Avis n° 142 (2016-2017) de M. Henri de RAINCOURT et Mme Hélène CONWAY-MOURET , fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, déposé le 24 novembre 2016

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N° 142

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2016-2017

Enregistré à la Présidence du Sénat le 24 novembre 2016

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi de finances pour 2017 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE,

TOME IV

AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT

Par M. Henri DE RAINCOURT et Mme Hélène CONWAY-MOURET,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Pierre Raffarin , président ; MM. Christian Cambon, Daniel Reiner, Jacques Gautier, Mmes Nathalie Goulet, Josette Durrieu, Michelle Demessine, MM. Xavier Pintat, Gilbert Roger, Robert Hue, Mme Leila Aïchi , vice-présidents ; M. André Trillard, Mmes Hélène Conway-Mouret, Joëlle Garriaud-Maylam, MM. Joël Guerriau, Alain Néri , secrétaires ; MM. Michel Billout, Jean-Marie Bockel, Michel Boutant, Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Pierre Charon, Robert del Picchia, Jean-Paul Émorine, Philippe Esnol, Hubert Falco, Bernard Fournier, Jean-Paul Fournier, Jacques Gillot, Mme Éliane Giraud, MM. Gaëtan Gorce, Alain Gournac, Mme Sylvie Goy-Chavent, MM. Jean-Pierre Grand, Jean-Noël Guérini, Claude Haut, Mme Gisèle Jourda, M. Alain Joyandet, Mme Christiane Kammermann, M. Antoine Karam, Mme Bariza Khiari, MM. Robert Laufoaulu, Jacques Legendre, Jeanny Lorgeoux, Claude Malhuret, Jean-Pierre Masseret, Rachel Mazuir, Christian Namy, Claude Nougein, Philippe Paul, Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, MM. Cédric Perrin, Yves Pozzo di Borgo, Henri de Raincourt, Alex Türk, Raymond Vall, Bernard Vera .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 14 ème législ.) : 4061, 4125 à 4132 et T.A. 833

Sénat : 139 et 140 à 146 (2016-2017)

LES PRINCIPALES OBSERVATIONS DE VOS RAPPORTEURS POUR AVIS

1. - L'année 2015 (dernière année pour laquelle les statistiques sont disponibles) a été marquée par une forte augmentation de l'aide au développement internationale, tirée par la progression de l'aide humanitaire et de l'aide aux réfugiés. La même année, l'aide au développement française a augmenté de 2,8 % mais le ratio APD/RNB est resté stable à 0,37 %.

2. - Les crédits demandés pour la mission « Aide au développement » au sein du PLF pour 2017 sont en augmentation d'environ 5,3 % par rapport aux crédits demandés en LFI pour 2016. Les ressources du Fonds de solidarité pour le développement (FSD) se monteront à 738 millions d'euros, un montant stable par rapport à 2016 s'il est tenu compte d'un amendement voté par les députés lors de l'examen du PLF 2016 1 ( * ) .

3. - Les amendements adoptés par l'Assemblée nationale en première lecture du PLF ont pour effet, comme l'année dernière, d'augmenter très significativement la part de la taxe sur les transactions financières consacrée au développement (TTF) (+ 270 millions d'euros).

4 . - Si une part de plus en plus importante de l'aide au développement française est « débudgétisée » dans la mesure où elle est financée par le FSD, le Gouvernement a annoncé l'instauration d'une programmation ex ante de ce fonds. Le FSD sera par ailleurs désormais retracé au sein du document de politique transversale (DPT) « Politique française en faveur du développement ».

5 . - L'AFD va connaître un essor sans précédent au cours des années à venir. En 2016, le volume d'autorisation d'engagement de bonifications de prêts prévu par le programme 110 était de 285 millions d'euros, pour une activité de 9 milliards d'euros de prêts. En 2017, les autorisations d'engagement demandées s'élèvent à 315 millions d'euros, soit une progression de 10 % qui correspond à une cible de 9,5 milliards d'euros d'octrois en 2017, deuxième palier vers l'objectif de 12,5 milliards d'euros en 2020. En outre, pour poursuivre sa croissance et en raison du régime prudentiel auquel elle est soumise en tant que banque, l'AFD devrait bénéficier d'une recapitalisation massive par le biais du futur projet de loi de finances rectificative pour 2016.

Cet accroissement de la « force de frappe » de l'AFD et la hausse considérable de ses financements au cours des prochaines années ne doivent pas conduire à une logique de « chiffre d'affaires » et à une dispersion de l'aide. Celle-ci doit rester ciblée sur les régions où la pauvreté continue à affecter une grande partie de la population ainsi que sur les pays en crise.

6 . - L'augmentation des crédits prévue par le PLF pour 2017 ainsi que par les amendements votés par les députés en première lecture doit permettre :

- la mise en oeuvre de la facilité de prévention et de gestion des crises gérée par l'AFD, dont la création est préconisée par vos rapporteurs dans leur rapport « Sahel, repenser l'aide au développement » ;

- un accroissement de l'effort français envers l'éducation, singulièrement l'éducation de base, secteur-clé pour catalyser le développement de l'Afrique subsaharienne.

À l'issue de sa réunion du mercredi 16 novembre 2016, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a donné un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Aide publique au développement », les membres du groupe communiste, républicain et citoyen s'étant abstenus.

INTRODUCTION

Madame, Monsieur,

L'année 2015 avait été celle des conférences permettant à la communauté internationale de réaffirmer son engagement pour le développement : la conférence d'Addis-Abeba sur le financement du développement en juillet 2015, le Sommet des Nations unies sur les nouveaux objectifs du développement durable en septembre, enfin la conférence de Paris sur le climat (COP 21) en décembre avaient ainsi jalonné ce millésime riche en grands événements.

En outre, dans la continuité de cette remobilisation, le Président de la République avait déclaré que la France allait augmenter son aide publique au développement de 4 milliards d'euros à l'horizon 2020 , les dons devant augmenter à due concurrence des prêts.

L'année 2015 et le début de 2016 ont effectivement été des années de progression de l'aide au niveau international, traduisant notamment une forte augmentation des dépenses en faveur des réfugiés à la suite des crises du Moyen-Orient.

Parallèlement, on a pu observer une prise de conscience croissante de la nécessité de ne pas s'en tenir aux réponses d'urgence face aux crises humanitaires et aux mouvements internationaux de réfugiés. La nécessité de lutter à la racine contre ces phénomènes, en promouvant une aide au développement plus puissante et plus efficace, a ainsi commencé à faire consensus. Cette prise de conscience a lieu dans notre pays mais aussi, par exemple, en Allemagne et aux États-Unis, deux pays qui ont donné une nouvelle impulsion à leur APD au cours des années 2015 et 2016.

En ce qui concerne la France, les crédits d'aide au développement inscrits dans le projet de loi de finances pour 2017 pour la mission interministérielle « Aide publique au développement » s'élèvent à 2 616 millions d'euros en crédits de paiement, ce qui représente une hausse de 132 millions d'euros, soit + 5,3 %, par rapport aux crédits demandés en LFI pour 2016 (2 484 millions d'euros).

De plus, les ressources extrabudgétaires, issues de la taxe sur les transactions financières (TTF) et de la taxe sur les billets d'avion, affectées au fonds de solidarité pour le développement (FSD), s'élèveront à 738 millions d'euros, un montant identique à celui de l'année dernière compte-tenu d'un amendement des députés qui avait affecté une part de 268 millions d'euros de TTF supplémentaire à l'aide au développement.

En première lecture, à l'Assemblée nationale, les députés ont en outre adopté un amendement prévoyant une nouvelle affectation de 270 millions d'euros issus de la TTF directement à l'AFD.

Enfin, les capacités de prêt de l'agence française de développement (AFD) devraient augmenter en 2017, conférant une nouvelle dimension à l'agence. En effet, comme en 2014 et en 2015, le présent projet de loi de finances prévoit une recapitalisation de l'AFD à hauteur de 280 millions d'euros. Une loi de finances rectificative devrait ensuite convertir 2,4 milliards de Ressources à condition spéciale (RCS) en fonds propres, permettant à l'Agence de poursuivre sa progression vers le montant de 12,5 milliards d'engagement annoncés par le Président de la République pour 2020.

Au total, les financements consacrés à l'APD devraient ainsi connaître une hausse en 2017, ce qui devrait permettre de mettre en oeuvre certains des nouveaux outils préconisés par vos rapporteurs dans leur rapport « Sahel : repenser l'aide au développement » 2 ( * ) , en particulier une facilité de prévention et de gestion des crises dotée d'au moins 100 millions d'euros.

Votre commission a donc émis un avis favorable à l'adoption de ces crédits.

I. UNE AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT (APD) FRANÇAISE EN PROGRESSION AU SEIN D'UNE APD INTERNATIONALE RELANCÉE

L'aide publique au développement internationale a connu une progression importante en 2015, en grande partie du fait d'une augmentation de l'aide aux réfugiés. L'aide française est restée stable par rapport au RNB en 2015 mais devrait connaître une inflexion positive à partir de 2016.

A. UNE APD INTERNATIONALE TIRÉE PAR LE NIVEAU ÉLEVÉ DE L'AIDE AUX RÉFUGIÉS

1. Une augmentation globale due en grande partie à l'aide aux réfugiés

En 2015, selon les données préliminaires disponibles, les dix principaux pays contributeurs en volume à l'aide publique au développement (APD) ont été, par ordre décroissant : les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Allemagne, le Japon, la France, la Suède, les Pays-Bas, le Canada, la Norvège et l'Italie. L'évolution sur les cinq dernières années figure dans le tableau ci-dessous :

Pour cette même année, le volume d'APD versé par les membres du Comité d'aide au développement (CAD) de l'OCDE s'est chiffré à plus de 131,6 milliards de dollars, ce qui représente 0,3 % de leur revenu national brut (RNB) cumulé (part constante depuis 2013).

Entre 2014 et 2015, l'APD nette versée par les donateurs du CAD a ainsi baissé de 4 % en valeur.

Toutefois, en volume, compte-tenu de l'inflation et de l'appréciation du dollar, l'aide atteint un niveau de 146,7 milliards d'euros, ce qui représente une augmentation de 6,9 % par rapport à l'année précédente .

En effet, l'aide humanitaire a encore progressé de près de 11 % en 2015, après une augmentation de 22 % en 2014 et 25 % en 2013 .

Surtout, l'aide aux réfugiés a progressé de 110 % en 2015 . Elle est désormais quatre fois plus élevée qu'en 2009. La situation est toutefois très contrastée selon les pays. L'Allemagne a ainsi accru son APD en faveur des réfugiés de 2,8 milliards d'euros, soit une multiplication par 17. L'aide aux réfugiés française a en revanche diminué de 23 %.

2. Des évolutions toutefois contrastées

Les pays du nord de l'Europe , qui se sont fixé pour objectif d'atteindre un ratio d'APD/RNB de 1 %, confirment leur détermination à maintenir leurs efforts. En 2015, la Suède et la Norvège sont les deux premiers donateurs du CAD en part du RNB. L'objectif des 1 % fait dans ces pays l'objet d'un large consensus politique et sert de cadrage à la programmation budgétaire. De même, les Pays-Bas reprennent une trajectoire ascendante vers l'objectif de 1 %, alors que leur APD avait diminué de plus de 900 MUSD entre 2011 et 2013.

Par ailleurs, l'exception britannique et le cas de l'Australie méritent d'être soulignés.

Le Royaume-Uni (RU), deuxième donateur du CAD en volume, a consacré 18,7 milliards de dollars à l'APD en 2015. Le pays se distingue ainsi par l'atteinte de l'objectif de 0,7 % depuis 2013, objectif qui est désormais consacré par la loi de programmation sur la cible d'aide publique au développement de mars 2015. Theresa May, le nouveau Premier ministre britannique, a indiqué à Paris le 21 juillet 2016 que l'objectif de 0,7 % serait maintenu . L'APD constitue ainsi une exception budgétaire au sein d'un État qui a été soumis à de sévères coupes budgétaires dans tous les autres domaines.

A l'inverse, en Australie, le gouvernement Abbott a annoncé à la fin de 2013 que le programme d'APD serait réduit d'environ 3,1 milliards d'euros sur trois ans , et les augmentations futures de l'aide indexées sur les prix à la consommation. Les budgets des trois dernières années ont donc été marqués par une forte baisse des crédits d'APD, la baisse atteignant même 20 % en 2015-2016. Le budget 2016-2017 a prévu une baisse supplémentaire de 5,5 %. En 2017-2018, il est ainsi prévu que l'APD ne représente plus que 0,22 % du RNB, soit le taux le plus bas de l'histoire australienne . Le gouvernement annonce vouloir concentrer son aide sur le développement du secteur privé, l'aide au commerce et le renforcement des institutions (en particulier de santé et d'éducation) des pays en développement.

L'Allemagne, les États-Unis, le Japon et le Canada se caractérisent par une stabilité des volumes d'APD qui se traduira toutefois par des variations de ratios sensibles.

L'Allemagne , troisième donateur du CAD en volume (plus de 17 milliards de dollars en 2015), dont le ratio d'aide se situait autour de 0,38 % jusque 2013, dépasse les 0,5 % pour la dernière année connue (0,52 % en 2015) . Cette nette augmentation est notamment liée à la crise des réfugiés que traversent les pays européens. Compte-tenu du nombre de réfugiés accueillis par l'Allemagne, celle-ci consacre 16,8 % de son APD aux réfugiés en 2015 .

Premier donateur en volume (31,1 milliards de dollars en 2015), les États-Unis se caractérisent par un ratio d'aide faible (0,17 % du RNB en 2015). Les États-Unis n'ont jamais adhéré à l'engagement international des 0,7 % et ne se considèrent donc pas comme liés par cet objectif.

Huitième donateur mondial en volume en 2015 (4,3millliards de dollars), le Canada a vu son ratio APD/RNB diminuer entre 2012 et 2015, passant de 0,32 à 0,28 % . Dans le cadre de la programmation triennale 2012-2015, l'Agence canadienne de développement international s'est fixé pour objectif de réaliser des économies sensibles (diminution de 2 % du budget total).

Après avoir légèrement diminué entre 2011 et 2012 (-482 MUSD), l'APD du Japon , s'est élevé à 0,23 % en 2013, niveau historiquement haut. En 2014 cependant, l'APD a baissé de près de 2,4 Mds USD, ramenant le ratio à 0,19 %. En 2015, l'APD connaît une légère hausse de 54 MUSD, permettant ainsi au Japon d'augmenter son ratio APD/RNB à 0,22 %. Ces fluctuations importantes des flux nets d'APD peuvent s'expliquer par la structure de l'aide du Japon, constituée à 60 % de prêts, et dont les importants remboursements perçus certaines années se déduisent des flux d'APD brute. Enfin, compte tenu des difficultés économiques et budgétaires actuelles, ainsi que des dépenses de reconstruction imposées par les catastrophes de 2011, il est de plus en plus difficile pour les pouvoirs publics d'assurer une progression durable du budget de l'APD. Le pays met dès lors davantage l'accent sur le développement durable et sur la qualité de l'aide.

Enfin, l'Espagne et les autres pays d'Europe du sud compriment fortement leur APD . L'Espagne avait entrepris ces dernières années un effort important d'augmentation de son APD mais la politique de rigueur budgétaire a conduit à de fortes réductions dans le budget de la coopération dès 2011 et à sa sortie du classement des dix premiers donateurs en volume. L'APD a atteint son niveau le plus bas en 2015, 1,6 milliard de dollars, soit 0,13 % du RNB . On observe une baisse similaire dans les autres pays d'Europe du sud frappés par la crise : Grèce, Portugal, Italie.

B. UNE AIDE FRANÇAISE EN PROGRESSION SENSIBLE POUR 2017

1. Une augmentation de 4 milliards d'euros des financements français en faveur de l'aide au développement d'ici 2020

Le 8 septembre 2015, devant l'Assemblée générale des Nations unies, le Président de la République a annoncé que la France allait augmenter progressivement de 4 milliards d'euros ses financements en faveur du développement durable à horizon 2020 . Sur ces 4 milliards, 2 milliards seront consacrés à la lutte contre le changement climatique. En 2020, la France consacrera ainsi plus de 5 milliards d'euros par an à la lutte contre le changement climatique, cet objectif ambitieux devant se traduire par des prêts de l'Agence française de développement et de Proparco. En outre, le Gouvernement s'est engagé à augmenter de façon parallèle son soutien au développement sous forme de subventions . Le niveau des dons devrait ainsi progresser dans les années à venir, afin d'être, en 2020, supérieur d'environ 400 millions d'euros au montant actuel.

Au sein du PLF 2017, ces objectifs se traduisent par une augmentation importante des autorisations d'engagement au profit des crédits de bonification de dons de l'AFD au sein du programme 110, ainsi que par une hausse des crédits du programme 209 consacrés aux dons-projets. En outre, un amendement adopté par les députés au cours de l'examen du présent projet de loi de finances en première lecture à l'Assemblée nationale devrait également avoir pour effet d'accroître le montant total des subventions que l'AFD sera en mesure de verser.

2. L'adossement de l'AFD à la Caisse des dépôts et consignations : des avancées modestes et pragmatiques

Après avoir annoncé en conférence des ambassadeurs un rapprochement entre l'Agence française de développement (AFD) et la Caisse des dépôts (CDC), le Président de la République a confié le 12 septembre 2015 à Rémi Rioux, alors secrétaire général adjoint du Ministère des affaires étrangères, la mission de mener à bien un rapprochement entre l'AFD et la CDC.

L'objectif affiché de cette réforme était double :

- en premier lieu, débloquer les ressources financières nécessaires pour que l'AFD puisse remplir des missions en pleine extension, le Président de la République ayant annoncé un accroissement des prêts en faveur du développement de 4 milliards d'euros à l'horizon 2020, dont 2 milliards d'euros de financements « climat ». La concrétisation de cette annonce supposait que l'AFD commence à augmenter dès que possible le montant de ses prêts. Or, l'agence est un établissement bancaire et doit comme tel se conformer aux règles « Bâle II » traduites dans la directive européenne « CRD IV » qui exigent un certain niveau de fonds propres. Les fonds propres de l'AFD ont déjà été renforcés dans le cadre du Contrat d'objectif et de moyens 2014-2016 entre l'Etat et l'AFD, afin que le niveau d'activité de l'Agence passe à 8,5 milliards d'euros par an en 2016 (contre 7,8 milliards en 2013). Toutefois, cet accroissement serait insuffisant pour aller plus loin et atteindre l'objectif des 4 milliards supplémentaires en 2020 ;

- en second lieu, le rapprochement des deux entités devait permettre de créer, selon les termes du rapport de Rémy Rioux, un « grand pôle financier public, actif au plan domestique et international, et de rejoindre ainsi un modèle institutionnel qui se développe en Europe continentale et dans de nombreux pays émergents ».

Deux options semblaient possibles pour concrétiser le rapprochement des deux entités. D'abord envisagée, la création d'une filiale commune de l'Etat et de la Caisse des dépôts, sur le modèle de Bpifrance, a été abandonnée devant l'opposition du Conseil de surveillance de la Caisse des dépôts. Seconde possibilité, la transformation de l'AFD en une troisième section de la CDC (à côté de la section générale et du fonds d'épargne) n'a pas non plus été retenue.

Le 12 janvier dernier, lors de la cérémonie du bicentenaire de la Caisse des dépôts, le Président de la République avait annoncé que l'AFD serait « intégrée par la loi au sein du groupe de la Caisse des dépôts ». L'AFD conserverait son statut d'établissement public industriel et commercial (EPIC). Il y aurait en outre une « étanchéité financière » entre l'AFD et l'établissement public Caisse des dépôts et consignations. Dès lors, la concrétisation du rapprochement entre les deux entités aurait seulement consisté en l'instauration d'une « gouvernance croisée » entre les deux.

Cette réforme impliquait des modifications législatives au sein du code monétaire et financier, qui devaient être intégrées au projet de loi sur la transparence de l'économie dit « Sapin 2 » présenté au Parlement au cours du premier semestre de 2016.

Telle que présentée par le rapport de Rémy Rioux, la réforme soulevait plusieurs interrogations.

La première concernait le sens même de la réforme. Alors que l'objectif affiché était de permettre à l'AFD de s'émanciper des contraintes financières qui l'enserrent en s'appuyant sur le capital de la CDC, c'est finalement l'Etat qui devra augmenter les fonds propres de l'Agence, comme cela a déjà été fait par le passé. Cette augmentation des fonds propres de l'AFD n'aurait donc eu aucun lien avec le rapprochement des deux entités.

