II. UNE DÉMARCHE DE SIMPLIFICATION QUI RESTE ENCORE TROP TIMIDE POUR LES PME

A. LA SIMPLIFICATION DES FORMALITÉS : DES CHANTIERS PROMETTEURS

Depuis plusieurs années, notre pays s'est engagé dans une démarche de simplification des formalités administratives auxquelles sont astreintes nos entreprises. Le Gouvernement actuel a poursuivi dans cette voie dans le cadre des travaux du comité interministériel de modernisation de l'action publique puis du conseil de la simplification pour les entreprises, mis en oeuvre par le secrétariat général de modernisation de l'action publique (SGMAP).

Votre rapporteur pour avis souhaite en particulier évoquer trois chantiers, dont la réussite lui paraît essentielle alors que l'on estime généralement le coût total de la charge administrative pesant sur les entreprises de 3 à 5 % du PIB.

1. Le programme « dites-le nous une fois » : une initiative qui doit bénéficier d'une montée en charge rapide

Le Gouvernement a lancé, en 2014, un programme de simplification administrative, principalement à l'égard des entreprises, qu'il a dénommé : « Dites-le nous une fois ». Il a pour objet de « réduire la redondance » des informations demandées aux entreprises, c'est-à-dire de ne plus solliciter inutilement les entreprises en exigeant qu'elles fournissent, dans tous les cas, des informations ou des pièces justificatives qu'elles ont déjà données à l'administration dans le cadre de démarches antérieures et, plus généralement, en substituant là où c'est possible un simple mécanisme déclaratif à la production de pièces justificatives .

Le fondement juridique de cette initiative est notamment l'ordonnance n° 2015-507 du 7 mai 2015 relative à l'adaptation du secret professionnel dans les échanges d'informations entre autorités administratives et à la suppression de la production de pièces justificatives, 5 ( * ) prise sur l'une des habilitations de l'article 4 la loi n° 2013-1005 du 12 novembre 2013 habilitant le Gouvernement à simplifier les relations entre l'administration et les citoyens.

La mesure de simplification repose sur deux éléments :

- d'une part, un principe de « confiance », en substituant à la production de pièces justificatives des déclarations sur l'honneur assorties, le cas échéant, d'un mécanisme de contrôle a posteriori des informations déclarées ;

- d'autre part, un système d'échanges d'informations interne à l'administration, sans que le secret professionnel puisse être opposé par l'administration qui détient l'information ou le document, à l'administration qui la requiert pour mener à bien la procédure devant elle. Ainsi, lorsqu'une administration dispose déjà d'une information ou d'une pièce justificative fournie par une entreprise dans le cadre d'une procédure particulière, cette information ou pièce est directement transmise à une autre administration dans le cadre d'une autre procédure, sans que l'entreprise concernée ait à redonner cette même information ou pièce.

Le constat est en effet communément admis que, trop souvent, les entreprises doivent fournir à plusieurs reprises les mêmes informations, remplir des formulaires identiques ou comparables comportant des éléments déclaratifs similaires, dans des procédures administratives mettant en cause des administrations différentes. Ce formalisme administratif mobilise ainsi les entreprises sur des tâches accessoires à leur activité économique, qui obère d'autant leur disponibilité pour produire de la valeur.

D'ores et déjà, néanmoins, il faut saluer la mise en place, dans ce cadre, de deux procédures « simplifiées » à destination des entreprises :

- d'une part, les marchés publics simplifiés (MPS) : depuis juin 2014, il est possible de répondre à un marché public simplifié sur l'une des huit principales places de marché existantes. Les entreprises peuvent soumissionner en utilisant un formulaire spécifique, disponible sur la plate-forme de dématérialisation, dont certains éléments sont immédiatement pré-remplis grâce à la simple identification avec le numéro SIRET : il s'agit notamment de la raison sociale, de la forme juridique, de l'identité du dirigeant principal, de l'adresse et du chiffre d'affaires. Le système informatique mis en place permet en effet de collecter auprès des administrations intéressées les attestations et certificats nécessaires ;

