III. LES PRIMES DANS LA FONCTION PUBLIQUE : UN CHANTIER PRIORITAIRE POUR VALORISER L'ENGAGEMENT DES AGENTS

A. LE RIFSEEP : UN RÉGIME AMBITIEUX MAIS DÉLICAT À METTRE EN oeUVRE

1. Les objectifs du RIFSEEP : mettre fin au « maquis » indemnitaire

Depuis 2014, l'État développe un nouvel outil indemnitaire : le régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel (RIFSEEP) . Cet instrument a vocation à se substituer à l'ensemble des primes et indemnités versées aux agents de la fonction publique de l'État 25 ( * ) .

Le RIFSEEP est progressivement étendu au versant territorial, mais pas au versant hospitalier 26 ( * ) . Il poursuit trois objectifs :

- harmoniser et simplifier le régime indemnitaire des agents . Il remplace notamment la prime de fonctions et de résultats (PFR), qui n'était versée qu'aux agents de la filière administrative ;

- rendre le versement des primes plus transparent ;

- valoriser l'engagement individuel et la manière de servir des agents .

Le RIFSEEP comprend deux composantes : l'indemnité de fonctions, de sujétions et d'expertise ( IFSE ) et le complément indemnitaire annuel ( CIA ). Comme la plupart des primes, son montant n'est pas inclus dans le calcul des pensions de retraite.

IFSE et CIA

L'indemnité de fonctions, de sujétions et d'expertise (IFSE) est fixée selon la nature des fonctions exercées par l'agent public (fonctions d'encadrement ou de coordination, technicité, expérience requise, sujétions particulières, environnement professionnel, etc .).

Le montant de l'IFSE est réexaminé au moins tous les quatre ans ou lorsque l'agent change de poste.

Le complément indemnitaire annuel (CIA) valorise l'engagement professionnel de l'agent et sa manière de servir. Son montant est réexaminé chaque année, après l'entretien d'évaluation.

Le CIA est une composante facultative du RIFSEEP : l'employeur décide, ou non, de le mettre en oeuvre en fonction de sa stratégie en matière de ressources humaines. Dans la fonction publique de l'État, son montant est plafonné entre 10 et 15 % du montant total du RIFSEEP ; ce plafond ne s'applique pas à la fonction publique territoriale.

2. Le RIFSEEP dans la fonction publique de l'État : un dispositif incomplet, qui exclut une partie des hauts fonctionnaires

Initialement, le RIFSEEP devait être généralisé dans la fonction publique de l'État entre mai 2014 et janvier 2017.

Au regard des difficultés rencontrées par les ministères, l'arrêté « périmètre » du 27 décembre 2016 27 ( * ) a fixé un objectif moins ambitieux, étalant l'adhésion des corps de fonctionnaires jusqu'en janvier 2019 . Juridiquement, cette adhésion est actée par arrêté ministériel, pris après consultation des représentants syndicaux et du Conseil supérieur de la fonction publique de l'État (CSFPE).

Aujourd'hui, le RIFSEEP ne couvre que 360 000 agents de l'État (soit 23 % de l'effectif total), répartis dans 265 corps ou emplois . Il s'applique, par exemple, aux attachés d'administration centrale (29 554 agents), aux adjoints administratifs (65 632 agents) et aux secrétaires administratifs de l'éducation nationale (18 794 agents) 28 ( * ) . En 2018, 16 corps supplémentaires devraient adhérer au RIFSEEP, dont les ingénieurs des ponts, des eaux et des forêts.

En moyenne, ce régime indemnitaire représente une prime annuelle d'un montant de 7 341 euros bruts par agent de l'État, dont 6 741 euros pour l'IFSE (soit 92 % du RIFSEEP) et 600 euros pour le CIA (8 %) .

Le Gouvernement reconnaît que les primes versées au titre du CIA sont « encore très limitées dans certains cas, en raison des disponibilités budgétaires, d'une préférence pour la revalorisation de l'IFSE ou de choix de gestion » 29 ( * ) .

Enfin, 149 corps ou emplois de l'État sont aujourd'hui exclus du RIFSEEP , dont 55 qui dépendent des ministères de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur. Leur éventuelle entrée dans ce dispositif doit faire l'objet d'un réexamen avant le 31 décembre 2019.

Certaines exclusions se justifient par les spécificités des corps ou emplois concernés : militaires, policiers, surveillants pénitentiaires, douaniers, etc .

D'autres sont beaucoup plus étonnantes. À titre d'exemple, plusieurs corps ou emplois de la haute fonction publique conservent un régime indemnitaire spécifique, et souvent plus avantageux : secrétaires généraux de ministère, directeurs d'administration centrale, inspecteurs généraux des finances, ingénieurs des mines, etc .

À titre d'exemple, rien n'interdirait d'inclure les directeurs d'administration centrale dans le RIFSEEP, même si cette hypothèse est aujourd'hui écartée par le Gouvernement 30 ( * ) .

Cette exclusion, de fait, des hauts fonctionnaires de l'État paraît entrer en totale contradiction avec l'objectif d'harmonisation et de transparence du RIFSEEP, ce que votre rapporteur déplore .

3. Le RIFSEEP dans la fonction publique territoriale : un outil en cours d'appropriation
a) Des employeurs territoriaux qui jouent le jeu

Nombre d'employeurs territoriaux ont déjà mis en place un régime indemnitaire, avant même la création du RIFSEEP : les primes représentent 20,8 % de la rémunération des agents territoriaux de catégorie C, 22 % pour les agents de catégorie B et 25,6 % pour les agents de catégorie A (hors A + ) 31 ( * ) .