Se posait ensuite la question de la gouvernance du nouvel ensemble. Le rapport indiquait que le directeur général de la Caisse des dépôts devrait présider le conseil d'administration de l'AFD et des représentants de la CDC être désignés en son sein. Inversement, le directeur général de l'AFD devrait être « chargé de responsabilités auprès du directeur général de la CDC et être placé sous son autorité ». Les liens de l'AFD avec l'Etat perdureraient, notamment par le biais de la fixation des orientations de la politique de développement par le Comité interministériel de coopération internationale et du développement (CICID). L'intérêt et l'efficacité d'une telle réforme en matière de gouvernance des deux organismes n'apparaissait pas de manière évidente.

Plus fondamentalement, il était nécessaire de rester vigilant sur les grandes orientations politiques qui sous-tendent, et doivent continuer à sous-tendre l'action de l'AFD. Il convenait notamment de veiller à ce que ces objectifs ne soient pas dilués dans un objectif plus vaste d'aide au développement durable se traduisant essentiellement par l'octroi de prêts à taux de marché à des pays déjà relativement développés, dans une démarche qui comporterait en outre une forte composante de soutien à l'international des entreprises françaises.

Enfin, il convenait de veiller à ce que l'introduction d'un nouvel acteur, la CDC, ne conduise pas à une complexification supplémentaire du paysage de l'APD, déjà éclaté entre plusieurs opérateurs.

Compte tenu de l'importance de ces questions et considérant qu'en tout état de cause une réforme importante de l'AFD méritait un examen et un débat approfondis, M. Jean-Pierre Raffarin, président de votre Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, avait d'ailleurs écrit au Premier ministre pour demander la disjonction de cette réforme du projet de loi sur la transparence de l'économie et la lutte contre la corruption dit « Sapin II » 3 ( * ) . Son souhait avait été entendu, le Gouvernement renonçant à présenter des dispositions législatives sur ce sujet.

Entendu par votre commission, M. Rémi Rioux, directeur général de l'AFD, a néanmoins fait valoir l'intérêt de poursuivre un rapprochement envisagé de manière pragmatique et a indiqué qu'une convention entre les deux organismes était en préparation, pour une signature en décembre.

3. La poursuite de la montée en puissance de l'AFD et d'Expertise France

Le PLF 2017 marque une nouvelle étape dans la progression rapide de l'activité de l'Agence française de développement :

- les crédits (autorisations d'engagement) de bonification de l'agence prévus au programme 110 augmentent de 10 % en 2017, s'élevant ainsi à 315 M€, ce qui correspond à une cible de 9,5 Md€ d'octrois en 2017, deuxième palier vers l'objectif de 12,5 Md€ en 2020 ;

- les crédits de paiement pour subventions prévus au programme 209 augmentent d'environ 30 millions d'euros ;

- le projet de loi de finances pour 2017 prévoit également la conversion de 280 millions de ressources à condition spéciale (RCS) en obligations perpétuelles de l'AFD, ce qui permet d'augmenter la capacité de l'Agence à prêter en respectant des règles prudentielles bancaires ;

- un amendement des députés en première lecture a affecté directement une part de 270 millions d'euros de la TTF à l'AFD.

Par ailleurs, une autre dimension importante de la coopération est l'expertise technique, qui vise à renforcer les capacités des pays pauvres à élaborer leurs politiques publiques dans tous les domaines. Il s'agit par ailleurs secteur qui peut avoir in fine de retombées économiques importantes pour les entreprises françaises. Dans ce domaine, le principal acteur est Expertise France, née en 2014 de la fusion, souhaitée par votre commission, de plusieurs organismes de coopération technique.

Expertise France a poursuivi sa forte croissance en 2016, conformément à son contrat d'objectifs et de moyens 4 ( * ) . L'agence reçoit un double financement du ministère des finances (programme 110) pour 4,52 millions d'euros et du ministère des affaires étrangères (12,7 millions d'euros du programme 209, dont 8,59 millions correspondant au transfert à Expertise France des experts techniques internationaux du ministère).

L'agence devrait également multiplier les projets en collaboration avec l'AFD , de manière à pouvoir proposer de plus en plus souvent une offre intégrée de l' « équipe France » de la coopération.

4. Une APD française stable à 0,37 % du RNB selon les derniers chiffres disponibles

L'APD française s'est établie à 0,37 % du RNB en 2015 , confortant la place de la France au troisième rang des bailleurs du G7 en termes de pourcentage de RNB consacré à l'APD (l'Allemagne occupant le 2 ème rang depuis 2014). S'agissant de l'objectif consistant à atteindre 0,7 % du RNB consacré à l'aide publique au développement, le Président de la République a réaffirmé en clôture des Assises du développement et de la solidarité internationale en mars 2013 l'engagement de la France de replacer l'aide publique dans une trajectoire compatible avec les objectifs internationaux dès que le retour durable de la croissance le permettra.

La position européenne sur ce sujet peut également être rappelée, les conclusions du Conseil affaires étrangères, adoptées le 26 mai 2015, servant en effet de feuille de route en la matière. Les pays entrés dans l'Union européenne avant 2002 réaffirment l'objectif d'atteindre 0,7 % dans l'horizon temporel de l'agenda post-2015 (soit en 2030) . Les circonstances budgétaires exceptionnelles auxquelles sont confrontés certains pays, dont la France, sont explicitement mentionnées.

Toutefois, les événements exceptionnels survenus en 2015/2016, notamment avec la crise des réfugiés, ne constituant probablement qu'un avant-goût des défis que devra affronter la communauté internationale au cours des prochaines décennies, il paraît nécessaire d'accélérer ce replacement de l'APD française sur une trajectoire de croissance , dans la mesure où il s'agit d'une des seules réponses de long terme à ces défis. À cet égard, le PLF 2017 semble encourageant.

Série statistique de l'APD cumulée des pays du CAD et de la France, en valeur absolue et en pourcentage du RNB depuis 1981 :

Versements, en millions de dollars

Année

APD nette totale des pays du CAD

APD nette de la France

Ratio APD en % RNB de la France

1981

24 610

2 964

0,52

1982

27 040

3 050

0,56

1983

26 772

2 909

0,56

1984

28 134

3 026

0,62

1985

28 774

3 134

0,61

1986

35 853

4 042

0,56

1987

40 641

5 250

0,60

1988

47 108

5 463

0,57

1989

45 775

5 802

0,61

1990

54 329

7 163

0,60

Année

APD nette totale des pays du CAD

APD nette de la France

Ratio APD en % RNB de la France

1991

58 368

7 386

0,62

1992

62 440

8 270

0,63

1993

56 286

7 915

0,63

1994

58 991

8 466

0,62

1995

58 896

8 443

0,55

1996

55 751

7 451

0,48

1997

48 658

6 307

0,44

1998

52 312

5 742

0,38

1999

53 601

5 639

0,38

2000

54 021

4 105

0,31

2001

52 767

4 198

0,31

2002

58 654

5 486

0,38

2003

69 583

7 253

0,40

2004

80 130

8 473

0,41

2005

108 296

10 026

0,47

2006

105 415

10 601

0,47

2007

104 917

9 884

0,38

2008

122 784

10 908

0,39

2009

120 558

12 602

0,47

2010

128 369

12 915

0,50

2011

134 971

12 997

0,46

2012

126 911

12 028

0,45

2013

134 832

11 339

0,41

2014

137 222

10 620

0,37

2015*

131 586

9 226

0,37

Source: OCDE CAD1

* Pour 2015, le tableau ci-dessus présente les données préliminaires publiées en avril 2016 par le CAD. Toutefois, le chiffre définitif d'APD 2015 de la France transmis au Secrétariat du CAD est de 9,04 Md$ (le ratio définitif d'APD de la France pour 2015 en % du RNB s'élèverait donc à 0,37%). Ce chiffre est en cours de vérification par les services de l'OCDE et sera publié d'ici la fin de l'année 2016.

Versements nets de l'APD Française par nature de dépenses

en millions d'euros

2011

2012

2013

2014

2015

APD totale

9 348

9 358

8 540

8 005

8 149

APD bilatérale

6 109

6 169

5 122

4 909

4 649

(i) Soutien budgétaire

398

94

171

148

110

(ii) Contributions aux budgets réguliers des organisations et contributions groupées affectées à un objectif spécifique

130

45

89

53

52

(iii) Interventions de type projet

2 258

2 479

2 028

2 379

2 167

(iv) Experts et autres formes d'assistance technique

981

830

782

734

702

(v) Coûts imputés des étudiants

704

724

738

648

593

(vi) Allégement de la dette

900

1 147

524

23

125

(vii) Frais administratifs non compris ailleurs

337

384

388

413

423

(viii) Autres dépenses dans le pays donneur

397

401

344

369

332

dont aide aux réfugiés dans le pays donneur

392

394

341

366

328

Autres formes d'APD

nc

nc

nc

nc

nc

mémo : Aide alimentaire à des fins de développement

37

40

36

36

39

mémo : Aide humanitaire

62

48

31

38

29

APD multilatérale

3 238

3 189

3 418

3 095

3 499

(i) Organismes des Nations Unies

188

164

190

164

215

(ii) Union européenne

1 742

1 631

1 711

1 771

1 751

(iii) Association Internationale de Développement (AID)

461

422

400

440

794**

(iv) Autres org. de la Banque Mondiale (AMGI, BIRD, SFI)*

83

25

24

25

24

(v) Banques régionales de développement

200

203

245

166

229

(vi) Fonds pour l'environnement mondial

64

65

34

34

51

(vii) Protocole de Montréal

7

8

8

8

8

(viii) Autres organismes

494

671

807

488

427

Source : OCDE, Dac1 et SNPC ++, l'OCDE procède régulièrement à des mises à jour des statistiques.

* AMGI : Agence multilatérale de garantie des investissements ; BIRD : Banque internationale pour la reconstruction et le développement ; SFI : Société financière internationale ** Cette ligne comprend à la fois les prêts et les dons : l'année 2015 est une année exceptionnelle pour la contribution de la France à l'AID en raison de la réalisation d'un prêt concessionnel à hauteur de 430 M€ (prêt qui ne se renouvelle pas chaque année).

II. UN BUDGET EN AUGMENTATION AU SEIN DU PLF POUR 2017

Le Gouvernement a présenté un budget 2017 de la mission « Aide publique au développement » en hausse de 132 millions d'euros par rapport à 2016. Cette progression a été encore accentuée par les députés lors de l'examen du présent projet de loi de finances en première lecture.

A. DES CRÉDITS DE LA MISSION EN HAUSSE DE 5,3 %

La mission interministérielle « Aide publique au développement » rassemble les crédits de deux programmes concourant à la politique française d'aide au développement : le programme 110 « Aide économique et financière au développement », mis en oeuvre par le ministère des finances et des comptes publics, et le programme 209 « Solidarité à l'égard des pays en développement », mis en oeuvre par le ministère des affaires étrangères et du développement international.

Dans le projet de loi de finances pour 2017, le budget de la mission interministérielle « Aide publique au développement » s'élève à 2 616 millions d'euros en crédits de paiement, ce qui représente une hausse de 132 millions d'euros, soit + 5,3 % par rapport aux crédits demandés en LFI pour 2016 (2 484 millions d'euros). Rappelons qu'en 2015, le budget initialement présenté par le Gouvernement affichait une baisse de plus de 6 % par rapport à l'année précédente, ce qui avait été mal perçu compte tenu des engagements pris par le Président de la République aux grandes conférences de 2015.

Par ailleurs, les recettes extrabudgétaires (TTF et taxe sur les billets d'avion) affectées au fonds de solidarité pour le développement (FSD) s'élèveront à 738 millions d'euros , ce qui correspond au montant de 2016 tel que modifié à la hausse par les députés lors de l'examen du PLF 2016.

1. Les crédits du programme 110 : une hausse de 5,3 %

en millions d'euros

Autorisations d'engagement

Crédits de paiement

LFI 2016

PLF 2017

évolution

LFI 2016

PLF 2017

évolution

Aide multilatérale

76,2

1 452

+1805 %

598

587

-1,8 %

Aide bilatérale

313

382

+22 %

235

298

+26,8 %

Traitement de la dette des pays pauvres

0

330

-

105

104

-1 %

Total du programme 110

389

2165

+465 %

938

988

+5,3 %

Source : projet annuel de performance annexé au projet de loi de finances pour 2017.

La progression très élevée des autorisations d'engagement par rapport à 2016 provient de la session de reconstitution de l'Association internationale de développement (AID), guichet concessionnel de la Banque mondiale qui octroie des dons et des prêts à taux très faible aux pays en développement les plus pauvres. Les AE seront engagées en 2017 et les paiements seront effectués de 2018 à 2020.

Par ailleurs, la hausse des crédits de paiement de 26,8 % pour l'aide bilatérale s'analyse en réalité comme un retour à un montant très proche à celui qui était prévu en LFI 2016 avant qu'un amendement des députés ne redéploye 50 millions d'euros du programme 110 vers le programme 209, afin de diminuer les crédits de bonification de prêts de l'AFD au profit des dons du programme 209.

a) Des crédits d'aide multilatérale relativement stables

L'action n° 1 « Aide économique et financière multilatérale » (586 619 912 € en crédits de paiement) est composée de contributions à des fonds internationaux. S'agissant d'engagements pluriannuels, les variations observées correspondent en général à des décisions prises plusieurs années auparavant.

Plusieurs de ces contributions restent stables entre 2016 et 2017. C'est le cas des contributions au Fonds fiduciaire de Lutte anti-blanchiment (LAB) / Lutte anti-terrorisme (de 0,15M€ à 0,19M€), de l'importante contribution au Fonds pour l'environnement mondial avec environ 50 millions d'euros, qu'il faut distinguer du Fonds vert pour le climat créé à la conférence sur le climat de Copenhague en 2009, celui-ci recevant essentiellement des crédits issus du FSD (cf. encadré ci-dessous).

Le Fonds vert pour le climat

Le Fonds vert pour le climat (dit Fonds Vert) doit devenir le principal fonds multilatéral consacré au financement de la transition des pays en développement vers des économies sobres en carbone. Le Fonds Vert a jusqu'à présent mobilisé 10,2 Mds USD de contributions, quasi exclusivement gouvernementales (la ville de Paris ayant quant à elle annoncé une contribution de 1 M€). Le Fonds pourra continuer à recevoir d'autres contributions, y compris de sources privées d'ici la prochaine reconstitution formelle, probablement en 2018.

L'activité du Fonds vert a été initiée en mai 2015 après que plus de 50 % des accords de contributions ont été signés par les pays qui avaient fait des promesses de contribution en novembre 2014. Dès le conseil de novembre 2015, les premiers projets ont commencé à être approuvés. Les premiers décaissements ont eu lieu en 2016 dans le cadre du programme de renforcement des capacités des pays en développement pour accéder aux financements du Fonds, et devraient être suivis dès 2016 par les premiers décaissements sur les projets.

Le gouvernement français s'est pour sa part engagé à verser une contribution de 774 M€ (1 Md USD à l'époque de la constitution du Fonds) sur la période 2015-2018. Cette somme se répartit ainsi :

- 432 M€ en dons répartis sur 2015-2018 , dont les deux premiers versements en 2015 et 2016 ont été réalisés à partir du Fonds de solidarité pour le développement (FSD) à hauteur de 104 M€ et 61,8 M€ ;

- 285 M€ en prêt très concessionnel via l'AFD qui sera réalisé entre le 1 er février et le 30 novembre de l'année 2017 et donnera lieu à des bonifications portées par le programme 110 ;

- 57 M€ en dons versés également entre le 1 er février et le 30 novembre de l'année 2017 pour servir de garantie pour le prêt le cas échéant, également à partir du FSD .

Par ailleurs, en 2017, la contribution française au groupe de la Banque mondiale sera stable à 345,9 millions d'euros en crédits de paiements. Ce nouveau montant correspond à la troisième échéance de la dix-septième reconstitution de l'Association internationale de développement (AID) négociée en 2013. Pour cette reconstitution, la France a obtenu que la majorité des ressources de l'AID soient affectées à l'Afrique subsaharienne et que le mécanisme d'affectation soit ajusté d'une manière plus favorable aux États fragiles.

En ce qui concerne le fonds africain de développement (FAD), guichet concessionnel de la banque africaine de développement (BAfD), 2017 sera la première année de la quatorzième reconstitution, dont les négociations sont en cours. L'engagement de la France sera de 381 M€ d'AE sur le programme 110, correspondant à un don décaissé sur trois ans (2017-2019). Le premier versement en 2017 sera de 127 M€ en CP. Dans le cadre de la négociation de cette quatorzième reconstitution, le FAD introduit la possibilité d'apporter une partie de la contribution par prêts. Il est envisagé, en fonction de l'évolution de la négociation, un prêt de 250 M€ maximum financé en AE et CP dès 2017 à partir du programme 853 «Prêts à l'Agence française de développement en vue de favoriser le développement économique et social dans des États étrangers ».

En ce qui concerne le fonds asiatique de développement (FAsD), guichet concessionnel de la Banque asiatique de développement (BAsD), les négociations pour la onzième reconstitution du fonds été menées en 2015 et 2016 pour couvrir la période 2017-2020. Avec une contribution de 46 M€ d'AE en 2016, la France reste cinquième contributeur non-régional au FAsD. Le montant de CP de 11,5 M€ demandé en 2017 correspond à la première des quatre annuités au titre de cette reconstitution. Enfin, la contribution au Fonds international de développement agricole est stable à 11,6 millions d'euros.

b) Des crédits bilatéraux en forte hausse


• La bonification des prêts accordés à l'étranger par l'AFD : 191 millions d'euros en 2016.

L'activité de prêts de l'AFD a augmenté de manière très importante au cours des dernières années, principalement au titre des prêts non bonifiés.

Le coût de la bonification, c'est-à-dire la différence entre le coût d'emprunt et de prêt pour l'AFD, est remboursé par l'Etat à l'AFD par des procédures complexes.

En 2016, en cohérence avec l'engagement présidentiel d'une hausse de l'activité de 4 Md€ en 2020 (soit 12,5 Md€ d'octrois en 2020 contre les 8,5 Md€ fixés par le contrat d'objectif et de moyens 2014-2016), le volume d'AE prévu était de 285 M€ (235 M€ inscrits en LFI 2016 et 50M€ demandés en LFR 2016), pour une activité de 9 Md€ de prêts. Le besoin de CP pour 2016, 180 M€ dont 88,2M€ de versements à titre exceptionnel réalisés à partir du FSD, correspondait essentiellement à la mise en oeuvre d'engagements antérieurs à 2016.

En 2017, les AE demandées s'élèvent à 315 M€, soit une progression de 10 % qui correspond à une cible de 9,5 Md€ d'octrois en 2017, deuxième palier vers l'objectif de 12,5 Md€ en 2020. Le besoin de CP pour 2017, qui s'établit à 191 M€, correspond lui aussi quasi exclusivement à la mise en oeuvre d'engagements antérieurs à 2017.


• Le fonds français pour l'environnement mondial (FFEM) : 23 millions d'euros

Créé en 1994, le FFEM, dispositif bilatéral de la France, pendant du fonds pour l'environnement mondial, subventionne des projets de développement durable. Les ressources du FFEM s'élevaient à 95 millions d'euros pour la période 2011-2014 et le PLF 2015 a prévu un montant de 90 millions d'euros pour 2015-2018, dont 27 millions de CP en 2015 et 22 millions d'euros en 2016. Le montant prévu pour 2017 est de 23 millions d'euros.


• Les aides budgétaires globales (ABG) : 37 millions d'euros AE=CP

Les ABG visent à apporter un soutien budgétaire aux stratégies nationales de lutte contre la pauvreté, de stabilisation macro-économique et d'amélioration de la gestion des finances publiques des pays partenaires. Elles ne servent pas à financer un projet particulier.

Les crédits passent de 22,18 millions d'euros CP en 2016 à 37 millions d'euros en 2017.


• Le fonds d'études et d'aide au secteur privé (FASEP) : 21,51 millions d'euros et Expertise France (4,52 millions d'euros)

Le FASEP permet de financer des études de faisabilité en amont des projets d'investissement, des prestations d'assistance technique, de formation ou de coopération institutionnelle, ainsi que des dispositifs de soutien au secteur privé.

Par ailleurs, la nouvelle dotation « Expertise France » se voit allouer 4,52 millions d'euros en crédits de paiement.


• Les autres aides bilatérales

L'action « Aide bilatérale » du programme 110 permet également de rémunérer l'AFD pour les opérations qu'elle réalise pour le compte de l'Etat sur le programme 110. Pour 2016, un montant de 3 millions d'euros est prévu tant en AE qu'en CP (- 14%).