- d'autre part, le dispositif « aide publique simplifiée » (APS) : ce dispositif fonctionne selon le même principe que « marché public simplifié » : pour solliciter une aide publique, l'entreprise n'a plus à fournir que son numéro SIRET, en lieu et place des justificatifs nombreux demandés jusqu'alors (extrait Sirene, attestations fiscales, sociales, statuts de l'entreprise, liasse fiscale, ...). L'organisme détenteur de la subvention récupère directement les informations sur l'entreprise auprès des administrations compétentes. Ce dispositif est déjà déployé dans le cadre du préfinancement du CICE par Bpifrance. Il est progressivement étendu à d'autres types d'aides, avec de nombreux partenaires tels que CCI France, France Agrimer, et plusieurs conseils régionaux.

À terme, c'est-à-dire au 1 er janvier 2017, l'objectif poursuivi par le Gouvernement est d'exonérer, dans de nombreuses procédures administratives, les entreprises de l'obligation de produire les pièces justificatives suivantes :

- l'attestation de régularité fiscale émanant de la direction générale des finances publiques (DGFIP) ;

- l'attestation de régularité sociale émanant de la mutualité sociale agricole (MSA) ;

- l'attestation de régularité sociale et l'attestation de vigilance émanant de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) ;

- la liasse fiscale, notamment les feuillets 2033, 2050-2059, 2065 (BIC), 2035 (BNC), 2144-2154 (agricole), 2139 (agricole simplifié), 2079 (CICE) pour les dossiers de demandes d'aides, et le transfert de la liasse entre la DGFIP et la Banque de France ;

- les statuts des entreprises, fournis par le GIE Infogreffe, à l'appui des demandes d'aides publiques formulées auprès d'un opérateur public.

Votre rapporteur pour avis insiste sur la nécessité d'une mise en oeuvre progressive et rapide de cette mesure de simplification essentielle.

2. Les nouveaux principes « SVA » et « SVE » : une intention louable, une mise en oeuvre complexe
a) L'application du principe « silence vaut acceptation » (SVA)

La loi n° 2013-1005 du 12 novembre 2013 habilitant le Gouvernement à simplifier les relations entre l'administration et les citoyens a renversé le principe jusqu'alors intangible du droit français, ou du moins tenant lieu de principe général, selon lequel le silence gardé par l'administration à l'égard d'une demande d'un administré valait décision implicite de rejet contre laquelle celui-ci pouvait intenter un recours en annulation. Elle lui a substitué un principe rigoureusement inverse, aux termes duquel le silence de l'administration vaut désormais, par principe, acceptation de la demande formulée par un administré.

Cependant, le réalisme a voulu que des exceptions à ce nouveau principe soient posées et que, dans des circonstances particulières :

- le délai de naissance de la décision implicite d'acceptation soit d'une durée différente de deux mois (éventuellement plus courte, mais généralement plus longue) ;

- ou que le principe même de l'application de la règle de l'acceptation tacite soit remis en cause, le silence de l'administration valant alors - comme par le passé - rejet de la demande.

La mise en oeuvre de ce dispositif a nécessité l'adoption, par le pouvoir réglementaire, en octobre 2014, de 43 décrets destinés à prévoir des dérogations au principe ou au délai applicable s'agissant de l'État et de ses établissements publics administratifs, et en septembre et novembre 2015, de 11 décrets ayant le même objet s'agissant des collectivités territoriales, des organismes de sécurité sociale et des organismes chargés d'un service public administratifs.

Les entreprises, comme tous les administrés, sont concernées par cette évolution législative. Mais il reste à savoir si cette mesure, présentée comme une simplification, n'est pas susceptible de contribuer, dans un premier temps, à obscurcir le paysage juridique pour les entreprises. De fait, compte tenu du nombre des exceptions prévues par les différents décrets ainsi que celles déjà posées par la loi elle-même, la lisibilité de la réforme est largement remise en question .

