II. UNE PROPOSITION DE LOI QUI VA AU-DELÀ DES EXIGENCES DU CONSEIL DE L'EUROPE

La proposition de loi reprend en les assouplissant les dispositions du projet de loi relatif à la protection des sources déposé en 2013 6 ( * ) . Ce projet de loi s'inspirait déjà largement de l'avis de la Commission nationale consultative des droits de l'homme, adopté en assemblée plénière le 25 avril 2013 et sollicité par la garde des sceaux.

Les recommandations de la CNCDH


• Extension du droit au secret des sources à tous ceux qui contribuent à la production ou la diffusion d'informations ou qui sont amenés à prendre connaissance de cette information.


• Possibilité de ne porter atteinte directement ou indirectement au secret des sources que si un impératif prépondérant d'intérêt public tenant à la prévention ou à la répression d'infractions de nature criminelle le justifie et si les mesures envisagées sont strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi.


• Autorisation préalable par le juge des libertés et de la détention, à peine de nullité, de tous les actes d'enquête ou d'instruction qui auraient pour objet direct ou indirect la découverte de la source d'une information.


• Pénaliser sévèrement les violations du secret des sources.


• Protéger les journalistes de poursuites pour recel de violation du secret de l'instruction.

Source : avis de la CNCDH sur la réforme de la protection du secret des sources,
assemblée plénière du 25 avril 2013

A. L'ARTICLE 1ER TER DE LA PROPOSITION DE LOI : UNE REMISE EN CAUSE DE L'ÉQUILIBRE CONSACRÉ PAR LA LOI DU 4 MARS 2010 RELATIVE À LA PROTECTION DU SECRET DES SOURCES

Outre de substantielles modifications du code pénal et de la loi de 1881, l'article 1 er ter de la proposition de loi propose d'insérer un nouveau titre XXXIV « Dispositions relatives à la protection du secret des sources » au sein du livre IV intitulé « De quelques procédures particulières ».

1. Un strict encadrement des atteintes portées au secret des sources
a) Un élargissement des bénéficiaires de la protection du secret des sources et une définition des atteintes au secret des sources

Le I de l'article 1 er ter vise à élargir les bénéficiaires de la protection des sources. Actuellement, seul le journaliste qui, « exerçant sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, de communication au public en ligne, de communication audiovisuelle ou une ou plusieurs agences de presse, y pratique, à titre régulier et rétribué, le recueil d'informations et leur diffusion au public » bénéficie du droit au secret des sources posé par l'article 2 de la loi du 29 juillet 1881.

Désormais, les directeurs de la publication ou de la rédaction seraient également protégés ainsi que tout collaborateur qui, par sa fonction, serait « amené à prendre connaissance d'informations permettant de découvrir une source et ce, à travers la collecte, le traitement éditorial, la production ou la diffusion de ces mêmes informations ».

La proposition de loi vise également à définir la notion d'atteinte au secret des sources. Par l'insertion d'un II à l'article 2 de la loi de 1881, elle définit une atteinte directe aux sources comme « le fait de chercher à découvrir une source au moyen d'investigations portant » sur un des bénéficiaires de la protection des sources et une atteinte indirecte comme « le fait de chercher à découvrir une source au moyen d'investigations portant sur les archives de l'enquête d'une des personnes mentionnées au I [ les bénéficiaires ] ou sur toute personne qui, en raison de ses relations habituelles avec une des personnes mentionnées au I, peut détenir des renseignements permettant de découvrir cette source ».

b) Les garanties procédurales qui encadrent les atteintes aux sources
(1) Les motivations d'une atteinte au secret des sources

L'article 1 er ter de la proposition de loi encadre strictement les motifs qui peuvent permettre, à titre exceptionnel - si cette information est cruciale - et seulement si cette atteinte est justifiée, d'attenter au secret des sources. Néanmoins, il existe une discordance rédactionnelle au sein de l'article entre les dispositions insérées dans la loi du 29 juillet 1881 et celles introduites dans le code de procédure pénale 7 ( * ) .

Les dispositions visant à modifier la loi de 1881 retiennent que cette atteinte ne peut concerner que :

- la prévention ou la répression d'un crime ;

- la prévention d'un délit constituant une atteinte à la personne humaine puni d'au moins sept ans d'emprisonnement, d'un délit prévu au titre I er du livre IV du code pénal (les atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation, punis d'au moins dix ans d'emprisonnement) ou d'un délit prévu au titre II du même livre IV (les actes de terrorisme, punis d'au moins sept ans d'emprisonnement);

- la répression d'un de ces délits lorsque celui-ci est d'une particulière gravité en raison des circonstances de sa préparation ou de sa commission ou en raison du nombre et de la qualité des victimes et des mis en cause et lorsque l'atteinte est justifiée par la nécessité de faire cesser le délit ou lorsqu'il existe un risque particulièrement élevé de renouvellement de celui-ci.

A l'inverse, les dispositions tendant à modifier le code de procédure pénale ne viseraient que la prévention ou la répression d'un crime, d'un délit constituant une atteinte à la personne humaine ou prévu aux titres I er et II du livre IV du code pénal puni d'au moins sept ans d'emprisonnement et « si les mesures envisagées sont strictement nécessaires et proportionnées au but poursuivi ».