Part du régime indemnitaire dans la rémunération globale
des agents territoriaux
(exemples de cadres d'emplois)

Au niveau inférieur (couleur bleue) : part du traitement indiciaire dans la rémunération totale des agents. Au niveau supérieur (couleur rouge) : part du traitement indemnitaire (primes).

Source : direction générale des collectivités locales (DGCL)

La transposition du RIFSEEP dans la fonction publique territoriale vise à simplifier et à harmoniser le régime indemnitaire des agents 32 ( * ) . Elle reste une faculté pour l'employeur, non une obligation.

À ce jour, 61 % des employeurs territoriaux ont mis en oeuvre le RIFSEEP, après avis de leur comité technique. Parmi eux, 42 % ont inclus un complément indemnitaire annuel (CIA) pour valoriser l'engagement personnel des agents .

De fortes disparités existent toutefois entre les différentes strates de collectivités territoriales . Paradoxalement, les collectivités de petite taille sont les plus engagées dans cette réforme : 81 % des communes de 3 500 à 20 000 habitants ont délibéré sur le RIFSEEP, contre seulement 55 % des communes de plus de 20 000 habitants. D'après la Fédération nationale des centres de gestion (FNCDG), « la question de la rémunération est particulièrement sensible dans le cadre des fusions, mutualisations et créations de nouvelles entités, et [ces collectivités territoriales de petite taille] ou établissements ont dû se positionner assez rapidement sur la question ».

b) Des difficultés à surmonter

La transposition du RIFSEEP s'avère particulièrement complexe pour les collectivités territoriales et leurs groupements , notamment parce qu'elle nécessite de réexaminer l'ensemble du régime indemnitaire des agents. Aussi l'appui apporté par les centres de gestion est-il essentiel, comme votre rapporteur a pu le constater lors de son déplacement dans le Bas-Rhin.

Le rôle du centre de gestion du Bas-Rhin dans le déploiement du RIFSEEP

Le centre de gestion du Bas-Rhin a développé un logiciel pour faciliter le déploiement du RIFSEEP dans les collectivités territoriales et groupements qui lui sont affiliés. À partir des paramètres renseignés par l'employeur 33 ( * ) , le logiciel calcule automatiquement les primes à verser et propose un projet de délibération.

En 2016, le centre de gestion a également organisé 17 ateliers collectifs et 12 accompagnements individuels pour former les employeurs territoriaux à la mise en oeuvre de ce nouveau régime indemnitaire. Au total, 283 collectivités territoriales et groupements ont participé à ces formations, soit 40 % des entités affiliées au centre de gestion.

En outre, les collectivités territoriales et leurs groupements sont victimes des retards de l'État : pour entrer dans le RIFSEEP, un cadre d'emplois de la fonction publique territoriale doit attendre l'adhésion du corps équivalent dans la fonction publique de l'État 34 ( * ) .

À titre d'exemple, les ingénieurs territoriaux ne sont toujours pas éligibles au RIFSEEP, les ingénieurs des travaux publics de l'État (corps équivalent) n'y ayant pas encore adhéré . De même pour les techniciens territoriaux, qui dépendent de l'adhésion des techniciens supérieurs du développement durable. À l'inverse, les administrateurs territoriaux ont intégré le RIFSEEP dès 2015 et les attachés dès 2016.

Cette situation constitue une source d'incompréhension pour les agents territoriaux et de complexité pour les employeurs : dans une même collectivité territoriale, certains agents peuvent rejoindre le RIFSEEP, d'autres non. M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics, a d'ailleurs reconnu qu'en la matière, « nous avons encore du travail à accomplir côté État » 35 ( * ) .


* 25 Décret n° 2014-513 du 20 mai 2014 portant création d'un régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel dans la fonction publique de l'État.

* 26 Dans la fonction publique hospitalière, le régime indemnitaire s'organise autour de la prime de service, dont le régime juridique est fixé par l'arrêté du 24 mars 1967 du ministre de la santé.

* 27 Arrêté du 27 décembre 2016 pris en application de l'article 7 du décret n° 2014-513 du 20 mai 2014 portant création du régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel dans la fonction publique de l'État.

* 28 Source : direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP).

* 29 DGAFP, « Comment faire évoluer la rémunération des agents publics ? », juillet 2018.

* 30 En l'état du droit, les directeurs d'administration centrale perçoivent une indemnité de performance, prévue par le décret n° 2006-1019 du 11 août 2006. Plus souple que le RIFSEEP, son montant peut atteindre jusqu'à 20 % de la rémunération brute annuelle de l'intéressé.

* 31 Source : direction générale des collectivités locales (DGCL).

* 32 Sur le plan juridique, la transposition du RIFSEEP à la fonction publique territoriale a été déclarée conforme au principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales. Conseil constitutionnel, 13 juillet 2018, Commune de Ploudiry , décision n° 2018-727 QPC.

* 33 L'employeur territorial renseigne, notamment, la part respective de l'indemnité de fonctions, de sujétions et d'expertise (IFSE) et du complément indemnitaire annuel (CIA).

* 34 Conformément au principe de parité dans la fonction publique, qui vise à assurer une certaine équité entre les fonctionnaires de l'État et les fonctionnaires territoriaux (article 88 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale).

* 35 Propos rapportés par La Gazette des communes , 23 juillet 2018.

Page mise à jour le

Partager cette page