Les difficultés d'appréhension de la réforme par les entreprises peuvent se faire jour à deux endroits :

- en premier lieu, de nombreuses procédures intéressant directement les entreprises sont soumises à des exceptions au principe « silence vaut acceptation », et les entreprises peuvent manquer de visibilité pour déterminer si le silence de l'administration vaudra rejet ou acceptation ;

- en second lieu, dans certains cas, le Gouvernement a fait le choix de renverser le principe de rejet qui prévalait, pour y substituer un principe d'acceptation avec un délai considérablement allongé par rapport au délai de deux mois en principe applicable. Par exemple, pour les demandes s'inscrivant dans la réglementation applicable aux industries extractives ou relatives aux transports de marchandises dangereuses par voie terrestre 6 ( * ) ou, de même, aux instruments de mesure, 7 ( * ) si le pouvoir réglementaire a décidé d'appliquer la règle de l'acceptation tacite, celle-ci ne sera en réalité acquise qu'au terme d'un délai qui peut parfois aller jusqu'à une voire deux années à compter de la demande... La situation de l'entreprise demandeuse s'en trouve-t-elle véritablement simplifiée par rapport à la situation antérieure ? Dans une certaine mesure, elle peut s'avérer plus pénalisante, car elle peut inciter l'entreprise à attendre plus longtemps la position de l'administration, en espérant qu'elle lui sera favorable, alors qu'une décision implicite de rejet de deux mois peur au contraire contraindre l'entreprise à plus facilement échafauder une solution de repli...

b) Le droit de « saisine de l'administration par voie électronique » (SVE)

Prévu par l'ordonnance n° 2014-1330 du 6 novembre 2014 relative au droit des usagers de saisir l'administration par voie électronique, venue modifier l'ordonnance n° 2005-1516 du 8 décembre 2005 modifiée relative aux échanges électroniques entre les usagers et les autorités administratives et entre les autorités administratives 8 ( * ) , le droit de saisir l'administration par voie électronique est une mesure de simplification en elle-même considérable. Elle permet en effet d'éviter, dans son principe, le déplacement physique à un guichet ou l'envoi par voie postale de documents, et, de ce fait, est une source de gain de temps et d'argent non négligeable pour les entreprises.

Ce droit a vocation à s'exercer principalement dans le cadre de téléservices mis en place par l'administration. Il s'applique aux administrations de l'État et à ses établissements publics administratifs depuis le 7 novembre 2015 9 ( * ) , mais ne sera applicable aux collectivités territoriales, aux organismes de sécurité sociale et aux autres organismes chargés de la gestion d'un service public administratif qu'à compter du 7 novembre 2016.

À nouveau, le réalisme administratif a conduit à ce que des exceptions à ce principe soient prévues ; elles ont été définies par 14 décrets en date du 5 novembre 2015. Toutefois, par rapport au principe « SVA », ces exceptions sont moins nombreuses, et pour une grande part, seulement transitoires , dans l'attente que les aménagements techniques nécessaires à sa mise en oeuvre soient apportés. On ne peut que s'en féliciter.

Il est néanmoins vraisemblable que le nombre d'exceptions sera plus important pour les demandes formulées auprès des collectivités territoriales, voire auprès d'autres organismes chargés de la gestion d'un service public administratif, qui n'ont pas nécessairement, d'ores et déjà ou même à moyen terme, les infrastructures techniques permettant une mise en oeuvre effective de ce nouveau droit.


* 5 Dispositions reprises désormais au sein du code des relations entre le public et l'administration (en vigueur à compter du 1 er janvier 2016).

* 6 Voir le décret  n° 2014-1273 du 30 octobre 2014 relatif aux exceptions à l'application du principe « silence vaut acceptation » sur le fondement du 4° du I de l'article 21 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations ainsi qu'aux exceptions au délai de deux mois de naissance des décisions implicites sur le fondement du II de cet article (ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie): délai de 2 ans pour les demandes de dérogations aux textes pris en application du règlement général des industries extractives ; délai d'un an pour l'autorisation d'utilisation d'explosifs, etc...

* 7 Décret n° 2014-1280 du 23 octobre 2014 relatif aux exceptions à l'application du principe « silence vaut acceptation » sur le fondement du II de l'article 21 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations (ministère des finances et des comptes publics et ministère de l'économie, de l'industrie et du numérique).

* 8 Désormais reprises dans le code des relations entre le public et les administrations.

* 9 Compte tenu de la publication du décret n° 2015-1404 du 5 novembre 2015 relatif au droit des usagers de saisir l'administration par voie électronique.

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