EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

La commission des finances a demandé à se saisir pour avis du projet de loi de programmation relatif à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique à la suite de l'ajout par l'Assemblée nationale, en première lecture, d'un titre XII relatif aux dispositions de nature fiscale. Le texte initial du projet de loi ne comportait aucune disposition de cette nature.

Si le texte transmis le 11 octobre 2016 au Sénat comporte 116 articles, le projet de loi initial déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale le 3 août 2016 n'en comptait que 16, principalement relatifs aux mesures de programmation visant à réduire les écarts entre les outre-mer et la France hexagonale.

Il instaurait, à cette fin, des nouveaux « plans de convergence », élaborés en association avec l'ensemble des parties prenantes au développement local et comportait, en outre, des dispositions sociales en faveur de l'égalité dans le département de Mayotte (prestations familiales et d'assurance vieillesse) ainsi que des mesures relatives au développement économique.

Votre commission des finances a reçu délégation de la commission des lois pour examiner au fond quinze articles, dont quatorze relèvent du titre XII relatif aux dispositions de nature fiscale et dont un figure dans le titre X, relatif aux dispositions juridiques, institutionnelles et judiciaires.

A. LES DISPOSITIONS RELATIVES À LA DÉFISCALISATION ET AUX CRÉDITS D'IMPÔT : DES EXTENSIONS QUI DOIVENT RESTER MAÎTRISÉES

1. Des dispositifs anciens soumis à la critique, ayant fait l'objet d'une rationalisation progressive

Sept des quinze dispositions examinées portent sur la « défiscalisation », qui englobe quatre réductions et déductions d'impôts (réductions d'impôt sur les sociétés et d'impôt sur le revenu prévus aux articles 199 undecies A, 199 undecies B et 199 undecies C du code général des impôts et déduction d'impôt sur les sociétés prévu à l'article 217 undecies du code précité) et deux crédits d'impôt (crédits d'impôt sur les sociétés prévus aux articles 244 quater X et 244 quater W du code général des impôts) à raison des investissements productifs ou dans le logement social et intermédiaire.

Ces dispositifs d'aide fiscale sont issus, dans leur première mouture, des dispositions de la loi de finances rectificative pour 1986 du 11 juillet 1986 (« loi Pons »), et ont fait l'objet de nombreux aménagements depuis lors. Ils ont ainsi été restreints en 2001 (« loi Paul » 1 ( * ) ), étendus en 2003 (« Girardin immobilier » 2 ( * ) ), puis plafonnés à 18 000 euros au total par contribuable en loi de finances pour 2013 3 ( * ) .

Ils ont été mis en place pour compenser les contraintes particulières pesant sur les économies ultramarines et favoriser le rattrapage économique de ces territoires. En effet, ils souffrent d'un différentiel de compétitivité élevé du fait de l'étroitesse de leurs marchés, de la rareté du foncier et sont également fortement dépendants des approvisionnements extérieurs, sources de surcoûts importants, qui rendent ces dispositifs « vitaux » 4 ( * ) . À ce titre, ils sont considérés par le droit de l'Union européenne comme des aides à finalité régionale, placées sous le régime du règlement général d'exemption par catégorie 5 ( * ) , car considérées comme de faible ampleur sur la concurrence et de nature à compenser les surcoûts liés à cette situation géographique particulière.

Si leur nécessité est avérée, des critiques ont été formulées quant à leurs modalités et à leur efficacité. Ainsi, le « rapport Guillaume 6 ( * ) », a abordé les quatre dispositifs de défiscalisation précités en 2011.

S'agissant des investissements productifs, il indiquait que « la défiscalisation externe est structurellement inefficiente car elle implique la rémunération (environ 30 % de l'aide publique) d'un tiers investisseur et d'un intermédiaire et qu'elle est altérée par l'existence d'effets d'aubaine ».