Dans la loi de 1881 comme dans le code de procédure pénale, il serait précisé qu'il devrait être tenu compte, « pour apprécier la nécessité et la proportionnalité, de la gravité des faits, des circonstances de préparation ou de commission de l'infraction, du nombre et de la qualité des victimes et des mis en cause. S'agissant de la répression d'un des délits précités, il est aussi tenu compte de la nécessité de le faire cesser ou du risque particulièrement élevé de son renouvellement . »

(2) L'intervention du juge des libertés et de la détention

La proposition de loi propose, par l'insertion d'un nouvel article 706-185 du code de procédure pénale, de prévoir que tout acte portant atteinte au secret des sources devrait être, à peine de nullité, « préalablement autorisé par ordonnance spécialement motivée au regard des conditions prévues au présent article, prise par le juge des libertés et de la détention saisi, selon les cas, par requête motivée du procureur de la République ou par ordonnance motivée du juge d'instruction ». Cette disposition de principe est déclinée pour les perquisitions et les interceptions de correspondances.

2. La neutralisation du recel du secret de l'instruction

Le secret de l'enquête étant protégé pour des intérêts tenant à l'efficacité des enquêtes mais également à la présomption d'innocence, le recel de tout document issu de la violation de ce secret peut être poursuivi sur le fondement principal de l'article 11 du code de procédure pénale et l'article 226-13du code pénal.

Le présent article vise, par l'insertion d'un V à l'article 2 de la loi de 1881, à créer un nouveau fait justificatif de recel du secret de l'enquête ou de l'instruction et donc une immunité pénale pour les journalistes s'en rendant coupables lorsque la diffusion au public des éléments qu'ils détiennent « constitue un but légitime dans une société démocratique ». Qu'est-ce qu'un « but légitime » : le texte de la proposition de loi ne le dit pas.

Les dispositions sanctionnant la violation du secret de l'enquête


Article 11 du code de procédure pénale

Sauf dans le cas où la loi en dispose autrement et sans préjudice des droits de la défense, la procédure au cours de l'enquête et de l'instruction est secrète.

Toute personne qui concourt à cette procédure est tenue au secret professionnel dans les conditions et sous les peines des articles 226-13 et 226-14 du code pénal.

Toutefois, afin d'éviter la propagation d'informations parcellaires ou inexactes ou pour mettre fin à un trouble à l'ordre public, le procureur de la République peut, d'office et à la demande de la juridiction d'instruction ou des parties, rendre publics des éléments objectifs tirés de la procédure ne comportant aucune appréciation sur le bien-fondé des charges retenues contre les personnes mises en cause.


Article 226-13 du code pénal

La révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire, est punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende.


Article 321-1 du code pénal

Le recel est le fait de dissimuler, de détenir ou de transmettre une chose, ou de faire office d'intermédiaire afin de la transmettre, en sachant que cette chose provient d'un crime ou d'un délit.

Constitue également un recel le fait, en connaissance de cause, de bénéficier, par tout moyen, du produit d'un crime ou d'un délit.

Le recel est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 375 000 euros d'amende.


Article 38 de la loi du 29 juillet 1881

Il est interdit de publier les actes d'accusation et tous autres actes de procédure criminelle ou correctionnelle avant qu'ils aient été lus en audience publique et ce, sous peine d'une amende de 3 750 euros.

3. Le renforcement des sanctions pénales en cas d'atteintes au secret des sources

Conformément aux recommandations de la CNCDH, le présent article modifie le code pénal pour faire de l'atteinte au secret des sources une circonstance aggravante de certaines infractions, lorsque les faits ont été commis dans l'intention de porter une atteinte directe ou indirecte au secret des sources.

Article
du code pénal

Délit

Peines
(droit actuel)

Peines aggravées
(proposition de loi)

226-4

Violation de domicile

Un an d'emprisonnement et 15 000 euros

Un an d'emprisonnement
et 30 000 euros

226-15

Atteinte au secret des correspondances

Un an d'emprisonnement et 45 000 euros

Un an d'emprisonnement
et 75 000 euros

323-1, 1° alinéa

Accès ou maintien dans un système de traitement automatisé de données

Deux ans d'emprisonnement
et 60 000 euros

Deux ans d'emprisonnement et 75 000 euros

323-1, 2° alinéa

Altération d'un système de traitement automatisé de données

Trois ans d'emprisonnement
et 100 000 euros

Trois ans d'emprisonnement et 150 000 euros

432-8

Atteinte à l'inviolabilité du domicile
par l'autorité publique

Deux ans d'emprisonnement
et 30 000 euros

Deux ans d'emprisonnement et 75 000 euros

432-9

Atteinte au secret des correspondances par l'autorité publique

Trois ans d'emprisonnement
et 45 000 euros

Trois ans d'emprisonnement et 75 000 euros


* 6 Dont on lira l'excellente étude d'impact dont ne peut se prévaloir la proposition de loi examinée ici.

* 7 Cette dissonance s'explique par les sous-amendements à l'amendement du Gouvernement, adoptés en séance publique à l'Assemblée nationale.

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