II. L'ADMINISTRATION TERRITORIALE SOUS LA PRESSION DE LA RÉFORME PERMANENTE ET DE LA CONTRAINTE BUDGÉTAIRE

Le fonctionnement de l'administration déconcentrée est marqué depuis 2008 par une réforme permanente essentiellement orientée vers la recherche d'économies par le biais de la réduction des effectifs et des mutualisations. Elle semble avoir atteint, aujourd'hui, ses limites.

A. UNE ADMINISTRATION EN RÉFORME PERMANENTE

Réforme de l'administration territoriale (RéATE) en 2008, mise en place progressive des titres sécurisés depuis 2009, modernisation de l'action publique (MAP) en 2012, choc de simplification en 2013 : les réformes s'appliquant à l'administration territoriale s'enchaînent, et cette dernière est en permanence contrainte de s'adapter, dans un contexte budgétaire restreint. Notre collègue Michèle André l'a souligné dans la conclusion de son rapport sur l'avenir des préfectures 6 ( * ) : « Ces dernières années [...] peu d'administrations ont connu autant de bouleversements ».

La stabilisation du cadre de l'organisation et des missions de l'administration territoriale, pourtant souhaitable, n'est pas à l'ordre du jour. La révision de la carte des sous-préfectures, la mise en oeuvre dès 2015 d'une nouvelle réforme de l'administration déconcentrée pour accompagner la réforme territoriale, annonce de nouveaux et importants changements, changements qui pour l'heure restent fort vagues.

1. D'une réforme l'autre
a) La Réate

Engagée dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP), la réforme de l'administration territoriale (RéATE), entrée en vigueur en 2008, a posé les principes d'un nouvel équilibre des compétences préfectorales. La région a été consacrée comme niveau de pilotage des politiques publiques nationales et communautaires, alors que le département a été désigné comme niveau de mise en oeuvre de ces politiques publiques.

Par ailleurs, la logique verticale de l'administration, associant à chaque ministère un réseau déconcentré, remise en cause par la RéATE a conduit à la mise en place d'une nouvelle organisation, fondée sur le regroupement des compétences et missions des directions départementales et régionales, ainsi que sur la mutualisation de leurs moyens. Le nombre de services déconcentrés régionaux est ainsi passé de 21 à 8, et celui des services départementaux de 13 à 10.

La RéATE a en outre modifié les modalités du contrôle de légalité, mission essentielle des services préfectoraux, permettant d'assurer la sécurité juridique des actes des collectivités territoriales. Le contrôle de légalité a été réformé à la fois dans son organisation, pour être centralisé en préfecture 7 ( * ) , et dans son champ, par une réduction de son périmètre sur les domaines jugés les plus sensibles. Les effectifs des sous-préfectures dédiés au contrôle ont donc été regroupés au chef-lieu du département, les sous-préfectures n'étant cependant pas complètement déchargées du contrôle des actes : leur transmission s'effectue par le sous-préfet qui sélectionne ceux qui sont prioritaires.

Si la RéATE a pu contribuer à améliorer certains aspects de la gestion de l'administration territoriale, ces améliorations ont été largement contrebalancées par les dysfonctionnements nombreux qu'elle a créés. La réforme a en effet été appliquée dans des délais rapides, dans un contexte de forte contrainte budgétaire, de réduction d'effectifs, de dialogue social limité, d'absence d'accompagnement au changement, alors même que l'organisation et les méthodes de travail étaient bouleversées. D'une manière générale, sous couvert de rationalisation et d'amélioration des services de l'État, la recherche d'économies a été le seul résultat tangible de la réforme sans préoccupation pour l'esprit « service public » et ses valeurs. Les agents évoquent souvent le sentiment de « perte de sens » de leur mission qui en est résulté.

Parallèlement à l'application de la RéATE, le déploiement des premiers titres sécurisés 8 ( * ) en 2009 est venu accroître les difficultés des services préfectoraux. Les nombreuses difficultés techniques connues lors de la mise en place de ces titres ont en effet fortement impacté l'activité de ces services, qui ont de plus dû subir le mécontentement des usagers devant la longueur des files d'attente.

b) La modernisation de l'action publique (MAP)

En octobre 2012, la modernisation de l'action publique (MAP) a succédé à la RGPP, avec, comme cette dernière, un volet territorial. Des comités interministériels de la modernisation de l'action publique (CIMAP), réunis quatre fois depuis fin 2012, en ont défini progressivement les contours.

Le Cimap du 2 avril 2013 a confié à MM. Jean-Marc Rebière et Jean-Pierre Weiss la mission de proposer un ou plusieurs scenarii d'organisation de l'administration territoriale de l'État sur la base d'une analyse prospective à 5 ans des missions de chaque niveau de cette administration. Faisant un bilan très critique de la RéATE, ce rapport a formulé plusieurs propositions pour donner de nouvelles orientations à l'organisation et aux missions des services déconcentrés.