En matière de logement , il relevait que « la faible efficience des différents dispositifs applicables reflète leur caractère de produit de défiscalisation pour les contribuables, plus que d'instruments de pilotage de la politique de logement outre-mer ». Au total, le dispositif sur le logement libre et intermédiaire (199 undecies A) a obtenu un score de 0 sur 3, les dispositifs sur les investissements productifs (199 undecies B et 217 undecies ) ont pour leur part obtenu le score de 1, quand celui sur le logement social (199 undecies C) a obtenu le score de 2. Ces dépenses fiscales ont donc été considérées comme inefficaces ou inefficientes par le comité.

De même, la Cour des comptes estimait en 2012 qu'il convenait de « supprimer les défiscalisations "Girardin" en faveur des investissements productifs et celles [...] en faveur de la construction de logements sociaux » 7 ( * ) .

Ces critiques avaient incité le Parlement à requérir à deux reprises un rapport du Gouvernement visant à étudier l'opportunité de transformer en dépenses budgétaires tout ou partie de ces dépenses fiscales 8 ( * ) .

Cette solution n'a pas été retenue et lui a été préférée une rationalisation de ces dispositifs, dont le poids budgétaire est passé de 1 300 millions d'euros en 2011 à 800 millions d'euros en 2016. Malgré cette baisse, il faut souligner qu'il n'existe aucun mécanisme de limitation de ces dépenses fiscales, qui sont des « dépenses de guichet ».

Ainsi, certains dispositifs sont en extinction progressive (199 undecies A), tandis que d'autres ont été préservés mais revus dans les lois de finances pour 2014 et 2016.

Le législateur a par ailleurs opté pour une montée en puissance des dispositifs de crédit d'impôt (244 quater W et 244 quater X), au détriment de la défiscalisation classique. Le crédit d'impôt représente une économie pour les finances publiques, l'État n'ayant plus à verser une incitation fiscale aux tiers-investisseurs. Ces dispositifs répondent en partie aux critiques adressées par la Cour des comptes, qui relevait que « pour les investissements productifs, seulement 60 % des réductions d'impôt reviennent, indirectement, aux entreprises d'outre-mer et 40 % bénéficient aux contribuables-investisseurs, alors qu'ils ne courent pratiquement aucun risque », même si en contrepartie ils doivent utiliser leur trésorerie.

Ces différentes raisons expliquent la diminution du coût budgétaire des quatre dispositifs de défiscalisation depuis 2011.

Évolution de la dépense fiscale outre-mer sur les six dispositifs concernés

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

La défiscalisation représentera près de 20 % des dépenses fiscales en faveur des territoires ultramarins en 2017 (contre près de 31 % pour les taux réduits de TVA et 28 % pour l'exclusion du champ d'application de la TICPE).

Les dépenses fiscales en faveur des territoires ultramarins

(en millions d'euros)

Dispositif

Base légale

Impôt concerné

Chiffrage pour 2015

Chiffrage actualisé pour 2016

Chiffrage pour 2017

Taux de TVA minoré

Art. 296 du code général des impôts (CGI)

TVA

1 300

1 300

1 300

Défiscalisation des investissements productifs

Art. 199 undecies B du CGI

IR

297

285

285

Défiscalisation des investissements en matière de logement

Art. 199 undecies A et 199 undecies D du CGI

IR

180

140

110

Défiscalisation dans le logement social

Art. 199 undecies C

IR

202

225

nc

Réduction du barème de l'impôt sur le revenu

Art. 197-I-3 du CGI

IR

384

384

384

Défiscalisation des investissements productifs

Art. 217 undecies et 217 duodecies du CGI

IS

140

100

nc

Exonération de certains produits et matières premières ainsi que des produits pétroliers

Art. 295 du CGI

TVA

158

158

158

TVA dite « non perçue récupérable »

Art. 295 A du CGI

TVA

100

100

100

Exclusion du champ d'application de la TICPE

Art. 267 du code des douanes

TICPE

940

1 050

1 160

Crédit d'impôt pour les investissements productifs

Art. 244 quater W du CGI

IR et IS

-

-

-

Crédit d'impôt pour les investissements dans le logement social

Art. 244 quater X du CGI

IS

-

-

100

Autres dépenses fiscales rattachées à la mission (hors dépenses fiscales sur impôts locaux)

152

176

491

Total (en estimant constants, en 2017, le coût des dispositifs non chiffrés)

