B. DES CHANTIERS A RISQUE POUR LES REMUNERATIONS DES MILITAIRES

Le second point d'attention sur lequel vos rapporteurs souhaitent insister concerne le dossier des rémunérations qui est lourd d'enjeux pour les personnels de la défense et qui recouvre plusieurs sujets.

1. Le basculement de Louvois à Source Solde et l'entrée en vigueur de la retenue à la source

Le ministère des armées est tant bien que mal parvenu à surmonter les énormes difficultés provoquées par les dysfonctionnements de Louvois . Ainsi, le surcoût lié aux dysfonctionnements de ce calculateur (correspondant pour l'essentiel au coût des renforts en personnel et de l'assistance à maîtrise d'ouvrage pour fiabiliser le calculateur, assurer la production des soldes, recouvrer les indus, préparer le déploiement de Source Solde, à l'exclusion du coût de ce dernier programme et des indus non recouvrés) a été ramené de 36 M€ en 2015 à 25 M€ en 2016 et 2017 et 11 M€ en 2018.

Fin août 2018, la somme des indus constatés depuis le début de la crise s'élevait à 578 M€. Hors indus prescrits ou ayant fait l'objet d'une remise, 99% d'entre eux avaient été notifiés aux administrés et 409,6 M€ avaient été recouvrés.

La diminution du nombre de recours de la part de militaires montre que la situation s'améliore.

Le basculement de Louvois à Source-Solde, décidé fin 2013 au plus fort de la crise, a pris du retard en raison des difficultés pratiques rencontrées et de la complexité de la réglementation . Après une phase de test au début de l'année 2018, la phase de « pré-solde en double » a débuté et se poursuit. Le passage à une véritable solde en double , qui ne concernera dans un premier temps que la Marine, devrait intervenir prochainement.

L'une des difficultés tient à l'interférence de cette bascule avec l'entrée en vigueur, au 1 er janvier 2019, du prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu . Il ne faudrait pas que cette dernière réforme conduire à imposer des primes ou indemnités non fiscalisables, ni que ses effets sur la feuille de paye soient imputables par les personnels à l'entrée en vigueur du nouveau calculateur. Un effort de communication et de pédagogie s'impose, pour éviter de reproduire le traumatisme généré par la mise en service de Louvois.

2. La nouvelle politique de rémunération des militaires

La nouvelle LPM prévoit la mise en oeuvre, annoncée depuis plusieurs années, d'une nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM) , qui sera engagée dès 2019.

Les objectifs de ce vaste chantier , qui concernera quelque 300 000 agents sous statut et touchera à la fois au volet indiciaire et au volet indemnitaire (composé de 174 primes), sont multiples . Il s'agit en effet de :

- de simplifier les modalités de calcul de la solde pour lui redonner une lisibilité interne et externe et en réduire les coûts de gestion ;

- de permettre une gestion efficiente et différenciée du personnel ;

- d'assurer l'attractivité des emplois et des carrières militaires pour répondre aux nouveaux besoins ;

- enfin, de faciliter la maîtrise de la masse salariale.

Selon la méthodologie adoptée, la nouvelle rémunération devrait prendre en compte huit paramètres différents , énoncés par le SGA lors de son audition :

- les sujétions et obligations des militaires ;

- les parcours professionnels , afin de mieux valoriser l'acquisition de compétences (primes de qualification...) ;

- l'engagement opérationnel , afin de compenser l'absence ;

- les activités spécifiques pour les emplois à haut niveau d'exigences (sous-mariniers, pilotes...) ;

- les qualifications et compétences, afin de fidéliser ;

- commandement et performances (valorisation des postes de commandement et de responsabilité) ;

- la mobilité, question qui est étroitement corrélée à la politique du logement ;

- la vie en garnison (difficultés liées à la situation sur le territoire : cherté de la vie, isolement...).

La redéfinition de l'architecture de la solde des militaires devrait durer jusqu'au deuxième semestre de l'année 2019, en vue d'une mise en oeuvre de la réforme d'ici fin 2021.

480 millions d'euros sont prévus dans la loi de programmation militaire 2019-2025 pour accompagner la conduite de cette réforme, techniquement délicate et sensible, et compenser les pertes de revenus. Elle n'en reste pas moins un motif d'inquiétude pour les militaires et devra être menée avec beaucoup de prudence et de pédagogie.

3. La réforme des retraites

La réforme des retraites envisagée par le gouvernement, qui devrait consister à remplacer l'actuel système par répartition par un système dit « à points », soulève la question du maintien des spécificités militaires dans le futur régime.

