II. LE BASCULEMENT SUR LES TAXES INTÉRIEURES DE CONSOMMATION : UNE SÉCURISATION JURIDIQUE ATTENDUE QUI N'ASSURE CEPENDANT PAS LA PARFAITE NEUTRALITÉ DE LA RÉFORME POUR LES ENTREPRISES GRANDES CONSOMMATRICES D'ÉLECTRICITÉ

A. UN BASCULEMENT SUR LE RÉGIME DES ACCISES QUI SÉCURISE POUR L'AVENIR LE FINANCEMENT DES CHARGES DU SERVICE PUBLIC DE L'ÉNERGIE

1. La fragilité juridique des contributions actuelles sur l'électricité et sur le gaz

Comme le Gouvernement le reconnaît lui-même, le régime actuel de la CSPE « pose de nombreuses difficultés juridiques tant nationales qu'européennes » 21 ( * ) .

Au plan national , la CSPE fait l'objet d'un contentieux de masse : 54 000 recours préalables ont d'ores et déjà été déposés auprès de la CRE 22 ( * ) , dont près de 14 000 ont été portés devant les tribunaux administratifs. À l'appui de leur demande de remboursement, les requérants contestent non seulement la constitutionnalité de la CSPE au regard, en particulier, du mode de fixation de son taux 23 ( * ) mais aussi sa conformité au droit communautaire en se fondant notamment sur l'absence de notification à la Commission européenne des aides d'État qu'elle finance.

Au plan européen , la fragilité juridique de la CSPE tient aussi à la multiplicité des charges couvertes et au caractère essentiellement « budgétaire » de bon nombre d'entre elles (péréquation tarifaire, tarifs sociaux, etc.) là où le droit communautaire exige, pour ce type de taxe indirecte sur l'électricité qui n'est pas une accise, une finalité spécifique . C'est précisément la raison pour laquelle le Sénat avait, lors de l'examen de la loi « Transition énergétique » et à l'initiative de la commission des finances, recentré la CSPE sur sa seule finalité spécifique incontestable, le soutien des énergies renouvelables , afin d'éliminer un risque de contentieux dont l'effet rétroactif potentiel se chiffrerait en milliards d'euros. Selon des modalités différentes - bascule de la CSPE sur le régime des accises -, la réforme proposée par le Gouvernement répond au même écueil.

En outre, la Commission européenne a ouvert, le 27 mars 2014, une enquête formelle sur les mécanismes de plafonnement de la CSPE au bénéfice des entreprises électro-intensives , au titre de son contrôle des aides d'État.

Enfin, même si aucun contentieux n'est encore ouvert à leur encontre, la CTSSG et la contribution biométhane , bien que mieux « fléchées » dans leur objet, présentent des caractéristiques globalement similaires à la CSPE et partant, la même fragilité juridique .

2. Un basculement opéré sur le régime des accises

Afin de pallier ces difficultés juridiques, le Gouvernement a fait le choix de faire basculer la CSPE sur la TICFE , renommée « CSPE ».

À l'opposé de l'actuelle CSPE, la sécurité juridique de la TICFE paraît en effet d'autant mieux assurée qu'elle correspond à un objet fiscal au périmètre mieux identifié , celui des accises, et qu'elle a été instaurée par la loi du 7 décembre 2010 24 ( * ) dans le cadre de la mise en conformité des taxes sur l'électricité avec le droit communautaire 25 ( * ) .

L'actuelle TICFE est due sur la quantité d'électricité d'une puissance souscrite supérieure à 250 kVA (tarifs verts). Son taux est fixé à 0,5 euro par MWh , soit le taux minimum exigé par le droit communautaire. Les redevables sont les fournisseurs d'électricité 26 ( * ) - qui la répercutent à leurs clients - et les entreprises qui produisent de l'électricité pour leurs propres besoins 27 ( * ) . De nombreux cas d'exemption, d'exonération ou de franchise , autorisés par le droit européen, sont par ailleurs prévus ( cf. infra ). En 2014, le produit de la TICFE s'est élevé à 61,3 millions d'euros .

Pour obtenir un rendement équivalent à celui de l'actuelle CSPE (8 milliards d'euros en année pleine), il a donc été nécessaire, tout en conservant les caractéristiques des taxes intérieures de consommation, de réformer profondément la TICFE en :

- élargissant son assiette à toutes les puissances souscrites , comme c'est aujourd'hui le cas pour la CSPE ;

- portant son taux à 22,5 euros par MWh, soit le tarif prévu pour la CSPE en 2016 ; à partir de 2017, ce taux sera stabilisé , la hausse future des charges devant être financée par le produit du relèvement de la composante carbone des énergies fossiles ( cf. infra ).

