B. DES EFFORTS À POURSUIVRE

1. En matière de lutte contre le piratage et de développement de l'offre légale

Une réflexion sur l'économie du cinéma, de ses modalités de financement à sa rentabilité, ne peut se prétendre exhaustive sans inclure le sujet du piratage des oeuvres et des moyens de le limiter.

Nul n'est besoin que votre rapporteur pour avis rappelle combien la consommation illégale des oeuvres cinématographique, que le numérique a considérablement facilitée, est préjudiciable à la filière : elle pèse sur les exploitants en réduisant la fréquentation des salles , diminuant d'autant la taxe versée au CNC pour alimenter de nouvelles productions ; elle a également des conséquences négatives sur les bénéfices des producteurs, des distributeurs et des artistes , quand elle met aux abois le marché de la vidéo physique.

Nul n'est besoin non plus qu'il souligne que ces pratiques illégales utilisent les réseaux de sociétés puissantes , que la France, comme une grande majorité de pays, a le plus grand mal, grâce au recours systématique à des dispositifs d'optimisation fiscale de haute précision , à assujettir à l'impôt pour ce qui concerne leurs activités sur le territoire national.

La lutte contre le piratage ressemble fort au supplice de Sisyphe, tant les législations nationales peinent à s'adapter aux évolutions technologiques constantes dont usent les pirates. Pourtant, au-delà des seules politiques répressives, certes utiles, existent des solutions pour limiter la consommation illégale d'oeuvres cinématographiques.

Ainsi, une offre légale plus large, diversifiée et disponible constitue indéniablement l'instrument le plus efficace en la matière, comme le rappelaient il y a quelques mois Corinne Bouchoux et Loïc Hervé, co-rapporteurs, au nom de votre commission de la culture, de l'éducation et de la communication, de la mission d'information sur la Hadopi 8 ( * ) .

Doit être saluée, dans ce domaine, la récente initiative du CNC consistant à permettre une recherche par titre sur le site VàD.cnc.fr, qui renvoie lui-même vers des sites partenaires tels que Allociné , Première ou Télérama , où les oeuvres légalement disponibles sont référencées. Il n'empêche que sur un total de 30 000 films répertoriés sur le service du CNC, 18 000 ressortent indisponibles , soit parce qu'ils ne sont pas encore numérisés - c'est le cas de nombreuses oeuvres patrimoniales -, soit parce que les droits ne sont pas disponibles en application de la chronologie des médias, soit enfin, mais plus rarement, parce que le titulaire des droits refuse la diffusion.

S'agissant de la numérisation , on se réjouira de la poursuite du plan numérique en 2016, même si le coût de l'opération - environ 100 000 par films - la rendra longue et laborieuse.

En revanche, un éventuel assouplissement de la chronologie des médias demeure un sujet extrêmement épineux , tant celle-ci constitue un pilier essentiel du système vertueux de préfinancement des oeuvres cinématographiques. Pourtant, un assouplissement maîtrisé pourrait avoir d'indéniables effets positifs, tant sur l'exploitation des oeuvres que sur l'exportation des films français sur les plateformes de VàD , comme le rappelait Isabelle Giordano, présidente d'Unifrance, lors de son audition par votre rapporteur pour avis.

Cette chronologie, résultant d'un accord interprofessionnel étendu par arrêté, repose sur la cohérence et la proportionnalité des différentes fenêtres d'exploitation par rapport au poids et aux obligations de chacun dans le préfinancement des oeuvres.

La chronologie des médias

La loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet (dite loi Hadopi) a renouvelé les bases juridiques du dispositif, désormais prévu aux articles L. 231-1 à L. 234-2 du code du cinéma et de l'image animée.

Concernant l'exploitation sous forme de vidéogrammes, le délai minimum, fixé par la loi a été avancé à quatre mois après la date de sortie en salles, contre six mois, en pratique, dans le régime précédent. Une possibilité de dérogation, accordée par le président du CNC, est prévue pour l'application contractuelle d'un délai inférieur, lorsque le film concerné enregistre moins de 200 entrées au cours de sa quatrième semaine d'exploitation.