De fait, si les pensions des militaires sont régies, comme celles des fonctionnaires civils, par le code des pensions civiles et militaires de retraite, des règles particulières leur sont cependant applicables , qui découlent des sujétions inhérentes au statut militaire et des exigences de la gestion dite « de flux » des ressources humaines militaires.

En effet, l'obligation de renouveler constamment le personnel sur un certain nombre de postes, notamment tous les emplois opérationnels, s'accompagne d'un important flux de sorties de l'institution, d'autant qu'une part importante des recrutements porte sur des contractuels (96%). Alors que certains militaires se voient proposer d'autres emplois ou accèdent à la catégorie supérieure (plus de 5 000 militaires changent ainsi de catégorie chaque année), d'autres doivent se reconvertir sur le marché du travail, parfois sans droit à pension.

Nombre de militaires quittant le service sans droit à pension

2014

2015

2016

11 087

10 675

10 027

Source : MINARM - DRH

La conséquence de ce modèle est qu'un nombre significatif de militaires quitte l'institution avant d'avoir atteint la limite d'âge de leur grade , avec un taux de liquidation inférieur au taux plein et à un âge éloigné de l'âge légal de départ à la retraite (seuls 15% des sous-officiers et 29% des officiers des armées servent jusqu'à leur limite d'âge).

Les dispositions spécifiques applicables aux pensions des militaires

Ces règles particulières sont les suivantes :

- un droit au bénéfice différé d'une pension , versée à l'âge de 52 ans, pour les militaires ayant plus de 15 ans de services ;

- un droit au bénéfice immédiat d'une pension en cas de départ après 17 ans de services effectifs pour les militaires non officiers, après 20 ans pour les officiers sous contrat (OSC) et après 27 ans pour les officiers de carrière ;

Cette pension liquidée par anticipation ne correspond pas à une pension de vieillesse contrairement à celle qui est servie en fin normale de carrière (à la limite d'âge), mais à une allocation, compensatrice et proportionnelle aux services accomplis, servie au titre de la reconnaissance que la Nation s'est engagée, par la loi, à manifester envers les militaires ;

- la bonification du cinquième du temps de service accompli (article L12 i) du code des pensions civiles et militaires de retraite), qui majore d'un an chaque tranche de cinq années de services (autrement dit, cinq ans de services équivalant à six ans pris en compte pour le calcul de la pension) à compter de 17 ans et pendant les 25 premières années de service (plafonnement au-delà). Cette bonification est partagée par la plupart des fonctionnaires des catégories dites actives (police, douane, sapeurs-pompiers...) ;

- des bonifications spécifiques (bénéfices de campagne et bonifications pour services aériens ou sous-marins) qui compensent des risques aggravés et des sujétions ou contraintes fortes. Ces bonifications augmentent aussi les services pris en compte pour le calcul de la pension ;

- un dispositif de décote de la pension adapté à leurs durées de carrière : une décote «  carrière longue », correspondant à celle des fonctionnaires, et une décote spéciale «  carrière courte » pour ceux qui bénéficient de la pension liquidée par anticipation ;

- une possibilité ouverte à certaines catégories de militaires de cumuler intégralement une pension et une rémunération dans le secteur public (militaires ayant atteint leur limite d'âge de grade, militaires sous contrat ayant atteint leur limite de durée de services, militaires non officiers radiés des cadres avant 25 ans de service).

La réforme s'accommodera-t-elle du maintien de ces dispositions qui conditionnent la pérennité du modèle RH des armées ?

Dans son rapport annexé, la LPM 2019-2025 affirme que la réforme des retraites tiendra compte des spécificités de l'état militaire et de son modèle de gestion des ressources humaines. Lors de son allocution aux armées en date du 13 juillet 2018, le Président de la République a aussi donné des assurances quant à la prise en compte de la singularité militaire dans le cadre de cette réforme.

Pour autant, l'expérience des réformes précédentes, qui ont eu une incidence importante sur la gestion des ressources humaines militaires (allongement des durées de service, ralentissement de l'avancement, modification des politiques d'emploi...) laisse subsister une inquiétude.

Votre commission insiste donc pour que le ministère des armées puisse sauvegarder les piliers de sa gestion de flux, constitués de trois éléments fondamentaux :

- des limites d'âge et de durée de services basses ;

- l'existence d'une pension à liquidation immédiate , pour permettre un départ anticipé des militaires ;

- des bonifications opérationnelles compensatrices des spécificités militaires et favorisant un départ anticipé en cours de carrière , témoignage de la reconnaissance de la Nation à ses armées.

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