D. L'INVESTISSEMENT RESTE LE TALON D'ACHILLE DE NOS PORTS

En effet, il ne suffit pas de proclamer que le désenclavement des ports et la modernisation de leurs outils sont une préoccupation forte de l'État : il faut que cela soit suivi d'effets, avec une programmation ambitieuse d'investissements qui ne fasse pas les frais de l'assainissement des finances publiques. La nouvelle génération de contrats de plan État-régions (CPER) doit être l'occasion d'effectuer la mise à niveau de nos ports maritimes.

Chez nos concurrents, l'heure est aux investissements à grande échelle et à l'aménagement du territoire au service d'une économie maritime forte. Les plus grands ports européens sont aussi ceux qui investissent le plus : Rotterdam mobilise trois milliards d'euros pour le projet Maasvlakte 2, Hambourg un milliard d'euros d'ici 2016. En comparaison, les ports du Havre et de Marseille, pourtant mieux placés géographiquement, peinent à réaliser des investissements plus réduits .

Votre rapporteur souligne, depuis de trop nombreuses années, l'intérêt d'une liaison fluviale directe à travers une chatière pour le port du Havre, qui nécessiterait aujourd'hui un investissement d'environ 100 millions d'euros (50 millions au départ). Il s'agit d'une solution très peu onéreuse au regard des enjeux considérables liés à l'amélioration de la desserte de Port 2000, et pourtant les pouvoirs publics semblent peu empressés de faire avancer ce dossier. Seuls des crédits d'étude seront effectivement versés pour ce projet dans le cadre des CPER 2015-2020. L'administration estime que le trafic actuel n'est pas suffisant pour rentabiliser à la fois la chatière et le terminal multimodal qui va entrer en service. Or c'est précisément la logique inverse qu'il faudrait adopter , en faveur d'une politique de l'offre : l'amélioration de la qualité du service proposé aux clients grâce à ces deux systèmes permettra précisément de détourner du trafic, puisque Le Havre est mieux placé géographiquement que ses concurrents de mer du Nord.

Ainsi, au-delà de quelques gesticulations administratives, l'État ne s'implique pas suffisamment, d'un point de vue financier et opérationnel, dans nos grands ports maritimes, qui ne jouent pas dans la même catégorie que leurs voisins européens . Dans la compétition pour devenir les « hubs » des plus grandes compagnies d'armateurs, les grands ports concurrents sont aidés par des politiques publiques volontaristes au service d'une économie maritime puissante . Ils investissent bien au-delà de leur circonscription portuaire, en particulier dans la logistique. Ces ports offrent des services complets et intégrés, du transbordement massifié par de puissantes plateformes logistiques et multimodales à une desserte « en profondeur » vers l'hinterland.

En effet, le transbordement (ou « feedering ») est devenu décisif . Il consiste à faire passer des marchandises, le plus souvent conteneurisées, d'un grand navire à de plus petits navires ; il requiert relativement peu d'espace, mais un espace hautement équipé, notamment pour les opérations d'aiguillage, et qui doit tourner avec des cadences fiables. Rotterdam est le premier « hub » européen, celui où le transbordement est le plus important. Le port investit fortement dans cette activité très lucrative, en aménageant des terminaux consacrés au « feedering », en particulier le Delta Barge Feeder Terminal . La place portuaire est en relation avec 110 ports européens, ses lignes sont nombreuses et régulières : 40 transports hebdomadaires avec l'Espagne, 40 avec la Grande-Bretagne, 26 avec la Scandinavie, 16 avec les pays de la mer Baltique... Pour un opérateur d'une ligne transcontinentale, il devient moins cher de faire un seul arrêt à Rotterdam pour toute l'Europe et d'y transborder ses marchandises, plutôt que de faire plusieurs arrêts . Entre 2006 et 2010, la part du transbordement est passée du quart au tiers du trafic global de conteneurs à Rotterdam : l'augmentation du trafic est quasiment le seul fait de la croissance du transbordement. En 2013, la montée en puissance du Havre sur ce segment (500 000 conteneurs) valide a posteriori le projet de Port 2000.

L'accès à l'hinterland est tout aussi déterminant . Les autorités portuaires investissent dans des plateformes logistiques à l'intérieur des terres et recherchent des alliances avec des « intégrateurs de fret », grandes entreprises de transports qui maitrisent les différents segments de la chaîne logistique terrestre (et aérienne). Ces alliances passent par des services, aussi bien que par des investissements. Hambourg est la première gare fret d'Europe et le port de cette ville est sans conteste le plus performant d'Europe pour la desserte ferroviaire. Sur 7,9 millions de conteneurs opérés par le port hanséatique, 2 millions ont été acheminés par voie ferrée : le fret ferroviaire est prépondérant pour des trajets de plus de 150 kilomètres car ce mode de transport est considéré comme le plus fiable et le moins cher par nos voisins allemands. Cette préférence pour le rail a de quoi surprendre puisque ce mode de transport est régulièrement décrié en France pour son manque de fiabilité et de compétitivité par rapport à la route.