Comme en 2016, un montant de 480 000 euros est prévu pour les évaluations des actions du programme 110 tandis qu'une somme de 3,38 millions d'euros vise à rémunérer la banque privée Natixis qui gère pour le ministère la « réserve pays émergents » (RPE) et le FASEP.

c) Le traitement de la dette des pays pauvres : un montant stable de 104 millions de CP pour 2017

L'initiative « Pays pauvres très endettés » (PPTE), lancée en 1996, vise à réduire à un niveau soutenable le poids de la dette extérieure de 39 pays. Les crédits liés à cette initiative sont inscrits dans la mission « Prêts à des États étrangers », dans le programme 852. 735 millions d'euros y sont ainsi prévus pour 2016.

Parallèlement, le programme 110 de la mission « Aide publique au développement » compense à d'autres organismes les conséquences des annulations de dette décidées dans le cadre de l'initiative PPTE. Le PLF pour 2017 prévoit ainsi une indemnisation de l'AFD à hauteur de 37,6 millions d'euros, de la Banque mondiale à hauteur de 46,7 millions et du fonds africain de développement à hauteur de 19,3 millions.

2. Le programme 209 : une hausse de 5 %

en millions d'euros

Autorisations d'engagement

Crédits de paiement

LFI 2016

PLF 2017

évolution

LFI 2016

PLF 2017

évolution

Aide bilatérale

601

598

-0,5 %

570

568

-0,3%

Aide multilatérale

100

150

+50 %

106

156

+47 %

Union européenne

701

742

+5,8 %

701

742

+5,8 %,

Dépenses de personnel concourant au programme

166

184

+11 %

196

184

-6,1 %

Total du programme 209

1 597

1 676

+5 %

1 572

1 651

+5 %

Source : projet annuel de performance annexé au projet de loi de finances pour 2017.

On peut observer que la progression des crédits concerne essentiellement l'aide multilatérale ainsi que l'aide transitant par le budget de l'Union européenne.

Par ailleurs, les députés ont adopté plusieurs amendements ayant un impact important sur les crédits du programme :

- un amendement, adopté avec un avis favorable du Gouvernement, portant de 0,2 % à 0,3 % le taux de la taxe sur les transactions financières, ce qui devrait rapporter une somme d'environ 500 millions d'euros ;

- un amendement, adopté en dépit de l'avis défavorable du Gouvernement, étendant la TTF aux transactions journalières (« intraday »), dont l'impact financier n'est pas encore évalué ;

- un amendement, finalement accepté par le Gouvernement, affectant une part de 270 millions d'euros de la TTF directement à l'AFD afin d'accroître les financements en subventions de l'agence. Un amendement identique avait été voté par les députés lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2016. À ce jour, les crédits correspondants n'ont pas été versés à l'AFD mais devraient l'être par le biais du FSD.

Vos rapporteurs approuvent cet apport supplémentaire très significatif qui devrait notamment permettre à l'agence de financer la facilité de prévention et de gestion des crises qu'ils appelaient de leurs voeux dans leur rapport « Sahel, repenser l'aide au développement ».

Dans la suite du rapport sont utilisées les informations du PAP sans les amendements précédemment mentionnés.

a) La coopération bilatérale

(1) Des « dons-projets » en hausse

Les « dons-projets » sont des subventions versés de manière bilatérale. Ils ont connu une baisse importante ces dernières années alors qu'ils constituaient auparavant l'essentiel de l'aide au développement .

Pour 2017, ces dons-projets se montent dans le PLF 2016 à environ 403 millions d'euros en autorisations d'engagement et environ 373 millions d'euros en crédits de paiement (respectivement 330 millions d'euros et 300 millions d'euros dans le PLF 2016). Ces crédits connaissent ainsi une progression significative, cohérente avec l'engagement présidentiel d'augmenter les subventions de l'APD à hauteur de 600 millions d'euros en 2020.

Les dons-projets sont répartis entre quatre canaux :

- l'AFD en attribue la plus grande part : 227 millions d'AE en 2017 (contre 172 millions d'euros en 2016), dont environ 3 millions d'euros pour la prise en charge des ETI dans le cadre du transfert de la gouvernance aux partenaires de la direction générale de la mondialisation (DGM) et 7,5 millions d'euros pour les actions s'inscrivant dans le continuum humanitaire-stabilisation-développement dans le cadre de la stratégie d'intervention de la France dans les États fragiles ;

- conformément à l'engagement du Président de la République de doubler ce canal d'acheminement de l'aide d'ici la fin du quinquennat, les financements transitant par les ONG étaient passés de 71 millions en 2015 à 79 millions en 2016 en AE ; ils restent stables en 2017 ;

- 32,3 millions d'euros (contre 34 millions d'euros en 2016) alimenteront le fonds de solidarité prioritaire (FSP) qui constitue l'instrument de l'aide projet du ministère des affaires étrangères.

Dans le cadre de la réforme «MAEDI 21», une refonte de cet instrument est en cours afin de s'adapter aux recommandations du CICID et de simplifier les procédures. Le nouveau dispositif, nommé « Fonds de solidarité pour les projets innovants, les sociétés civiles, la francophonie et le développement humain » (FSPI), se mettra progressivement en place à mesure que les projets FSP en cours s'éteindront, jusqu'en 2018. Ce nouveau dispositif se traduira par la suppression de la pluri-annualité des crédits, avec l'instauration d'un dispositif annuel ; l'abandon du caractère interministériel de la procédure et la mise en place de procédures simplifiées d'approbation des projets ; une concentration des moyens sur les 16 pays pauvres prioritaires (PPP, au moins 50% des autorisations d'engagement), l'Afrique subsaharienne et les pays voisins de la Méditerranée (ASM).

Au total, vos rapporteurs se félicitent de cette hausse substantielle des crédits affectés aux dons et subventions en 2017 , qui répond à une recommandation formulée de longue date par les commissions chargées des affaires étrangères des deux assemblées. Cette hausse des dons devra avant tout bénéficier aux pays pauvres prioritaires, d'autant que certains d'entre eux sont à nouveau dans une situation d'endettement croissant qui risque de rendre difficile tout emprunt supplémentaire .

b) Une grande diversité d'aides bilatérales

Hors dons-projets, les aides bilatérales recouvrent des types d'aide très divers.

Parmi les montants les plus importants, les contrats de désendettement et de développement (C2D) 5 ( * ) liés à l'Initiative en faveur des pays pauvres très endettés, concentrent en 2017 un financement de 53,2 millions d'euros (contre 52 millions en 2016). Le programme 209 de la mission APD ne prend en compte que la part de l'AFD sur ces contrats, celle de l'Etat étant inscrite dans la mission « Prêts à des États étrangers ». Les principaux pays concernés par les C2D en 2017 seront la Côte d'Ivoire, le Cameroun et le Congo .

Les crédits dédiés à l'aide alimentaire sont stabilisés à 37 millions d'euros. L'assistance alimentaire française répond à deux objectifs de la stratégie sectorielle CICID en matière d'agriculture et de sécurité alimentaire : prévention et gestion des crises alimentaires (y compris réhabilitation post-crise) ; soutien aux populations vulnérables sur le plan nutritionnel (malnutrition infantile, femmes enceintes) et menacées par la détérioration de leurs conditions d'existence. Pour l'année 2017, comme les années précédentes, les actions s'orienteront en priorité vers la réponse aux besoins des populations victimes de crises.

Par ailleurs, la rémunération de l'AFD pour les actions qu'elle mène pour le compte de l'Etat (dons-projets, dont assistante technique et ONG, C2D et crédits délégués) s'élèvera à 35,7 millions d'euros en 2017 , un niveau en forte hausse par rapport à 2016 (27 millions d'euros), ce qui s'explique par l'augmentation des dons-projets.

L'agence Expertise France recevra quant à elle une subvention de 12,7 millions d'euros en 2017, correspondant, d'une part, au transfert du coût des experts techniques internationaux dans le cadre de la rationalisation des moyens d'expertise, pour 8,59 millions d'euros, et d'autre part, à la subvention d'équilibre à l'établissement pour 4,1 millions d'euros.

En outre, 22,5 millions d'euros (montant stable par rapport à 2016) seront consacrés aux aides budgétaires post-conflit et pour des pays en sortie de crise. Ces aides financent par exemple la prise en charge d'arriérés de salaires ou des dépenses relevant des ambassades de ces pays en France. Notons que, comme les années précédentes, cette ligne budgétaire constitue un doublon avec la ligne d' « aides budgétaires globales » gérée par le ministère de l'économie et des finances.

Le soutien à la coopération décentralisée est également stabilisé, à hauteur de 9,2 millions d'euros.

c) La coopération multilatérale et communautaire

(1) Le fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme

Fondé en 2002, le fonds mondial est un partenariat entre des gouvernements, la société civile, le secteur privé et les personnes touchées par les maladies. Principal organisme multilatéral de collecte de fonds pour la santé dans le monde, il investit aujourd'hui près de 4 milliards de dollars par an et fournit 82 % du financement international en matière de tuberculose, 50 % en matière de tuberculose et 20 % en matière de sida. De 2002 à 2015, le fonds a engagé 15 milliards de dollars pour le sida, 7,9 milliards pour le paludisme et 4,5 milliards pour la tuberculose. Les frais de fonctionnement du fonds sont un peu supérieurs à 300 millions de dollars par an.

Le fonds mondial doit recevoir 360 millions d'euros de la France en 2016, dont 127 millions devaient provenir du programme 209 et 233 millions des financements dits innovants via le fonds de solidarité pour le développement (FSD). Toutefois, un amendement de seconde délibération du Gouvernement, approuvé par les députés en première lecture, avait réduit de 161 millions d'euros les crédits du programme 209, afin de modérer la hausse de 268 millions d'euros résultant d'un amendement des députés. De ce fait, le Fonds mondial Sida ne sera pas, comme prévu dans le PLF 2016 initial, partiellement alimenté par le programme 209, mais en totalité par les crédits de la TTF, via le FSD. Ce choix est reconduit en 2017, les crédits du Fonds mondial n'apparaissant plus au sein du programme 209.

En juin 2016, le Président de la République a renouvelé l'engagement de la France auprès du Fonds mondial pour la période 2017-2019 en maintenant la contribution de la France à hauteur de 1,08 million d'euros pour le triennium . Cet engagement a été confirmé par le Secrétaire d'Etat chargé du Développement et de la Francophonie, André Vallini, lors de la Conférence de reconstitution du Fonds à Montréal en septembre 2016.

En 2017, le Fonds mondial Sida recevra donc à nouveau 360 millions d'euros en provenance du FSD .

(2) La contribution au Fonds européen de développement (FED) : 742 millions d'euros en 2017

Le FED, instrument spécifique situé hors du budget de l'Union européenne, a été créé en 1957.

Les États membres de l'Union européenne ont signé, le 24 juin 2013, un « accord interne » instituant le 11 ème fonds européen de développement qui couvre la période 2014-2020. Dans le cadre de l'accord de partenariat ACP - UE signé à Cotonou en 2000, les objectifs poursuivis par ce 11 ème FED sont « l'éradication de la pauvreté, le développement durable et l'intégration progressive des Etats ACP dans l'économie mondiale ». Ses considérants prévoient en outre : « il y a lieu d'accorder un traitement particulier aux pays les moins avancés ».

Le 11 ème FED 6 ( * ) est doté d'un montant total de 30,5 milliards d'euros pour la période 2014-2020. Les clés de répartition entre les États membres de l'Union européenne ont été fixées dès les conclusions du Conseil européen des 7 et 8 février 2013 relatives au cadre financier pluriannuel de l'Union. Elles sont reprises à l'article 1 er de l'accord interne instituant le fonds. Le premier pays contributeur reste ainsi l'Allemagne avec 20,6 % de l'enveloppe totale, puis viennent la France (17,8 %), le Royaume-Uni (14,7 %) et l'Italie (12,5 %).

La contribution de la France continue de diminuer pour s'aligner progressivement sur sa clé de contribution au budget général de l'Union européenne : elle contribuait au 9 ème FED (2000-2007) à hauteur de 24,3 % et au 10 ème FED (2008-2013) à hauteur de 19,6 %. Pour le 11 ème FED (17,8 %), sa contribution totale s'élèvera à 5,4 milliards d'euros, soit une moyenne annuelle de 776 millions.

Contribution des Etats membres de l'Union européenne
au 11 ème FED

Pour 2017, la contribution française au FED, qui comprend encore des financements au titre du 10 ème FED, s'élèvera, conformément à la dernière décision du Conseil de novembre 2015, à 742 millions d'euros , en hausse de 41 millions d'euros par rapport à la LFI pour 2016.

d) Les autres aides multilatérales financées par le programme

Les contributions volontaires de la France à des organisations des Nations unies restent concentrées sur quatre organismes : le PNUD (programme des Nations unies pour le développement), le HCR (haut-commissariat aux réfugiés), UNICEF (fonds des Nations unies pour l'enfance) et l'UNRWA (réfugiés de Palestine).

Ces contributions passent de 49 millions d'euros en 2016 à 99 millions en 2017 en raison de l'engagement du ministre des affaires étrangères lors de la conférence de Londres en soutien à la Syrie le 4 février 2016, avec l'annonce d'un montant de 200 millions d'euros de dons, en priorité pour le Liban, sur la période 2016-2018.

Par ailleurs, la mission « Aide publique au développement » regroupe également des crédits à destination de la francophonie : 53,5 millions d'euros sont ainsi prévus en 2017, en hausse de 6 millions d'euros par rapport à 2016. Ces crédits financent le loyer de la Maison de la francophonie, l'Organisation internationale de la francophonie (OIF) et divers opérateurs (Agence universitaire de la francophonie, association internationale des maires francophones...).

e) Les dépenses de personnel concourant au programme

Les dépenses de personnel concourant au programme 209 baissent d'environ 11 millions d'euros de 2016 à 2017, passant de 195,5 millions d'euros à 184,5 millions d'euros. Ces personnels relèvent principalement de la direction générale de la mondialisation, du développement et des partenariats (DGM), direction qui est aussi responsable du programme « Diplomatie culturelle et d'influence », et des 112 services de coopération et d'action culturelle (SCAC).

B. UNE NOUVELLE AUGMENTATION DE LA TAXE SUR LES TRANSACTIONS FINANCIÈRES

1. Une initiative novatrice de la France

La France a mis en oeuvre la taxe sur les transactions financières (TTF) à partir de juillet 2012, conformément aux engagements du Président de la République à la tribune des Nations unies ainsi qu'au G8 et au G20. La TTF est une taxe de 0,2 % sur les acquisitions de titres de capital 7 ( * ) , qui comprend également deux autres dispositifs : une taxe sur les ordres annulés dans le cadre d'opérations à haute fréquence et une taxe sur les acquisitions de contrats d'échange sur défaut d'un État ( Credit default swaps ). Les rendements de la TTF ont été de 871 M€ en 2014, de 1 057 M€ en 2015, de 932,5 M€ en 2016.

Conformément aux engagements du Président de la République, une partie des recettes de la TTF française est affectée, dans la limite d'un plafond fixé par le Parlement, à la lutte contre le changement climatique et les grandes pandémies, par le biais d'une affectation au fonds de solidarité pour le développement (FSD) . Le reste des recettes de la TTF est affecté au budget général de l'État. La part maximale pouvant être affectée au développement a progressivement augmenté, passant de 10 % des recettes en loi de finances pour 2013 avec un plafond de 60 millions d'euros, à 15 % dans celle pour 2014 (plafond de 100 millions d'euros), puis 25 % dans celle pour 2015 (plafond de 140 millions d'euros). La loi de finances pour 2016 a supprimé le pourcentage d'affectation du produit de la TTF au FSD, augmenté le plafond à 260 millions d'euros et prévu une affectation directe de 25 % du produit de la taxe à l'AFD.

2. Des progrès récents dans les négociations pour une TTF élargie à 10 pays de l'Union européenne

La TTF est une taxe de type « Tobin » et a en tant que telle une vocation internationale. Des négociations sur la mise en place d'une telle taxe au niveau communautaire ont commencé en 2010 après l'échec des négociations au sein du G20. Toutefois, les désaccords rapidement apparus entre les pays membres ont montré que seule une coopération renforcée était envisageable à court terme. Outre la France, dix États membres sont désormais engagés dans cette coopération renforcée : Allemagne, Espagne, Italie, Belgique, Portugal, Grèce, Autriche, Estonie, Slovénie et Slovaquie.

Ces États ont ainsi élaboré une feuille de route en marge du Conseil « Ecofin » du 6 mai 2014. La TTF européenne reposera sur le principe d'une assiette large et de taux faibles. L'objectif du Gouvernement était d'obtenir une convergence politique sur les grandes lignes structurantes de la taxe lors du Conseil « Ecofin » de novembre 2014, en vue d'un accord à l'unanimité des États membres participants avant la fin 2015. Ce calendrier n'a pas pu être tenu.

Après une relance des négociations en 2016 à l'initiative de la France, les ministres des finances des pays concernés sont toutefois parvenus à un accord important sur le périmètre de la taxe le 10 octobre 2016 et un nouveau projet de directive pourrait être présenté par la Commission à la fin de novembre ou au début de décembre 2016 .

3. Une nouvelle affectation à l'AFD par les députés

Lors de l'examen de la première partie du projet de loi de finances à l'Assemblée nationale, les députés ont adopté un amendement affectant directement une part de 270 millions d'euros de TTF à l'AFD.

Un amendement quasi-identique avait déjà été adopté par les députés lors de l'examen du PLF 2016. Toutefois, la somme de 268 millions d'euros ainsi prélevée sur le produit de la TTF n'a pas été affectée, in fine , à l'AFD, mais au FSD, afin de financer des dépenses multilatérales.

Vos rapporteurs estiment qu'il est indispensable que le financement de 270 millions d'euros dégagé par l'amendement des députés soit, cette fois, effectivement versé à l'AFD en vue de financer des lignes de dons-projets. En particulier, ces crédits pourront contribuer à abonder la facilité de prévention et de gestion des crises dont vos rapporteurs ont préconisé la création dans leur rapport consacré à l'aide au développement au Sahel.

En outre, les députés ont adopté en séance publique, contre l'avis du Gouvernement, un amendement ayant pour effet d'étendre l'assiette de la TTF aux transactions intrajournalières . Il s'agit ainsi de taxer des mouvements dont certains sont jugés de nature purement spéculative. Une disposition semblable, introduite par les députés au sein du PLF pour 2016, avait été censurée par le Conseil constitutionnel en 2015 pour des raisons de procédure.

LES DÉPENSES DU FONDS DE SOLIDARITÉ POUR LE DÉVELOPPEMENT (FSD)

Dans la limite des plafonds en vigueur, les ressources de la taxe de solidarité sur les billets d'avion et, depuis 2013, une partie de la taxe sur les transactions financières française sont affectées au FSD.

En application du décret n° 2013-1214, l'AFD gère le FSD et effectue les versements pour le compte de l'Etat, sous la supervision et les instructions d'un comité de pilotage interministériel.

Les bénéficiaires des ressources du FSD sont fixés par décret. Depuis le 23 décembre 2013, le FSD peut financer, en plus de la facilité internationale d'achats de médicaments Unitaid, de la facilité financière internationale pour l'immunisation (IFFIm) et du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme (FMSTP), les actions des bénéficiaires suivants : le Fonds vert pour le climat, l'Alliance mondiale pour les vaccins et l'immunisation (GAVI), le fonds fiduciaire de l'Initiative pour l'alimentation en eau et l'assainissement en milieu rural (RWSSI) de la Banque africaine de développement et l'Initiative solidarité santé Sahel (I3S) de l'AFD. Le paiement des contributions françaises à l'IFFIm est prioritaire sur les autres dépenses : compte tenu du montage spécifique de cette modalité de financement innovant et de l'engagement associé, un retard de paiement d'un des contributeurs aurait des effets mettant en péril tout le mécanisme.

Au 31 août 2016, les montants cumulés du FSD depuis 2006 sont les suivants :

- recettes encaissées (environ 2240 M€) : 1784,5 M€ pour la taxe de solidarité sur les billets d'avion (depuis 2006) ; 445,9 M€ pour la taxe française sur les transactions financières (depuis 2013) et 10,0 M€ de versement du budget général (réalisé pour mémoire en 2007 de façon conjoncturelle) :

- dépenses effectuées (environ 2023 M€) : 1090,9 M€ à UNITAID, 223,0 M€ au remboursement de l'IFFIm, 515,0 M€ au Fonds Mondial de lutte contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme, 42,0 M€ à GAVI, 40,0 M€ à RWSSI, 6,0 M€ à l'I3S, 105,0 M€ pour le Fonds Vert pour le climat, 1,0 M€ à l'AFD (prestation de gestion).

