PREMIÈRE PARTIE : LE PROJET DE LOI DE FINANCES POUR 2016

I. L'INDISPENSABLE EFFORT D'ACTUALISATION DE LA LOI DE PROGRAMMATION MILITAIRE...

Le niveau des engagements auxquels participent les forces armées impose un rythme extrêmement soutenu d'utilisation des équipements. Leur intensité réduit en outre la durée de vie des équipements et impose une maintenance accrue, d'autant que certains matériels sont aujourd'hui très âgés. Cette très forte sollicitation est par ailleurs aggravée par les conditions environnementales sévères rencontrées sur les théâtres d'opérations extérieures actuelles qui éprouvent le matériel, mais aussi le personnel.

En conséquence de l'insuffisance des crédits du maintien en condition opérationnelle (MCO), une crise de la disponibilité du matériel s'est déclarée au début des années 2000. Dans le contexte stratégique post guerre froide, les crédits affectés à la maintenance des équipements avaient en effet diminué.

Certes, des réformes d'organisation et de structures ont été menées pour améliorer les choses et contrecarrer la baisse des crédits, mais les performances sont restées décevantes en termes de disponibilité. La dégradation a même repris dans la deuxième moitié des années 2000 et touchait les trois armées. Le Général Girier, Directeur de la structure de maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques du ministère de la Défense (SIMMAD) indiquait, lors de son audition en 2014, qu'il manquait une demi-annuité au MCO aéronautique sur la dernière LPM, soit un décrochage d'environ 1 milliard d'euros.

À ceci s'ajoute le fait que la loi de programmation militaire pour 2014-2019 fixait comme objectif d'enrayer la baisse d'activité opérationnelle constatée pour retrouver progressivement des niveaux d'activité comparables à ceux de l'OTAN. Ceci imposait un effort significatif en matière d'entretien programmé des matériels.

A. LES FACTEURS QUI RENDAIENT NÉCESSAIRE UN EFFORT PARTICULIER EN FAVEUR DU MAINTIEN EN CONDITION OPÉRATIONNELLE

1. La disponibilité des matériels : le poids des OPEX

La disponibilité technique opérationnelle (DTO) des matériels de l'armée reflète le rapport entre la couverture des besoins liés aux contrats opérationnels et la disponibilité des parcs nécessaires à la satisfaction de ces contrats. Le tableau suivant présente la DTO des matériels par rapport aux exigences des contrats opérationnels, en 2014 et en 2015.

Disponibilité technique opérationnelle

(en pourcentage du contrat opérationnel)

Matériels

2014*

2015**

Armée de terre char Leclerc

82

96

Armée de terre AMX 10 RCR

46

66

Armée de terre VAB

57

73

Armée de terre VBCI

74

95

Armée de terre pièces de 155 mm

53

72

Armée de terre Hélicoptères de manoeuvre

45

57

Armée de terre Hélicoptères d'attaque ou de reconnaissance

59

65

Marine nationale Porte-avions

92

90

Marine nationale SNA

69

73

Synthèse autre bâtiments de la marine

79

76

Marine nationale Composante frégates

61

60

Marine nationale Chasse

60

69

Marine nationale Hélicoptères

53

55

Marine nationale Guet aérien, Patrouille et surveillance maritime

50

53

Armées de l'air Avions de combat

88,5

86

Armées de l'air Avions de transport tactique

69

69

Armées de l'air Avions d'appui opérationnel

86

86

Armées de l'air Avions à usage gouvernemental

100

100

Armée de l'air Hélicoptères de manoeuvre et de combat

81

77

Armée de l'air Système sol - air moyenne portée

_

90

*Réalisation,**prévision actualisée.

Source : Projet annuel de performance « Défense »

a) L'armée de terre

Pour les matériels de l'armée de terre, l'activité soutenue sur des théâtres exigeants accélère le vieillissement des matériels et amoindrit par conséquent les capacités de réengagement immédiat. En effet, les conditions d'emploi des matériels font subir une attrition significative et accélèrent le vieillissement. La remise à niveau du matériel de retour d'opération constituera l'effort principal des années à venir. Elle devrait s'étaler sur les cinq prochaines années et conditionnera la remontée de la disponibilité.

