EXAMEN EN COMMISSION

La commission, sous la présidence de M. Jean-Pierre Raffarin, a examiné le présent rapport pour avis lors de sa réunion du 2 novembre 2016.

Après l'exposé des rapporteurs, un débat s'est engagé.

M. Alain Joyandet . - Félicitations pour cet excellent travail. Une augmentation du budget est toujours préférable, mais elle est très faible par rapport aux besoins, notamment en Afrique. Quelle est la stratégie à long terme de la France en Afrique ? Je ne la vois pas très bien... Certains observateurs craignent que nous passions à côté de la grande transformation africaine. Les Nations-Unies sont passées des objectifs du millénaire pour le développement à des objectifs de développement durable. Ce chantier est énorme. L'Afrique a compris que les 131 milliards d'euros d'aide de l'OCDE ne suffissent plus : les crédits publics ne vont pas toujours là où ils seraient nécessaires. Le soutien au développement économique doit être au moins aussi important que l'APD classique, afin de réduire la pauvreté. Les sommes envoyées par la diaspora africaine sont dix fois supérieures à l'APD !

Pour une fois, soyons partie prenante de cette grande transformation, participons au recul de la pauvreté sans crédits budgétaires supplémentaires, en nous intégrant dans les partenariats avec l'Afrique. Nous nous associons avec la Chine - et non avec l'Europe - pour construire des infrastructures, alors que la plus grande partie de notre APD est multilatérale. Mme Merkel fait sa tournée toute seule ; l'Union européenne n'est pas très offensive. Que fait la France pour promouvoir un nouveau positionnement européen ? L'Union africaine a révisé sa politique avec l'Agenda 2063 pour le développement. Près de 10 milliards de dollars sont fournis par l'Inde, 60 milliards par la Chine, 30 milliards pour le Japon, et 100 milliards de francs - CFA - soit 150 millions d'euros seulement par la France... Que peut faire la France seule ? Même si ce n'est pas le sujet de ce rapport budgétaire, transmettons des messages. Nous avons besoin d'un véritable leadership pour que l'Europe soit le partenaire du développement africain, afin de faire reculer la pauvreté et pour que les entreprises françaises fassent partie de cet Agenda 2063. Même si je salue l'augmentation des crédits et que je me rallie aux positions des rapporteurs, je suis inquiet de l'absence de la France en Afrique. Retrouvons un leadership partagé avec les grands pays européens.

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont . - L'agence Expertise France présentera des résultats 2016 plus que satisfaisants, largement supérieurs à nos attentes lors de l'audition de son directeur, avec une croissance de 10 à 20 %. Cette agence, voulue par notre assemblée, a remporté des projets majeurs sur des sujets multiples - climat, environnement, finances publiques, renforcement de la sécurité des États fragiles, gestion de la crise syrienne... Elle contribue ainsi à l'aide au développement et ses résultats sont extrêmement encourageants et valorisants. Monsieur le président, lors de la mandature précédente, nous avons été extrêmement inspirés de vouloir la création de cette agence, qui nous permet notamment de travailler avec les Allemands - sans rivaliser avec la Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GIZ), l'agence de coopération internationale allemande pour le développement.

M. Alain Néri . - Je me félicite de l'augmentation des crédits alloués au développement. Notre réflexion a été largement influencée par la crise migratoire. Avoir une véritable politique de développement est prioritaire. Je me félicite de l'effort sur l'éducation et de la prise en compte des enjeux démographiques. La politique démographique est l'une des plus fortes causes de la crise migratoire. Si l'Afrique compte aujourd'hui 750 millions d'habitants, ils seront 2 milliards dans vingt ans. Pour des raisons humanitaires, de développement, de respect des droits de l'homme et de la femme, promouvons une politique démographique. Demandons un fléchage vers les politiques d'éducation et la contraception.

M. Jean-Paul Emorine . - Avec Didier Marie, je suis rapporteur pour la commission des affaires européennes sur le plan Juncker : 3,2 milliards d'euros seront consacrés à l'Afrique - même si la commission européenne ne les pas encore entérinés. Aidons ces pays chez eux au lieu d'attendre les migrations à nos frontières.

M. Jeanny Lorgeoux . - Votre politique de développement envers l'Afrique doit impliquer davantage l'Europe - ou plutôt, les autres pays Européens doivent nous rejoindre. Cela ne nous empêchera pas de piloter telle ou telle action de coopération - celle-ci étant certes plus compliquée que ce que nous voudrions qu'elle soit, en raison de notre histoire complexe avec ces pays. Oui à une action de long terme, mais prenons en compte la réalité politique.