En 2016 et 2017, les dépenses du Fonds de solidarité pour le développement seront, à l'instar des années précédentes, consacrées prioritairement aux enjeux de santé et à la lutte contre le changement climatique.

Total des dépenses à partir des financements innovants : exécution 2015, prévisions 2016 et 2017

III. UNE PRIORITÉ À RÉAFFIRMER : L'AIDE À L'ÉDUCATION DE BASE

Bien que l'aide à l'éducation constitue la clef de l'avenir de nombreux pays en développement et qu'elle soit régulièrement citée parmi les grandes priorités tant de la communauté internationale que de la France, l'engagement réel n'est plus à la hauteur de cet affichage depuis plusieurs années.

A. UN SECTEUR QUI DOIT RESTER PRIORITAIRE, EN PARTICULIER DANS LES PAYS LES PLUS PAUVRES

Lors de leur analyse du cas du Sahel, vos rapporteurs avaient constaté que l'éducation, et en particulier l'éducation de base, ne semblait plus constituer, dans les faits, une priorité de notre politique d'aide au développement.

Il s'agit pourtant d'un secteur-clef , à la croisée des enjeux économique, démographique (l'éducation des filles constituant le levier le plus puissant pour infléchir le taux de fécondité dans des pays qui n'ont pas entamé la seconde phase de la transition démographique), sociaux et de citoyenneté.

Les recherches d'Evans et Rose (2007) ont ainsi montré que la population adulte ayant suivi des études primaires a 1,5 fois plus de chances de soutenir la démocratie que si elle n'a pas été scolarisée, cette probabilité étant 2 fois plus élevée si elle a suivi des études secondaires. En outre, dans une population ayant un ratio de 38 % de jeunes, le risque de conflit est réduit de moitié si on passe de 30 % à 60 % de jeunes au secondaire - l'effet étant plus important pour les garçons, d'après les travaux de Barakat et Urdal (2009).

L'éducation fait partie des secteurs dont le retard est le plus préoccupant dans les pays du Sahel . La très forte croissance démographique en cours déstabilise des systèmes éducatifs déjà fragiles. Malgré des progrès dans l'absolu en termes de taux de scolarisation, les classes sont surchargées, l'enseignement est d'une qualité insuffisante et l'absentéisme est massif. Dans ce domaine, les programmes d'ajustement structurel des années 80-90 ont eu des effets négatifs importants en engendrant un départ massif d'enseignants qualifiés à la retraite par anticipation, provoquant une rupture des équilibres qui produit toutes ses conséquences néfastes aujourd'hui.

B. LES NOUVELLES PRIORITÉS DE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE

1. Un objectif ambitieux pour 2030 sur fond de ralentissement très net des progrès depuis 2007

La communauté mondiale s'est notamment fixé, comme nouvel objectif de développement, la mise en place d'une éducation préscolaire, primaire et secondaire de qualité d'ici à 2030 .

Le nouvel objectif mondial de l'éducation (ODD 4) comporte un ensemble de cibles ambitieuses, notamment la promesse de « faire en sorte que toutes les filles et tous les garçons suivent, sur un pied d'égalité, un cycle complet d'enseignement primaire et secondaire gratuit et de qualité, qui débouche sur un apprentissage véritablement utile » et d'« éliminer les inégalités entre les sexes dans le domaine de l'éducation et assurer l'égalité d'accès des personnes vulnérables, y compris les personnes handicapées, les autochtones et les enfants en situation vulnérable, à tous les niveaux d'enseignement et de formation professionnelle » à l'horizon 2030.

Or, actuellement, environ 263 millions d'enfants et de jeunes ne sont pas scolarisés . Ce nombre comprend 61 millions d'enfants en âge de fréquenter le primaire (âgés de 6 à 11 ans environ), 60 millions de jeunes adolescents en âge de fréquenter le premier cycle du secondaire (âgés de 12 à 14 ans environ) et 142 millions de jeunes en âge de fréquenter le second cycle du secondaire (âgés de 15 à 17 ans) pour l'année scolaire se terminant en 2014. Les chiffres ont régulièrement diminué entre 2000 et 2007, mais les progrès ont ralenti depuis lors .

La même tendance s'observe en ce qui concerne les pourcentages. Entre 2000 et 2007, le taux de non-scolarisation dans le primaire est ainsi passé de 15 % à 10 %, pour régresser ensuite beaucoup plus faiblement, à 9 % en 2014. Le taux de non-scolarisation au premier cycle du secondaire est passé de 25 % en 2000 à 18 % en 2007, et à 16 % en 2014. Seul le taux de non-scolarisation au second cycle du secondaire a régulièrement diminué sur l'ensemble de la période, passant de 49 % à 37 %.

Au total, au cours des cinq dernières années, le nombre d'enfants en âge de fréquenter le primaire non scolarisés est resté quasiment stable . Sur ces 61 millions d'enfants non scolarisés, 34 millions vivent en Afrique subsaharienne.

Comment expliquer ce ralentissement des progrès observés ?

Le Rapport mondial de suivi sur l'éducation pour tous (EPT) pour 2015 estime qu'il faudra en moyenne 39 milliards de dollars EU par an au cours des 15 prochaines années pour atteindre les objectifs mondiaux d'éducation , soit plus que ce que les pays à revenus faible et moyen inférieur peuvent mobiliser. Les seuls pays à faible revenu ont besoin de 21 milliards de dollars par an. Or, lorsque ces estimations ont été faites, l'aide à l'éducation de base et secondaire dans les pays à faible revenu ne représentait que 3 milliards de dollars , soit un septième de la somme nécessaire.

Selon l'UNESCO, le financement de l'éducation atteindrait un niveau suffisant si les pays membres du Comité d'aide au développement (CAD) de l'OCDE et certains pays donateurs non membres (Afrique du Sud, Arabie saoudite, Brésil, Chine, Émirats arabes unis, Fédération de Russie, Inde, Koweït et Qatar) consacraient effectivement 0,7 % de leur revenu national brut à cette aide et allouaient 10 % de leur aide à l'éducation de base et secondaire.

L'aide totale à l'éducation a plus que doublé entre 2002 et 2010, atteignant 14,2 milliards de dollars EU. Depuis 2010, elle a stagné. En 2014, elle était de 8 % inférieure à son pic de 2010, avec 13,1 milliards .

En particulier, entre 2013 et 2014, l ' aide totale à l'éducation a diminué de près de 600 millions de dollars, soit 4 % . La part de l'éducation dans l'aide totale (hors allégement de la dette) est passée de 10,2 % en 2010 à 9,5 % en 2013, puis à 8,2 % en 2014. Cette diminution est essentiellement le fait des donneurs bilatéraux. L'aide totale à l'éducation par les donateurs bilatéraux a ainsi chuté de 9 %, soit 945 millions de dollars, entre 2013 et 2014. Trois donateurs représentent l'essentiel de cette baisse : le Japon, dont l'aide a diminué de 550 millions de dollars (- 48 %), les Émirats arabes unis
(- 529 millions de dollars/74 %) et le Royaume-Uni (- 208 millions de dollars, soit 13 %). En revanche les aides de l'Australie (+ 138 millions de dollars, soit 35 %) et des États-Unis (+ 107 millions, soit 11 %) ont augmenté.

À l'inverse, les donateurs multilatéraux ont accru leur aide à l'éducation de 10 %, notamment la Banque mondiale avec + 480 millions de dollars, soit + 42 %.

Par ailleurs, l'aide a nettement évolué dans ses composantes, reflétant des changements dans les priorités des donateurs . La part de l'éducation préscolaire et primaire ainsi que les programmes d'éducation et d'alphabétisation des adultes dans l'aide totale à l'éducation était, en 2014, de 3 points de pourcentage inférieure au pic atteint en 2010. En revanche, la part de l'enseignement secondaire est passée de 12 % en 2005 à 16 % en 2010, puis à 21 % en 2014. Au total, l'aide totale à l'éducation primaire a ainsi diminué de 255 millions de dollars entre 2013 et 2014. Comme pour l'aide totale à l'éducation, la chute a principalement été le fait des donateurs bilatéraux, qui ont réduit leur aide à l'éducation de base de 12 %. La France, le Japon, les Pays-Bas et l'Espagne ont ainsi chacun réduit leur aide à l'éducation primaire de 40 % ou davantage. Le premier donateur est désormais les États-Unis, qui ont augmenté leur aide à l'éducation de base de 164 millions de dollars, soit 23 %.

Enfin, l'aide à l'éducation de base en Afrique subsaharienne est revenue à son niveau de 2002-2003, passant de 49 % à 28 % de l'aide totale. En Mongolie, un enfant reçoit 45 dollars, alors même que le taux d'achèvement d'études primaires était de 97 % en 2010. Le Tchad, où ce taux était de 28 % en 2010, n'a reçu, en 2014, que 3 dollars par enfant du primaire.

2. Un investissement français dans l'éducation en retrait ?

Théoriquement, notre pays a fait de l'éducation une de ses priorités majeures en matière d'aide au développement. La stratégie adoptée par le CICID en 2009 pour la période 2010-2015 comporte ainsi deux objectifs en direction des seize pays pauvres prioritaires : d'une part, l'accès à une éducation primaire de qualité pour l'ensemble des filles et des garçons, d'autre part, la promotion d'une vision intégrée de l'éducation, qui inclut l'enseignement et la formation professionnelle. Cette politique éducative doit en outre s'articuler avec la promotion du français.

Pour autant, depuis plusieurs années, seule une petite partie de notre aide à l'éducation concerne l'éducation de base.

À cet égard, le fait que l'éducation constitue le premier poste de dépenses de notre APD bilatérale (en 2014, la France a consacré 1,2 milliard d'euros à l'éducation (en bilatéral et en multilatéral), soit environ 15 % de son aide totale) ne doit pas induire en erreur. Sur cette somme imposante, la majeure partie correspond en effet à l'écolage.

a) Comment considérer les frais d'écolage ?

Ci-dessous, un tableau retraçant l'évolution des dépenses d'écolage dans l'APD française ces cinq dernières années :

Ecolage, en millions €

Année

Montant

2010

703

2011

704

2012

724

2013

655

2014

648

2015*

593 dont 585 relevant du MESR

Source : OCDE (Cad 1) et DG Trésor

* Pour 2015 : le montant de 585 M€ correspond aux données provisoires relatives au MESR , en cours de vérification par l'OCDE

Méthode de calcul des frais d'écolage

La méthode de calcul des frais d'écolage est décrite dans les directives du Comité d'aide au développement (CAD) de l'OCDE :

- D'une part, les dépenses engagées pour la prise en charge scolaire des étudiants des universités françaises sont estimées à partir de certaines actions des programmes 150 et 231 du MESR, correspondant aux frais d'enseignement et de fonctionnement, ainsi qu'aux bourses et aides sociales. Les dépenses en capital et celles afférentes aux unités de recherche sont exclues.

- D'autre part, le nombre d'étudiants ressortissant de pays en développement, tels que définis dans la liste du CAD, est rapporté au nombre total d'étudiants ayant bénéficié des dépenses susmentionnées.

- Le montant d'écolage déclaré au CAD correspond au produit des dépenses de prise en charge scolaire (i) et de la part d'étudiants ressortissant de pays en développement (ii).

Sur la détermination du nombre d'étudiants ressortissant de pays en développement de la liste CAD :

En 2008, dans ses recommandations, suite à l'examen de la France par ses pairs, le CAD invitait la France à identifier précisément les étudiants bénéficiaires de ce type d'aide afin de ne retenir dans la comptabilisation en APD que ceux répondant effectivement aux critères d'éligibilité. Il s'agissait, en particulier, de définir les disciplines et les niveaux d'enseignement en adéquation avec les besoins de leur pays d'origine et de s'assurer que les étudiants étrangers retournent dans leur pays d'origine pour faire bénéficier celui-ci de l'acquis de son enseignement.

Pour répondre à ces recommandations, il a été convenu, suite à une réflexion menée en étroite collaboration avec le MESR, de ne retenir que les étudiants ayant une qualification équivalente au baccalauréat (sont exclus les étudiants de nationalité étrangère ayant un bac français). Cette méthode a été appliquée dès la déclaration d'APD 2008.

Pour l'année universitaire 2014-2015, le nombre d'étudiants étrangers ayant une équivalence du bac dans un pays éligible à l'APD s'élevait à 127 966 et le coût imputé des étudiants (en dehors des subventions spécifiques en faveur de certains PED) s'est établi à 585 M€.

Le montant des coûts imputés des étudiants déclaré par les autres pays est largement dépendant du système éducatif de ces pays. En effet certains pays (comme la France ou l'Allemagne) ont un système éducatif financé directement par l'Etat, dès lors les dépenses sont imputées au prorata des étudiants étrangers des pays en développement, alors que d'autres pays (Royaume-Uni, Etats-Unis) ont un système éducatif privé pour lequel l'Etat participe via les bourses attribuées aux étudiants. Par ailleurs, les frais d'écolage s'entendent nets des frais d'inscription. Les frais d'inscription dans les universités françaises étant très faibles au regard du coût de la scolarité des étudiants, contrairement aux universités anglo-saxonnes, il est logique de voir figurer la France dans les pays consacrant le plus de ressources aux étudiants ressortissant de pays en développement.

Origine géographique des étudiants concernés par l'écolage

Le nombre d'étudiants africains accueillis en 2015 est de 75 234, soit plus de 59 % du nombre total d'étudiants. 20 % des étudiants sont issus d'Extrême-Orient et 7 % d'Amérique du Sud. La répartition des étudiants par origine géographique est stable sur la période 2012-2014 (par exemple 5 % pour le Moyen-Orient, 26 % pour l'Afrique Subsaharienne etc.).

La France et l'Allemagne sont les deux pays ayant le montant de « coûts imputés des étudiants » (termes utilisés par l'OCDE) le plus important :

en millions de dollars

2010

2011

2012

2013

2014*

Donneurs du CAD, Total

2 252

2 321

2 228

2 126

2 219

Allemagne

887

925

887

891

982

France

931

979

931

870

860

Canada

164

190

169

141

156

Autriche

89

93

114

102

105

Belgique

46

52

51

57

57

Grèce

68

66

61

9

9

Portugal

27

15

12

13

20

Espagne

41

0

0

0

0

Pologne

0

0

0

17

20

Autres

1

3

3

5

10

Source : OCDE et DG Trésor, CAD 1 (*à noter que le site de l'OCDE ne fournit pas les derniers chiffres à jour actualisés concernant l'écolage pour la France)

Le montant des écolages comptabilisés en APD est difficilement prévisible dans la mesure où il dépend de facteurs non directement dépendants de la politique d'aide au développement : le nombre d'étudiants étrangers, leur pays de provenance, leur inscription dans un établissement public, l'évolution des frais de fonctionnement et d'enseignement, etc.

Il est par conséquent difficile de piloter ces dépenses d'écolage dans le cadre d'une stratégie d'aide au développement .

D'ailleurs, seuls six pays (Allemagne, Autriche, Canada, Espagne, France Portugal) notifient leurs dépenses d'écolage au CAD . En outre, celles de la France et de l'Allemagne en représentent plus de 90 %.

b) Un net ralentissement de l'aide à l'éducation de base au niveau bilatéral

La part de l'éducation de base (primaire + collège) représente seulement 22 % de l'aide sectorielle française. On retrouve ici l'importance des montants d'écolage qui faussent quelque peu la perception de l'aide consacrée à l'éducation :

2010

2011

2012

2013

2014

APD totale nette

9 751

9 350

9362

8 540

8 005

Aide totale à l'éducation*

1 555

1 254

1 256

1 235

1 216

Total Éducation de base 8 ( * ) (primaire, 1 er niveau du secondaire, infrastructures, enseignants)

483

337

322

298

264

Enseignement supérieur

Dont écolages (versements nets)

819

697

799

694

793

715

799

641

795

640

Part de l'éducation de base dans l'aide totale à l'éducation (%)

31

27

26

24

22

Part de l'éducation dans l'APD totale (en %)

16

13

13

14

15

Part de l'éducation de base dans l'APD totale (en %)

5

4

3

3

3

Source : réponses budgétaires

En 2014, 89 % de l'aide totale de la France à l'éducation a transité par le canal bilatéral et à 95 % sous forme de dons, hors contrats de désendettement-développement. La répartition de l'aide bilatérale entre les différents niveaux d'éducation privilégie l'aide à l'éducation post-secondaire (800 millions d'euros, 74 % de l'aide bilatérale à l'éducation), ce qui correspond encore une fois au haut niveau des dépenses d'écolage. L'aide à l'éducation secondaire représente 14,7 %, et l'éducation primaire seulement 3,3 %.

On assiste ainsi à un véritable effondrement de l'aide à l'éducation primaire entre 2010 et 2014, celle-ci passant de 170 millions d'euros à 36 millions d'euros (- 79 %) :

Répartition de l'aide bilatérale de la France à l'éducation
par niveau d'enseignement

(source : CAD de l'OCDE et MAEDI, en M€, prix courants, versements bruts)

2010

2011

2012

2013

2014

Education, niveau non spécifié (infrastructures, enseignants)

171

95

124

86

85

Education primaire

170

120

106

106

36

Education secondaire

187

83

108

109

159

Education post-secondaire

819

799

793

798

800

Aide bilatérale à l'éducation, total

1 347

1 097

1 131

1 099

1 080

Depuis 2005, l'action de l'AFD dans le secteur s'inscrit dans le cadre des orientations stratégiques de la politique française de développement. Elle vise à appuyer les politiques publiques des pays partenaires. En 2015, l'intervention de l'AFD en faveur de l'éducation ont connu, en termes de dons, une hausse importante . Plus de la moitié de ces financements a concerné l'éducation de base, le post-primaire et l'amélioration de la qualité de l'éducation. Avec 326 M€ de financement (prêts et dons), l'Afrique subsaharienne est en 2015 la première région bénéficiaire des financements de l'AFD dans ce secteur, suivie de la zone Méditerranée, de l'Amérique latine et de l'Asie :

Autorisations d'engagements de l'AFD (au sens octroi de l'AFD) de 2005 à 2015 en M€
(AFD, États étrangers, y compris activités sur ressources d'autres bailleurs) :

Outil financier

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

2015

Total général

Prêt 9 ( * )

7

0

26

55

45

50

50

83

25

298

167

806

Subvention (y compris C2D)

36

75

120

77

33

34

70

161

156

94

301

1 158

Total général

43

75

146

132

78

84

120

244

181

393

468

1 964

c) Un soutien au Partenariat mondial à l'éduction sans doute insuffisant

Au niveau multilatéral, l'aide de la France consacrée à l'éducation s'est élevée à 136 M€ en 2014, dont 85 M€ pour l'éducation de base. Cette contribution passe par différents canaux : institutions de l'Union européenne 10 ( * ) , banques régionales de développement (notamment l'Association internationale pour le développement de la Banque mondiale), Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine.

Part multilatérale imputée à la France pour l'éducation : contributions aux organisations multilatérales intervenant dans le secteur, hors PME

(source : CAD de l'OCDE et MAEDI, en M€, prix courants, versements bruts) :

2011

2012

2013

2014

Banque africaine de développement

0,3

1

0

0

Fonds africain de développement

6

5,5

8

3,5

Banque asiatique de développement - Fonds spéciaux

3,3

3

2

2

Institutions de l'UE

87

80

86

71

Association internationale de développement

55

32

37

55

IDB Fonds spéciaux

0

0

0

0,08

PNUD

0,115

0,1

0,01

0,05

UNICEF

2

0,3

0,2

0,2

Office de secours et de travaux des nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient

3

3,5

3,2

4

Programme alimentaire mondial

0

0

0

0,01

Les contributions de la France à l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, les sciences et la culture (UNESCO) et à l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF) et de ses opérateurs au titre de l'année 2015 (respectivement 17,3 M€ et 47,8 M€) participent également à l'amélioration de l'éducation dans les pays les plus pauvres 11 ( * ) .

Par ailleurs, l'aide à l'éducation est également mobilisée pour soutenir les pays en situation de crise et d'urgence. Après les 100 M€ supplémentaires mobilisés fin 2015 pour soutenir l'action des agences humanitaires, 200 M€ seront mobilisés sur la période 2016-2018 au profit de la jeunesse et de l'éducation, principalement au Liban, en centrant les efforts sur l'éducation, et en appui à l'assistance transfrontalière. La France contribuera à hauteur de 2 M€ pour 2017 au fonds « Education cannot wait » dont l'objectif est de permettre, d'ici 2020, à 34 millions d'enfants vivant en situation d'urgence ou de crise d'accéder à une éducation de qualité.