Les principaux parcs sous tension sont les véhicules de l'avant blindé (VAB), les blindés médians et les vecteurs logistiques. En ce qui concerne les VAB, la disponibilité de ce parc, très fortement employé dans les opérations terrestres, est préservée au prix d'un investissement financier et humain important. L'arrivée de son successeur, le véhicule blindé multirôles (VBMR) permettra de desserrer la contrainte. Pour les matériels aériens de l'armée de terre, la régénération des hélicoptères, extrêmement sollicités en OPEX, est lente. L'ancienneté des parcs, les visites préventives, le déficit de maintenance et les réparations des dégradations directement liées aux opérations en cours expliquent la faible disponibilité de ce parc. En 2014, on observait une saturation des capacités de l'outil de maintenance étatique comme industriel. Des plans d'actions spécifiques ont été mis en oeuvre pour chacune des flottes en 2015.

Selon les chiffres communiqués par le ministère de la défense, les surcoûts en entretien programmé des matériels, dus aux OPEX, atteindraient pour les équipements de l'armée de terre 53,5 millions d'euros en 2015 et 53,2 millions d'euros pour les matériels aéroterrestres.

b) La marine

Pour la marine, outre naturellement l'âge de ses bâtiments et équipements, l'essentiel des difficultés se concentre sur les flottes « avions de patrouille maritime » et « hélicoptères de combat ». Les retards de production induits par le changement du système d'information technico-logistique du SIAé sur le site de Cuers et les difficultés spécifiques de la montée en puissance du Caïman sont deux facteurs d'explication partielle des difficultés rencontrées dans ce domaine.

Selon les chiffres communiqués par le ministère de la défense, les surcoûts en entretien programmé des matériels, dus aux OPEX, atteindraient pour les équipements de la marine 39,53 millions d'euros en 2015 5 ( * ) soit une augmentation d'un peu moins de 50 % par rapport à 2014.

c) L'armée de l'air

Pour l'armée de l'air, les engagements dans la bande sahélo-saharienne, la République centre-africaine (RCA) et au Levant ont accru les tensions logistiques et les problèmes de disponibilité en métropole pour l'aviation de chasse et de transport. Ceci se traduit en particulier par des difficultés dans la formation des jeunes pilotes.

Ceci a également pour conséquence une fragilisation des capacités du transport aérien qui n'est plus en mesure de faire face aux demandes des armées, que ce soit pour leur préparation opérationnelle (projection pour exercices, entraînement des troupes aéroportées,...) ou au profit des opérations.

Les difficultés majeures qui pénalisent durablement la qualité de l'entraînement des équipages restent le ravitaillement en vol et les équipements de mission (nacelles de désignation laser, nacelles de reconnaissance,...) qui se raréfient en raison d'un engagement élevé d'une vingtaine d'avions de combat en opérations extérieures.

Les besoins en préparation opérationnelle ne peuvent être pleinement satisfaits dans l'attente de la montée en puissance de l'A400M. Le parc des avions de transport stratégique est pour sa part sous-dimensionné en nombre par rapport aux contrats opérationnels. La vétusté du parc des ravitailleurs et la difficulté à assurer leur rénovation expliquent que la situation de leur disponibilité soit très tendue. Enfin la baisse de la disponibilité de la flotte des hélicoptères légers, datant de 2014, résulte de difficultés industrielles. L'amélioration de la disponibilité n'est pas attendue avant 2016.

Selon les chiffres communiqués par le ministère de la défense, les surcoûts en entretien programmé des matériels, dus aux OPEX, atteindraient pour les équipements de l'armée de l'air 87,25 millions d'euros en 2015 soit une augmentation d'un peu moins de 120 % par rapport à 2014.

2. Les répercussions sur la capacité opérationnelle des troupes

La préparation des forces nécessite de disposer d'équipements techniquement disponibles et d'un niveau quantitatif et qualitatif de préparation opérationnelle conforme aux normes organiques nécessaires à la satisfaction des contrats. Tel est l'objet de l'indicateur 5.1 du projet annuel de performance, intitulé « niveau de réalisation des activités et de l'entraînement ».