Les délais d'exploitation sur les services de médias audiovisuels à la demande (SMAD) et de télévision ont été fixés par l'accord professionnel étendu du 6 juillet 2009 conformément à la directive 2007/65/CE du 11 décembre 2007 dite « Services de médias audiovisuels » et aux accords de l'Élysée. Ces délais sont de dix mois pour une chaîne payante ayant signé un accord avec les organisations du cinéma, de douze mois pour la télévision payante en générale, de vingt-deux mois pour une chaîne coproductrice, de trente mois pour toute autre chaîne, de trente-six mois pour la VàD par abonnement et de quarante-huit mois pour la VàD gratuite.

Faute d'avoir été dénoncé par une ou plusieurs organisations professionnelles représentatives dans un délai de trois mois avant sa date d'échéance, l'accord du 6 juillet 2009 est reconduit tacitement chaque année .

Source : CNC

L'évolution de la chronologie a fait l'objet de négociations sous l'égide du CNC dès le premier trimestre 2012 . Ces discussions ont été gelées à compter de l'été 2012, dans le contexte de la mise en place de la mission confiée par le gouvernement à Pierre Lescure concernant l'acte II de l'exception culturelle, dont la remise du rapport en mai 2013 a permis de relancer les échanges.

En 2014, le CNC a rencontré formellement l'ensemble des organisations professionnelles et sociétés signataires de l'accord du 6 juillet 2009, la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) et la Société civile des auteurs, réalisateurs et producteurs (ARP). Durant cette phase d'échanges bilatéraux , il a recueilli les positions des professionnels et sondé auprès d'eux, de manière confidentielle, les principales hypothèses de travail relatives aux évolutions de l'accord.

À l'issue de ce processus, lors d'une seconde phase de négociations, le CNC a soumis aux signataires potentiels plusieurs projets d'avenant à l'accord actuel. Le dernier date de janvier 2015 et envisage les évolutions suivantes :

- l'amélioration des conditions de dérogation automatique à trois mois pour la vidéo et la VàD, élargie aux films ayant fait moins de 20 000 entrées cumulées au cours des quatre premières semaines d'exploitation et moins de 1 000 entrées sur la quatrième semaine ; soit environ 40 % des films sortant en salles chaque année ;

- l'avancement de deux mois de l'ensemble des fenêtres des chaînes de télévision ;

- la mise en place d'un principe de « fenêtres glissantes », par dérogation automatique : le glissement pourrait aller jusqu'au début de la fenêtre précédente, pour les seuls films ayant réalisé moins de 200 000 entrées, et sans diffuseurs avérés sur la fenêtre précédente ;

- la limitation du « gel des droits » pour la VàD à l'acte , selon des modalités en cours de discussion avec les chaînes de télévision ;

- l'exclusion du court métrage de l'accord .

Les discussions ont été suspendues durant les négociations professionnelles de deux accords : l'un entre les organisations professionnelles du cinéma et Canal+, l'autre entre ces mêmes organisations et OCS. Après leurs conclusions respectives, les échanges relatifs à l'accord chronologie des médias ont repris et se poursuivent durant le dernier trimestre 2015.

Votre rapporteur pour avis, convaincu de l'intérêt d'une telle évolution en vue d'améliorer l'offre légale disponible et de renforcer les possibilités d'exploitation des oeuvres, appelle de ses voeux la conclusion rapide d'un nouvel accord.

Les parties devront être attentives à instaurer un système souple et adaptable, qui n'encourage pas pour autant les pratiques commerciales problématiques pour l'un ou l'autre des acteurs du secteur. À cet égard, comme le rappelaient les représentants de Canal+ lors de leur audition, il convient de prendre garde à maintenir la fenêtre réservée à la chaîne , qui demeure un soutien majeur de la production cinématographique . Si elle demeure prisée des cinéphiles -91 % des nouveaux abonnés déclarent que le cinéma représentent la première cause de leur engagement -, la chaîne perd environ 150 000 abonnés par an, ce qui, à terme, va l'obliger à réduire ses investissements. Une réduction, voire une disparition, de son avantage en matière de chronologie des médias ne conduirait qu'à accélérer ce recul.