M. Jacques Legendre . - Nous avons vu réapparaitre le traditionnel débat entre aide multilatérale et bilatérale. Je continue à regretter que l'essentiel des moyens de l'aide multilatérale transite à travers l'Union européenne, sans que la France ne soit visible. Or il faut de la visibilité pour mener une politique d'influence. Rendons à notre diplomatie des moyens supplémentaires.

Si M. Néri a raison d'évoquer la démographie, soyons prudents sur ce sujet conflictuel. Lorsque je présidais une mission en Afrique de l'Ouest, il y a deux ans, le ministre de la santé du Mali a réagi avec violence lorsque nous avons évoqué les politiques de limitation des naissances : selon lui, cela relève de leurs traditions culturelles et les regarde. Mais nous avons aussi le droit de prendre la parole car l'explosion démographique alimente l'immigration. Attention cependant à la manière de le dire ou de l'écrire.

M. Claude Malhuret . - Je n'ai pas changé d'avis ; j'entends un concert de louanges sur l'augmentation de 130 millions d'euros du budget, mais elle ne compense même pas les réductions budgétaires successives depuis 2012. Nous sommes revenus à un chiffre inférieur à celui de 2011, un peu meilleur que l'année précédente. Alors que l'APD était l'un des arguments essentiels du Président de la République, nous constatons un échec considérable à la fin de ce quinquennat.

Cette augmentation est très artificielle : la hausse de la TTF rapportera 500 millions d'euros. Sans cette hausse, le budget se serait réduit de 370 millions d'euros. Si cette taxe n'avait que des effets positifs, pourquoi pas ? Mais elle risque de coûter beaucoup plus que les 500 millions d'euros qu'elle rapporte. En 2013, M. Cazeneuve, alors ministre du budget, s'y était opposé, au motif qu'elle amputerait la liquidité de la place de Paris de 40 %. Cette année, M. Sapin a demandé de ne pas voter l'augmentation, en l'absence d'un accord européen. Le ministre de l'économie et des finances n'était pas en faveur de cette augmentation, et ce pour des raisons allant au-delà des clivages politiques. Après le Brexit, certains organismes financiers s'interrogent sur le lieu où s'implanter. Paris et Francfort sont les deux principaux concurrents. Les enjeux s'élèvent largement au-delà de 500 millions d'euros. Or l'Allemagne n'a pas instauré cette taxe et ne compte pas le faire. Attendons un accord européen. Je ne me joindrai donc pas au concert de louanges. Je me félicite de l'augmentation du budget de l'aide au développement mais la méthode n'est pas la bonne. Comme l'écrivait l'économiste Frédéric Bastiat au XIX e siècle, il y a « ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas » : des milliards d'euros peuvent être perdus demain...

M. Christian Cambon . - Le problème de l'aide multilatérale n'est toujours pas tranché, mais des suggestions existent pour l'aide européenne et une utilisation efficace du Fonds européen de développement (FED), notamment que certains pays européens soient chefs de file pour une catégorie d'aide. Aucun pays européen ne peut assumer la totalité du kaléidoscope des aides. Lors d'un colloque, Philippe Aghion rappelait que les aides ciblées sont celles qui marchent le mieux, comme les aides à la vaccination fournies par la fondation Gates. Ainsi, le pays qui a un savoir-faire dans un pays le réplique dans d'autres. On risque de tirer d'amères conclusions de l'efficacité de l'aide financière au Mali...

M. Jacques Legendre . - C'est vrai.

M. Joël Guerriau . - Je m'interroge sur l'efficacité de l'État dans l'APD. Mon épouse préside une ONG intervenant au Mali depuis vingt ans. Il y a un an, nous avions été sidérés lors d'une rencontre avec une délégation européenne, plus nombreuse que celle de l'ambassade de France : elle se contentait de verser des fonds européens au budget du ministère de l'éducation malien, de façon aveugle, sans se soucier de l'efficacité sur le terrain, alors que notre association n'avait pas pu obtenir de financement pour des opérations de terrain opérationnelles, visibles, menées depuis cinq ans et essentielles sur le plan sanitaire. Je suis sceptique : faut-il plus d'Europe ? Garantissons plus de proximité.

M. Jean-Pierre Raffarin, président . - Voyez le terrible paradoxe qui consiste à la fois à considérer que c'est mieux quand la France agit elle-même et à se plaindre d'être seuls et de devoir lutter pour entraîner les partenaires européens !

M. Jeanny Lorgeoux . - Plutôt que d'envoyer 12 000 soldats de l'ONU dans l'opération Sangaris, payons 2 000 soldats français avec la même somme, cela sera plus efficace !

