B. UN SECTEUR DE L'AUDIOVISUEL ENTRE ATTENTISME, FATALISME ET ESPOIR

1. Une année blanche pour la réforme de l'audiovisuel

L'année 2018 devait être l'année de la réforme de l'audiovisuel marquée par trois événements : le dépôt au Parlement d'un projet de loi, la signature d'un accord sur la modernisation de la « chronologie » des médias et le lancement de projets communs entre les sociétés de l'audiovisuel public.

Ces trois chantiers ont rencontré des difficultés similaires en accumulant les retards alors que, pendant le même temps, les grandes plateformes américaines poursuivaient leur offensive, fragilisant de manière irrémédiable les équilibres du secteur audiovisuel.

L'ancienne ministre de la culture, Françoise Nyssen, s'est exprimée le 4 juin 2018 afin de présenter son « scénario de l'anticipation ». Elle a indiqué à cette occasion que la transformation de l'audiovisuel public était « désormais une priorité de l'exécutif » afin de « créer un média global à vocation universelle » et qu'il fallait tirer les conséquences de « l'impasse de la course à l'audience » . Elle a exprimé la nécessité que l'audiovisuel public donne davantage la parole aux territoires et annoncé un rapprochement entre France 3 et France Bleu afin de créer « un média global de la vie quotidienne » .

L'ancienne ministre de la culture, exposant la stratégie du Gouvernement, a aussi mis en avant la priorité accordée à l'éducation et à la jeunesse mais en « repensant l'équilibre entre les offres linéaires et numériques » , le Gouvernement ayant décidé de libérer « au moins le canal hertzien de France 4 » .

La nomination de Franck Riester au ministère de la culture n'a pas pour le moment eu de conséquence sur la feuille de route présentée le 4 juin dernier.

2. Les vives inquiétudes des personnels de l'audiovisuel public

Comme il a pris l'habitude de le faire chaque année, votre rapporteur pour avis a reçu les représentants des personnels de France Télévisions, de Radio France et de France Médias Monde. Leurs réactions sont évoquées dans l'examen de la situation de chacun des opérateurs mais certaines convergences permettent néanmoins de tirer des enseignements communs.

Les représentants du personnel s'interrogent tout d'abord sur l'existence même d'une stratégie gouvernementale . Alors que la mise en oeuvre d'une ambition numérique forte est devenue indispensable et que le Gouvernement a annoncé des investissements supplémentaires à hauteur de 150 millions d'euros, la réduction des moyens apparaît contradictoire avec l'objectif recherché. Le rétrécissement du périmètre du service public (suppression de la diffusion hertzienne de France 4 et France Ô, non reconduction de contrats de diffusion de France 24 aux États-Unis) est unanimement condamné.

La réduction des moyens couplée à une absence de perspectives dans l'attente du futur projet de loi crée un climat tendu dans les différentes entreprises, qui n'est pas adouci par les interrogations soulevées par la préparation d'un plan de départs volontaires au sein de France Télévisions. Votre rapporteur pour avis a constaté une inquiétude particulière dans le discours des syndicats concernant tant l'avenir des sociétés que la préservation des métiers.

En somme, les syndicats demandent que l'actionnaire dessine un cap permettant d'affronter l'avenir et ils ne comprennent pas l'inertie dont fait preuve le Gouvernement.

3. Les préconisations de votre commission de la culture

Tout au long de cette année 2018, les membres de la commission de la culture ont plaidé pour le lancement d'une réforme ambitieuse de l'audiovisuel public . Le colloque européen organisé le 12 juillet 12 ( * ) a été l'occasion de rappeler qu' il n'était pas possible de vouloir développer une ambition en faisant l'impasse sur la question des moyens.

Dans un entretien accordé au journal Les Échos du 8 juillet dernier, la présidente de votre commission de la culture, Catherine Morin-Desailly, a notamment insisté sur le fait que « l'audiovisuel public doit reposer sur un modèle économique différent de l'Internet. Il doit être détaché de la publicité, afin de renforcer son identité et de se libérer des contraintes d'audience. »

Elle a aussi insisté sur le fait qu'on ne pouvait pas supprimer une offre hertzienne, a fortiori une offre jeunesse, quand 15 % des foyers n'ont pas Internet. C'est pour cela qu'elle a demandé un moratoire sur la suppression de France 4.