2. Une nécessaire modernisation des financements

L'absence de dynamisme, voire le recul, de certaines sources de financement du cinéma ne cessent, à juste titre, d'inquiéter la filière. D'aucuns réfléchissent, dès lors, à l'appréhension de nouvelles recettes , afin de maintenir le niveau d'aide dont bénéficient les industries du secteur tout en soulageant, à due concurrence, certains opérateurs d'obligations désormais inadaptées à leur environnement économique.

Ce débat se concentre essentiellement sur l' évolution du rôle dévolu aux chaînes de télévision dans le dispositif de financement du cinéma. Les chaînes demeurent les principaux financiers de la filière, tant du fait de leurs investissements dans la production (apports en coproduction et préachats) qu'au travers de leur contribution en taxe sur les services de télévision (TST) au compte de soutien du CNC. Elles supplantent même les producteurs, qui ne représentent que 30 % du financement des devis, soit 238,6 millions d'euros d'investissements en 2014.

Compte tenu de la diminution régulière du chiffre d'affaires des chaînes de télévision, en conséquence notamment de l'attrition de leurs recettes publicitaires, il serait temps, estime René Bonnell dans son rapport précité, de redessiner leurs obligations .

Auditionné par votre rapporteur pour avis, il milite pour un décloisonnement des obligations des chaînes au profil d'un usage plus libre et plus souple des crédits destinés à la production dans les différentes catégories d'oeuvres , dès lors que seraient posés certains garde-fous pour assurer la diversité. Une telle mesure, tout en laissant aux chaînes plus de liberté, pourrait contribuer à la diversification de l'activité des sociétés de production et, de fait, à leur concentration. Les producteurs seront alors plus à même de négocier avec des distributeurs puissants.

Pour Frédérique Bredin, présidente du CNC, l'option la plus efficace consisterait à porter les obligations de financement des chaînes au niveau des groupes pour plus de souplesse et un meilleur rendement .

Des discussions sont en cours à cet effet entre le CNC et TF1. France Télévisions pourrait également être intéressé mais les préoccupations de la nouvelle direction portent aujourd'hui logiquement davantage sur la mise en oeuvre de son nouveau plan stratégique. Selon elle, il conviendrait en outre que, au travers d'une modification du seuil applicable au chiffre d'affaires, les chaînes de la TNT s'impliquent davantage dans le financement des oeuvres et participent à celui du CNC.

Face à la diminution structurelle de certaines taxes affectées au CNC, Frédérique Bredin indiquait également à votre rapporteur pour avis qu'il lui semblerait utile de réfléchir à de nouvelles ressources, notamment via l' assujettissement aux taxes existantes des opérateurs étrangers qui diffusent des contenus français , à l'instar de Youtube où 33 % des contenus disponibles sont des oeuvres aidées par le CNC. Une telle mesure permettrait, en outre, de réduire les distorsions de concurrence entre opérateurs. Déjà, la création, par la loi de finances pour 2015, d'une taxe sur la VàD à l'étranger, que la Commission européenne devrait prochainement avaliser, constitue une avancée majeure en matière d' équité de la fiscalité numérique. Pourrait également être envisagée une extension de la taxe sur les vidéogrammes aux hébergeurs , en prenant soin d'en exclure les sites de presse.

Les possibilités d'évolution sont donc multiples et, ce dont votre rapporteur pour avis se réjouit, une réflexion portant sur l'adaptation de l'encadrement règlementaire des investissements des chaînes de télévision est en cours au sein du ministère de la culture et de la communication.