3 853

3 918

4 088

Source : projet annuel de performances annexé au projet de loi de finances pour 2017

La défiscalisation participe au soutien de la plupart des secteurs des économies ultramarines. Reflet de la grande contribution de la défiscalisation et des crédits d'impôt au secteur du logement, 124 agréments délivrés par le bureau des agréments et rescrits au cours de l'année 2015 concernent ce secteur, soit plus d'un tiers du total des dossiers agréés (38 %). Dans le domaine de l'investissement productif, les secteurs des transports (28 %) et de l'industrie (8 %) sont les plus représentés 9 ( * ) .

Dossiers agréés en 2015 par le bureau des agréments et rescrits, par secteurs

Source : commission des finances du Sénat, d'après le bureau des agréments et rescrits

2. Des dispositions fiscales visant à étendre marginalement la portée de ces dispositifs

Les articles relatifs à la défiscalisation et aux crédits d'impôt procèdent tous du même objectif d'extension de ces dispositifs en augmentant les taux de l'avantage, en modifiant les opérations éligibles, ou en assouplissant ses conditions d'octroi.

Sur sept articles, deux visent à supprimer des agréments préalables. L'un supprime cet agrément pour le crédit d'impôt sur les sociétés ouvert aux organismes de logement social pour les investissements dans les programmes d'accession à la propriété sociale dans les départements d'outre-mer (article 43) et n'appelle pas de modification. L'autre supprime cet agrément pour la réduction d'impôt sur le revenu prévu à raison de l'investissement dans le logement social lorsque le projet fait l'objet d'un arrêté du représentant de l'État (article 40). Si un allègement est souhaitable, la suppression de cet agrément pourrait faire courir des risques aux tiers investisseurs et votre commission propose donc l'instauration d'un agrément allégé et accéléré plutôt qu'une suppression.

Le présent projet de loi comprend des mesures diverses relatives à la défiscalisation telles que la suppression de la mention explicite de la distinction entre investissement initial et investissement de renouvellement dans les articles du code général des impôts relatifs à la défiscalisation outre-mer (article 39), ou encore la suppression de l'exigence de subvention publique (« 5 % LBU ») pour pouvoir bénéficier de la réduction d'impôt sur le revenu à raison de l'investissement dans le logement social (article 39 bis ). Le texte rétablit également une réduction d'impôt sur le revenu en cas de travaux de réhabilitation sur des immeubles de plus de vingt ans (article 38), alors même que celle-ci avait été supprimée en loi de finances pour 2016.

Il élargit également le bénéfice du crédit d'impôt ouvert aux entreprises qui investissent dans le logement intermédiaire, aujourd'hui limité à des secteurs particuliers, à toutes les entreprises (article 42) et augmente le montant du crédit d'impôt dont peuvent bénéficier les organismes de logement social lorsqu'ils investissent dans la rénovation de logements sociaux outre-mer (article 45).


* 1 Loi n° 2000-1352 du 30 décembre 2000 de finances pour 2001.

* 2 Loi n° 2003-660 du 21 juillet 2003 de programme pour l'outre-mer.

* 3 Article 73 de la loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 de finances pour 2013.

* 4 Rapport d'information d'Éric Doligé et Serge Larcher, « L'aide fiscale à l'investissement outre-mer, levier incontournable du développement : 10 propositions pour en optimiser l'impact », Rapport n° 628 - (2012-2013).

* 5 Règlement d'exemption n° 651/2014 de la commission du 17 juin 2014 déclarant certaines catégories d'aides compatibles avec le marché intérieur en application des articles 107 et 108 du traité (RGEC).

* 6 « Rapport du comité d'évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales » de juin 2011.

* 7 Cour des comptes, rapport public annuel de 2012.

* 8 Article 110 de la loi 2011-1977 du 28 décembre 2011 de finances pour 2012.

* 9 Ces données ne concernent que les dossiers traités par le bureau des agréments, à l'exclusion des investissements qui ne sont pas soumis à cette procédure et de ceux qui ont fait l'objet d'un agrément par les services déconcentrés.

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