Sur ces deux aspects, votre rapporteur déplore depuis longtemps l'attitude de l'administration, qui se contente de poursuivre les projets déjà amorcés , en prétendant que ce ne sont pas les infrastructures portuaires qui sont déficientes. Une dynamique d'innovation est nécessaire dans nos ports. Le chantier multimodal du Havre ne permettra pas à lui seul de rattraper les ports d'Anvers ou de Rotterdam. L'hinterland naturel du Havre est l'Île-de-France, soit environ 1,5 million de conteneurs, et ceux d'Anvers ou de Rotterdam ne sont guère plus grands si l'on se limite à des considérations géographiques. Mais ces ports ont eu l'ambition d'élargir leur horizon à l'Europe centrale et aux pays nordiques. De façon encore plus surprenante, la moitié des conteneurs d'Île-de-France est traitée à Anvers : contrairement au Havre, ce port dispose d'une plateforme logistique lui permettant de retraiter les conteneurs qui ne sont pas pleins, pour en faire des conteneurs pleins. Le fait que des ports étrangers (notamment ceux de la mer du Nord : Anvers, Zeebrugge, Rotterdam) soient en capacité de concurrencer nos ports sur leur propre hinterland en dit long sur le chemin qui reste à parcourir.

La stratégie portuaire française doit ainsi avoir pour ambition de concurrencer Rotterdam ou Anvers sur leur propre hinterland , en élargissant notre horizon à la Suisse, l'Allemagne, l'Europe du Sud ou l'Europe centrale. Cette vision nécessite une dynamique d'investissement, en infrastructures portuaires et ferroviaires, qui n'est toujours pas à la hauteur.

Votre rapporteur déplore à ce titre la faible efficacité de la desserte ferroviaire du Havre , tant pour les voyageurs que pour les marchandises, en raison de récurrents problèmes d'aiguillage. Il serait sans doute judicieux de sanctuariser une voie ferrée sur le réseau existant , uniquement dédiée à la desserte du grand port maritime.

Ces éléments sont indispensables pour attirer les clients vers Port 2000, car ils bénéficient actuellement d'une bien meilleure qualité de service dans les ports voisins de la mer du Nord . Sans compter que les importateurs français préfèrent souvent transiter par Anvers, car l'autoliquidation de la TVA leur offre un avantage financier.

Des avancées sur l'autoliquidation de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

Sur le territoire français, la TVA à l'importation en provenance d'un pays tiers à l'UE est d'abord acquittée auprès de l'administration douanière avant d'être déduite, ce qui pèse sur la trésorerie des importateurs . En conséquence, une fraction du commerce international se réoriente vers les pays de l'UE où est pratiquée l'autoliquidation de la TVA à l'importation : de nombreux conteneurs destinés à la France transitent ainsi par les ports belges et néerlandais moyennant une déclaration d'échange de biens (DEB) et un transport routier complémentaire.

Des estimations grossières font état de quelque 8 000 emplois et 1 milliard d'euros de chiffre d'affaires qui échapperaient à la France pour cette raison.

Dans le cadre du choc de simplification, le Gouvernement a cependant décidé de fluidifier les mécanismes en douane : il prévoit de mettre en oeuvre un dispositif d'autoliquidation de la TVA au 1 er janvier 2015 , en l'inscrivant dans le cadre contraignant de la procédure de domiciliation unique (PDU) . Ce régime simplifié de dédouanement à domicile est accessible à toutes les entreprises : il permet à la douane de s'assurer de l'honorabilité de l'entreprise, afin de réduire le risque de fraude au carrousel . Malheureusement, il ne concerne aujourd'hui que 300 entreprises , ce qui réduit d'autant la portée de l'introduction du mécanisme d'autoliquidation. La direction des affaires maritimes et les services des douanes se sont engagés à mener une campagne de promotion de la PDU, afin d'inciter les entreprises à y recourir.

Hinterlands des principaux ports français et européens

Source : DGITM

On observe néanmoins une certaine prise de conscience puisqu'une légère reprise de l'investissement est annoncée pour 2014 , à la fois pour les GPM métropolitains et d'outre-mer. Il est cependant difficile de mesurer précisément l'effort global de l'État , qui est ventilé entre plusieurs instruments budgétaires et entre plusieurs modes de transports (en particulier le ferroviaire), même si, comme cela a été signalé précédemment, le soutien financier aux seules infrastructures portuaires est, quant à lui, en constante diminution.

Évolution de l'investissement dans les grands ports maritimes métropolitains (en millions d'euros)

Données : DGITM

Évolution de l'investissement dans les grands ports maritimes d'outre-mer (en millions d'euros)

Données : DGITM

Par conséquent, votre rapporteur attend avec impatience la signature des CPER pour 2015-2020 qui seule permettra d'apprécier réellement l'effort d'investissement en direction de nos ports . Il déplore à ce titre, le choix de la commission Mobilité 21 de ne pas avoir intégré les projets concernés par des programmations pluriannuelles de type CPER dans ses propositions de hiérarchisation des projets.

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