Lors de sa réunion du 17 juillet 2013, le comité interministériel pour la modernisation de l'action publique (CIMAP) a largement repris les conclusions de ce rapport et décidé, dans ces décisions n° 27 à 38 9 ( * ) , la mise en oeuvre de plusieurs mesures touchant l'administration territoriale.

Pour votre rapporteur, ces mesures, toutes au futur, ne sont pas suffisamment précises pour que cesse le flou accompagnant la réforme. Leur nombre même inquiète selon le bon principe : « Qui trop embrasse mal étreint ».

Les mesures visant à restaurer les marges de manoeuvre de l'administration déconcentrée en matière budgétaire (décisions n os 30 à 32) sont significatives.

D'un côté, elles visent à renforcer le rôle du préfet de région dans la gestion des budgets opérationnels de programme (BOP) et à simplifier la structure de ces derniers. Rappelons que les BOP regroupent l'essentiel des crédits de fonctionnement et de personnels relatifs aux politiques publiques des différents ministères. Auparavant, le préfet de région ne faisait que superviser ces budgets, en déléguant notamment sa signature aux directeurs régionaux, pour la gestion quotidienne des services. Par ailleurs, le préfet de région ne participait pas au dialogue de gestion, dans le cadre duquel les directeurs régionaux et les directeurs centraux déterminaient les crédits affectés aux services déconcentrés. La décision de désigner le préfet de région en tant que responsable des BOP (décision n°30) doit permettre à ce dernier d'intervenir à un stade du dialogue budgétaire où les évolutions en termes de répartition des moyens et des emplois sont encore possibles, et d'échanger avec l'administration centrale sur l'adéquation entre les moyens et les missions des services qu'il a sous son autorité.

D'un autre, et dans les faits, la mise en oeuvre de cette évolution favorable se heurte à plusieurs obstacles. Ainsi le ministère de l'intérieur a-t-il souligné la difficulté de mettre en place un dialogue de gestion individualisé pour 40 BOP et 27 préfets de région 10 ( * ) . Afin de lever cette contrainte, il assure vouloir poursuivre le travail de simplification de la cartographie des BOP pour faciliter le dialogue. En outre, cette déconcentration de la responsabilité des BOP se heurte à la pratique actuelle du fléchage des crédits : certaines administrations centrales répartissent en effet les crédits par action, par sous-action, voire parfois par ligne budgétaire. Dans ce contexte, la marge de manoeuvre nouvelle donnée au préfet de région est limitée par sa difficulté à réaffecter les crédits entre programmes, en fonction des missions auxquelles il souhaite donner une priorité.

Enfin, cette limitation des possibilités de réaffectation des crédits entre programmes est aussi une conséquence de la rigidité et de la complexité de l'architecture budgétaire issue de la LOLF, qui induit un cloisonnement vertical des crédits. Cette logique verticale est en contradiction avec la nécessité de gérer les crédits de manière transversale. Votre rapporteur souligne ici la contradiction au coeur même de la LOLF entre une logique de performance de l'action publique qui pousse à la mutualisation et à une certaine polyvalence en fonction des besoins et des lieux, et une structuration verticale en items nombreux sinon pointillistes dans l'espoir de mieux contrôler l'usage des crédits.

La restauration des marges de manoeuvre de l'administration déconcentrée est loin d'être effective. La circulaire datant de mai dernier 11 ( * ) devrait permettre des progrès en la matière, mais il faut noter la marge existant entre les annonces du gouvernement et leur traduction dans les faits.

Concernant les décisions n os 36 et 37, relatives à l'harmonisation des prestations sociales et du régime indemnitaire dans les directions départementales interministérielles, leur mise en oeuvre tarde. Votre rapporteur, lors de sa rencontre avec les agents de la direction départementale des territoires (DDT) des Alpes de Haute-Provence, a pu constater que, dix-huit mois après ces annonces, le problème est toujours d'actualité 12 ( * ) . Le diable étant dans les détails, on attend leur harmonisation.

La décision n° 38 est relative à la définition d'un cadre d'action des modalités de regroupement des services infra-départementaux au sein de Maisons de l'État. Votre rapporteur y reviendra, mais note dès à présent que, présentées comme une manière de maintenir la présence de l'État dans les territoires, ces Maisons préparent, selon toute vraisemblance, la suppression d'un certain nombre de sous-préfectures, et de postes de sous-préfets. Cela met en lumière, une nouvelle fois, l'ambiguïté de la réforme et de la communication gouvernementale qui va avec.