En revanche, s'agissant du Partenariat mondial pour l'éducation (PME, ancienne initiative « Fast-Track »), si la France a joué un rôle moteur dans sa création en 2002, ce n'est plus le cas aujourd'hui.

La France a appuyé le financement du PME à hauteur de près de 80 M€ depuis 2004, deux postes d'experts techniques auprès du Partenariat étant en outre financés par le ministère des Affaires étrangères et du Développement international. Si l'AFD est entité de supervision des fonds du PME au Burkina Faso et au Burundi et si la contribution de la France au budget de l'Union européenne participe au financement des actions du PME 12 ( * ) , la France a cessé de soutenir le programme après 2014. En effet, en raison du contexte budgétaire difficile, il a été décidé de ne pas reconduire l'engagement français lors de la dernière reconstitution financière du PME pour la période 2015-2018. La France a néanmoins versé 1 million d'euros en 2015 et devrait verser 8 millions d'euros en 2016 :

2011

2012

2013

2014

2015

2016

Engagements

15 833 333

15 833 333

15 833 333

0

1

8

Décaissements

15 833 333

15 833 333

18 333 333

0

1

0 13 ( * )

Le PME soutient aujourd'hui 65 pays en développement et a décaissé en moyenne 500 M€ par an pour soutenir l'éducation dans les pays partenaires depuis 2011. Les 17 pays francophones d'Afrique subsaharienne membres du PME bénéficient de plus de 50 % des financements.

Depuis 2002, le PME a contribué dans les pays partenaires à la scolarisation de 61 millions d'enfants supplémentaires, à la construction de 37 000 salles de classe, à la fourniture de 220 millions de manuels scolaires et à la formation de 413 000 enseignants. Dans les pays membres du PME, les taux d'achèvement primaire ont augmenté de 9 points (72 % aujourd'hui contre 63 % en 2002), le niveau des financements domestiques a cru de 11 % en moyenne et 23 millions d'enfants supplémentaires ont été inscrits au collège.

Vos rapporteurs estiment regrettable que cet instrument efficace et qui bénéficie en majorité aux pays francophones d'Afrique subsaharienne ne soit pas davantage soutenu par notre pays . Rappelons à titre de comparaison que la contribution de la France au Fonds mondial Sida s'élève depuis plusieurs années à 360 millions d'euros par an.

Il convient de souligner que la francophonie souffre également de ce manque d'investissement dans l'éducation . En effet, si les prévisions à l'horizon 2050 assurent que 80 % des francophones vivront en Afrique, c'est plutôt en raison de la dynamique démographique que d'une véritable politique francophone. Ainsi, la qualité de l'enseignement du français et la maîtrise de la langue régressent. L'attractivité du français diminue en particulier du fait d'un problème de formation d'enseignants compétents. En outre, les crédits de l'OIF (moins de 100 millions d'euros) ne permettent pas de mener une politique internationale ambitieuse.

3. Inverser la tendance

Entendus par vos rapporteurs, les représentants de la Coalition Éducation, qui regroupe des associations actives dans le domaine de l'aide au développement en matière éducative, suggèrent de faire de l'éducation de base une priorité, en lui allouant au moins 50 % de l'aide à l'éducation et au moins 10 % de l'APD totale française. En 2014, ces taux n'étaient respectivement que d'environ 22 % et 3,3 %. Il semble possible d'agir sur deux leviers pour s'approcher progressivement de cet objectif : d'une part, augmenter les crédits nets consacrés à l'éducation de base ; d'autre part, s'efforcer de mieux identifier les dépenses d'écolage qui bénéficient réellement aux pays en développement afin de diminuer la proportion des dépenses en faveur de l'enseignement supérieur des étudiants étrangers au sein de notre aide totale à l'éducation.

De même, la Coalition éducation recommande que la France maintienne sa contribution aux PME pour les prochaines années au moins au niveau de 2016, soit 8 millions d'euros par an minimum sur la période 2017-2020, avec l'affectation d'une ligne budgétaire spécifique permettant d'identifier cette dépense. Vos rapporteurs estiment pour leur part souhaitable que la contribution française puisse ré-augmenter au cours des prochaines années, le financement de cette augmentation pouvant provenir d'un rééquilibrage progressif au profit de l'éducation au sein de l'ensemble de nos contributions multilatérales.

Une aide budgétaire globale (ABG) accordée au Burundi en matière d'éducation

Après la réalisation d'une mission financière en juin 2013, une ABG a été octroyée au Burundi, d'un montant de 3 M€, concentrée sur le secteur de l'éducation. Elle a pris la forme d'une contribution au financement du plan sectoriel de développement de l'éducation et de la formation et a servi à financer les salaires d'environ 5 000 enseignants pendant 2 ans. Le décaissement de cette aide a été effectué en une seule fois et a été conditionné à l'exécution du programme appuyé par la facilité élargie de crédit du FMI.

Ce concours s'inscrit dans la continuité de l'appui apporté dans le cadre du C2D, échu en avril 2013, au moment où le Burundi rencontrait de fortes contraintes budgétaires et où la politique de l'enseignement fondamental nécessitait des efforts accrus en faveur du financement des enseignants.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission, sous la présidence de M. Jean-Pierre Raffarin, a examiné le présent rapport pour avis lors de sa réunion du 2 novembre 2016.

Après l'exposé des rapporteurs, un débat s'est engagé.

M. Alain Joyandet . - Félicitations pour cet excellent travail. Une augmentation du budget est toujours préférable, mais elle est très faible par rapport aux besoins, notamment en Afrique. Quelle est la stratégie à long terme de la France en Afrique ? Je ne la vois pas très bien... Certains observateurs craignent que nous passions à côté de la grande transformation africaine. Les Nations-Unies sont passées des objectifs du millénaire pour le développement à des objectifs de développement durable. Ce chantier est énorme. L'Afrique a compris que les 131 milliards d'euros d'aide de l'OCDE ne suffissent plus : les crédits publics ne vont pas toujours là où ils seraient nécessaires. Le soutien au développement économique doit être au moins aussi important que l'APD classique, afin de réduire la pauvreté. Les sommes envoyées par la diaspora africaine sont dix fois supérieures à l'APD !

Pour une fois, soyons partie prenante de cette grande transformation, participons au recul de la pauvreté sans crédits budgétaires supplémentaires, en nous intégrant dans les partenariats avec l'Afrique. Nous nous associons avec la Chine - et non avec l'Europe - pour construire des infrastructures, alors que la plus grande partie de notre APD est multilatérale. Mme Merkel fait sa tournée toute seule ; l'Union européenne n'est pas très offensive. Que fait la France pour promouvoir un nouveau positionnement européen ? L'Union africaine a révisé sa politique avec l'Agenda 2063 pour le développement. Près de 10 milliards de dollars sont fournis par l'Inde, 60 milliards par la Chine, 30 milliards pour le Japon, et 100 milliards de francs - CFA - soit 150 millions d'euros seulement par la France... Que peut faire la France seule ? Même si ce n'est pas le sujet de ce rapport budgétaire, transmettons des messages. Nous avons besoin d'un véritable leadership pour que l'Europe soit le partenaire du développement africain, afin de faire reculer la pauvreté et pour que les entreprises françaises fassent partie de cet Agenda 2063. Même si je salue l'augmentation des crédits et que je me rallie aux positions des rapporteurs, je suis inquiet de l'absence de la France en Afrique. Retrouvons un leadership partagé avec les grands pays européens.

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont . - L'agence Expertise France présentera des résultats 2016 plus que satisfaisants, largement supérieurs à nos attentes lors de l'audition de son directeur, avec une croissance de 10 à 20 %. Cette agence, voulue par notre assemblée, a remporté des projets majeurs sur des sujets multiples - climat, environnement, finances publiques, renforcement de la sécurité des États fragiles, gestion de la crise syrienne... Elle contribue ainsi à l'aide au développement et ses résultats sont extrêmement encourageants et valorisants. Monsieur le président, lors de la mandature précédente, nous avons été extrêmement inspirés de vouloir la création de cette agence, qui nous permet notamment de travailler avec les Allemands - sans rivaliser avec la Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GIZ), l'agence de coopération internationale allemande pour le développement.

M. Alain Néri . - Je me félicite de l'augmentation des crédits alloués au développement. Notre réflexion a été largement influencée par la crise migratoire. Avoir une véritable politique de développement est prioritaire. Je me félicite de l'effort sur l'éducation et de la prise en compte des enjeux démographiques. La politique démographique est l'une des plus fortes causes de la crise migratoire. Si l'Afrique compte aujourd'hui 750 millions d'habitants, ils seront 2 milliards dans vingt ans. Pour des raisons humanitaires, de développement, de respect des droits de l'homme et de la femme, promouvons une politique démographique. Demandons un fléchage vers les politiques d'éducation et la contraception.

M. Jean-Paul Emorine . - Avec Didier Marie, je suis rapporteur pour la commission des affaires européennes sur le plan Juncker : 3,2 milliards d'euros seront consacrés à l'Afrique - même si la commission européenne ne les pas encore entérinés. Aidons ces pays chez eux au lieu d'attendre les migrations à nos frontières.

M. Jeanny Lorgeoux . - Votre politique de développement envers l'Afrique doit impliquer davantage l'Europe - ou plutôt, les autres pays Européens doivent nous rejoindre. Cela ne nous empêchera pas de piloter telle ou telle action de coopération - celle-ci étant certes plus compliquée que ce que nous voudrions qu'elle soit, en raison de notre histoire complexe avec ces pays. Oui à une action de long terme, mais prenons en compte la réalité politique.

M. Jacques Legendre . - Nous avons vu réapparaitre le traditionnel débat entre aide multilatérale et bilatérale. Je continue à regretter que l'essentiel des moyens de l'aide multilatérale transite à travers l'Union européenne, sans que la France ne soit visible. Or il faut de la visibilité pour mener une politique d'influence. Rendons à notre diplomatie des moyens supplémentaires.

Si M. Néri a raison d'évoquer la démographie, soyons prudents sur ce sujet conflictuel. Lorsque je présidais une mission en Afrique de l'Ouest, il y a deux ans, le ministre de la santé du Mali a réagi avec violence lorsque nous avons évoqué les politiques de limitation des naissances : selon lui, cela relève de leurs traditions culturelles et les regarde. Mais nous avons aussi le droit de prendre la parole car l'explosion démographique alimente l'immigration. Attention cependant à la manière de le dire ou de l'écrire.

M. Claude Malhuret . - Je n'ai pas changé d'avis ; j'entends un concert de louanges sur l'augmentation de 130 millions d'euros du budget, mais elle ne compense même pas les réductions budgétaires successives depuis 2012. Nous sommes revenus à un chiffre inférieur à celui de 2011, un peu meilleur que l'année précédente. Alors que l'APD était l'un des arguments essentiels du Président de la République, nous constatons un échec considérable à la fin de ce quinquennat.

Cette augmentation est très artificielle : la hausse de la TTF rapportera 500 millions d'euros. Sans cette hausse, le budget se serait réduit de 370 millions d'euros. Si cette taxe n'avait que des effets positifs, pourquoi pas ? Mais elle risque de coûter beaucoup plus que les 500 millions d'euros qu'elle rapporte. En 2013, M. Cazeneuve, alors ministre du budget, s'y était opposé, au motif qu'elle amputerait la liquidité de la place de Paris de 40 %. Cette année, M. Sapin a demandé de ne pas voter l'augmentation, en l'absence d'un accord européen. Le ministre de l'économie et des finances n'était pas en faveur de cette augmentation, et ce pour des raisons allant au-delà des clivages politiques. Après le Brexit, certains organismes financiers s'interrogent sur le lieu où s'implanter. Paris et Francfort sont les deux principaux concurrents. Les enjeux s'élèvent largement au-delà de 500 millions d'euros. Or l'Allemagne n'a pas instauré cette taxe et ne compte pas le faire. Attendons un accord européen. Je ne me joindrai donc pas au concert de louanges. Je me félicite de l'augmentation du budget de l'aide au développement mais la méthode n'est pas la bonne. Comme l'écrivait l'économiste Frédéric Bastiat au XIX e siècle, il y a « ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas » : des milliards d'euros peuvent être perdus demain...

M. Christian Cambon . - Le problème de l'aide multilatérale n'est toujours pas tranché, mais des suggestions existent pour l'aide européenne et une utilisation efficace du Fonds européen de développement (FED), notamment que certains pays européens soient chefs de file pour une catégorie d'aide. Aucun pays européen ne peut assumer la totalité du kaléidoscope des aides. Lors d'un colloque, Philippe Aghion rappelait que les aides ciblées sont celles qui marchent le mieux, comme les aides à la vaccination fournies par la fondation Gates. Ainsi, le pays qui a un savoir-faire dans un pays le réplique dans d'autres. On risque de tirer d'amères conclusions de l'efficacité de l'aide financière au Mali...

M. Jacques Legendre . - C'est vrai.

M. Joël Guerriau . - Je m'interroge sur l'efficacité de l'État dans l'APD. Mon épouse préside une ONG intervenant au Mali depuis vingt ans. Il y a un an, nous avions été sidérés lors d'une rencontre avec une délégation européenne, plus nombreuse que celle de l'ambassade de France : elle se contentait de verser des fonds européens au budget du ministère de l'éducation malien, de façon aveugle, sans se soucier de l'efficacité sur le terrain, alors que notre association n'avait pas pu obtenir de financement pour des opérations de terrain opérationnelles, visibles, menées depuis cinq ans et essentielles sur le plan sanitaire. Je suis sceptique : faut-il plus d'Europe ? Garantissons plus de proximité.

M. Jean-Pierre Raffarin, président . - Voyez le terrible paradoxe qui consiste à la fois à considérer que c'est mieux quand la France agit elle-même et à se plaindre d'être seuls et de devoir lutter pour entraîner les partenaires européens !

M. Jeanny Lorgeoux . - Plutôt que d'envoyer 12 000 soldats de l'ONU dans l'opération Sangaris, payons 2 000 soldats français avec la même somme, cela sera plus efficace !

M. Henri de Raincourt, rapporteur pour avis . - Ces débats montrent l'attachement de chacun au développement de l'Afrique et l'importance de l'aide au développement pour la paix, la stabilité en France et dans le monde pour les siècles futurs. Ayons une politique imaginative, puissante, coordonnée et efficace.

Monsieur Joyandet, la question est plus large que ce rapport budgétaire. Nous voyons dans ce budget des points positifs, qui vont dans la bonne direction, sans aller jusqu'à considérer que le jour succède à la nuit !

Oui, la politique africaine de la France doit évoluer. Ne confondons pas l'aide au développement et une charité censée acheter la tranquillité : on se perd dans les sables et ce n'est pas ce qu'attendent nos partenaires africains. Selon eux, certains organismes français continuent à donner de l'argent sur des programmes flous, ce qui est inefficace pour l'Afrique, et seulement utile à la petite politique menée localement. Des gens ont fait des propositions très intéressantes - pensez à Africanistan , l'ouvrage de Serge Michaïlof.

Cette politique doit être reconfigurée et le principe du chef de file peut y contribuer, à l'instar de la décentralisation française. Un pays peut agir pour le compte des autres et leur rendre des comptes. Proximité, efficacité, mais aussi humanité sont fondamentaux.

L'aide bilatérale sur les programmes 209 et 110 s'élève à 800 millions d'euros, contre 1,5 milliard d'euros pour l'aide multilatérale, soit un rapport d'un tiers - deux tiers. La situation pourrait être améliorée. Inaugurant un centre africain de formation des apprentis financé notamment par la France, j'ai été accueilli par un bandeau « merci la France » écrit en chinois ! Oui, il faut une présence politique forte.

Monsieur Néri, la politique démographique déterminera pour une grande part le reste. Mais attention à la réalité du terrain. M. Rioux et M. Gates ont multiplié les précautions pour ne pas heurter les cultures locales sur la politique démographique, faute de quoi on obtient des résultats contraires. Plusieurs rapports de notre commission - de Jean-Marie Bockel, Jeanny Lorgeoux ou Hélène Conway-Mouret - proposent des réponses.

Je comprends ce qu'affirme M. Malhuret, non sans raison, sur la compétitivité de la place de Paris, mais on ne peut financer de politique d'aide au développement ambitieuse sans financement innovant. Lorsque je présidais une mission sur la TTF à la demande du président Sarkozy, ma feuille de route consistait à rallier le plus grand nombre de pays européens sur la TTF. La France s'est lancée seule, car si personne ne démarre, personne ne suivra. Une telle taxe est justifiée sur les plans pratique et moral. Les activités financières de certains organismes ont beaucoup profité de la mondialisation. Les pauvres doivent aussi en profiter.

M. Jeanny Lorgeoux . - La finance n'est pas notre ennemi !

Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure pour avis . - Nous sommes très critiques envers nous-mêmes. La France est présente en Afrique via ses réseaux diplomatiques, culturels et éducatifs - malgré certaines inégalités. Certes, la force de frappe financière est insuffisante, mais les efforts de l'AFD pour développer des partenariats vont dans le bon sens. Nous sommes plus forts lorsque nous travaillons ensemble. Notre partenaire naturel n'est pas la Chine, même si nous pouvons travailler avec elle sur des projets importants. Nos priorités sont les bonnes. Le développement africain passera d'abord par une bonne gouvernance des pays. Nous devons jouer un rôle de formation dans les domaines de la justice, de la sécurité, des finances et de la fiscalité.

J'interrogerai M. Rioux sur le partenariat privilégié que l'AFD doit entretenir avec Expertise France. Nous avons besoin de travailler ensemble dans l'équipe France. Ce sont des partenaires naturels.

Le défi démographique est le plus sérieux pour l'Afrique. Nous comptons sur le sommet franco-africain de Bamako en janvier 2017 pour aborder l'ensemble des sujets. Mais soyons prudents sur la question démographique !

M. Jacques Legendre . - ...pédagogiques !

Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure pour avis . - Faisons preuve de respect : écoutons autant que nous proposons, pour un véritable partenariat, sans donner de leçons ni proposer de solutions toutes prêtes. Sortons de cette logique de projets clef en main. Les projets qui réussissent sont ceux dans lesquels s'impliquent les Africains.

Il existe déjà une programmation européenne conjointe, des actions de développement des Etats-membres et de la Commission européenne au niveau de certains pays : ce que propose M. Cambon va un cran plus loin, c'est une idée intéressante.

La commission a réservé son vote jusqu'à la fin de l'examen des crédits de la mission « Aide publique au développement » le 16 novembre 2016.

Lors de sa réunion du 16 novembre 2016, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a donné un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Aide publique au développement », les membres du groupe communiste, républicain et citoyen s'étant abstenus.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

1. Audition des rapporteurs :

11 octobre 2016 :

Audition de la Coalition Education :

Mme Hélène Ferrer, coordinatrice de la Coalition Education

Mme Carole Coupez, Solidarité Laïque

Mme Michelle Olivier, SNUipp-FSU

Mme Michelle Perrot, Plan international France

2. Auditions devant la commission des affaires étrangères :

26 octobre 2016 :

Mme Odile Renaud-Basso, directrice générale du Trésor

2 novembre 2016 :

M. Rémy Rioux, directeur général de l'AFD

ANNEXE I - AUDITION DE M. RÉMY RIOUX, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L'AGENCE FRANÇAISE DE DÉVELOPPEMENT, LE 2 NOVEMBRE 2016

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Nous venons d'écouter le rapport budgétaire de M. de Raincourt et de Mme Conway-Mouret sur le budget de l'Aide publique au développement (AFD). Nous serons donc heureux de vous entendre dans le cadre de ces auditions budgétaires. L'année à venir sera très importante : elle s'inscrit comme une étape essentielle dans la trajectoire fixée à l'horizon 2020 par le Président de la République, avec 12,5 milliards d'engagements. Nous avons eu un débat sur la taxe sur les transactions financières (TTF). Notre commission est très attachée à ce que les engagements pris se traduisent de façon concrète.

M. Rémy Rioux, directeur général de l'Agence française de Développement . - Merci pour votre accueil. Je suis venu devant vous le 18 mai lors de ma nomination : votre vote favorable m'honore et m'oblige.

Cela fait cinq mois, aujourd'hui même, que j'ai pris la tête de l'AFD. J'ai fait repartir la maison pour qu'elle tienne les engagements fixés pour 2016. Je suis très attentif au dialogue social, au siège à Paris mais aussi dans le réseau. J'ai rencontré tous les agents des agences locales lors du voyage que j'ai effectué il y a quelques jours en Afrique avec quelques sénateurs et sénatrices autour du Premier ministre.

