B. LE PLAN « PRÉFECTURES NOUVELLE GÉNÉRATION »

Pour rappel, le plan « Préfectures nouvelle génération » (PPNG) poursuit deux objectifs : améliorer les services rendus aux usagers et faire évoluer les missions des services préfectoraux. Celles-ci doivent être recentrées autour de quatre priorités : la gestion des crises, la lutte contre la fraude documentaire, l'expertise juridique et le contrôle de légalité, et la coordination territoriale des politiques publiques. Le PPNG s'inscrit dans une logique de réduction des effectifs, mais qui se veut rompre avec une « logique purement comptable » 10 ( * ) et s'appuyer sur l'adaptation aux attentes des usagers et des élus locaux. On peut toujours espérer et le dire.

Le PPNG se fonde sur la réforme de l'instruction et de la délivrance des titres. Il s'agit de libérer des effectifs qui viendront renforcer les quatre missions prioritaires évoquées ci-dessus. Un dispositif de formation et d'accompagnement est mis en place pour permettre aux agents de faire évoluer leurs missions et leur carrière.

1. La réforme de la délivrance des titres

Les procédures de délivrance des titres sont engagées dans une profonde mutation de simplification et de modernisation. Cette mutation a commencé en 2016, mais elle produira ses effets les plus importants dans les deux prochaines années. La réforme doit marquer la fin de la mission de guichet des préfectures et sous-préfectures en matière de délivrance des titres 11 ( * ) .

Un des éléments majeurs de la réforme est la dématérialisation des procédures de délivrance des titres. Les demandes de permis de conduire et de cartes grises se feront désormais en ligne, ou par le biais de bornes interactives ou de tiers (auto-écoles, concessionnaires de véhicules). Les usagers n'auront donc plus à se déplacer en préfecture ou sous-préfecture.

Parallèlement, l'instruction et la validation des titres vont être confiées à des plates-formes spécialisées. La mise en place de 47 « centres d'expertise et de ressource des titres » (CERT) a été annoncée : 21 plateformes dédiées aux cartes d'identité et aux passeports, 20 aux permis de conduire, 5 aux cartes grises et une aux permis de conduire étrangers. Les CERT seront implantés dans les locaux de préfectures ou de sous-préfectures, et seront composés de 30 à 50 agents. Leur déploiement effectif est prévu pour la fin de l'année 2017.

Un sous produit du PPNG : le fichier TES 12 ( * )

Dans le cadre de la réforme des modalités de délivrance des titres, le Gouvernement a décidé la création d'un traitement commun aux cartes nationales d'identité (CNI) et aux passeports dans le fichier TES, afin de rationaliser le travail des services de l'État et de mieux lutter contre la fraude identitaire. Un décret daté du 28 octobre 2016 a donc autorisé le regroupement des données à caractère personnel collectées lors des demandes et renouvellements de passeports, d'une part, et de cartes nationales d'identité (CNI), d'autre part.

Rappelons que la loi n° 2012-410 du 27 mars 2012 relative à la protection de l'identité, issue d'une proposition de loi de nos collègues Jean-René Lecerf et Michel Houel, avait déjà prévu la conservation des données requises pour la délivrance d'une carte nationale d'identité électronique (CNIe) dans une base centralisée regroupant également les données requises pour la délivrance des passeports. Le Conseil constitutionnel avait censuré la disposition créant le fichier qui réunissait ces données. Il avait considéré que le fichier portait atteinte de manière disproportionnée au droit au respect de la vie privée, car « il [« était] destiné à recueillir les données relatives à la quasi-totalité de la population de nationalité française ; [que] les données biométriques enregistrées dans ce fichier, notamment les empreintes digitales, étant par elles-mêmes susceptibles d'être rapprochées de traces physiques laissées involontairement par la personne ou collectées à son insu, sont particulièrement sensibles ; [que] les caractéristiques techniques de ce fichier définies par les dispositions contestées [permettaient] son interrogation à d'autres fins que la vérification de l'identité d'une personne ; [que] les dispositions de la loi déférée [autorisaient] la consultation ou l'interrogation de ce fichier non seulement aux fins de délivrance ou de renouvellement des titres d'identité et de voyage et de vérification de l'identité du possesseur d'un tel titre, mais également à d'autres fins de police administrative ou judiciaire » 13 ( * ) .

