGAC.

* 2 Le rapport des deux inspections procède à cette analyse, mais dans des conditions discutables. Elle s'appuie sur des variations de part de valeur ajoutée en prix constant , ce qui conduit à négliger certaines considérations intéressantes compte tenu des enjeux de la diffusion de la culture. Le raisonnement à prix constant doit théoriquement permettre de rendre compte de la capacité qu'ont les secteurs productifs de dégager des revenus réels. Mais le déflateur choisi dans le rapport, à savoir le prix de chacun des produits culturels considérés, ne permet pas de conclure. En cas d'hétérogénéité des prix de valeur ajoutée des différentes composantes de la production nationale, avec des évolutions de prix différentes selon les secteurs, il faut considérer la valeur ajoutée nominale d'un secteur donné, non déflatée par les prix du secteur, mais par ceux de l'ensemble de l'économie pour mesurer la création de richesses réelles de ce secteur.

* 3 Mission d'expertise sur la fiscalité de l'économie numérique, rapport de MM. Pierre Collin et Nicolas Colin, janvier 2013.

* 4 Audition de M. Bruno Racine, président de la Bibliothèque nationale de France (BnF) le 20 octobre 2014.

* 5 Avis n° 160 (2013-2014) de M. Jacques Legendre - TOME IV Fascicule 3 - Médias, livre et industries culturelles - Livre et industries culturelle s .

* 6 ou place de marché, plateforme logicielle dont l'objectif est de mettre en relation des vendeurs et des acheteurs, particuliers ou professionnels (source : dictionnaire du web).

* 7 LOI n° 2014-779 du 8 juillet 2014 encadrant les conditions de la vente à distance des livres et habilitant le Gouvernement à modifier par ordonnance les dispositions du code de la propriété intellectuelle relatives au contrat d'édition.

* 8 Rapport de M. Serge Kancel « Le soutien aux entreprises de librairie » - IGAC janvier 2013.

* 9 La logique esthétique en ressort affectée au vu de la qualité d'écoute douteuse de nombre de supports numériques.

* 10 Il s'agit d'évoquer l'économie des conventions et en particulier les équilibres de négociation sur les marchés.

* 11 En vertu du règlement CE n°1998/2006 de la Commission du 15 décembre 2006 concernant l'application des articles 87 et 88 du traité aux aides de minimis , les aides dont la somme globale versée sur trois années fiscales ne dépasse pas le plafond de 200 000 euros peuvent être mises en oeuvre sans avoir à les notifier à la Commission.

* 12 Le seuil d'éligibilité des dépenses a été abaissé de 150 à 100 k€ en 2014 afin d'attirer des jeux au budget plus modeste avec l'émergence des nouveaux marchés du jeu mobile et du jeu indépendant, dont les coûts de production sont plus faibles.

* 13 Le plafond des dossiers pré-juridictionnels « traitables » par la Hadopi serait de toute façon limité à 250 par an.

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