L'indisponibilité des matériels ne joue que pour partie sur le niveau de réalisation des activités et de l'entraînement, la forte sollicitation des forces en OPEX et en OPINT influe également sur cet indicateur.

En 2014 et en 2015, l'entraînement des forces terrestres aurait dû être maintenu à 83 journées de préparation opérationnelle (JPO). Pour 2015, la prévision actualisée est de 64 journées, alors que la LPM 2014 - 2019 fixait un objectif de 90 JPO, dont 35 jours réalisés en espace de manoeuvre pour garantir dans la durée la tenue des contrats opérationnels fixés par le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale (LBDSN) de 2013.

Le déclenchement sans délai, puis la pérennisation de l'opération Sentinelle, ont amené à réviser le niveau de la préparation opérationnelle en 2015, réduisant le nombre de JPO d'environ 30 % faute d'unités disponibles pour les activités programmées, du fait de leur mobilisation pour Sentinelle.

Le tableau suivant recense également les heures de vol ou jours de mer par militaire, réalisés en 2014 et en 2015. Pour 2015, il s'agit d'une prévision actualisée.

Niveau de réalisation des activités et de l'entraînement

2014*

2015**

LPM***

JPO

84

64

90

Heures de vol par pilote d'hélicoptère Terre

156

156

180

Heures de vol par pilote de chasse Air

153

150

180

Heures de vol par pilote de transport Air

235

260

320

Heures de vol par pilote d'hélicoptère air

174

170

200

Jours de mer par bâtiment marine

dont bâtiments de premier rang

83

92

86

94

100

110

Heures de vol par pilote de chasse Marine

pilote qualifié nuit

136

194

150

180

180

220

Heures de vol par pilote d'hélicoptère Marine

218

180

220

Heures de vol par pilote de patrouille maritime Marine

360

288

340

*Réalisation, ** Prévision actualisée, *** Objectif

Les objectifs fixés par la LPM sont loin d'être atteints en 2015. Pour l'armée de terre, à partir de 2015, la mise en place de l'opération Sentinelle a eu pour effet mécanique de réduire les journées de préparation, en mobilisant les troupes qui n'étaient pas en OPEX ou en préparation d'OPEX, au détriment de la préparation. Pour l'armée de l'air, selon les informations recueillies par vos rapporteurs, l'activité des pilotes de chasse français est inférieure de plus de 10 % à celle des pilotes de chasse américains et britanniques. Pour la marine, la disponibilité dégradée des Atlantique2 (ATL2), des frégates anti sous-marines ainsi que l'ancienneté des sous-marins nucléaires d'attaque, notamment, expliquent que les objectifs ne puissent pas être atteints.

Dans le cadre de la préparation de la LPM 2014-2019, la mise en oeuvre du nouveau modèle d'armée accompagnée des réformes engagées dans le domaine du soutien, devait, selon le ministère de la Défense permettre de « tendre vers les normes d'activité reconnues dans le cadre de l'OTAN à partir de 2016 au fur et à mesure de la réalisation du nouveau modèle » 6 ( * ) . Il apparait que les valeurs cibles fixées pour 2016 sont bel et bien inférieures aux normes d'entraînement de l'OTAN : 90 jours d'entrainement pour les forces terrestres, 100 jours de mer pour les bâtiments, 240 heures de vol pour les pilotes en moyenne. Les efforts budgétaires consentis aboutissent à une inflexion de la tendance mais ne permettent pas d'atteindre les objectifs OTAN que votre commission considère comme une référence pertinente.


* 5 Soit 19,83 millions d'euros au titre de l'EPM naval et 19,52 millions d'euros au titre de l'EPM aéronaval. Ces chiffres sont des estimations. Les surcoûts les plus importants concernent la maintenance du Chammal.

* 6 Extrait de l'article « Armées : la préparation des militaires reste très en deçà des exigences OTAN » de Michel Cabirol, La Tribune, 23/09/2014.

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