Après la censure du Conseil constitutionnel et le vif débat parlementaire qui l'avait précédée, le choix de la voie règlementaire pour la création d'un traitement fondé sur le même principe de regroupement de données à caractère personnel a soulevé de nombreuses critiques. Le I de l'article 27 de la loi Informatique et libertés 14 ( * ) prévoit toutefois la possibilité d'autoriser par décret en Conseil d'État, pris après avis motivé et publié de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, « les traitements de données à caractère personnel mis en oeuvre pour le compte de l'État qui portent sur des données biométriques nécessaires à l'authentification ou au contrôle de l'identité des personnes ». Le fichier TES, dans sa version initiale, c'est-à-dire contenant les données personnelles des titulaires de passeport, a d'ailleurs été créé par décret 15 ( * ) . D'un point de vue juridique, l'adoption de sa nouvelle version par décret n'est donc pas contestable.

On doit par ailleurs noter que le fichier a pour objet de permettre l'authentification de l'identité d'une personne à partir de ses données biométriques, c'est-à-dire de vérifier que la personne demandant ou renouvelant son titre est bien titulaire de l'identité qu'elle revendique, mais qu'il ne permet pas l'identification d'une personne à partir de données biométriques.

Toutefois, il est ressorti des auditions tenues par la commission des lois le mardi 15 novembre 2016, consacrées au fichier TES, qu'aucune technique ou technologie ne pouvait garantir l'impossibilité de pirater le fichier, ou de le détourner de sa finalité (et ainsi passer d'une logique d'authentification des personnes à une logique d'identification).

Ces auditions ont surtout montré que le choix du Gouvernement d'étendre l'utilisation du fichier TES aux demandes relatives aux CNI a été motivé par la recherche d'économies. La solution de la nouvelle version du fichier TES a été privilégiée car elle ne nécessitait pas de dépenses d'investissement. Les solutions alternatives (fichiers décentralisés, carte d'identité munie d'une puce électronique notamment) n'ont, elles, pas vraiment été examinées par le Gouvernement, ou en tous cas rapidement écartées en raison de leur coût. On aurait pu penser, s'agissant d'un traitement de données biométriques concernant la quasi-totalité de la population, qu'une étude approfondie des avantages et inconvénients des différentes solutions techniques était nécessaire. Cela n'a semble-t-il pas été le cas.

Comme l'administration territoriale, le traitement des données à caractère personnel des Français doit se soumettre à la rigueur budgétaire...

Nous suivrons attentivement la mise en place des CERT : une telle mutation des procédures d'instruction des demandes de titres, en moins de trois ans, n'ira probablement pas sans difficulté, et il ne faudrait pas que le service aux usagers en souffre. À cet égard, les résultats des plates-formes d'instruction des passeports, récemment mises en place, ne sont pas encourageants. Le sous-dimensionnement de la plate-forme de Saint-Etienne a amené cette dernière à afficher un délai moyen de délivrance du passeport à 27 jours, contre 12,5 jours en moyenne nationale... Des délais de délivrance plus longs sont également constatés pour les plates-formes de Nevers et Montpellier, récemment mises en place.

L'installation des bornes interactives permettant l'accès aux procédures dématérialisées devra également être suivie. Prévues dans les préfectures et les maisons de services au public, ces bornes permettront l'accompagnement du public non familiarisé avec la procédure dématérialisée de demandes de titres ou ne possédant pas d'accès à Internet.

Aujourd'hui, environ 4 000 agents sont affectés aux missions d'instruction et de validation des titres. Avec la dématérialisation et la mise en place du réseau de plates-formes spécialisées, il est prévu de libérer 2 000 emplois, dont 700 seront budgétairement supprimés sur les deux prochaines années. Les 700 emplois restants seront redéployés au niveau des préfectures de département, essentiellement sur les missions prioritaires. Les préfectures devraient donc bénéficier à double titre de la mise en oeuvre du PPNG, qui, à la fois, dégage des marges de manoeuvre en termes d'effectifs et resserre leurs missions. Ce « renfort » de 700 emplois doit néanmoins être relativisé et comparé aux près de 4 000 emplois perdus par le programme « Administration territoriale » depuis 2007.