Enfin, l'application de la décision n° 33, selon laquelle « le Gouvernement n'engage pas de nouvelle réorganisation, et assure la stabilité des services existants » paraît plus que compromise par la nouvelle étape de la réforme de l'État décidée en juillet 2014. Cette décision renvoyant pourtant à une des conclusions du rapport de MM. Jean-Marc Rebière et Jean-Pierre Weiss précédemment évoqué 13 ( * ) . Après avoir fait le constat d'une administration « profondément déstabilisée » par la RéATE, d'agents gagnés par le sentiment de lassitude, de résignation et de perte de sens de leurs missions, le rapport proposait, conformément à la lettre de mission, des scenarii d'organisation de l'administration territoriale de l'État. Sur les trois scénarii, celui validé lors du CIMAP reposait sur la stabilisation maximale de l'organisation des services déconcentrés.

2. En attendant les futures réformes territoriale et de l'État

Le Conseil des ministres du 2 juillet 2014 se veut l'engagement d'une nouvelle étape de la réforme de l'État, « menée de manière complémentaire et dans le même calendrier que la réforme territoriale, d'ici 2017 » 14 ( * ) . Afin que les missions de l'administration déconcentrée soient cohérentes et lisibles à chaque échelon territorial, le ministre de l'intérieur a été chargé de conduire la réforme de l'administration territoriale de l'État, en lien avec le secrétaire d'État chargé de la réforme de l'État et de la simplification.

Cette réforme, il était temps, suppose une revue des missions des administrations centrales et des services déconcentrés. L'objet est d'identifier ce qui doit continuer à relever des missions fondamentales de l'État, et ce qui peut être abandonné ou exercé différemment, par d'autres. Ce premier chantier lancé en septembre dernier, le Gouvernement a prévu d'arrêter ses décisions au premier trimestre 2015, après avoir consulté les agents de l'administration territoriale de l'État, les collectivités territoriales, les citoyens et les entreprises.

Au terme de cette revue des missions, une refonte de la charte de la déconcentration de 1992 15 ( * ) est prévue, afin de déterminer les missions transférées de l'administration centrale vers les administrations déconcentrées, et de définir les modalités de ce transfert, l'objectif annoncé étant de donner plus de pouvoir au préfet.

Deux chantiers, issus des décisions du CIMAP du 17 juillet 2013, joueront un rôle dans le cadre de cette nouvelle réforme :

- l'approfondissement de la déconcentration dans le domaine des ressources humaines et en matière budgétaire ;

- le renouvellement de la carte des services publics au niveau infra-départemental.

Cette nouvelle étape de la réforme de l'État, selon le Gouvernement, on n'en attendait pas moins, ne présente que des avantages : « amélioration du service rendu notamment des délais de décision, simplification des compétences et des procédures, recentrage des services sur les priorités de l'action gouvernementale, meilleures conditions de travail pour les agents » 16 ( * ) . Sauf que l'on peut s'interroger sur la capacité de l'administration territoriale à s'adapter, encore une fois, à de telles évolutions.

Lors de son audition par la commission des lois, le ministre de l'intérieur a reconnu que la poursuite de la réduction des effectifs au rythme de celles connue depuis 2010 n'était pas compatible avec le lancement de la nouvelle réforme. On ne peut qu'approuver et attirer l'attention sur le risque qu'il y aurait à renouveler les erreurs de la RéATE.

Plus généralement, votre rapporteur s'interroge sur la possibilité de rendre l'organisation et les missions de l'administration territoriale de l'État cohérente avec la nouvelle organisation territoriale, alors que cette dernière fait encore débat et risque de le faire encore longtemps.

Quoi qu'il en soit, une réforme sans les moyens financiers et en personnels qu'elle appelle sera vouée à l'échec. L'heure est venue de tirer les leçons des échecs passés.


* 6 Rapport d'information fait au nom de la commission des finances du Sénat sur l'avenir des préfectures, n° 753 (2013-2014)

* 7 Cette centralisation est aujourd'hui effective dans 90 préfectures, certaines sous-préfectures ayant conservé une compétence en matière de contrôle de légalité, en raison de caractéristiques territoriales spécifiques.

* 8 Passeports biométriques et cartes grises avec le nouveau système d'immatriculation des véhicules (SIV)

* 9 Voir Annexe I

* 10 Source : réponse au questionnaire

* 11 Circulaire NORFCPB1401673C du 14 mai 2014 relative à la simplification de la nomenclature budgétaire des programmes, BOP et UO et lutte contre le fléchage des crédits

* 12 Cf infra

* 13 Cf supra

* 14 Compte-rendu du Conseil des ministres du 2 juillet 2014

* 15 Décret n°92-604 du 1 juillet 1992 portant charte de la déconcentration

* 16 Compte-rendu du Conseil des ministres du 10 septembre 2014

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