III. LA LUTTE CONTRE L'IMMIGRATION IRREGULIÈRE : DES RÉSULTATS TRÈS INSUFFISANTS

Alors que la France fait face à un phénomène d'immigration irrégulière important et persistant, votre rapporteur déplore, cette année encore, l'absence d'effort du Gouvernement pour disposer de données précises concernant le nombre d'étrangers présents en situation irrégulière sur le territoire français .

Difficile à évaluer, le phénomène ne peut actuellement être appréhendé que de façon indirecte à travers plusieurs indicateurs (bénéficiaires de l'aide médicale d'État, nombre d'interpellations d'étrangers en situation irrégulière, refus d'entrée sur le territoire) qui révèlent des ordres de grandeurs et des évolutions préoccupants .

L' aide médicale d'État (AME) permet à certains étrangers en situation irrégulière de bénéficier d'un accès gratuit aux soins médicaux et hospitaliers. 315 835 personnes en bénéficiaient au 31 décembre 2017 , soit une hausse de 1,4 % par rapport à l'an passé (311 310 bénéficiaires) et une hausse totale de près de 50 % par rapport au 31 décembre 2011 . Dans les faits, le nombre d'étrangers en situation irrégulière est probablement nettement supérieur, car cet indicateur ne permet pas de prendre en compte l'immigration irrégulière à caractère transitoire 38 ( * ) .

L'aide médicale d'État (AME) : une prise en charge des étrangers en situation irrégulière dont le coût considérable n'est pas maîtrisé

L'octroi de l'aide médicale d'État 39 ( * ) (AME) est subordonné à deux conditions :

- l'étranger en situation irrégulière doit séjourner en France de manière ininterrompue depuis au moins trois mois ;

- il ne dispose pas de revenus supérieurs au plafond de ressources permettant de bénéficier de la part complémentaire de la couverture maladie universelle (soit 8 723 euros pour une personne seule).

La demande de prise en charge doit être renouvelée chaque année.

De manière subsidiaire, le ministre chargé de l'action sociale peut octroyer l'AME à tout étranger dont l'état de santé le justifie, sans que la condition de résidence lui soit opposée.

Depuis plusieurs années, le nombre de bénéficiaires de l'AME et le coût budgétaire de l'aide connaissent une hausse sensible :

- le nombre de bénéficiaires s'établit aujourd'hui à plus de 315 000 personnes, contre 100 000 à la création du dispositif en 2001 ;

- pour 2019, les crédits destinés à financer l'AME s'élèveront à 934,9 millions d'euros , montant en progression de + 5 % par rapport à la dotation initiale votée en LFI 2018.

Nombre de bénéficiaires de l'aide médicale d'État (AME), au 31 décembre

Source : commission des lois du Sénat, à partir des documents budgétaires

Même s'il faut tempérer le caractère significatif de cet indicateur, car il dépend également des effectifs disponibles et du niveau de mobilisation des forces de l'ordre, on constate également une forte hausse du nombre d'étrangers contrôlés en situation irrégulière sur le territoire : 119 635 personnes interpelées en 2017, soit + 23 % par rapport à 2016 (97 143  personnes).

Enfin, l'évolution de l'immigration irrégulière peut aussi être mesurée indirectement au travers des refus d'admission en France métropolitaine, qui se sont élevés à 87 000 en 2017, contre 64 000 en 2016, soit + 36 %.

Les crédits de la lutte contre l'immigration irrégulière 40 ( * ) - qui financent notamment les frais d'éloignement des migrants en situation irrégulière et le fonctionnement des centres de rétention administrative - ne représentent environ que 8 % de la mission « Immigration, asile et intégration ».

Pour l'année 2019, les autorisations d'engagement augmentent de manière très significative pour s'établir à 154,11 millions d'euros (+ 86,8 % par rapport à 2018) et les crédits de paiement à 137,01 millions d'euros (+ 65,7 %) et ont pour objet principal de financer de nouvelles places en centre de rétention administrative (CRA).

