B. UNE RÉFORME QUI OBLIGE À MODIFIER CERTAINS AVANTAGES TARIFAIRES CONSENTIS AUX ENTREPRISES ÉLECTRO-INTENSIVES OU GRANDES CONSOMMATRICES D'ÉLECTRICITÉ

1. Les différents avantages tarifaires dans le système existant

Le régime actuel de la TICFE prévoit déjà de nombreux cas d'exemption, d'exonération ou de franchise qui sont pour la plupart maintenus dans le cadre de la réforme . Ainsi, l'électricité consommée ne doit pas supporter la TICFE lorsqu'elle est utilisée 29 ( * ) :

- pour des procédés métallurgiques, de réduction chimique et d'électrolyse ;

- par les entreprises électro-intensives , entendues comme celles dont le coût des produits est pour plus de la moitié constitué de la valeur de l'électricité consommée ;

- dans un procédé de fabrication de produits minéraux non métalliques ;

- pour la production d'électricité , jusqu'à 240 GWh par an et par site, ou d'autres produits énergétiques ;

- pour les transports par train, métro, tramway et trolleybus (exonération supprimée par la réforme 30 ( * ) ) ;

- à bord des bateaux , lorsqu'elle est produite par le bateau lui-même ;

- par les gestionnaires de réseaux pour compenser les pertes inhérentes au transport de l'électricité ;

- enfin, par les entreprises grandes consommatrices d'énergie soumises au marché européen d'échanges de quotas, définies comme celles dont les achats d'électricité atteignent 3 % de leur chiffre d'affaires ou pour lesquelles la TICFE due est au moins égale à 0,5 % de la valeur ajoutée (exonération également supprimée par la réforme 31 ( * ) ).

En parallèle, d'autres abattements ou plafonnements sont prévus dans le régime de la CSPE actuelle :

- une exonération des producteurs d'électricité pour l'électricité autoconsommée jusqu'à 240 GWh par an et par site ;

- un plafonnement du montant dû par site à 627 783 euros au 1 er janvier 2015 32 ( * ) ;

- enfin, un plafonnement de la CSPE due pour les sociétés industrielles consommant plus de 7 GWh égal à 0,5 % de leur valeur ajoutée .

Selon la CRE, environ 22 % de la consommation intérieure d'électricité serait aujourd'hui dispensée de CSPE. S'agissant des entreprises, on peut estimer qu'environ 30 % de leur consommation est exonérée, les entreprises grandes consommatrices acquittant en moyenne 4 euros de CSPE par MWh .

2. La mise en place de tarifs réduits n'assure pas la parfaite neutralité de la réforme pour les grands consommateurs d'électricité

Si le basculement sur le régime des accises a pour avantage de sécuriser juridiquement la nouvelle CSPE, il oblige également à revenir sur les deux mécanismes de plafonnement de CSPE au profit des entreprises grandes consommatrices d'électricité, qui ne peuvent être dupliqués dans le nouveau régime en ce qu'ils constitueraient, au regard du droit communautaire, une rupture d'égalité de traitement 33 ( * ) .

Dès lors, pour neutraliser les effets de la réforme liés à la suppression de ces deux plafonnements 34 ( * ) , trois types de tarifs réduits sont prévus :

- des tarifs réduits, et dégressifs selon le rapport entre consommation et valeur ajoutée, pour les industries électro-intensives , entendues comme celles dont la consommation excède 7 GWh par an et pour lesquelles le montant dû hors exonérations et exemptions est au moins égal à 0,5 % de leur valeur ajoutée ; ces tarifs réduits sont de 7,5 euros par MWh (pour une consommation inférieure à 1,5 kWh par euro de valeur ajoutée), 5 euros par MWh (entre 1,5 et 3 kWh par euro de valeur ajoutée) et 2 euros par MWh (au-delà de 3 kWh par euro de valeur ajoutée) ;

- un tarif super-réduit à 0,5 euro par MWh pour les installations hyper-électro-intensives , définies comme celles dont la consommation représente plus de 6 kWh par euro de valeur ajoutée et qui appartiennent à un secteur très ouvert sur le plan international (intensité des échanges avec des pays tiers supérieure à 25 %) ; ce tarif super-réduit est aussi accordé aux transports par rail et assimilés 35 ( * ) ;

- enfin, une seconde catégorie de tarifs réduits et dégressifs introduite par voie d'amendement gouvernemental au profit, parmi les industries électro-intensives, de celles qui sont particulièrement exposées à la concurrence internationale 36 ( * ) ; ces tarifs sont encore plus avantageux que les tarifs réduits « de base » : 5,5 euros par MWh (pour une consommation inférieure à 1,5 kWh par euro de valeur ajoutée), 2,5 euros par MWh (entre 1,5 et 3 kWh par euro de valeur ajoutée) et 1 euro par MWh (au-delà de 3 kWh par euro de valeur ajoutée).

La préservation de la compétitivité de nos entreprises étant essentielle , votre rapporteur pour avis a examiné avec la plus grande attention ces différents mécanismes pour vérifier si, comme indiqué par le Gouvernement, la réforme de la CSPE était globalement neutre pour les entreprises 37 ( * ) .