Trois ans après la publication du rapport cosigné par votre rapporteur pour avis avec notre collègue André Gattolin 13 ( * ) , on peut considérer que le diagnostic n'a fait que se confirmer : les entreprises de l'audiovisuel public sont trop petites pour se forger individuellement un destin numérique face aux mastodontes qui émergent aujourd'hui . Seul un regroupement et la définition d'un nouveau modèle économique sans publicité peuvent permettre de préserver une offre alternative de qualité qui donne la priorité à l'éveil, au débat, à la culture et aux savoirs. Le rapport de 2015 fixait une échéance en 2020 pour le regroupement, il est encore temps de tenir cet objectif pour rester dans la course. Ce sera le grand enjeu de cette année 2019.

Dix enseignements pour inspirer la réforme attendue de l'audiovisuel public français

À l'issue du colloque européen organisé le 12 juillet 2018, votre commission de la culture a présenté les dix enseignements qui doivent inspirer la réforme de l'audiovisuel prévue en 2019.

Enseignement n° 1 : l'universalité demeure l'objectif principal des médias publics européens. Elle implique un accès gratuit à l'ensemble des programmes du service public afin de se distinguer des plateformes par abonnement, des chaînes payantes et des chaînes gratuites privées qui font payer l'accès à leurs programmes de manière délinéarisées.

Enseignement n° 2 : l'universalité implique aussi que les médias publics s'adressent à tous les publics sans distinction de territoires, d'opinions, de générations, d'origines... La dimension territoriale - ou locale - constitue une dimension fondamentale du service public de l'audiovisuel même si la dimension nationale demeure le cadre de référence des médias publics européens à l'exception d'ARTE qui se revendique comme le seul média européen.

Enseignement n° 3 : l'éducation et la culture constituent le second grand objectif des médias publics européens. Elles incarnent bien la spécificité de ces médias qui ne doivent pas rechercher prioritairement l'audience mais plutôt viser à fortifier le jugement des citoyens.

Enseignement n° 4 : la confiance que les citoyens peuvent avoir dans les médias publics est étroitement liée au sentiment de neutralité et d'impartialité qu'ils peuvent inspirer. Alors que la BBC veille à présenter tous les points de vue sans prendre parti, les Français sont nombreux à considérer que les médias publics français ne sont pas impartiaux, ce qui peut limiter leur légitimité.

Enseignement n° 5 : le numérique accroît considérablement l'offre de programmes et oblige en conséquence les médias publics à se rapprocher de leurs publics. Dans cette perspective, le maintien d'une offre hertzienne à destination des plus jeunes apparaît essentiel pour construire une relation de long terme.

Enseignement n° 6 : l'accès gratuit aux programmes des médias publics constitue un principe fondamental pour les médias publics européens. Le respect de ce principe pose néanmoins la question des moyens financiers dont disposent ces médias en particulier pour acquérir et conserver les droits des programmes proposés.

Enseignement n° 7 : la stabilité dans le temps des ressources des médias publics est devenue une revendication largement partagée afin en particulier de garantir leur indépendance. Elle implique une modernisation de la ressource afin de la faire évoluer vers un impôt universel ne dépendant pas de la possession d'un téléviseur ainsi que des engagements pluriannuels afin de pouvoir développer des stratégies d'entreprise indépendamment des cycles électoraux. La redevance constitue une garantie fondamentale de l'indépendance de l'audiovisuel public contrairement aux financements au travers de dotations budgétaires.

Enseignement n° 8 : la production de programmes de qualité et d'une information de référence a un coût qui n'est pas compatible avec une baisse continue des moyens. Si des gains de productivité sont possibles et nécessaires, il est essentiel de garder à l'esprit que l'existence même d'un audiovisuel public est inséparable de la mobilisation de moyens suffisants pour lui permettre d'exercer ses missions.

Enseignement n° 9 : la réduction des dépenses de fonctionnement implique un rapprochement des structures pour constituer des groupes publics qui intègrent télévision, radio et numérique. Les mutualisations peuvent être recherchées en regroupant les moyens de production de contenu d'une part et les supports de diffusion d'autre part. L'irréversible transformation numérique doit être considérée comme une opportunité pour accélérer les réorganisations et les réallocations de moyens vers les investissements technologiques et les programmes.

Enseignement n° 10 : les restructurations rendues nécessaires pour adapter l'audiovisuel public aux nouveaux défis du numérique créent des inquiétudes chez les personnels.

La mise en place de politiques de formation ambitieuses visant à favoriser la mobilité et la polyvalence sont indispensables pour permettre l'adhésion des personnels aux changements nécessaires.

Source : commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat


* 12 Les actes du colloque ont été publiés : https://www.senat.fr/notice-rapport/2017/r17-733-notice.html

* 13 « Pour un nouveau modèle de financement de l'audiovisuel public : 3 étapes pour aboutir à la création de France Médias en 2020 » https://www.senat.fr/notice-rapport/2014/r14-709-notice.html

Page mise à jour le

Partager cette page