Outre cette mission, trois autres programmes budgétaires participent au contrôle du droit d'entrée et de séjour sur le territoire. Deux d'entre eux sont examinés par notre collègue Henri Leroy dans son avis budgétaire sur la mission « Sécurités » .

Les trois autres programmes participant à la lutte contre l'immigration irrégulière

Le programme 176 « Police nationale » de la mission « Sécurités »

Ce programme comprend les crédits de personnels affectés à la lutte contre l'immigration illégale, dont la direction centrale de la police aux frontières (DCPAF).

Le programme 152 « Gendarmerie nationale » de la même mission « Sécurités »

Ce programme et le précédent comprennent chacun un indicateur et un objectif spécifique de lutte contre les filières d'immigration (nombre de procédures en matière d'aide à l'entrée, à la circulation et au séjour irrégulier d'un étranger)

Le programme 111 « Amélioration de la qualité de l'emploi et des relations du travail » de la mission « Travail »

Son action 04 est dédiée à la lutte contre le travail illégal, dont seulement une partie relève de l'emploi d'étrangers sans titre de séjour.

A. LE CONTRÔLE DES FRONTIÈRES, UNE POLITIQUE QUI DOIT ENCORE S'ADAPTER À L'ÉVOLUTION RÉCENTE DES ROUTES MIGRATOIRES

1. Le défi posé par la réactivation de la route migratoire occidentale espagnole

L'évolution récente des flux migratoires se caractérise par l'augmentation sensible des flux transitant par la route dite de la « Méditerranée occidentale ». Sous réserve des difficultés inhérentes à une comptabilisation exacte des personnes franchissant irrégulièrement les frontières, l'Espagne semble ainsi être devenue le premier point d'entrée des migrants dans l'Union européenne, principalement via le Maroc et le Maghreb, depuis l'Afrique subsaharienne francophone. Il s'agit d'une immigration par voie tant maritime - détroit de Gibraltar - que terrestre
- enclaves de Ceuta et Melilla. Sur les neuf premiers mois de 2018 , plus de 41 000 migrants sont arrivés en Espagne (toutes voies confondues), ce qui représente une hausse de plus de 143 % par rapport à 2017.

L'Espagne est exposée, concomitamment, à une très forte hausse de la demande d'asile, qui rend difficile le respect des délais prescrits par le droit européen, ainsi qu'à une proportion importante de mineurs non accompagnés.

Ces flux d'entrée dans l'Union européenne concernent notre pays au premier chef dans la mesure où ils peuvent ensuite donner lieu à d'importants flux secondaires vers la France. En effet, une partie de ces migrants - dont beaucoup sont francophones - ne font que transiter par l'Espagne et cherchent à franchir les Pyrénées.

Le dynamisme de ces « flux de rebond » vers la France est ainsi particulièrement visible à travers la hausse de l'activité de la police aux frontières aux principaux points de passage du Pays basque, les refus d'entrée à la frontière franco-espagnole ayant connu une hausse très importante en 2018, notamment durant la période estivale.

Si votre rapporteur salue naturellement l'annonce récente par le ministre de l'intérieur de la nomination d'un « coordonnateur » sécurité régional, il s'interroge sur son rôle exact et, surtout, sur l'ampleur et la façon exacte dont seront assurés les renforts d'effectifs de police attendus à cette frontière.

2. Le défi posé par un certain durcissement des relations diplomatiques et frontalières avec l'Italie

La coopération en matière d'asile et d'immigration paraît marquer le pas non seulement à l'échelle de l'Europe tout entière, mais malheureusement aussi avec l'Italie en particulier.

Votre rapporteur regrette la faible implication du Gouvernement pour répondre à la succession d'incidents diplomatiques frontaliers qui se sont succédé cet automne à un rythme préoccupant : après un premier incident à Bardonecchia - quand, en octobre, deux migrants ont été ramenés en territoire italien par la gendarmerie française - suivi d'une enquête de la magistrature transalpine et d'une convocation de notre ambassadeur, un second est survenu à Clavière dans des circonstances analogues.