J'ai également adressé des messages à tous les partenaires de l'Agence, dont bien sûr ceux d'Afrique. J'ai déjà fait sept déplacements, notamment au Tchad et au Ghana. Je suis aussi allé dans les autres régions d'intervention de l'AFD : en Tunisie, au Vietnam, en Colombie, en Équateur, à La Réunion... Je me suis également rendu à Rome, à Francfort, à Bruxelles, à Luxembourg, car l'Europe du développement est en train de se construire. Bien sûr, je rencontre tous les partenaires de l'AFD en France. J'ai commencé un tour des régions : je me suis ainsi rendu à Lille et à Roubaix pour rencontrer les acteurs de la politique du développement au niveau territorial et aussi pour engager le débat avec ceux qui sont moins convaincus de l'utilité de cette politique. J'irai bientôt dans la région Grand-Est. J'ai été à l'université d'été du Medef ; je rencontre les ONG et nous travaillons activement avec la Caisse des dépôts pour renforcer l'ancrage territorial de notre Agence.

Dans les prochaines semaines, nous vivrons trois moments importants : le vote des lois de finances de cet automne, le comité interministériel à la coopération internationale et au développement (CICID), qui se tiendra sans doute fin novembre ou début décembre. Enfin, nous fêterons le 75e anniversaire de l'AFD créée à Londres en décembre 1941. Nous nous retrouverons au musée du Quai Branly le 6 décembre : nous présenterons l'Agence et les axes de son nouveau projet. Pierre-René Lemas et moi-même signerons alors la convention entre nos deux établissements publics, convention que le Sénat a appelé de ses voeux lors du vote d'un amendement dans la loi Sapin II.

J'en viens au budget : nous devons avoir les moyens d'atteindre les objectifs fixés par le Président de la République. Le projet de loi de finances rectificative prévoit la recapitalisation de l'AFD, soit 2,4 milliards de fonds propres supplémentaires par transformation du stock de prêts du Trésor qui se trouvent au passif de notre bilan. Cela nous permettra de réaliser les 4 milliards d'engagements annuels supplémentaires d'ici à 2020. Le projet de loi de finances pour 2017, qui vous viendra de l'Assemblée, devrait favoriser la politique de développement. Le projet de loi initial est satisfaisant, prévoyant une augmentation de 80 millions des crédits de bonification sur le programme 110 et de 100 millions de ressources à conditions spéciales sur le programme 153, afin de proposer des prêts dans les pays les moins avancés. En outre, le projet de loi de finances double les autorisations d'engagement pour l'outre-mer : nous les utiliserons en faveur du rayonnement régional de nos territoires ultramarins. Les montants en subventions ont cristallisé les débats à l'Assemblée nationale. Dans le texte initial, une augmentation de 30 millions était prévue pour les moyens en dons confiés à l'AFD au sein du programme 209. Le débat lors de la première partie de la loi de finances a entraîné une augmentation de 270 millions, soit un total de 300 millions. Si vous confirmez ce vote, ce sera plus qu'un doublement de nos moyens sur le programme 209. N'ayez aucun doute : nous serons capables d'utiliser ces moyens supplémentaires. Dans le passé, l'AFD a géré des enveloppes en dons supérieures à 300 millions. Nous avions trouvé les emplois utiles dans les zones les plus fragiles. De plus, la décrue des crédits bilatéraux nous a poussés à aller chercher des délégations de crédits européens à Bruxelles : cette année, nous obtiendrons certainement plus de 400 millions, soit plus que la contribution de la France au budget du Fonds européen de développement (FED). Ainsi, dans le projet en faveur du lac Tchad, la France a financé 5 millions, tandis que le budget européen versait 30 millions. Ce projet a été valorisé par le Président de la République au sommet d'Abuja. Si le Parlement nous confie 300 millions supplémentaires, nous pourrons intervenir dans les pays fragiles que vous avez évoqués dans plusieurs de vos rapports. Notre priorité portera sur les secteurs sociaux, notamment sur l'éducation qui a beaucoup souffert ces dernières années, surtout au Sahel. Les dossiers relatifs à la gouvernance devraient atteindre, à terme, près de 10 % des engagements de l'Agence. Bien sûr, je défends ces montants additionnels. L'affectation de la TTF est également très positive pour l'AFD : la sanctuarisation de la ressource en dons nous est précieuse.

J'en viens à la stratégie que nous allons mettre en oeuvre. La priorité africaine sera réaffirmée, notamment en direction des pays les plus pauvres et des zones en crise. Nous porterons une grande attention aux sujets migratoires : l'Afrique doit être regardée comme un tout. Considérer le Sahara comme une frontière conduit à ne pas examiner un certain nombre de phénomènes. Le Sahara est une mer et non pas une frontière. Enfin, l'Afrique doit aussi être considérée comme une opportunité, avec les énergies renouvelables - voyez l'initiative de Jean-Louis Borloo - et le financement des non-souverains au-delà des États.

Le deuxième axe de notre projet stratégique portera sur la France : elle doit se projeter dans les pays prioritaires mais aussi s'approprier les expériences, les intentions et les aspirations de ses partenaires du sud. Le partenariat avec la Caisse des dépôts que nous signerons le 6 décembre sanctionnera cette stratégie : les discussions sont denses et fluides. La direction générale de la Caisse des dépôts et toutes les équipes que nous avons réunies la semaine dernière en séminaire sont conscientes des enjeux : nous allons bâtir en commençant par les projets et les équipes. L'ambition initiale de la mission de préfiguration est nullement réduite.

M. Henri de Raincourt, rapporteur pour avis. - Merci pour votre présentation. Nous venons de présenter notre projet de rapport : beaucoup de nos collègues souhaitent que nous prenions en compte les transformations profondes de l'Afrique, notamment en ce qui concerne la démographie, l'éducation et la santé des femmes. La France doit être au rendez-vous. Je vous félicite d'aller chercher les crédits européens. Notre collègue Cambon défend l'idée de chef de file afin que chaque projet soit bien identifié. Nous y sommes tout à fait favorables.

En 2017, les autorisations d'engagement pour bonification de prêts au sein du programme 110 s'élèveront à 315 millions. Quelle est la stratégie de l'AFD pour hausser ces engagements à ce niveau sans entrer pour autant dans une logique de chiffre d'affaires ? Comment développer l'Agence et gérer la concurrence avec les banques et les organismes internationaux ?

Ma collègue Conway-Mouret et moi-même avons présenté un rapport avant l'été : nous étions convaincus qu'il fallait faciliter les flux entre le Sahel et le Maghreb, mais aussi entre le Sahel et l'Afrique de l'ouest et l'Afrique centrale. Ne restons pas bloqués sur la seule Afrique subsaharienne. Comment l'AFD pourra-t-elle développer cette vision ?

Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure pour avis. - Il s'est passé beaucoup de choses à l'AFD en cinq mois : bravo. Nous nous réjouissons de votre priorité en faveur de l'Afrique et de la nouvelle impulsion que vous avez donnée à l'Agence en interne. Je salue aussi votre politique d'ouverture. L'absence de la France, que certains déploraient, appartient désormais au passé.

Pour 2020, 4 milliards d'engagements sont prévus pour lutter contre les changements climatiques. Les pays africains ont pris des engagements lors de la COP 21 et nous espérons qu'ils seront confirmés lors de la prochaine COP. Quel est le potentiel de l'Afrique en matière d'énergies renouvelables ? Quels types de projets l'AFD défend-elle en ce domaine ?

En matière d'éducation, les engagements français ne sont pas à la hauteur des priorités affichées, particulièrement pour l'éducation primaire. Quelles évolutions prévoyez-vous pour 2017 ?

Je défends le partenariat entre l'AFD et Expertise France. Ne pourriez-vous pas davantage mobiliser cette dernière en matière de bonne gouvernance ?

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. - L'AFD est la principale bénéficiaire des fonds fiduciaires mis en place par l'Union européenne pour répondre aux crises liées aux conflits syriens et irakiens et à l'instabilité au Sahel. Ces fonds sont-ils efficaces ? Ont-ils un impact sur le terrain ? Répondent-ils aux situations d'urgence ?

Comment travaillez-vous avec les autres acteurs de l'équipe France, notamment Expertise France, qui est également accréditée auprès de la Commission européenne pour gérer les fonds européens. Certes, vous n'êtes pas en concurrence, mais comment s'établissent vos complémentarités ?

M. Claude Malhuret. - En cinq mois, vous avez beaucoup voyagé et vous avez rencontré les ONG. Les dirigeants de Coordination Sud, qui représentent 170 ONG de développement en France, ont donné une conférence de presse juste avant l'élaboration du budget pour 2017 : ils se disaient attristés de constater que les ONG ne bénéficiaient que de 2 % de l'aide publique au développement alors que la moyenne de l'OCDE se situe à 17 %. Comptez-vous modifier cette répartition ? Certes, nous savons que la France, vieux pays centralisé, se méfie de la société civile, mais il serait bon d'évoluer car nous avons des ONG parmi les plus efficaces dans le monde. La coopération pourrait donc s'améliorer.

En second lieu, les promesses pour 2020 sont sympathiques, mais nous sommes en fin de quinquennat, et elles engagent les successeurs dans un contexte budgétaire qui sera sans doute tendu. En réalité, nous avons assisté à une baisse du budget de l'aide publique au développement depuis 2012, et l'augmentation de cette année ne rejoint même pas les niveaux de 2011 : les promesses faites par l'actuel Président ne seront donc pas tenues.

Vous vous félicitez de la TTF qui va sécuriser le budget de l'AFD. Certes, 500 millions sont en jeu, si toutefois ils sont intégralement reversés à l'aide au développement, mais la Place de Paris risque d'être affectée par cette nouvelle taxe. En 2013, M. Cazeneuve, alors ministre du budget, avait demandé le rejet de cette taxe qui allait diminuer la liquidité de la Place de Paris de 40 %. M. Sapin s'est opposé cette année à cette augmentation de la TTF, avant d'accepter un compromis avec sa majorité. Je ne critique par la TTF en tant que telle, mais pourquoi la France l'instaure-t-elle alors que l'Allemagne ne compte pas le faire et que nous sommes en concurrence avec notre voisin pour accueillir divers organismes financiers suite au Brexit ? Les pertes pour notre pays risquent d'être bien supérieures aux recettes escomptées. Je trouve savoureux que l'on parle de financement innovant dès qu'on instaure une nouvelle taxe. Voyez celle que l'on a instaurée sur les billets d'avion : Air France avait menacé de déposer le bilan si elle était mise en place. Benjamin Franklin disait qu'il n'y a que deux choses certaines dans la vie : la mort et les impôts. Cela dit, je pense que vous ne pouvez pas prendre part à ce débat purement politique.

M. Jeanny Lorgeoux. - Avez-vous connaissance de l'expérimentation menée par l'un de vos anciens directeurs en Centrafrique : le fonds Bêkou ? Si oui, pensez-vous possible de l'étendre pour glaner des crédits supplémentaires au bénéfice de notre action publique ?

M. Joël Guerriau. - L'action de la France en Afrique est-elle visible ? L'électrification de l'Afrique voulue par Jean-Louis Borloo avance-t-elle ?

M. Daniel Reiner. - La France veut donner l'exemple avec la TTF : certes, elle prend des risques, mais ce faisant, elle est fidèle à ses valeurs.

On nous a dit beaucoup de bien du fonds Bêkou en Centrafrique. Nous avons commis un rapport sur les OPEX : la conclusion, c'est que les opérations militaires ne règlent pas, à elles seules, les conflits. Une phase deux est nécessaire, à savoir le développement et le plus tôt est le mieux. L'AFD devrait intervenir dès les fins de crise, surtout grâce à ses nouveaux moyens : en a-t-elle la volonté ?

M. Christian Cambon. - En mai, nous avions évoqué l'évaluation des actions de l'AFD. En cette période de disette budgétaire, il est indispensable de mesurer l'efficacité des politiques publiques. Allez-vous faire comme nos amis anglais qui ont recours à des expertises extérieures ? Il est toujours plus facile de se juger soi-même que de l'être par des organismes indépendants. Si certaines politiques sont faciles à mesurer, d'autres le sont beaucoup moins.

M. Alain Néri. - La crise migratoire a des conséquences importantes pour la France et pour toute l'Europe. Le développement permet de répondre aux défis posés par la pauvreté. Cela passe, bien sûr, par l'éducation et la santé. L'AFD devra en faire ses priorités.

N'oublions pas qu'une des causes de la crise migratoire tient à la démographie : il faudra beaucoup de courage et de tact pour aborder cette question avec nos amis africains. L'honneur de la France est de soulever les problèmes difficiles pour y apporter des réponses.

M. Rémy Rioux. - Je me félicite de voir que vous vous saisissez de tous ces sujets. Les Britanniques ont construit un beau consensus bipartisan autour du développement, ce qui les a amenés à 0,7 % de leur PIB en dons. J'ai été frappé par ce qui s'est passé en Allemagne. La visite de la Chancelière au Mali, au Niger, en Éthiopie, puis son accueil du président tchadien et du président nigérien il y a trois semaines ne sont pas passés inaperçus. Jeune Afrique les a d'ailleurs qualifiés d'évènements historiques. La Chancelière est allée chercher en Afrique une réponse à sa crise domestique. L'axe franco-allemand doit être renforcé.

J'ai également été frappé par ce qui se passe aux États-Unis : je vivais sur des souvenirs des années Bush. Lors de mon dernier voyage, j'ai rencontré tous les acteurs américains : les Républicains et les Démocrates ont adopté l'an passé cinq lois importantes sur le développement, avec des allocations budgétaires conséquentes.

Les évolutions européennes et françaises sont encourageantes. Tous les projets de l'AFD comprennent désormais des crédits européens. Les Allemands, les Italiens, les Suédois, les Français ont des banques de développement. Lorsque les Espagnols reviendront à meilleure fortune, ils devraient également créer une telle structure. Avec la Commission et la BEI, le système est de plus en plus coordonné et efficace, même si sa visibilité politique n'est pas encore totale.

J'ai publié une petite tribune dans La Croix après mon voyage en août.

Pour répondre à M. de Raincourt, nous allons présenter le projet de l'Agence pour 2020. Le contrat avec l'État devrait être signé mi-2017 et le CICID sera une étape importante. À mon sens, nous devrons continuer à faire le maximum pour l'Afrique : nous devrons financer d'autres entités que les États, d'où le lien avec la gouvernance. Ainsi, nous ne pouvons plus prêter au Ghana, d'où l'importance de pouvoir le faire auprès du secteur privé et des collectivités locales. L'ouverture à d'autres pays est une décision purement politique. Les subdivisions administratives dans le traitement de l'Afrique n'ont plus de légitimité, même si des sous-régions existent. Les phénomènes actuels ne sont pas suffisamment pris en compte, dans leur dimension globale, au niveau de l'Afrique. L'AFD devrait être la première agence non-africaine à avoir cette approche continentale. J'étais en Tunisie il y a une semaine et j'ai été frappé par le fait que mes interlocuteurs voulaient bâtir des liens plus étroits avec leurs voisins du sud. Nous devons accompagner ce mouvement.

Mme Conway-Mouret m'a interrogé sur les changements climatiques. L'Agence réalise 50 % de son activité en Afrique, 55 % en faveur du climat et 50 % avec d'autres acteurs que les gouvernements. C'est notre spécificité.

Dès mon arrivée, j'ai validé un plan d'action sur la mise en oeuvre du programme énergies renouvelables en Afrique. Nous nous étions engagés sur 2 milliards, mais mes équipes me disent que nous allons dépasser ce chiffre. Les Africains vont expérimenter des formes de production et de distribution novatrices. L'Afrique va donc nous apprendre des process que nous ne connaissons pas. De même, la ville de Medellin a réorganisé tout son système de transport, y compris avec le métro câble. La France va s'inspirer de ce modèle. Mme Keller m'a dit sa surprise devant cette gestion novatrice des transports collectifs : la France pourrait sans doute s'en inspirer, y compris pour le ferroviaire.

L'éducation de base en français doit bien sûr être favorisée. La formation supérieure doit aussi être encouragée. Les deux secteurs les plus rentables en Afrique subsaharienne sont la micro-finance et l'éducation. L'AFD peut jouer un rôle important pour accompagner des entrepreneurs qui voudraient investir le champ de l'éducation. N'oublions pas non plus le partenariat mondial pour l'éducation dirigé par Mme Albright.

Plusieurs d'entre vous m'ont interrogé sur Expertise France : j'ai rencontré M. Sébastien Mosneron Dupin dès ma prise de fonction. Nous souhaitons travailler en commun car les deux maisons sont très complémentaires. Nous finançons tandis qu'Expertise France a un rôle d'expertise technique. Nos programmes font donc régulièrement appel à cet organisme. Reste que nos actions doivent apparaître coordonnées à la Commission européenne.

Oui, madame Perol-Dumont, l'AFD est la première agence à émarger sur les fonds européens. Nous souhaitons conserver ce leadership. Nous avons inauguré un centre d'enfouissement technique à Lomé : la France a investi 3 millions sur un projet qui a en coûté 20, dont 7 financés par l'Union européenne et 10 par la Banque ouest-africaine de développement (BOAD). Le Premier ministre français a posé la première pierre.

M. Malhuret m'a interrogé sur les partenariats : je vous avais dit que je voulais que l'AFD soit plus forte, plus innovante et plus partenariale. Les 12 milliards de projets prévus en 2020 ne pourront être menés par la seule AFD. Tous nos partenaires doivent être partie prenante et apporter des projets. Nous sommes en partenariat rapproché avec la société civile et avec les ONG, notamment depuis le transfert du guichet ONG en 2011. Dans le projet de budget pour 2017, 87 millions sont prévus pour ce guichet, en augmentation régulière depuis 2012. Dans la prochaine convention d'objectifs et de moyens (COM), nous définirons l'étape suivante. Nous devons aussi augmenter les crédits en faveur des collectivités locales qui se montent aujourd'hui à 3 millions. Lorsque j'étais à Lille et à Roubaix, j'ai senti que les collectivités avaient besoin d'un appui national pour aller de l'avant. Le partenariat implique, à mes yeux, davantage de projets.

Un mot sur la recapitalisation de l'AFD : l'Agence va disposer de près de 2,5 milliards de fonds propres supplémentaires d'ici la fin de l'année. Cette décision financière est majeure. Pour ce qui est des budgets à venir, nous savons ce qu'il en est : chaque année, le combat doit être mené ; c'est la règle.

Je ne me prononcerai pas sur le bien-fondé de la TTF. En revanche, je n'ai pas de doutes sur l'emploi de cet argent : les besoins sont tels que nous saurons employer les 270 millions qui nous ont été affectés par l'Assemblée nationale si, bien sûr, vous confirmez ce vote.

Je vous transmettrai des éléments précis sur le fonds Bêkou, messieurs Lorgeoux et Reiner. C'est un exemple parmi d'autres de l'utilisation des fonds européens, dont je n'entends que des témoignages positifs.

Dès que je vais dans un pays, j'entends une demande de France, monsieur Guerriau. C'est vrai en Afrique, mais aussi dans les pays émergents, d'où mon insistance à développer des réseaux et à trouver des alliés en France.

Je rencontre régulièrement le chef d'État-major des armées. Le général de Villiers est un grand avocat de l'aide au développement. J'ai employé l'expression « Barkhane du développement » afin de renforcer notre efficacité collective. Vous avez parlé de phase 2 : à mon sens, ces distinctions ont vécu. Dès le départ, sécurité et développement doivent oeuvrer de concert. M. Jean-Marie Guéhenno nous a bien dit qu'il fallait être très attentif dès le début de la crise, car c'est à ce moment-là que les lignes peuvent bouger, alors qu'ensuite, elles se cristallisent à nouveau.

Bien sûr, l'évaluation est indispensable, monsieur Cambon. Nous avons lancé 377 recrutements cette année, dont 225 nouveaux postes. Nous remettons à niveau divers services, dont ceux chargés de rendre des comptes. Avec le conseil d'administration, nous allons réfléchir au bon pilotage de cette maison : après les engagements viennent les signatures puis le décaissement et enfin les mesures d'impact. Nous devrons certainement renforcer notre management.

M. Christian Cambon. - Quid des organismes évaluateurs extérieurs ?

M. Rémy Rioux. - Avec les co-financements, il est possible de s'évaluer les uns les autres. En tant que magistrat de la Cour des comptes, je suis particulièrement sensible à ces questions de transparence et d'efficacité.

Notre nouvelle stratégie tiendra compte de la transition démographique, monsieur Néri. Cette notion sera donc utilisée et nous la déclinerons sous plusieurs aspects : secteurs sociaux, emploi, retraites, jeunesse... Les problèmes démographiques de l'Afrique ne concernent pas seulement l'Europe : l'Afrique devra aussi gérer ses flux internes. Nous allons voir avec la Caisse des dépôts quels sont les instruments disponibles pour être plus efficaces qu'aujourd'hui.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Nous avons fait un tour approfondi de tous les sujets. Je remercie le directeur général et nos deux rapporteurs ainsi que tous les intervenants. Ce sujet est important et comme nous sommes la commission des affaires étrangères et de la défense, nous estimons que sécurité et développement forment un tout avec, comme but ultime, la paix.

