B. UN SOUTIEN PUBLIC EST NÉCESSAIRE POUR COMPENSER LE DIFFÉRENTIEL DE COMPÉTITIVITÉ VIS-À-VIS DE NOS CONCURRENTS EUROPÉENS

Il n'y a presque plus de segment qui ne soit ouvert, d'une façon ou d'une autre, à la concurrence internationale . Quasiment tous ceux sur lesquels le pavillon français faisait prime sont accessibles aux navires battant pavillon d'un autre État membre de l'Union européenne (UE). Les marchés européens sont largement ouverts aux pays tiers, notamment ceux qui disposent d'un registre de libre immatriculation, et à bord des navires battant pavillon français, presque toutes les fonctions sont ouvertes aux marins ressortissants d'autres États membres de l'UE.

Les aides financières mises en place par les États membres dans le cadre des lignes directrices communautaires en faveur du transport maritime visent à limiter le phénomène de dépavillonnement et les fuites vers des pavillons non européens, plus attractifs d'un point de vue économique. Néanmoins, si ces interventions publiques jouent un rôle important dans le ralentissement du déclin des flottes européennes, la concurrence internationale reste forte sur un marché global, complètement libre et caractérisé par de faibles barrières à l'entrée.

Dans ce contexte, les armements européens doivent faire face à une compétition issue des pays d'Asie du Sud-Est et d'Extrême-Orient qui opèrent avec des structures de coûts particulièrement attractives. Les écarts observés au sein de compagnies de porte-conteneurs sont de 1 à 3 entre un commandant français et un commandant philippin et de 1 à 5 en ce qui concerne les personnels d'exécution . Pour autant, la qualité des navigants français (officiers et ingénieurs) est reconnue, et ils restent prisés à bord de navires sensibles comme les méthaniers ou les câbliers.

La France dispose aujourd'hui de faibles moyens pour soutenir, dans les limites imposées par l'UE, ses activités maritimes. La mise en place du Registre international français (RIF) par la loi n° 2005-412 du 3 mai 2005 16 ( * ) , a permis de stabiliser la flotte française affectée au transport en nombre de navires et, dans une moindre mesure, en emplois embarqués pour les marins français. Il a également contribué à la modernisation et au rajeunissement du pavillon français. Cependant, ces effets perceptibles pendant quelques années ne suffisent plus aujourd'hui à contrecarrer un déficit de compétitivité structurel.

La crise qui s'est installée depuis 2008 a exacerbé la concurrence et certains pays comme le Royaume-Uni ou le Luxembourg ont mis en place des corpus réglementaires et fiscaux très attractifs, ce qui amplifie le dépavillonnement dans les pays voisins (sauf pour les pays qui s'étaient déjà inscrits dans une logique de libre immatriculation, comme Malte ou Chypre). Ainsi, le pavillon français ne souffre pas tant de la concurrence internationale, que de celle d'autres États membres de l'UE , pourtant soumis aux mêmes lignes directrices communautaires.

En effet, employer un marin sous pavillon français représente toujours un coût supérieur à celui d'autres pavillons européens qui présentent les mêmes garanties de fiabilité. L'écart de rémunération entre un marin français et un marin anglais est de 20%, et s'élève jusqu'à 40 % vis-à-vis des marins danois ou italiens. L'organisation du temps de travail et des congés n'est guère plus favorable puisqu' il faut en France trois équipages pour faire tourner un navire contre deux au Danemark . Enfin, les exonérations de charges sont insuffisantes par rapport à d'autres États européens (Danemark, Italie, Royaume-Uni, Luxembourg) qui sont allés au maximum de ce qu'autorisent les lignes directrices sur les aides d'État au transport maritime, en supprimant totalement les charges patronales et salariales.

Le Danemark, que l'on ne peut suspecter de mener une politique du moins-disant social, développe actuellement une véritable politique maritime : il a mis en place un dispositif de « netwage » qui consiste en une exonération totale de charges patronales et salariales, et qui permet même aux armateurs de conserver une fraction de l'impôt sur le revenu prélevé à la source . En conséquence, la flotte danoise connaît une croissance de 10 % en nombre de navires et en tonnage.

Ce dispositif du « netwage » a d'ailleurs été proposé aux États membres par la Commission Européenne dans ses lignes directrices de 2004 sur les dispositifs de soutien au transport maritime. Il est appliqué de manière particulièrement offensive et complète en Finlande, au Danemark, en Allemagne, en Belgique, en Italie et en Grande-Bretagne. Ce n'est donc pas un hasard si les 1 er et 2 ème armements mondiaux sont le danois APM Maersk et l'Italien MSC, qui ne cessent de grossir et distancent nettement CMA-CGM en nombre de navires et en capacité !

Le rapport d'Arnaud Leroy 17 ( * ) a proposé de s'aligner sur le régime du « netwage », en étendant l'exonération des charges patronales non-ENIM à l'ensemble des entreprises d'armement maritime exposées à la concurrence internationale. Le coût de ce dispositif est estimé à 15 M€, soit un montant relativement faible au regard des enjeux, mais votre rapporteur déplore que l'on n'observe aucune avancée sur ce dossier depuis deux ans. Le Gouvernement est aujourd'hui dans une situation de déni total , puisqu'il préfère au contraire s'appuyer sur les récents dépavillonnements pour justifier des économies sur les exonérations de charges !


* 16 Pour mémoire, le RIF permet de recruter des membres de l'équipage à des conditions internationales, c'est-à-dire réglées par le contrat entre le marin et l'armateur, dans le respect des règles internationales fixées par les conventions dont la France est signataire. Les marins français naviguant sur un navire immatriculé au RIF bénéficient de l'exonération d'impôt sur le revenu sous réserve de naviguer 183 jours à l'étranger. Le Conseil constitutionnel a validé ce double régime salarial au sein d'un même équipage, considérant que « les navigants qui résident hors de France ne se trouvent pas dans la même situation que ceux qui résident en France compte tenu des conditions économiques et sociales propres aux pays où se situe le centre de leurs intérêts matériels et moraux » - et que cette « différence objective de situation » justifiait une différence de traitement sans attenter au principe d'égalité (décision n°2005-514 DC du 28 avril 2005).

* 17 Rapport sur la compétitivité des services et transports maritimes français, remis au ministre délégué en charge des transports par Arnaud Leroy, député (octobre 2013).

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