Les incidents diplomatiques frontaliers entre la France et l'Italie

La coopération frontalière avec l'Italie est régie par une série d'accords et traités internationaux dont les principaux sont l' accord de Chambéry 41 ( * ) de 1997 et le traité de Prüm 42 ( * ) de 2005 . Ils prévoient que les agents de la police aux frontières (PAF), des douanes et de la gendarmerie nationale française puissent intervenir sur le territoire italien, dans les zones frontalières, sous de strictes conditions matérielles et procédurales (en premier lieu l'information des autorités homologues locales).

Le 30 mars 2018 les agents des douanes françaises auraient effectué sur le territoire italien, à Bardonecchia , une opération de police sans en informer leurs homologues italiens et dans un local dont l'usage ne leur était plus permis. Mis au courant des faits, le ministère des affaires étrangères italien a demandé des explications aux autorités françaises et a convoqué, le lendemain, l'ambassadeur français en Italie. S'estimant insatisfait des réponses apportées, il a publié un communiqué de presse où il déclarait : « ce qui vient de se passer remet objectivement en cause, avec des effets opérationnels conséquents et immédiats, le fonctionnement concret de la coopération frontalière, jusqu'ici excellente, avec la France . » Le procureur général de Turin a également ouvert une enquête, dont on ne connaît pas encore les suites.

Ce premier incident diplomatique a été suivi, récemment encore, par un deuxième d'ampleur comparable à la mi-octobre 2018 : un véhicule de la gendarmerie aurait franchi la frontière pour déposer deux étrangers en situation irrégulière dans une zone de forêt. À la suite des protestations italiennes, la préfète des Hautes-Alpes a déclaré à la presse : « c'est une erreur d'être passé en territoire italien sans autorisation de la police italienne. Les gendarmes n'avaient pas vocation à entrer sur le territoire italien (...) Une enquête conjointe de l'inspection générale de la gendarmerie nationale et de l'inspection générale de la police nationale a été demandée pour que les circonstances de l'intervention des gendarmes soient éclaircies ».

Le ministre de l'intérieur italien, M. Matteo Salvini, a assuré le 25 octobre, au cours d'une séance de questions au Gouvernement au Senato della Repubblica, avoir intensifié les contrôles et envoyé à la frontière des patrouilles de police supplémentaires pour veiller au respect et à la bonne application des traités de coopération. La magistrature transalpine a ouvert une enquête sur ces faits.

Si les autorités de la police aux frontières se sont montrées rassurantes sur le maintien des liens de coopération opérationnelle avec leurs homologues transalpins, votre rapporteur s'interroge néanmoins sur les conséquences concrètes de ces incidents sur les accords de Chambéry
- destinés à faciliter les procédures de réadmission - et regrette l'absence d'indication claire du ministre de l'intérieur sur ce point.


* 38 Notamment parce que l'AME est attribuée sous condition de résidence stable et ininterrompue en France pendant trois mois.

* 39 Prévue aux articles L. 251-1 à L. 254-2 du code de l'action sociale et des familles, son financement relève de l'action 02 « Aide médicale de l'État » du programme 183 « Protection maladie » de la mission « Santé ».

* 40 Crédits imputés au sein de l'action 03 (« Lutte contre l'immigration irrégulière ») du programme 303 (« Immigration et asile »).

* 41 Cf . décret n° 2000-923 du 18 septembre 2000 portant publication de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne relatif à la coopération transfrontalière en matière policière et douanière, signé à Chambéry le 3 octobre 1997.

* 42 Cf . décret n° 2009-931 du 29 juillet 2009 portant publication de l'accord d'exécution du traité entre le Royaume de Belgique, la République fédérale d'Allemagne, le Royaume d'Espagne, la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas et la République d'Autriche relatif à l'approfondissement de la coopération transfrontalière, notamment en vue de lutter contre le terrorisme, la criminalité transfrontalière et la migration illégale (ensemble deux annexes et une déclaration), signé à Prüm le 27 mai 2005.

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