ANNEXE II - AUDITION DE MME ODILE RENAUD-BASSO, DIRECTRICE GÉNÉRALE DU TRÉSOR, LE 26 OCTOBRE 2016

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons notre cycle d'auditions consacré à l'examen du projet de loi de finances pour 2017, en accueillant pour la première fois Mme Odile Renaud-Basso, récemment nommée Directeur général du Trésor.

Je rappelle que la mission « Aide publique au développement » est composée de deux programmes : le programme 209, d'une part, qui est géré par le ministère des affaires étrangères, regroupe 1,6 milliard d'euros de crédits de paiement dans le PLF pour 2017 et le programme 110, d'autre part, dont vous avez la responsabilité, atteint quant à lui environ 988 millions d'euros, soit une hausse de 5,3 % par rapport au PLF 2016, ce qui constitue en réalité un retour au montant d'abord inscrit par le Gouvernement l'année dernière avant que les députés ne décident de le réduire. Vous pourrez à cet égard nous expliquer comment cette diminution a été traitée dans l'exécution du PLF 2016, c'est-à-dire la nature exacte des dépenses qui ont été impactées par ce rabot de 50 millions d'euros. Quoi qu'il en soit, le budget pour 2017 retrouve le niveau qu'il avait en 2016, avant l'intervention des députés.

Vous nous parlerez également de l'Association internationale de développement (AID), guichet concessionnel de la Banque mondiale qui octroie des dons et des prêts à taux très faible aux pays en développement les plus pauvres.

Je vous laisse à présent la parole pour un exposé liminaire, puis je donnerai la parole aux membres de la Commission en commençant par les rapporteurs de l'aide au développement, M. Henri de Raincourt et Mme Hélène Conway-Mouret.

Mme Odile Renaud-Basso, directrice générale du Trésor. - Monsieur le Premier ministre, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, je vous remercie de m'avoir invitée pour vous présenter notamment le budget de la mission 110 qui relève de la responsabilité du Trésor.

Comme vous le savez, la Direction générale du Trésor a la charge de la partie gérée par le ministère des Finances du budget de l'aide au développement française, qui en est l'un des deux piliers avec celle pilotée par le ministère des Affaires étrangères. Il s'agit du programme 110 « Aide économique et financière au développement », ainsi que des comptes spéciaux 851, 852 et 853, retraçant notamment les annulations de dettes ou les aides projets devant bénéficier à des entreprises françaises. Par ailleurs, en lien avec le ministère des Affaires étrangères et la Direction du Budget, nous gérons le Fonds de solidarité pour le développement (FSD), alimenté par la taxe sur les billets d'avion et par une partie de la taxe sur les transactions financières (TTF).

Avant de répondre à vos questions, j'articulerai mon propos liminaire en trois temps : d'une part, en rappelant brièvement le contexte, au niveau international et français, dans lequel s'inscrit aujourd'hui la politique française d'aide au développement ; d'autre part, en vous présentant les grands axes du projet de budget qui vous est présenté cette année et les principes qui ont guidé son élaboration, avant d'évoquer quelques sujets de débat potentiels.

Tout d'abord, le contexte international demeure complexe pour les économies en développement. Les économies émergentes, qui tiraient la réduction des inégalités et la croissance au niveau mondial, connaissent un ralentissement. Cela est vrai notamment au Brésil sur la période récente, alors que l'Inde connaît un niveau de croissance continu. L'Afrique, l'une de nos zones d'intérêt prioritaire, enregistre des taux de croissance plus faibles que par le passé, en lien notamment avec la chute des prix des matières premières mais aussi avec la situation sécuritaire dans plusieurs grandes zones. Des inégalités fortes persistent, en particulier sur le continent africain, qui continue de concentrer la moitié des quelque 800 millions de personnes vivant sous le seuil de l'extrême pauvreté selon la Banque mondiale. Toutes ces évolutions viennent rappeler l'importance de notre intervention en appui aux économies en développement.

Deuxième élément de nature plus financière : l'année 2017 sera celle de la reconstitution de plusieurs grands fonds gérés par les grandes institutions multilatérales de développement, en particulier l'Association internationale de développement (AID) que vous avez mentionnée, et, pour des montants plus limités, le Fonds africain de développement (FAD). L'AID est un outil particulièrement important : instrument concessionnel de la Banque mondiale, elle concentre plus de la moitié de son activité en Afrique. Notre cinquième rang parmi les donateurs nous permet ainsi d'être automatiquement membre de son conseil d'administration. Cela nous permet d'orienter la stratégie de l'organisation et les actions qu'elle conduit et de démultiplier notre action. L'atout principal de notre participation à l'AID réside dans son effet de levier : en nous associant à d'autres bailleurs, nous sommes plus forts sur les priorités que nous partageons, pour mobiliser rapidement des moyens importants face aux crises, comme celle au Sahel, et renforcer l'intégration régionale. Cela, nous ne pouvons pas le faire seuls. Enfin, nous comptons optimiser notre contribution à l'AID sur le plan budgétaire, en en réalisant une partie sous forme de prêt, afin de disposer d'un effet de levier sur notre contribution. Une telle démarche est innovante.

Troisième élément de contexte : les impacts des crises humanitaires majeures qui frappent actuellement plusieurs grandes régions du monde, autour de la Syrie et dans la région du Sahel en particulier, auxquels nous devons apporter des réponses. En effet, ces crises appellent des réponses d'urgence, à la fois sur place dans les zones concernées, et en France, via l'aide aux réfugiés reçus sur notre territoire. Une part de ces crédits, engagés par le ministère de l'Intérieur en faveur des réfugiés, entre, néanmoins, en revanche, dans les dépenses d'APD. Ensuite, ces crises rappellent l'importance de l'intervention de fond, dans la durée, dans les pays touchés, en faveur du développement et de la sécurité, qui bien souvent vont de pair. Dans ce contexte international, la France a pris des engagements significatifs d'augmentation de son aide aux économies en développement au cours des prochaines années, qui vont structurer en particulier l'action de l'Agence française de développement (AFD) et sa trajectoire financière. Nous travaillons à la mise en oeuvre des annonces faites en 2015 par le Président de la République, d'une hausse de 4 milliards d'euros des interventions en faveur du développement d'ici 2020, dont deux milliards d'euros dans le domaine du climat. Cela implique en particulier la forte montée en puissance de l'Agence française de développement, qui nécessite une recapitalisation de l'établissement, à hauteur de 2,4 milliards d'euros d'ici la fin de l'année. Si cette progression marque l'engagement fort de la France en faveur du développement, elle va aussi soulever des problèmes difficiles : en particulier, comment mettre en place cette trajectoire tout en s'assurant que l'aide française ne se disperse pas et reste concentrée sur les pays prioritaires en termes de développement ? C'est un objectif à nos yeux essentiel que de conserver une logique de ciblage sur les pays les plus pauvres, si nous voulons que l'aide française puisse avoir une valeur ajoutée et faire la différence. Or, les pressions sont fortes pour relâcher cet effort de concentration. Il est important à mes yeux d'éviter une telle logique de développement du « chiffre d'affaires », consistant à s'étendre au-delà des cibles prioritaires. Intervenir en Chine ou en Indonésie, est-ce encore de l'aide au développement ? C'est un débat qu'il faudra avoir.

Plusieurs autres évolutions sont en cours concernant l'AFD, en particulier le rapprochement avec la Caisse des dépôts et consignations, qui doit permettre d'accompagner sa croissance, de renforcer son ancrage territorial et d'appuyer en retour le groupe CDC à l'international. Ce rapprochement sera mis en oeuvre par une convention entre les deux établissements, qui devrait être signée d'ici la fin de l'année, et conduire à la dotation d'un fonds, dont la gestion serait confiée à l'AFD. Pour mieux répondre aux situations de crise et d'urgence, le président de la République a annoncé la création d'un nouvel instrument géré par l'AFD, qui sera destiné à mieux répondre aux vulnérabilités et aux crises. Si les paramètres exacts sont encore en cours d'élaboration, il devrait recevoir un montant de cent millions d'euros par an. Enfin, le Gouvernement a comme objectif de tenir un Comité interministériel pour la coopération internationale et le développement (CICID) d'ici la fin de l'année ; il s'agira du premier depuis 2013. Le Président de la République l'a annoncé dans son discours devant la conférence des ambassadeurs en août. Ce comité permettra d'actualiser les grandes orientations de notre politique de développement et d'acter certaines évolutions, comme la création de cette nouvelle facilité.

Je voudrais maintenant revenir brièvement sur quelques faits marquants cette année pour notre programme et notre mission APD. Tout d'abord, le budget de l'APD augmente, dans un contexte budgétaire pourtant fortement contraint par l'effort nécessaire de redressement de nos finances publiques. Ainsi, dans le projet de loi de finances, avec 2,455 milliards d'euros, les crédits de paiement de la mission sont en hausse de 6 %, hors titre 2. Concernant le programme 110, la progression est de 5 % par rapport à la loi de finances initiale de l'an dernier, avec près d'une hausse de 990 millions d'euros ; les crédits, comme vous l'avez rappelé Monsieur le Premier ministre, sont en revanche stables par rapport au projet de loi de finances de l'an passé. C'est un réel effort dans le contexte actuel. Sans préjuger de la conclusion de la procédure parlementaire, des ressources supplémentaires ont été votées à l'Assemblée nationale et visent à ramener le budget de l'aide au développement à son niveau du début de la mandature, voire légèrement au-delà. Le Gouvernement a accepté le principe d'un retour au niveau de 2012. Le canal envisagé à ce stade pour ces ressources supplémentaires fera encore l'objet de discussions : l'Assemblée a voté leur affectation directe à l'AFD, alors qu'une affectation au FSD, qui a été justement créé pour recevoir ces recettes de taxe sur les transactions financières, nous paraîtrait plus adaptée et éviterait de multiplier les circuits de financement de l'aide. L'augmentation du taux de la TTF de 0,2 à 0,3 %, votée par les députés, permettra de financer ce supplément. Enfin, les autorisations d'engagement que nous demandons sont en très forte augmentation, et sont de l'ordre de 2,2 milliards d'euros au sein du programme 110, du fait de la reconstitution de plusieurs fonds multilatéraux que j'ai mentionnée il y a un instant.

Plusieurs orientations ont guidé l'élaboration du projet de budget : d'une part, le maintien du rang de la France dans les institutions financières internationales, qui nous permet d'y peser et d'y faire prendre en compte nos priorités. Il est nécessaire d'y contribuer à une hauteur suffisante ; c'est ce que doivent permettre nos contributions aux grands fonds multilatéraux en cours de reconstitution. Des discussions sont actuellement encore en cours à la fois au FAD et à l'AID sur la reconstitution de ces fonds. D'autre part, la priorité constante à l'Afrique subsaharienne, qui reste notre partenaire privilégié dans le monde en développement, avec des enjeux essentiels compte tenu à la fois de nos liens historiques avec elle et de ses besoins forts en matière de développement. Enfin, l'intégration dans nos actions et nos outils des objectifs de développement durable (ODD) et de la lutte contre le changement climatique.

Ensuite, au cours de la discussion parlementaire qui a débuté, un débat s'est engagé sur la taxe sur les transactions financières (TTF), qui alimente le notamment Fonds de solidarité pour le développement (FSD). Le sujet a été fortement débattu et une hausse du taux a finalement été votée par l'Assemblée nationale, de 0,2 % à 0,3 %. La stabilité de l'assiette est préoccupante : en cas de hausse du taux, les expériences étrangères montrent que l'assiette peut baisser nettement, comme cela a été vu en Belgique. C'est l'une des raisons qui nous conduit à pousser le projet de TTF au niveau européen. Même si tous les membres de l'Union européenne ne participent pas au projet qui relève de la coopération renforcée, c'est le cas de plusieurs grands pays, ce qui permet de limiter les effets de déplacement de la base fiscale. Je pense qu'il nous faut dans ce débat garder plusieurs objectifs en tête : celui du financement du développement est essentiel. Dans le même temps, il est très important, en particulier dans le contexte du Brexit, de préserver l'attractivité de la place de Paris, qui est aussi un élément de compétitivité pour le financement des entreprises françaises.

Je voulais également mentionner que l'Etat a engagé plusieurs actions visant à une plus grande transparence des dépenses d'APD, à la fois vis-à-vis du Parlement et, plus largement, des citoyens et de la société civile. Une programmation des dépenses du Fonds de solidarité pour le développement sera désormais présentée chaque année dans le Document de politique transversale (DPT) « aide au développement ». Elle sera ensuite actualisée par le comité de pilotage du FSD, composé notamment de la Direction générale du Trésor et du Ministère des affaires étrangères et du développement international.

Enfin, je souhaiterais évoquer quelques sujets sur lesquels des débats s'engageront sans doute au cours de la discussion budgétaire. Je rappellerai d'abord le caractère très contraint des dépenses du programme 110, qui reste fortement conditionné par des engagements internationaux de la France. Tout particulièrement, les crédits de paiement sont souvent la traduction d'engagements antérieurs que la France a souscrits et auxquels elle ne peut se soustraire. C'est par exemple le cas des bonifications de prêt versées à l'AFD. Ce sont donc des crédits dus, indispensables à l'AFD pour honorer ses engagements vis-à-vis des pays tiers ; ils ne peuvent donc pas être diminués ou annulés sans poser de graves problèmes de gestion et de respect des contrats passés par l'AFD avec les Etats étrangers.

J'évoquerai ensuite le débat récurrent qui existe sur la place respective des prêts et des dons dans l'aide au développement française. Ce débat est régulièrement porté notamment par les ONG, qui considèrent souvent que la part des dons devrait être augmentée afin de cibler davantage les interventions sur les pays les moins avancés. Le programme 110, avec des aides budgétaires globales ou encore des bonifications de prêts, contient ainsi des sommes cédées par l'Etat qui donc bien des dons. Et, clairement, si les moyens budgétaires dont nous disposons étaient plus élevés, nous serions en mesure d'en réaliser davantage. Nous considérons que le prêt est également un outil vertueux dans l'aide au développement, ce que reconnaissent la plupart des économistes : il permet de financer des projets de plus grande ampleur, notamment d'infrastructures, qui ne pourraient que très difficilement être financés uniquement par dons. Le prêt permet de maximiser l'impact des interventions grâce à un effet de levier et notre rôle consiste à tout faire pour optimiser l'utilisation de nos ressources et faire jouer cet effet de levier en faveur du développement. C'est pourquoi l'usage du prêt concessionnel constitue le principal outil de l'Agence française de développement (AFD). Le Ministère de l'Economie et des Finances est particulièrement attentif à ce que la concessionnalité des prêts octroyés par l'AFD soit ajustée le plus finement possible : c'est-à-dire en minimisant l'effort budgétaire pour l'Etat tout en veillant au respect de la soutenabilité de la dette des pays emprunteurs et en veillant à ce que les conditions de prêt soient adaptées aux besoins et à la capacité d'emprunt des pays. Nous sommes vigilants sur le désendettement des pays dans le cadre du Club de Paris ou du G20 ; il serait dommageable que les pays reviennent dans une situation d'endettement non soutenable. C'est un sujet pour lequel il faut mobiliser tous nos partenaires, comme la Chine dont la politique de prêts est extrêmement active, afin que tous s'assurent de la soutenabilité des pays récipiendaires. Aujourd'hui, deux-tiers des bonifications allouées par l'Etat à l'AFD portent sur des prêts accordés à l'Afrique. Cette politique correspond aux préconisations des Nations-Unies, d'optimiser l'utilisation des ressources existantes, de différencier les outils en fonction des besoins et de créer les bonnes incitations économiques en faveur d'un développement durable.

Enfin, j'évoquerai l'évolution en cours du Fonds de solidarité pour le développement qui atteint désormais 738 millions d'euros et est désormais près de 40 fois plus important que lors de sa création en 2006. Ce qui était initialement un outil de financement additionnel, alimenté par des taxes affectées, est devenu une composante parmi d'autres du budget de l'APD française, tendant à fonctionner en vase communicant avec les programmes budgétaires, lorsque l'Etat n'était pas en mesure d'accroître les financements totaux prévus pour la politique de développement. Une telle situation en rendait la gestion complexe, en raison de la coexistence de plusieurs circuits de financement du développement qu'elle induisait. C'est pourquoi une réforme du FSD a été engagée, consistant, au-delà du sujet du montant de ses ressources que j'ai évoqué, à viser plus de programmation et de transparence sur ses dépenses en amont. Un décret doit être publié dans les prochains jours et préciser la programmation prévisionnelle du Document de politique transversale (DPT) accompagnant le projet de loi de finances, tout en établissant, en début d'année, un échéancier prévisionnel des dépenses. Nous sommes en train de modifier le cadre réglementaire afin d'assurer ces évolutions qui tiennent compte de l'impact du FSD dans le budget de l'aide publique au développement.

En conclusion, je rappellerais que nous restons très attachés à la gestion optimale des fonds qui nous sont confiés, en faisant jouer au maximum l'effet de levier, via les prêts concessionnels ou encore la participation à des organisations multilatérales. Nous sommes aussi mobilisés sur les autres chantiers qui doivent permettre aux économies en développement de mobiliser leurs propres ressources pour financer leur développement. L'APD ne pourra jamais suffire et il faut trouver des ressources endogènes, à l'instar des ressources fiscales dans le cadre de la « mobilisation des ressources domestiques » et les chantiers G20 de lutte contre l'érosion des bases fiscales, ou encore du développement des marchés obligataires en monnaie locale ; ce dernier étant un axe d'intervention privilégié par l'AFD.

En outre, les transferts de fonds des personnes, dans un contexte de renforcement des règles de lutte contre le financement du terrorisme ou le blanchiment d'argent, deviennent de plus en plus malaisés. C'est là un sujet débattu dans le cadre du Forum de stabilité financière ou du G20. Je vous remercie de votre attention et me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions.

M. Henri de Raincourt. - Madame la directrice générale, je vous remercie de votre présentation. Bien évidemment, chacun d'entre nous peut mesurer combien l'aide publique au développement est essentielle au développement de la planète, mais aussi combien la complexité de cette politique est à nulle autre pareille. Je souscrits naturellement à vos propos en faveur de sa transparence et j'appelle aussi de mes voeux une pédagogie et une simplification accrues ! Le nombre de partenaires et d'organismes qui travaillent sur cette thématique est déjà très important, comme nous avons pu le mesurer dans notre rapport publié avant l'été, et seuls les spécialistes parviennent à en comprendre, en toute humilité, les tenants et les aboutissants. Je suis assez satisfait de voir que la nécessité d'une aide publique au développement puissante et dynamique gagne des points dans l'opinion publique. La situation migratoire actuelle explique pour partie cette tendance, ainsi que l'organisation de la COP 21 à Paris et de la COP 22 à Marrakech. La prise de conscience de nos compatriotes me paraît générale. A cet égard, votre volonté de transparence doit être partagée par tous. Il importe de bien expliquer à nos compatriotes que la paix et la sécurité dans le monde ne pourront être assurées sans la stabilité d'un certain nombre de pays confrontés notamment à la pression démographique. Si l'on n'est pas capable d'apporter des réponses adaptées sur place, ne nous faisons aucune illusion : aucune loi ne sera en mesure de lutter contre l'immigration. Les crises alimentaires ne sont certes pas d'actualité, mais le jour où elles surviendront, leurs conséquences humaines seront terribles.

Je trouve que le projet de loi de finances pour 2007 va dans le bon sens. Encore faut-il que la pente des crédits affectés à l'aide publique au développement redevienne ascendante ! Il faut également regarder ce qui se passe autour de nous. Ainsi, l'Allemagne, qui est notre premier partenaire en matière d'aide publique au développement, se mobilise fortement, puisque Madame Merkel vient de faire une tournée en Afrique tout à fait significative et de recevoir certains chefs d'Etat africains à Berlin. En outre, les Etats-Unis me paraissent également s'ouvrir, plus que par le passé, à cette nécessité de l'aide publique au développement. S'agissant du PLF pour 2017, il nous faut reconnaître que des efforts notoires sont poursuivis et ce, dans un contexte national extrêmement contraint. Il faut absolument que les annonces faites par le Président de la République en 2015 soient mises en oeuvre et il me semble que les engagements ont été respectés en 2016.