Au vu des éléments d'information qui lui ont été fournis, il apparaît que :

- le Gouvernement a manifestement cherché à limiter au maximum les effets de transferts en dimensionnant les nouveaux tarifs réduits de sorte qu'ils reproduisent au plus près l'effet des anciens plafonnements, sur la base de projections des impacts de la réforme et en consultant les consommateurs industriels concernés ;

- s'agissant des industries électro-intensives, la réforme de la CSPE doit s'inscrire dans le cadre des mesures adoptées ces derniers mois pour rétablir leur compétitivité : taux réduits de taxes intérieures de consommation votés en lois de finances initiale et rectificative pour 2014 ; pérennisation de la réduction de TURPE, compensation accrue de l'interruptibilité et lancement d'appels d'offres pour développer l'effacement industriel introduits dans la loi « Transition énergétique » ; compensation des coûts indirects du carbone adoptée dans le projet de loi de finances pour 2016. Il serait en conséquence paradoxal qu'un surplus de CSPE prélevée sur ces industriels annule en tout ou partie le bénéfice de ces mesures ;

- dans sa version initiale , le dispositif proposé, limité à deux types de taux réduits, ne traitait pas le cas des entreprises grandes consommatrices exposées à la concurrence internationale, laissant craindre un risque de délocalisations de ces activités. Selon les estimations transmises à votre rapporteur pour avis, le surcoût pour les entreprises grandes consommatrices était de 65 millions d'euros , concentrés en particulier sur le papier-carton (6,5 millions) et le caoutchouc plastique (5,7 millions) ;

- le droit communautaire autorisant la prise en compte de critères relatifs aux secteurs industriels, le Gouvernement a ajouté par voie d'amendement de nouveaux taux réduits plus avantageux au profit des secteurs exposés à un risque important de fuite de carbone pour traiter ces cas particuliers ; au total, si la moyenne des taux réduits pour les grands consommateurs est désormais ramenée à 5 euros par MWh, la réforme laisse cependant subsister un coût résiduel estimé à 43 millions d'euros en 2016 ;

- si ce surcoût pèsera sur des secteurs moins exposés au risque de délocalisation , votre rapporteur pour avis entend interpeller le Gouvernement sur les mesures de compensation qu'il compte mettre en place pour assurer, il est vrai dans un cadre contraint, la parfaite neutralité de la réforme ;

- a contrario , la réforme fait quelques gagnants , en particulier parmi les industries lourdes qui bénéficieront des exemptions de l'actuelle TICFE, et plus généralement doit permettre, avec l'élargissement de l'assiette aux énergies fossiles, de stabiliser la fiscalité sur l'électricité là où la CSPE aurait logiquement dû augmenter de 3 euros par an pendant au moins plusieurs années avant de couvrir la totalité des charges.

S'agissant du basculement sur la TICGN de la CTSSG et de la contribution biométhane , qui ne présentaient pas les mêmes plafonnements que la CSPE, la neutralité de la réforme devrait être assurée à l'exception, là aussi, de certaines consommations d'industries lourdes mises hors champ.

Enfin, il convient de préciser que ces différents taux réduits n'entreront en vigueur qu'au plus tard dans les trois mois suivant la confirmation , par la Commission européenne, de leur conformité au droit de l'Union européenne en matière d'aides d'État. Si le Gouvernement est confiant sur l'obtention d'une réponse favorable d'ici au début de l'année, tout retard éventuel poserait la question du régime applicable aux entreprises grandes consommatrices dans l'intervalle.


* 29 En application de l'art. 266 quinquies C du code des douanes.

* 30 Les transports par rail et assimilés étaient jusqu'à présent soumis à la CSPE à hauteur du plafonnement par site mais exonérés de TICFE. La suppression de l'exonération de TICFE dans le nouveau régime vise à maintenir une contribution de ces secteurs d'activité au financement des charges de service public de l'énergie, au taux de 0,5 euro par MWh. Les opérateurs consommant moins d'1,3 TWh seront gagnants tandis que SNCF Mobilités verrait sa contribution portée à environ 3,6 millions d'euros (soit moins d'1 % de sa facture d'électricité).

* 31 Car contraire au droit européen qui impose d'appliquer à tous les consommateurs un taux minimal de 0,5 euro par MWh.

* 32 Ce montant étant révisé chaque année en proportion de l'évolution de la CSPE et dans la limite d'une augmentation de 5 %.

* 33 Ainsi, le plafonnement par site reviendrait à appliquer à certains consommateurs des taux extrêmement faibles de CSPE.

* 34 L'exonération pour l'électricité autoconsommée demeure puisqu'elle existait déjà dans le cadre de la TICFE actuelle, cf. supra .

* 35 L'Assemblée nationale a ajouté à la liste des transports visés les transports par câble de type téléskis.

* 36 Et donc au risque de fuites de carbone consistant à délocaliser la production ou à perdre des parts de marché au profit d'entreprises qui n'auraient pas à subir les effets d'une tarification du carbone sur les prix de l'électricité. Les secteurs et sous-secteurs visés sont ceux énumérés à l'annexe II de la communication de la Commission européenne n° 2012/C 158/04 du 5 juin 2012 relative aux lignes directrices concernant certaines aides d'État dans le contexte du système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre après 2012.

* 37 La neutralité pour les ménages de la réforme de la CSPE entendue au sens strict, c'est-à-dire hors élargissement de l'assiette, étant assurée. À compter de 2017 en revanche, la hausse de la part carbone engendrera des transferts entre les ménages selon leur profil de consommation énergétique, cf. infra .

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