Ainsi, même si on peut saluer l'effort d'optimisation des ressources dans le cadre d'une politique générale de réduction des personnels, on constate, une fois de plus, la mise à l'épreuve de leur capacité d'adaptation et de celle de l'administration territoriale... D'autant que les services des préfectures devront être réorganisés autour des quatre missions prioritaires.

2. Un recentrage sur les missions prioritaires

Le PPNG a pour objet de réorienter les préfectures et sous-préfectures sur quatre missions : la gestion des crises, la lutte contre la fraude documentaire, l'expertise juridique et le contrôle de légalité, et la coordination territoriale des politiques publiques. D'où la nécessité d'adapter l'organisation des services préfectoraux. Quatre organisations cibles ont ainsi été définies par une circulaire du 8 juillet 2016 16 ( * ) : elles ont été modulées en fonction de la population des départements et de l'implantation ou non d'un CERT.

Concernant la gestion des crises, la directive nationale d'orientation (DNO) des préfectures et sous-préfectures 2016-2018 vise la constitution d'un vivier de personnels dédiés à cette mission, permettant une meilleure anticipation et une réactivité accrue des services préfectoraux. Des agents de sous-préfectures seront également formés à la gestion de crise et ainsi amenés à renforcer leur mission de soutien de proximité.

Dans le cadre de la lutte contre la fraude documentaire, un référent fraude à temps complet sera affecté à toutes les préfectures et des cellules de lutte contre la fraude vont être rattachées auprès de chaque CERT.

Il est également prévu de conforter la mission du contrôle de légalité, notamment par le renforcement des moyens des préfectures, en termes d'effectifs et de compétences. Les rapports pour avis sur le programme « Administration territoriale » des années précédentes l'ont tous souligné : ce renforcement est un besoin essentiel. Rappelons que le contrôle de légalité est une mission confiée au préfet par la Constitution 17 ( * ) . Or entre 2009 et 2013, les effectifs affectés à cette mission ont été fortement réduits : ils sont passés de 1 173 à 852 équivalents temps plein travaillé (ETPT), soit une baisse de 27 %. La centralisation du contrôle de légalité en préfecture et l'allègement du nombre d'actes à contrôler 18 ( * ) étaient censés compenser les conséquences de cette réduction drastique des effectifs. Or, le constat est unanime sur le manque d'effectifs et de compétences des personnels dans les services chargés du contrôle de légalité. Ainsi, malgré la baisse du nombre d'actes à contrôler, le taux des actes prioritaires contrôlés reste systématiquement inférieur à l'objectif ciblé par l'indicateur de performance, qui est de 100 % depuis 2013 19 ( * ) . Le renforcement prévu des effectifs sera-t-il suffisant pour atteindre cet objectif ? On peut en douter. À moins que l'ajustement prévu de la stratégie nationale de contrôle « autour d'un socle de priorités correspondant aux domaines à enjeux » 20 ( * ) contribue à réduire, encore, le nombre d'actes devant être contrôlés. La récente présentation d'un amendement, par le Gouvernement, sur le projet de loi relatif au statut de Paris et à l'aménagement métropolitain a confirmé cette volonté, puisqu'il visait expressément à réduire la liste des actes à transmettre au contrôle de légalité 21 ( * ) .

La mission d'expertise juridique des services préfectoraux est également mise en avant dans le cadre du PPNG : huit pôles d'appui juridique, chacun spécialisé dans un type de contentieux, sont en cours de déploiement. Ils auront un rôle de conseil, d'appui dans les contentieux et de formation auprès de l'ensemble des personnels préfectoraux. Sur le plan de l'organisation des services, la nouvelle « direction de la citoyenneté et de la légalité » doit permettre de mutualiser les compétences juridiques.

Pour ce qui concerne la coordination des politiques publiques, il est prévu de mettre en place, au sein de chaque préfecture, une structure dédiée à la coordination interministérielle. Son rôle consistera à améliorer le dialogue entre les services, avec les sous-préfectures et avec les directions départementales interministérielles.

3. Un important dispositif de requalification et de formation des personnels

Le volet ressources humaines du PPNG comporte un plan de repyramidage des effectifs et un plan de formation spécifique, dont l'objectif est la requalification des emplois des agents préfectoraux.

a) Le repyramidage des personnels de préfectures

Le PPNG va entraîner la réaffectation d'un certain nombre d'agents sur les missions prioritaires. Il a été souhaité que ces réaffectations soient aussi l'occasion d'augmenter le niveau de qualification des agents. Ce plan concerne plus particulièrement les personnels de catégorie C, qui représentent aujourd'hui une part importante des services traitant les demandes de titres.