Je formulerai trois questions. D'une part, s'agissant de la trajectoire financière du programme 110, l'augmentation des prêts de l'AFD en vue d'atteindre 12 milliards d'euros d'engagement en 2020 se traduit-elle déjà par l'inscription de crédits de paiement pour bonification de prêts ? D'autre part, lors du débat en première lecture à l'Assemblée nationale, nos collègues députés ont ouvert l'assiette de la TTF aux transactions « intraday » et augmenté le taux de 0,2 à 0,3, ce qui permet de rapporter 500 millions d'euros supplémentaires. En outre, alors que des négociations sont en cours depuis des années au niveau européen, il me paraît désormais possible d'obtenir un accord. Par ailleurs, préconisez-vous que les 270 millions d'euros supplémentaires votés par l'Assemblée soient versés au FSD, alors que celui-ci a vocation à financer des dépenses d'ordre multilatéral en faveur du climat et de la santé ? Les parlementaires que nous sommes, tant au Sénat qu'à l'Assemblée, préférons qu'une telle manne soit reversée à l'Agence française de développement. Pouvons-nous trouver, sur cette question, un point d'accord ? Enfin, pourriez-vous nous faire un point sur la situation des pays pauvres les plus endettés qui relèvent du Programme 110 à hauteur de 36 millions d'euros ? Sachez enfin que nous sommes nous-mêmes très mobilisés, aux côtés de l'Etat, en faveur de l'aide publique au développement.

Mme Hélène Conway-Mouret. - Je vous remercie également pour la clarté de votre propos et je m'associe à mon collègue rapporteur pour nous réjouir du budget qui nous est présenté cette année. Je vais plutôt revenir sur deux points. L'évaluation de notre aide publique au développement est conduite par trois différents services, à savoir le pôle de l'évaluation et de la performance du Ministère des affaires étrangères et du développement international, l'unité des activités de développement de la Direction générale du Trésor ainsi que la division de l'évaluation et de la capitalisation de l'AFD. A l'initiative de notre commission, la loi du 7 juillet 2014 d'orientation et de programmation relative à la politique de développement a prévu la fusion de ces trois services d'évaluation en un organisme indépendant et nous appelons de nos voeux la création d'un observatoire de la politique de développement et de solidarité internationale. Cette réforme est-elle d'ores et déjà engagée ? Deuxième point ; mon collègue a fait référence à notre rapport « Sahel : repenser l'aide publique au développement » que nous avons voté en juillet dernier à l'unanimité. Nous y proposions notamment de porter l'accent sur l'aide à l'éducation. Alors que l'aide apportée au Fonds mondial SIDA s'élève à 360 millions d'euros, nous n'apportons plus que 8 millions d'euros au Partenariat mondial pour l'éducation.

Nous savons qu'il est question d'augmenter quelque peu cette contribution, mais l'identification des crédits budgétaires utilisés pour financer ce secteur nous paraît malaisée. Pourriez-vous, en conséquence, nous éclairer sur les modalités de cette subvention ?

M. Claude Malhuret. - Je vous remercie pour la qualité de votre exposé. La plate-forme coordination Sud, qui regroupe les 170 principales ONG de développement française, est actuellement très critique sur le budget de cette année, ainsi que sur ceux des précédentes années. En effet, 2 % de l'aide publique au développement sont alloués aux ONG par le Gouvernement, tandis que la moyenne de l'OCDE est de l'ordre de 17 %, ce qui nous place à l'avant-dernier rang. Avez-vous des indications quant à l'augmentation de la part qui pourrait aller dans le futur aux ONG, car je ne crois pas que l'actuel projet de budget y fasse référence. Ma seconde question portera sur l'augmentation annoncée de l'APD pour cette année. Malheureusement, cette contribution ne peut contrebalancer son abaissement considérable depuis 2011, passant de 0,46 % à 0,37 % ; l'augmentation de 5 % prévue cette année ne lui permettra pas de retrouver son niveau antérieur du début du quinquennat, malgré les promesses du Président de la République. Qu'est-ce qui nous permet ainsi de penser que les engagements du budget d'aujourd'hui seront tenus alors qu'ils ne l'ont pas été au cours des quatre dernières années ? Enfin, la taxe sur les transactions financières représente un vrai problème. En effet, ce projet de taxe a été réfuté par le Conseil constitutionnel l'année passée. Son actuelle version est-elle similaire et risque-t-elle d'essuyer la critique du Conseil constitutionnel ? Lorsque cette mesure a été votée par l'Assemblée nationale, le quotidien Le Monde a titré que la taxe sur les transactions financières constituait une balle dans le pied de la Place de Paris. Si je comprends parfaitement que les mécanismes de trading à hautes fréquences soient critiquables du fait de leur opacité, l'instauration par la France, seule, d'une telle taxe, au moment où le Brexit entraîne une course de toutes les places financières européennes pour prendre la place de la city, est-elle sensée ? Quel serait ainsi le retentissement d'une telle mesure sur l'économie française et sur le budget ? Autant je pense que cette démarche est défendable, autant le faire hors du cadre européen me paraît fort risqué. Qu'en est-il aujourd'hui de cette réforme à Bruxelles ? Nous ne pouvons faire cavalier seul sur cette question.

M. Jean-Marie Bockel. - L'aide publique au développement ne saurait être l'unique solution aux problèmes du continent africain. La réponse doit être plus globale. Mais l'aide publique au développement confère une certaine crédibilité à la voix de la France dans des démarches nécessairement multilatérales. Nous sommes plusieurs à être partagés sur le sens de telles démarches. Dans le contexte budgétaire qui est le nôtre, le bilatéral demeure un levier et le choix des fonds multilatéraux reste aujourd'hui une question lancinante. Nous avons ici soutenu l'Agence française de développement qui est aujourd'hui engagée dans une démarche pragmatique de rapprochement avec la Caisse des dépôts et consignations. La réussite d'une telle démarche garantirait indéniablement un effet de levier à notre aide publique au développement. Qu'en pensez-vous ?

M. André Trillard. - J'émettrai les mêmes réserves que mon collègue Claude Malhuret sur le niveau budgétaire annoncé pour cette année pour l'aide publique au développement. Je formulerai à mon tour une remarque sur l'expertise, suite à ma participation à la commission d'enquête du Sénat sur les autorités administratives indépendantes de l'Etat qui sont considérées comme un affaiblissement de l'Etat. Je plaide ainsi en faveur d'une expertise relevant uniquement de l'Etat !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Il serait intéressant que M. Gérard Mestrallet vienne nous parler de la taxe sur les transactions financières dans le contexte de l'après-Brexit. A ce sujet, confirmez que plus de la moitié du produit de cette taxe serait affecté à la lutte contre le réchauffement climatique, comme l'avait évoqué les travaux préparatoires à la COP 21 ? Par ailleurs, selon les ONG, une grande partie de notre aide publique au développement serait cannibalisée par l'aide aux réfugiés. Est-ce vraiment le cas ? Enfin, je milite, depuis des années, pour qu'une partie plus conséquente de notre aide publique au développement soit consacrée aux femmes et à l'enseignement. Or, d'après les chiffres de 2014, seulement 0,43 % des projets soutenus par notre aide publique au développement avait pour objet l'autonomisation des femmes, qui me paraît pourtant un sujet essentiel.

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. - Notre collègue André Trillard regrettait la perte de l'autonomie de notre pays dans le domaine de l'expertise internationale. La tournée africaine de la chancelière Angela Merkel, évoquée par notre collègue rapporteur, est à mettre en rapport avec la puissance de l'Agence de coopération allemande - Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GIZ) - qui est sans commune mesure avec celle d'Expertise France. Or, Expertise France est le bras armé du Gouvernement, comme les Parlementaires l'ont souhaité au cours de la précédente mandature. Expertise France est-il, selon vous, un bon outil ?

Mme Odile Renaud-Basso. - Je suis également très frappée par le montant des engagements financiers de l'Allemagne en matière d'aide au développement. Sans doute ce pays dispose-t-il de plus de marge financière que la France. La position historique de l'Allemagne est ainsi en train d'évoluer et ce pays devient progressivement un véritable acteur de l'APD aux côtés des Britanniques.

Sur les questions de trajectoire financière du programme 110, si les autorisations d'engagement ont été inscrites en accompagnement de l'augmentation du budget de l'AFD afin d'atteindre l'objectif de plus de quatre milliards par an d'engagements supplémentaires, les crédits de paiement inscrits cette année correspondent à la création de la nouvelle facilité de lutte contre les crises.

L'extension de l'assiette de la taxe sur les transactions financières aux transactions « intraday » a été votée l'année dernière avant d'être annulée par le Conseil constitutionnel pour une question de procédure, puisqu'elle ne figurait pas dans la bonne partie du projet de loi de finances. La question qui se pose aujourd'hui concerne la mise en oeuvre au 1 er janvier 2017 de cette taxe dont la mise en oeuvre est d'une extrême complexité technique. Le Ministère des finances est soucieux de conforter l'attractivité de la place de Paris dans le contexte du Brexit durant lequel une partie des services financiers vont quitter la City. Il serait dommage de ne pas bénéficier de ce mouvement de relocalisation, alors que Paris dispose d'importants atouts et que le regard sur la France a changé, suite au référendum britannique. Il faut être prudent en la matière et une tension entre les objectifs est ainsi évidente. Sur la question du taux, il faut veiller que son augmentation n'induise pas d'effet négatif sur l'assiette. Ainsi, les Autorités belges ont introduit une taxe sur la spéculation financière qui aurait entraîné une baisse des volumes allant de 10 à 50 % des différents indices d'activités nationaux. De ce fait, ils ont renoncé à son entrée en vigueur. De notre point de vue, l'introduction de cette taxe au niveau européen demeure la priorité. Si les négociations sur cette question demeurent compliquées, une réunion des ministres dans le cadre de la coopération renforcée s'est tenue il y a une quinzaine de jours à Luxembourg et a abouti à un accord sur les principes fondamentaux de la taxe et le phasage de l'assiette. Sur ces bases, la Commission européenne devrait proposer un texte juridique traduisant ces principes fondamentaux. S'il reste encore des points à trancher, comme l'inclusion des fonds de pension dans le dispositif, l'accord sur ces principes fondamentaux représente déjà une avancée conséquente. On peut espérer un accord européen d'ici la fin de l'année, afin de garantir une assise solide à cette TTF et de prévenir ainsi un effet d'éviction pour la place de Paris. En tout état de cause, la taxe européenne ne pourra être mise en oeuvre avant 2018.

Sur l'affectation de la ressource supplémentaire qui serait liée à l'augmentation du taux de la TTF, la part affectée à l'aide au développement devrait permettre de revenir aux niveaux des crédits d'aide au développement du début du mandat. Notre préférence va à l'affectation de ces crédits au FSD afin d'assurer une certaine cohérence des dispositifs, puisque ce fonds a été créé pour recevoir le produit de taxes spécifiques, comme celle sur les billets d'avion et la TTF en faveur de l'aide publique au développement. Abonder directement le budget de l'AFD avec ces ressources nous paraît une source de complexité additionnelle.

L'initiative PPTE portant annulation des dettes est en phase finale, par rapport à ses montants initiaux. Le montant pris en compte dépend des négociations entre les pays concernés et le Fonds monétaire international, au sein du Club de Paris. Aujourd'hui, un petit nombre de pays débiteurs concentre l'essentiel des annulations. L'annulation de dettes devrait porter, en 2017, sur 322 millions d'euros, dont 50 millions d'euros seraient versés au titre des Contrats de désendettement et de développement (C2D).

Sur l'évaluation, l'Observatoire de la politique du développement et de solidarité internationale a été mis en place suite au vote du Parlement de l'année dernière, par une circulaire interministérielle, en date du 30 décembre 2015. La mutualisation des trois services d'évaluation a conduit à l'élaboration d'une programmation conjointe qui devra, ainsi que ses résultats, être présentée à l'observatoire. Celui-ci disposait également d'un secrétariat tournant partagé entre les différents services, avant que le Trésor ne le reprenne. Or, faute d'un quorum suffisant puisque deux membres - l'un représentant le Conseil national pour le développement et la solidarité internationale et l'autre les collectivités territoriales ainsi que les personnalités extérieures - sur neuf n'ont, à ce jour, toujours pas été nommés, l'observatoire n'a pu jusqu'à présent être réuni. Sous l'impulsion du Député Jean-René Marsac, l'observatoire devrait être prochainement réuni et ainsi mettre en oeuvre l'évaluation partagée et la programmation commune. De fait, les services ont d'ores et déjà mis en commun leur plan de fonctionnement et leur programme de travail tel que l'envisageait le Parlement.

L'éducation, qui a représenté, en 2014, 1,2 milliard d'euros, occupe une place plus importante que la santé en matière d'aide publique au développement. Le soutien à l'éducation intervient, à hauteur de 89 %, par des financements bilatéraux alors que la santé a bénéficié d'un milliard d'euros dont près de 40 % au titre de financements bilatéraux. Le soutien de l'éducation comprend le financement des bourses et la prise en charge des frais d'écolage, qui représente 71 % de l'aide bilatérale. Cette démarche spécifique participe ainsi au transfert du capital humain vers les économies en développement. L'AFD est intervenue, à hauteur de 326 millions d'euros en 2015, en matière d'aide à l'éducation, plus particulièrement en Afrique. En outre, nous soutenons également certains outils multilatéraux, comme le programme mondial de l'éducation, auquel nous avons contribué pour 85 millions d'euros. L'éducation représente à nos yeux un élément extrêmement important de notre politique d'aide au développement. La Banque mondiale tend également à renforcer son activité dans ce secteur.

Les niveaux multilatéral ou bilatéral nous paraissent importants et ne doivent pas être opposés. Si l'intervention multilatérale permet d'obtenir un effet de levier, l'intervention bilatérale est plus directe et visible pour l'aide française. Nous travaillons actuellement à la publication d'une stratégie pour l'aide française multilatérale visant à aligner les bailleurs multilatéraux sur nos priorités. Tous nos grands partenaires suivent d'ailleurs cette approche et nous cherchons à accroître notre aide bilatérale qui devrait augmenter, via l'AFD, de quatre milliards d'euros par an à compter 2020. Une telle évolution conduira au rééquilibrage entre ces deux niveaux. Cependant, réduire notre niveau d'intervention multilatérale affaiblirait notre capacité d'influence dans les institutions, que ce soient la Banque mondiale, l'Organisation des Nations Unies ou encore l'Union européenne, à travers le Fonds européen de développement ou la Commission notamment.

Le rapprochement avec la Caisse des Dépôts et Consignations se déroule de manière pragmatique et doit passer par le déploiement de synergies. A cet égard, le développement de la capacité de l'AFD en matière de financements non souverains, que ce soit auprès des collectivités territoriales, des porteurs de projets ou encore des établissements publics, me paraît un axe stratégique de premier ordre. Dans ce domaine du financement des projets territoriaux, la Caisse des Dépôts dispose d'une expertise irremplaçable qu'elle peut apporter à l'AFD. Cet axe de développement s'avère majeur en matière de soutenabilité de la dette et d'utilisation de prêts concessionnels garantissant un effet de levier certain. L'AFD pourra, dans le même temps, déployer les ressources additionnelles dont elle dispose.

Sur l'affaiblissement de l'Etat et Expertise France, l'idée de regrouper dans une même agence l'ensemble des capacités d'assistance technique répondait à un objectif de simplification. Une telle démarche réclame du temps et peut, en raison de la réorganisation interne qu'elle implique, conduire à un affaiblissement temporaire des activités. Cependant, ce projet devrait permettre de mieux mobiliser les ressources internes dans un contexte où les administrations centrales sont contraintes d'opérer des réductions d'effectifs et de moyens. Expertise France devra ainsi continuer à s'appuyer sur la capacité d'expertise des ministères pour l'organisation des missions d'assistance technique, dans des domaines aussi divers que la mise en place de services douaniers ou fiscaux. Certes, concilier l'objectif de soutenabilité économique avec celui de la mobilisation des moyens sur des projets très administratifs présentant un faible retour peut s'avérer difficile. Mais il importe qu'Expertise France parvienne à préserver la mobilisation des administrations compétentes pour l'ensemble de ces projets.

Il est vrai que les autorités administratives indépendantes ont pris un poids très important dans certains domaines techniques et disposent parfois de capacités que n'a plus l'Etat ; pour preuve, le rôle de l'ARCEP dans le déploiement du numérique par rapport à l'influence des ministères. Cette évolution générale dépasse largement le périmètre de la coopération internationale.

Les crédits affectés à l'aide aux réfugiés ne cannibalisent pas l'aide publique au développement, puisqu'ils s'ajoutent aux dispositifs existants. En effet, le Ministère de l'intérieur assure ce financement grâce à un budget distinct. Il n'y a donc pas d'effet de vase communiquant avec les crédits de l'AFD.

L'égalité homme-femme est une priorité de notre politique d'aide au développement. Ainsi, le dernier CICID de juillet 2013 a adopté une nouvelle stratégie « genre et développement » pour la période 2013-2017. Certaines actions spécifiques sont gérées par l'AFD et le Ministère des affaires étrangères. Dans le cadre du reporting des flux d'aide au développement, nous veillons à ce que cet objectif puisse être identifié, en assurant un marquage « genre » des projets annuels d'APD transmis à la base OCDE. Cette démarche est nouvelle et nous serons en mesure d'apprécier, dans la durée, l'efficacité de cette stratégie.

M. Henri de Raincourt. - Et ce point figurera dans la convention qui sera prochainement signée entre l'AFD et M. Bill Gates qui mettra à disposition 50 millions d'euros pour des activités dédiées.

Mme Odile Renaud-Basso. - Enfin, 28 % de la TTF ont été affectés, en 2016, à des projets climatiques.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Je vous remercie, Madame la directrice générale, pour votre présentation et vos réponses à l'ensemble de nos questions.


* 1 Cet amendement avait affecté une part de 268 millions d'euros supplémentaire de TTF à l'AFD, mais, en gestion, cette somme a été affectée au FSD.

* 2 « Sahel : repenser l'aide publique au développement », rapport d'information de M. Henri de RAINCOURT et Mme Hélène CONWAY-MOURET, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées - n° 728 (2015-2016) - 29 juin 2016
https://www.senat.fr/notice-rapport/2015/r15-728-notice.html

* 3 La commission des finances du Sénat avait préconisé quant à elle la transformation de l'AFD en une section à part entière de la Caisse des dépôts, en mettant toutefois en exergue la complexité de l'opération, en particulier pour mettre en place une gouvernance viable pour le nouvel organisme.

* 4 Cf. « Expertise France : 3 ans pour devenir une référence internationale », Rapport d'information de M. Christian CAMBON et Mme Marie-Françoise PEROL-DUMONT, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, n° 675 (2015-2016) - 8 juin 2016. https://www.senat.fr/rap/r15-675/r15-6751.pdf

* 5 Les C2D visent à rendre la dette de certains pays en développement soutenable : ceux qui ont conclu un tel contrat avec la France remboursent effectivement leurs créances mais les sommes correspondantes lui sont reversées pour financer des projets de développement.

* 6 Vos rapporteurs avaient été désignés, par la commission, rapporteurs du projet de loi autorisant la ratification de l'accord relatif au 11 ème FED.

* 7 Aucune taxe n'est à ce jour prélevée sur les contrats dérivés non dénoués physiquement.

* 8 Dans ses calculs, l'OCDE ne prend en compte que l'éducation pré-primaire et l'éducation primaire dans la définition de l'éducation de base. La définition adoptée ici est celle prévalant au sein de l'Unesco et du Partenariat mondial pour l'éducation, l'éducation de base comprenant une année de pré-primaire, le primaire et le premier niveau de l'enseignement secondaire. Le montant total est calculé comme suit : 100 % de l'éducation primaire et pré-primaire + 50 % de l'éducation secondaire + 75 % du niveau non spécifié = montant alloué à l'éducation de base.

* 9 Seule une partie des prêts de l'AFD est comptabilisée au titre de l'APD.

* 10 La France contribue au budget du Fonds européen de développement (FED) à hauteur de 17,80 %, ce qui en fait le 2ème contributeur derrière l'Allemagne ; le FED appuie le développement de l'éducation au Mali (100 M€) et au Niger (77 M€) notamment.

* 11 Les contributions obligatoires et volontaires de la France à l'UNESCO ne sont comptabilisées qu'à 60 % dans l'APD.

* 12 L'UE est l'un des principaux bailleurs du PME avec une contribution de 375 M€ sur la période 2014-2020.

* 13 La France s'est engagée en faveur du PME à hauteur de 47,5M€ sur 2011-2014 et en a effectué le versement en 3 fois pour un montant total de 50M€. Le décaissement de la contribution 2016 devrait intervenir d'ici la fin de l'année 2016.

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