La participation de la télévision à l'activité cinématographique est également le fait de la production audiovisuelle qui, elle aussi, bénéficie d'un crédit d'impôt. Or, pour des raisons identiques à celles évoquées précédemment s'agissant du cinéma, la production de séries audiovisuelles souffre d'un phénomène de délocalisation de ses tournages , qui ne cesse de s'amplifier.

Par souci de cohérence fiscale entre deux secteurs d'activité fort proches et afin de relocaliser une partie des tournages de fiction télévisée sur le territoire national, votre rapporteur pour avis estime utile que le crédit d'impôt audiovisuel fasse l'objet, dans le présent projet de loi de finances, d'une amélioration des conditions, qui le régissent. À cet effet, il envisageait de proposer, par voie d'amendement, de le porter à 25 % des dépenses éligibles pour les fictions audiovisuelles , soit un niveau identique à celui applicable aux oeuvres audiovisuelles d'animation. Il se réjouit, de fait, que l'Assemblée nationale ait adopté, au cours de sa séance publique du 13 novembre dernier, un dispositif identique doublé d'une augmentation du plafond des dépenses éligibles.

Votre rapporteur pour avis estime, par ailleurs, que pour véritablement inciter à la relocalisation des tournages de cinéma et de fiction télévisée , outre l'incitation que représente le crédit d'impôt, il conviendrait d'instaurer parallèlement un système contraignant , dans lequel seraient pénalisés, dans le cadre de l'agrément par exemple, les producteurs qui choisissent de tourner à l'étranger sans raison artistique valable. Il serait souhaitable que la réforme en cours de l'agrément inclue une telle condition.

En outre, bien qu'amélioré, le dispositif fiscal français demeure d'une grande complexité , au point de faire renoncer des producteurs étrangers à envisager la France comme territoire de tournage. Le plus efficace, en matière de lisibilité comme de levée de fonds, serait peut-être de fusionner les SOFICA et les crédits d'impôt en un dispositif unique.

Sur ces deux points, votre rapporteur pour avis invite à une réflexion, afin d' évaluer la faisabilité de telles évolutions et de mesurer les conséquences économiques, qui en découleraient.

Enfin, votre rapporteur pour avis est favorable à ce que les modifications, qui seront apportées par le projet de loi de finances rectificative pour 2015 à la redevance sur la création de bureau commerces et entrepôts en Ile-de-France (RCBCE), prennent en compte la particularité des établissements cinématographiques, qui déjà sont exonérés de la taxe sur les bureaux en Ile de France (TABIF).

En effet, cette redevance représente souvent plus de 10 % des coûts moyens de construction des salles de cinéma et décourage de nombreux projets. Les établissements cinématographiques sont d'autant plus taxés que leur activité nécessitent une grande surface d'exploitation, pour une commercialité très faible. À titre d'exemple, un cinéma de 5 000 m² génère annuellement un chiffre d'affaires de 500 euros au mètre carré contre près de 10 000 euros au mètre carré pour un hypermarché de superficie équivalente. La redevance afférente à une telle superficie, soit près de 600 000 euros, représente donc presque 25 % du chiffre d'affaires d'un cinéma contre seulement 2 % de celui d'un hypermarché.

Par ailleurs, le dispositif pose des difficultés en termes de concurrence : en Ile de France, plus de 40 % des salles relèvent directement ou indirectement du secteur public et sont, à ce titre, exonérés de RCBCE. Enfin, le dispositif constitue un frein dommageable à la modernisation et au développement du parc francilien.

Dès lors, il serait cohérent que la RCBCE ne s'applique qu'aux espaces commerciaux et d'accueil du public des cinémas , à l'exclusion des salles de projection des films.

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Compte tenu de ces observations, votre rapporteur pour avis propose à la commission d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Culture » du projet de loi de finances pour 2016.

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La commission de la culture, de l'éducation et de la communication émet un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Culture » du projet de loi de finances pour 2016 .


* 8 « La Hadopi : totem et tabou » - Rapport d'information n° 600 (2014-2015).

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