Le plan de repyramidage vise à réduire le nombre d'agents de catégorie C et augmenter ceux des catégories B et A. On ne peut que s'en féliciter.

Le repyramidage des effectifs des préfectures

Au 1 er décembre 2015, le pyramidage des effectifs se décomposait ainsi :

- 17,57 % d'agents de catégorie A ;

- 29,53 % d'agents de catégorie B ;

- 52,90 % d'agents de catégorie C.

L'objectif du plan de repyramidage est de modifier la répartition des effectifs des différentes catégories de la manière suivante :

- 23 % d'agents de catégorie A, soit une augmentation de 1 000 agents ;

- 35 % d'agents de catégorie B, soit une augmentation de 900 agents ;

- 42 % d'agents de catégorie C, soit une diminution de 2 800 agents.

Pour permettre ce repyramidage, des concours et examens professionnels sont organisés en parallèle des procédés de recrutement habituels. En 2016, deux examens professionnels ont permis le passage de 80 agents de catégorie C en catégorie B et de 40 agents de catégorie B en catégorie A. Un concours exceptionnel a aussi permis le recrutement de 82 attachés (catégorie A), dont 42 en interne. Ces trois dispositifs seront reconduits jusque 2020.

Parallèlement au repyramidage des effectifs, le PPNG prévoit un volet formation afin d'accompagner les agents dans l'évolution de leurs missions.

b) Un plan de formation spécifique

Le dispositif de formation attaché au PPNG se décline en deux étapes.

En 2016, les formations dispensées ont eu pour objectif de préparer l'ensemble des agents aux changements induits par le PPNG. Les formations destinées aux cadres de tout niveau hiérarchique ont eu pour objet de les préparer à l'accompagnement au changement. Pour les agents, la consolidation des compétences de base et leur préparation à la mobilité fonctionnelle devait être assurée par un parcours de huit modules : être chef de projet, l'environnement professionnel, droit public appliqué aux préfectures, budget et marchés publics, le droit des collectivités territoriales, les droits et obligations des fonctionnaires, la bureautique et le français en situation professionnelle. Afin de former rapidement un grand nombre d'agents, ces formations ont été essentiellement dispensées à distance.

Pour 2017 et 2018, des parcours de formation seront mis en place pour chacune des nouvelles missions prioritaires, ainsi que pour les agents ayant demandé à être affectés dans des CERT.


* 10 Compte rendu du conseil des ministres du 16 décembre 2015.

* 11 Sauf pour les titres délivrés aux étrangers et les demandes d'asile .

* 12 Le fichier TES (Titres électroniques sécurisés), créé par le décret n° 2008-426 du 30 avril 2008, conserve les données recueillies dans le cadre de la délivrance des passeports. Les données recueillies dans le cadre de la délivrance des cartes d'identité étaient auparavant conservées dans le fichier national de gestion (FNG) des CNI. Le décret n° 2016-1460 du 28 octobre 2016 autorisant la création d'un traitement de données à caractère personnel relatif aux passeports et aux cartes nationales d'identité crée un traitement commun aux cartes nationale d'identité (CNI) et aux passeports, en regroupant les données dans le fichier TES.

* 13 Décision n° 2012-652 DC du 22 mars 2012.

* 14 Loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.

* 15 Décret n°2005-1726 du 30 décembre 2005 relatif aux passeports.

* 16 Circulaire du 8 juillet 2016 relative aux organisations cibles des préfectures, BO ministère de l'intérieur, 2016-8 p. 1.

* 17 Art. 72.

* 18 Décidés dans le cadre de la réforme de l'administration territoriale de l'État (RéATE), conduite entre 2009 et 2012.

* 19 Le taux d'actes prioritaires contrôlés pour 2015 est de 89,6 %.

* 20 Directive nationale d'orientation des préfectures et des sous-préfectures 2016-2018.

* 21 L'amendement (http://www.senat.fr/amendements/2016-2017/83/Amdt_131.html) a été déclaré irrecevable au titre de l'article 48 alinéa 3 du Règlement du Sénat (défaut de lien, même indirect, avec le texte en discussion).

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