M. Henri de Raincourt, rapporteur pour avis . - Ces débats montrent l'attachement de chacun au développement de l'Afrique et l'importance de l'aide au développement pour la paix, la stabilité en France et dans le monde pour les siècles futurs. Ayons une politique imaginative, puissante, coordonnée et efficace.

Monsieur Joyandet, la question est plus large que ce rapport budgétaire. Nous voyons dans ce budget des points positifs, qui vont dans la bonne direction, sans aller jusqu'à considérer que le jour succède à la nuit !

Oui, la politique africaine de la France doit évoluer. Ne confondons pas l'aide au développement et une charité censée acheter la tranquillité : on se perd dans les sables et ce n'est pas ce qu'attendent nos partenaires africains. Selon eux, certains organismes français continuent à donner de l'argent sur des programmes flous, ce qui est inefficace pour l'Afrique, et seulement utile à la petite politique menée localement. Des gens ont fait des propositions très intéressantes - pensez à Africanistan , l'ouvrage de Serge Michaïlof.

Cette politique doit être reconfigurée et le principe du chef de file peut y contribuer, à l'instar de la décentralisation française. Un pays peut agir pour le compte des autres et leur rendre des comptes. Proximité, efficacité, mais aussi humanité sont fondamentaux.

L'aide bilatérale sur les programmes 209 et 110 s'élève à 800 millions d'euros, contre 1,5 milliard d'euros pour l'aide multilatérale, soit un rapport d'un tiers - deux tiers. La situation pourrait être améliorée. Inaugurant un centre africain de formation des apprentis financé notamment par la France, j'ai été accueilli par un bandeau « merci la France » écrit en chinois ! Oui, il faut une présence politique forte.

Monsieur Néri, la politique démographique déterminera pour une grande part le reste. Mais attention à la réalité du terrain. M. Rioux et M. Gates ont multiplié les précautions pour ne pas heurter les cultures locales sur la politique démographique, faute de quoi on obtient des résultats contraires. Plusieurs rapports de notre commission - de Jean-Marie Bockel, Jeanny Lorgeoux ou Hélène Conway-Mouret - proposent des réponses.

Je comprends ce qu'affirme M. Malhuret, non sans raison, sur la compétitivité de la place de Paris, mais on ne peut financer de politique d'aide au développement ambitieuse sans financement innovant. Lorsque je présidais une mission sur la TTF à la demande du président Sarkozy, ma feuille de route consistait à rallier le plus grand nombre de pays européens sur la TTF. La France s'est lancée seule, car si personne ne démarre, personne ne suivra. Une telle taxe est justifiée sur les plans pratique et moral. Les activités financières de certains organismes ont beaucoup profité de la mondialisation. Les pauvres doivent aussi en profiter.

M. Jeanny Lorgeoux . - La finance n'est pas notre ennemi !

Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure pour avis . - Nous sommes très critiques envers nous-mêmes. La France est présente en Afrique via ses réseaux diplomatiques, culturels et éducatifs - malgré certaines inégalités. Certes, la force de frappe financière est insuffisante, mais les efforts de l'AFD pour développer des partenariats vont dans le bon sens. Nous sommes plus forts lorsque nous travaillons ensemble. Notre partenaire naturel n'est pas la Chine, même si nous pouvons travailler avec elle sur des projets importants. Nos priorités sont les bonnes. Le développement africain passera d'abord par une bonne gouvernance des pays. Nous devons jouer un rôle de formation dans les domaines de la justice, de la sécurité, des finances et de la fiscalité.

J'interrogerai M. Rioux sur le partenariat privilégié que l'AFD doit entretenir avec Expertise France. Nous avons besoin de travailler ensemble dans l'équipe France. Ce sont des partenaires naturels.

Le défi démographique est le plus sérieux pour l'Afrique. Nous comptons sur le sommet franco-africain de Bamako en janvier 2017 pour aborder l'ensemble des sujets. Mais soyons prudents sur la question démographique !

M. Jacques Legendre . - ...pédagogiques !

Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure pour avis . - Faisons preuve de respect : écoutons autant que nous proposons, pour un véritable partenariat, sans donner de leçons ni proposer de solutions toutes prêtes. Sortons de cette logique de projets clef en main. Les projets qui réussissent sont ceux dans lesquels s'impliquent les Africains.

Il existe déjà une programmation européenne conjointe, des actions de développement des Etats-membres et de la Commission européenne au niveau de certains pays : ce que propose M. Cambon va un cran plus loin, c'est une idée intéressante.

La commission a réservé son vote jusqu'à la fin de l'examen des crédits de la mission « Aide publique au développement » le 16 novembre 2016.

Lors de sa réunion du 16 novembre 2016, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a donné un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Aide publique au développement », les membres du groupe communiste, républicain et citoyen s'étant abstenus.

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