Par ailleurs, « afin de reproduire autant que possible les exonérations et plafonnements de la CSPE actuelle » 28 ( * ) , des tarifs réduits sont créés pour les entreprises électro-intensives, hyper-électro-intensives et grandes consommatrices d'électricité fortement exposées à la concurrence internationale ( cf. infra ).

En outre, les modalités de paiement de la taxe doivent être adaptées afin de ne pas peser sur les fonds de roulement des fournisseurs d'électricité. Dans le cadre de l'actuelle CSPE, ces derniers « s'auto-compensaient » en ne reversant que le trop perçu de CSPE par rapport aux charges prévisionnelles. Dans le nouveau dispositif, la taxe, déclarée et acquittée chaque trimestre, fera désormais l'objet de versements mensuels estimatifs (avant régulation trimestrielle) à l'exception de celle due par les fournisseurs alternatifs (moins de 40 TWh par an) qui continuera à être perçue sur une base trimestrielle. Au total, selon les informations fournies à votre rapporteur pour avis, la réforme ne devrait pas avoir d'impact significatif sur le besoin en fonds de roulement des opérateurs , qui étaient particulièrement vigilants sur ce point.

En revanche, le basculement sur le régime des accises implique un changement de traitement des impayés qui n'est pas sans conséquence sur les fournisseurs . Alors que les consommateurs finals étaient jusqu'à présent redevables de la CSPE que les fournisseurs se contentaient de reverser une fois la facture acquittée, ce sont désormais les fournisseurs qui deviennent redevables et doivent en conséquence reverser l'accise sur les quantités fournies, qu'elles aient été payées ou non , conformément à la doctrine fiscale constante appliquée sur toutes les taxes intérieures de consommation et que le Gouvernement n'entend pas remettre en cause. En première analyse, la charge supplémentaire correspondante peut être estimée à moins de 5 millions d'euros cumulés pour l'ensemble des fournisseurs alternatifs , et entre 20 à 25 millions d'euros pour EDF .

Enfin, un basculement similaire de la CTSSG et de la contribution biométhane est opéré sur la TICGN , ce qui conduit à majorer son taux de 0,33 euro par MWh , ce qui portera son taux normal à 4,34 euros par MWh en pouvoir calorifique supérieur en 2016 et à 5,88 euros par MWh en 2017 compte tenu de la trajectoire de relèvement de la composante carbone. Il sera par ailleurs procédé au même relèvement sur les taux réduits de TICGN applicables aux installations grandes consommatrices d'énergie , respectivement gelés à leur niveau de 2013, pour les entreprises soumises au marché européen d'échanges de quotas (1,19 euro par MWh), et de 2014 pour celles dont l'activité est exposée à un risque important de fuite de carbone (1,27 euro par MWh).

Même si ce n'était pas l'objectif premier de la réforme, elle a aussi pour effet de simplifier la fiscalité sur l'électricité et sur le gaz en supprimant trois contributions spécifiques pour les fondre dans deux accises existantes.

Il reste que, par définition, la sécurisation juridique ainsi opérée ne vaut que pour l'avenir et n'éteint pas le risque de contentieux pour le passé tel qu'il existe aujourd'hui pour la CSPE, au plan national comme au plan européen. À cet égard, la question de la notification à la Commission européenne des régimes d'aides passés est posée.

D'ores et déjà, la réforme a été présentée à la Commission européenne , le Gouvernement espérant obtenir, avant la fin de l'examen du « collectif », une « lettre de confort » non engageante par laquelle la Commission ferait état de sa position, avant une déclaration formelle de conformité au droit de l'Union attendue au 1 er janvier 2016.


* 21 Évaluations préalables des articles du projet de loi de finances rectificative pour 2015.

* 22 L'arrivée massive de ces dossiers ayant, avant même qu'il ne soit question de leur traitement, désorganisé matériellement le fonctionnement de la CRE qui a dû recruter trois intérimaires pour les réceptionner.

* 23 Dans sa décision n° 2014-419 QPC du 8 octobre 2014, Société Praxair SAS [Contribution au service public de l'électricité] , le Conseil constitutionnel a certes rejeté le grief fondé sur l'incompétence négative du législateur mais pour un motif d'irrecevabilité propre aux questions prioritaires de constitutionnalité. Dans le cadre d'un contrôle a priori de la loi, un tel mode de fixation serait sans doute jugé contraire à la Constitution.

* 24 Loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l'électricité dite loi « Nome ».

* 25 Directive 2003/96/CE du 27 octobre 2003 restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l'électricité.

* 26 Auprès desquelles la taxe est recouvrée trimestriellement par l'administration des douanes.

* 27 Lorsque leur production dépasse 240 GWh par an et par site.

* 28 Évaluation préalable de l'article 11 du projet de loi de finances rectificative pour 2015.

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